Ses rêves avaient été peuplés de fantômes. Il avait l'impression de revivre encore et encore la même situation, il était de retour dans le hummer, la même roquette y mettait le feu inlassablement. Ce qui ne correspondait pas à la réalité, c'était la réaction de Dwayne. Au lieu de venir le sortir du hummer il le fixait avec des yeux accusateurs, un trou béant au milieu du front.
Il se réveillait à chaque fois en sursaut et en sueur, avant de retomber lourdement sur son oreiller, se souvenant qu'il était dans un lit d'hôpital à Los Angeles et non en Afghanistan. Non content de le torturer dans son sommeil son esprit lui renvoyait ensuite les images des évènements de la journée, c'était un cauchemar permanant qu'il soit réveillé ou endormi. Et quand il ne rêvait pas, c'était cette maudite infirmière qui venait le réveiller pour lui poser des questions stupides. Bien sûr qu'il se souvenait de son prénom, de son âge et de sa profession.
- Agent Granger ?
- Hum…
- Je suis désolée de vous réveiller encore une fois.
- Vous n'arrêtez pas de me dire la même chose et pourtant vous recommencez à chaque fois.
- Je sais, je suis désolée, enfin je veux dire que… Peu importe, j'ai quelques questions à vous poser.
- Ne vous fatiguez. Colby, 34, agent du F.B.I., enfin pour l'instant. Autre chose ?
- Le jour de la semaine ?
- Vendredi.
- Pas tout à fait, il est six heures du matin.
- Samedi, donc.
- Oui.
- Bien, dernière chose, je voudrais que vous serriez ma main avec votre main droite. Très bien, la même chose avec l'autre main. Bien. Je vous laisse vous rendormir, je reviens dans deux heures avec le petit déjeuner.
- C'est ça !
Se rendormir, elle en avait de bien bonnes. A choisir, entre l'éveil et le sommeil, il avait choisi le moindre mal, c'est pas que ses pensées éveillées étaient moins atroces mais il pouvait au moins les affronter, alors que les cauchemars qui peuplaient son sommeil étaient incontrôlables. Six heures du matin déjà, c'est bizarre il ne se souvenait pas avoir passé autant de temps ici, il faut dire que les premières heures avaient été chaotiques, son esprit embrumé et fiévreux s'était rarement reconnecté à la réalité, il avait passé ces quelques heures à osciller entre éveil, somnolence et cauchemars. Il se sentait mieux maintenant, ses pensées étaient nettement plus cohérentes, il savait qu'il avait oublié quelque chose mais quoi.
- Ellie !
Il n'avait pas entendu le médecin entrer, trop occupé à se demander comment il avait pu passer à côté pendant toutes ces heures. Il s'était redressé d'un bond et se préparait à sortir de son lit pour aller vérifier que tout allait bien.
- Agent Granger ? Doucement, doucement, vous comptiez aller où ?
- Ellie.
- Vous ne vous souvenez pas de la visite du Dr Mayfield hier soir ?
- Non !
- Oui, il faut dire que vous étiez assez agité. Je suis content de vous retrouver plus calme, même si l'infirmière m'a dit que la nuit n'avait pas été de tout repos.
- Ellie ? Je ne me souviens pas.
- Il n'y a rien d'étonnant à cela, les chocs à la tête ont ces conséquences parfois. Vous vous souvenez de tout ce qui vous concerne par contre la mémoire à court terme est souvent vacillante. Ne vous inquiétez pas pour cela, ça devrait s'arranger dans les prochains jours, enfin à condition que vous vous remettiez au lit.
- Je veux voir Ellie.
- Ce n'est pas possible pour l'instant agent Granger, vous devez rester allongé. Mais je vais demander au Dr Mayfield de descendre vous voir dans la matinée. En attendant je voudrais faire quelques petits tests de réflexes et examiner votre plaie à la tête, on vous amènera votre petit déjeuner ensuite et je vous promets que vous verrez le Dr Mayfield.
