Dépendance
Disclaimers : ce qui se passe sous le crâne du capitaine n'appartient qu'à lui. Qu'il se débrouille. Je revendique la Sylvidre et le sort qui lui est réservé, et quoi qu'en dise Tochiro le vaisseau est la propriété de M. Matsumoto.
Note de l'auteur : aucune Sylvidre n'a été maltraitée lors du tournage de cette fic.
And now, here's a traumatized captain for Freezing cold.
o-o-o-o-o-o
Il avait longtemps erré dans l'obscurité, l'esprit vide, avant qu'une lueur insistante ne l'attire tel un papillon de nuit. Il s'était dirigé vers la lumière, et avait cru maintes fois s'en approcher alors qu'elle demeurait insaisissable. Il avait senti la fatigue l'envahir, mais une sensation indéfinissable l'empêchait de renoncer.
Il s'était finalement retrouvé au bord d'un précipice insondable.
La lueur le narguait de l'autre côté.
Alors il avait fermé les yeux, et fait un pas en avant.
—
La première pensée cohérente qui lui vint en mémoire fut qu'il ne tombait plus, puis il se demanda pourquoi donc il avait cru tomber.
Il se redressa avec maladresse. Ses muscles engourdis répondaient mal, comme s'il était resté allongé des semaines. Machinalement, il se palpa les bras et les jambes… Non, il avait l'air entier. Et pourtant il ressentait un manque angoissant, l'impression persistante que quelque chose de vital lui avait été ôté.
Il cala sa vision sur une table d'opération, du matériel médical et des écrans informatiques. Cela lui semblait familier.
Il hésita.
— L'Arcadia… souffla-t-il.
Pourquoi avait-il la sensation de ne pas avoir sa place ici ? L'Arcadia était son vaisseau. Il aurait dû être soulagé, et non pas éprouver ce sentiment d'insécurité. Il n'aurait pas dû trouver son environnement incongru, suintant d'un danger inexprimé.
Il plissa le front, désorienté.
C'était étrange… Une partie de lui reconnaissait les lieux, et en même temps il ressentait le besoin impérieux de s'enfuir… il ne savait pas très bien vers où, d'ailleurs.
Il songea à une forêt sans qu'il ne comprenne comment cette idée s'était imposée à lui. Les frondaisons lui chuchotaient des promesses qu'il ne pouvait saisir, et il lui tarda de pouvoir s'étendre au pied des troncs centenaires et de profiter de la quiétude qui lui était offerte.
Il étouffait soudain.
Les parois métalliques autour de lui se dressaient telles des sentinelles prêtes à l'attaquer. Il lui sembla que la pièce rétrécissait.
— Non ! cria-t-il.
Il se leva d'un bond. Un tiraillement de douleur le stoppa dans son mouvement : il était relié aux consoles médicales par des tubes de plastique transparent. Il voyait son propre sang les parcourir et s'enfoncer dans les entrailles d'une machine plus grande que lui.
— Non… répéta-t-il. Laissez-moi…
La poitrine oppressée, il ne pouvait tout à coup plus supporter le contact de ces matières inorganiques contre sa peau. Sa respiration s'accéléra tandis qu'il arrachait les perfusions et autres électrodes d'un geste malhabile.
Puis, trop faible pour tenir plus longtemps sur ses jambes, il s'effondra.
Il perçut un cri. On l'appelait. On le soulevait.
Instinctivement, il replia ses bras devant lui pour se protéger.
— Capitaine ! entendit-il. Capitaine, vous n'avez rien à craindre ! C'est le docteur Zero !
Simultanément, comme en écho, il lui sembla qu'une autre voix se superposait à celle du médecin. Une voix ténue. Une voix effrayée. L'espace d'un instant, ce fut comme s'il se trouvait en deux endroits à la fois, un univers métallique et un autre végétal, tous deux tremblants d'irréalité et aucun ne parvenant à prendre l'ascendant sur l'autre.
Puis le mirage disparut, et il sentit à nouveau le sol d'acier froid sous ses doigts. Mais était-ce seulement un mirage ?
— Laissez-moi ! répéta-t-il encore.
Il était cerné de silhouettes indistinctes. Quelque part, il savait qu'il devait connaître ces gens, que puisqu'il se trouvait sur son vaisseau alors il devait s'agir de membres de son équipage, mais leurs visages restaient flous.
Il se débattit, réussit à puiser en lui des forces insoupçonnées pour se dégager d'une emprise lourde de menaces, se défendit par réflexe lorsqu'il perçut plus qu'il ne vit une forme se dresser à ses côtés.
Son coup de poing fut suivi d'un juron.
Il venait de frapper un de ses hommes, pensa-t-il avec détachement, alors même qu'il tentait probablement de l'aider.
Dans son esprit naquit un scrupule, qui papillonna sans point d'ancrage avant d'être balayé par l'urgence : il l'entendait nettement, à présent. Il entendait son appel. Elle avait besoin de lui. Elle ne pouvait survivre seule dans cet univers hostile.
Il tituba en aveugle, se laissant guider par elle, repoussant quiconque se mettait sur son chemin.
— Elle… m'appelle, murmura-t-il, imperméable à ce qui l'entourait. Je dois… la rejoindre.
Elle était si proche, si proche et pourtant hors de portée. Il tendit les doigts en une tentative dérisoire pour l'atteindre, se crispa pour résister aux mains qui l'entraînaient en arrière, il frappa, tomba, rampa pour échapper aux poignes de fer qui l'empêchaient d'avancer. Il donna des coups de coude et des coups de genou. Il pouvait presque la toucher… encore quelques centimètres…
Elle était là, il la voyait à travers les brumes de son esprit, translucide, les bras croisés sur la poitrine, les mains plaquées sur la bouche, une expression de détresse sur le visage. Si frêle. Si seule.
— Je dois… y aller… lâcha-t-il dans un souffle. Il faut… Il le faut…
On l'avait plaqué au sol. Ils devaient être plusieurs à le maintenir, et malgré tous ses efforts il ne put résister lorsqu'une aiguille transperça son bras.
Pourquoi donc ne comprenaient-ils pas ?
Il lutta contre l'inconscience, se cambra pour continuer à la voir comme si son regard avait pu abolir les distances. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais ses mots se perdirent dans le vent. Il lui rendit un regard chargé d'angoisse et d'incertitudes.
— Je… ne t'abandonnerai pas, articula-t-il avec peine.
Il tenta d'ajouter autre chose, mais ses lèvres ne lui obéissaient plus. Le sédatif qu'on lui avait injecté avait raison de sa volonté.
Il sombra.
—
« Merde. Je savais que c'était une mauvaise idée d'embarquer cette saleté de plante. Il aurait fallu nous en débarrasser dès que vous en avez détaché le capitaine.
— Oui, je sais. Désolé. Sur le moment j'ai pensé qu'elle aurait pu servir pour le soigner… J'espérais tirer de sa sève un genre d'antidote, ou un vaccin, contre les toxines végétales qui empoisonnent toujours son sang.
— Mouais… En attendant le captain a l'air d'être complètement obnubilé par ce… truc.
— Il semblerait. Vu sa réaction tout à l'heure, je crains fort qu'il n'ait développé une sorte de dépendance physique, et peut-être même psychologique.
— En d'autres termes, ces sorcières contrôlent son esprit à travers la plante, docteur ?
— En d'autres termes, oui…
— Bon, alors dans ce cas il n'y a pas lieu de tergiverser : 'faut la brûler. Et tout de suite. »
—
Il avait crié. Puis il s'était réveillé. En nage, terrifié par ce à quoi il venait d'échapper et dont il ne se souvenait déjà plus.
— Calmez-vous, capitaine. Vous êtes en sécurité.
— Doc… constata-t-il.
Il s'assit, et ignora tant le regard réprobateur du médecin que le pic de douleur qui lui vrilla la poitrine.
Il se trouvait à l'infirmerie. À bord de l'Arcadia.
— Je suis revenu… souffla-t-il.
— On vous a récupéré avant-hier, répondit simplement Zero.