Il laissa le médecin faire, le simple fait de se redresser et de vouloir sortir de son lit l'avait épuisé, sans parler de la nausée qui venait de faire connaître sa présence, et du mal de crâne lancinant.
- Bien, j'ai quelques questions.
- Ils disent tous ça !
- Je vous demande pardon.
- Non rien ! Allez-y !
- Bien, avez-vous des nausées ?
Mince, comment pouvait-il être aussi perspicace ?
- Ça allait jusqu'à ce que j'essaie de me lever.
- D'où la nécessité de rester couché.
- J'aurais mieux fait de me taire !
- Je vous demande pardon.
- Non rien !
- Des raideurs dans la nuque ?
-Non !
- Des troubles de la vision ?
- Aucun.
- Des raideurs ou des faiblesses musculaires ?
- Non plus.
- Bien. Votre état semble stable, ce qui m'inquiète c'est le manque de sommeil.
- Normal on vient me poser des questions stupides toutes les deux heures, comment voulez-vous que je me repose dans ces conditions ?
- Agent Granger, vous savez très bien de quoi je parle, l'infirmière vous a rarement réveillé. Combien de temps avez-vous dormi depuis qu'on vous a amené ici ?
- J'ai pas compté.
- Dans votre cas, le repos total et le sommeil sont d'aussi bons remèdes que les anti-oedémateux. Vous avez vraiment besoin de dormir, et les sédatifs sont contre indiqué comme nous avons besoin de vous réveillez toutes les deux heures
- Je n'ai pas besoin de vos foutus sédatifs.
- Bien tant mieux, je vous laisse donc mettre en application votre traitement. Je passerai vous voir en début d'après-midi.
Jamais une matinée n'avait été aussi longue pour Megan, à croire qu'elle ne finirait jamais. La matinée s'était enfin achevée sans qu'aucune nouvelle affaire ne se présente à eux. Avec un peu de chance ils pourraient filer à l'heure, direction l'hôpital, enfin si le cerbère à l'entrée voulait bien les laisser voir leur collègue. Megan se tourna vers Don et lui adressa la parole pour la première fois de la matinée.
- Tu as eu des nouvelles de Colby, Don ?
- Oui, j'ai appelé tout à l'heure, il n'est pas très coopératif avec le staff médical, mais il va bien. Je vais aller le voir là, le médecin m'a demandé de passer pour essayer de lui faire entendre raison.
- On peut venir avec toi ?
- Non, il faut bien que quelqu'un reste ici, vous le verrez en fin d'après-midi.
- Oui, enfin si on veut bien nous laisser le voir.
- Il sera calme et reposé, j'en fais mon affaire, vous le verrez tout à l'heure.
- Agent Granger, ça suffit maintenant, ne m'obligez pas à vous mettre les sangles aux poignets.
- Vous n'avez pas le droit !
- Si votre état l'exige et que deux médecins signent le formulaire, nous avons le droit.
- Je veux voir Ellie !
- C'est impossible pour l'instant, vous devez rester couché.
- Je veux la voir !
Le Dr Barnes leva les yeux au ciel, il avait qu'une seule envie, injecter un sédatif puissant dans la perf de son patient, mais il savait aussi que les conséquences pouvaient être graves et irréversibles. S'il ne trouvait pas rapidement une solution pour son patient, c'est lui qui allait finir épuisé. Il se frotta les yeux, il lui restait une alternative, accepter la solution du Dr Mayfield, même si elle ne lui plaisait guère, mais n'avait-il pas prêté serment de faire tout son possible pour soulager la douleur de ses patients.
- Emma, vous voulez bien demander au Dr Mayfield de descendre immédiatement, je sais qu'on vous a répondu qu'elle était en intervention toute la matinée, mais appelez son service et demandé leur si elle est sortie du bloc. Quand à vous, agent Granger, essayer de rester tranquille jusqu'à son arrivée, sinon je vous promets qu'on vous passe les sangles.
- Je veux la voir.
- Elle va descendre, un peu de patience.