Harlock fit jouer les muscles de ses bras. Ses doigts tremblaient.
— Et… ça faisait combien de temps ?
— Trente-quatre jours.
Il était couvert de bandages. Trente-quatre jours… Il se remémora quelques impressions fugaces… Beaucoup de souffrance… Et un visage, surtout.
Il se mordit la lèvre. Ses souvenirs se mêlaient. Où était leur réalité, et où était l'illusion ?
— Je ne… me souviens pas, hésita-t-il.
Ce n'était pas tout à fait vrai. C'était seulement plus simple. Cela lui éviterait des questions auxquelles il était bien incapable de répondre.
Le docteur lui sourit, compatissant. Professionnel.
— Ce n'est pas important, capitaine. Vous êtes encore choqué. Il est normal que vous occultiez les évènements les plus traumatisants.
Zero l'ausculta rapidement : pouls, température, tension… Il consulta les résultats sur son unité de diagnostic portable et parut satisfait de ce qu'il lisait.
— Il vous faut du repos, ajouta-t-il. Votre mémoire va revenir petit à petit.
Le docteur fit un geste de la main, l'air embarrassé.
— Je sais que ce n'est pas vraiment dans vos habitudes, capitaine, mais si jamais vous souhaitez en parler avec moi…
Harlock haussa les épaules. Il n'en ferait rien. Pour avoir déjà cherché à exorciser ses fantômes, le doc le savait, d'ailleurs.
— Je ne vais pas vous obliger, capitaine, insista Zero, mais d'un point de vue thérapeutique…
— J'y penserai, doc, trancha Harlock pour avoir la paix.
Zero soupira, résigné.
— Je repasserai vous voir tout à l'heure, fit-il avant de s'éclipser.
Harlock le remarqua à peine. Il songeait à ces jours perdus – mais avaient-ils vraiment été perdus ?
Il fronça les sourcils, cherchant à rassembler des bribes de souvenirs disparates.
Il y avait eu la douleur, même s'il ne parvenait pas à se rappeler d'où elle était provenue exactement. Il ne pouvait de toute façon pas la nier. Son corps ankylosé et ses plaies tout juste soignées lui certifiaient que les Sylvidres n'étaient pas restées inactives pendant qu'il était leur prisonnier.
Il y avait eu une plaine et un arbre, et il en était persuadé bien que les images évoquées par sa mémoire soient déconcertantes : rien dans ses souvenirs ne liait l'arbre aux séances de tortures sylvidres. Au contraire, il se le représentait plutôt comme un refuge.
Il se concentra. Il se souvenait d'une Sylvidre en particulier. Une seule, alors qu'elles avaient été certainement plus nombreuses à « s'occuper » de lui. Et cette Sylvidre-là ne semblait pas non plus liée aux réminiscences de tortures – du moins, pas directement.
Il se rejeta en arrière dans son lit, se cala contre son oreiller et fixa le plafond comme s'il avait pu lui apporter des réponses, mais, malgré ses efforts, son esprit continuait à lui proposer des flashs de souvenirs décorrélés et complètement illogiques lorsqu'il les mettait bout à bout. Il grogna de frustration.
Il y avait eu la douleur, l'arbre et elle. Et tout était lié, il en était certain.
Des minutes interminables s'écoulèrent sans qu'il ne trouve de solution satisfaisante. L'ennui pointait. Le bourdonnement continu des appareils électroniques de l'infirmerie sembla s'amplifier et envahir la pièce, empêchant toute concentration.
Harlock repoussa ses draps sur le côté. Il ne pouvait plus rester allongé. Et puis une petite promenade lui éclaircirait les idées.
Lorsqu'il s'assit, puis se leva précautionneusement, il songea que Zero ne manquerait pas de lui reprocher son imprudence, et plutôt deux fois qu'une.
Il hésita. Était-il d'attaque pour supporter l'inévitable sermon du doc lorsqu'il reviendrait à l'infirmerie ? … Bah, il s'en soucierait plus tard – et rien ne disait qu'il serait forcé de revenir à l'infirmerie.
—
« Alors ?
— Un beau feu de joie, doc. Dommage que vous ayez manqué ça. Et le captain ?