Il avait presque atteint l'hôpital et il n'avait toujours pas déterminé quelle était la meilleure façon d'aborder son collègue. Le médecin avait été très clair ce matin, si Granger ne se calmait pas, il serait obligé de l'attacher à son lit et de le shooter, avec tous les risques que cela comportait pour sa santé. Don serait alors la personne qui devrait prendre les décisions médicales nécessaires. Il se redemanda pour la centième fois ce qui lui avait pris de signer ce formulaire, même si quelque part au fond de son esprit il savait que quelqu'un devait bien s'en charger et étant le supérieur de Colby, ce choix semblait judicieux. Cela ne lui disait toujours pas s'il devait le menotter lui-même à son lit, l'engueuler ou tenter une approche amie.
Il fut sorti de ses pensées pas un coup d'avertisseur sonore furieux, en relevant la tête il constata que le feu était vert. Il fit un signe d'excuse dans le rétro et redémarra, c'est alors que l'automobiliste furieux derrière lui décida de jouer au con en le doublant à toute allure. Ce n'était pas le bon jour pour lui chercher des poux, il alluma donc le gyrophare avant de se lancer à la poursuite du chauffard indélicat, il le rattrapa deux pâtés de maison plus loin, dans un quartier résidentiel. Il perdit une heure supplémentaire à attendre que la police urbaine vienne cueillir le colis, qui ne s'était pas gêné pour l'insulter copieusement pendant ce laps de temps. Il atteignit enfin le parking de l'hôpital, bouchons et course poursuite combinés l'avaient mis en retard de deux heures. Il ne lui restait plus qu'à espérer que le Dr Barnes serait encore là pour le recevoir.
Il se dirigea immédiatement vers la chambre 316 et toqua avant d'entrer, il n'était pas préparé au choc qui l'attendait. Le lit était vide et une fille de salle était en train de changer tous les draps.
- Il est où ?
- Je ne sais pas, monsieur. Je sais juste qu'on m'a demandé de préparer la chambre pour le prochain patient.
- Vous n'êtes quand même pas en train de me dire que l'agent Granger est mort ?
- Je ne sais pas, Monsieur, je suis juste là pour faire le ménage. Je vais appeler une infirmière. Attendez-moi ici, je reviens de suite.
Il se laissa tomber dans le fauteuil près du lit et se prit la tête à deux mains, bon sang, il n'avait que deux heures de retard et le médecin l'aurait appelé pour lui annoncer la nouvelle. Ils avaient du l'emmener faire des examens, ils allaient le ramener. Non, pas possible, elle venait de lui dire qu'elle nettoyait la chambre pour le prochain patient, Colby n'allait donc pas revenir.
- Monsieur ? Monsieur, vous allez bien ? Monsieur ?
- Ça va, merci ! Le Dr Barnes ?
Il a fini son service il y a une heure, il était désolé de ne pas pouvoir vous voir !
- Où est mon collègue ?
- Nous l'avons changé de service, je suis désolée de vous avoir fait une telle peur, le Dr Barnes nous a laissé une note à votre sujet mais j'ai eu une urgence avec un patient. Je suis vraiment désolée.
- Il est vivant !
- Oui, je suis vraiment vraiment désolée.
- Vous pouvez me donner le numéro de sa nouvelle chambre ?
- La 512, au cinquième.
- Vous savez pourquoi on l'a transféré ?
- Non, je viens juste de prendre mon service et Emma est descendue au laboratoire, mais le Dr Barnes m'a dit que le Dr Mayfield vous attendrait en haut, elle vous expliquera tout.
- Bien, merci.
- Je suis vraiment désolée, je ne voulais pas vous effrayer.
- Ce n'est pas grave. Bien, je monte.
Son coeur allait probablement sortir de sa poitrine, il avait eu la peur de sa vie. Il ne se serait jamais pardonné d'avoir laissé un collègue mourir seul et encore moins de le laisser mourir tout court. Il toqua à la porte de la chambre 512, et n'obtenant aucune réponse, il entra et ce qu'il vit lui donna le deuxième plus grand choc de la journée, peut-être même celui de sa vie. Il se serait certainement effondré si quelqu'un ne l'avait pas rattrapé au vol.