— Mieux. Il a repris connaissance. Il avait l'air d'avoir toute sa tête.
— Avait l'air, doc ? Vous ne pouvez pas être plus optimiste ?
— Il est encore sous le choc. Et il est certain qu'il gardera des séquelles post-traumatiques profondes. Mais vous le connaissez, il n'est pas très expansif. J'ai peur de ne jamais réussir à savoir ce qu'il a vécu exactement… »
—
À peu près à mi-chemin entre l'infirmerie et le château arrière de l'Arcadia, Harlock s'adossa à la paroi, à bout de souffle.
Sa tête tournait. Il avait besoin d'une pause.
Ce n'était pas tant la fatigue qui l'avait forcé à s'arrêter, ni même les élancements douloureux de ses muscles qui protestaient d'être sollicités de la sorte après une si longue période d'inactivité. Non, cela n'avait rien de physique, constata-t-il tandis qu'il s'asseyait et repliait ses genoux contre sa poitrine en un geste de protection inconsciente. Il ressentait plutôt comme un déchirement au plus profond de son être.
Il se mordit la lèvre pour ne pas gémir. Non pas que cela fasse mal, mais c'était… désagréable. Il se massa les tempes. Et ça lui donnait la nausée.
Sans s'en apercevoir, il se balançait d'avant en arrière au rythme de sa respiration, comme si le mouvement de va-et-vient avait pu atténuer son vertige.
Un cri le traversa tel un coup de poignard. Il sursauta.
La coursive était vide.
Elle, c'était elle, pensa-t-il alors que l'image de son visage s'imposait dans son esprit.
Il se redressa, serra les poings pour ne pas vaciller, hésita un instant sur la direction à prendre puis poursuivit résolument vers l'arrière du vaisseau.
Elle l'appelait.
—
« Attention !
— Nom de dieu, d'où est-ce qu'elle sort, celle-là ? Elle a embarqué pendant l'abordage ?
— Sais pas. J'ai l'impression que c'était plutôt un cadeau bonus livré avec la plante. Elle a dû en sortir et se planquer avant qu'on ne vienne brûler cette saleté.
— Faudrait vérifier avec les caméras.
— Plus tard… Tirez, bon sang ! La laissez pas s'échapper ! »
—
Il était déstabilisé. Un arrière goût ferreux lui collait au palais, et pourtant aucune de ses blessures ne s'était rouverte. Il avait vérifié.
Il se passa la main dans les cheveux pour écarter de son champ de vision des mèches collées par la sueur. Et maintenant ?
Il ne l'entendait plus. C'était peut-être aussi bien. Après tout, elle était une Sylvidre, et les Sylvidres étaient maîtresses dans l'art d'influencer l'esprit humain.
Elle pouvait très bien l'influencer lui, admit-il à contrecœur. Il ne pouvait nier qu'il avait été affaibli, même s'il ne se souvenait pas avoir baissé sa garde à un moment ou à un autre.
Il était pratiquement arrivé à ses quartiers. Il fut soudain impatient de s'abymer dans la contemplation des étoiles depuis les panneaux d'observation de sa chambre. Il y avait longtemps qu'il n'avait plus barré l'Arcadia et slalomé entre les corps célestes. L'espace lui manquait.
Il était parvenu à la porte de son bureau quand un bruit de cavalcade le fit se retourner.
Elle stoppa sa course en face de lui et plongea son regard écarquillé de frayeur dans le sien. Il retint son souffle. Ses yeux magnifiques étaient cernés de noirs, et elle avait les traits creusés et la chevelure terne. Elle irradiait pourtant d'une beauté magnétique. Il avait oublié à quel point elle l'avait impressionné.
Le temps resta suspendu une fraction de seconde.
Elle pouvait très bien l'influencer, se répéta-t-il.
Il écarta les bras et elle vint se blottir contre sa poitrine au moment où le chef machine, suivi de deux mécanos, arrivait à son tour dans la coursive.
— Capitaine, lâchez-la ! cria Macchi en pointant son arme.
Il hésita.
— Écartez-vous ! insista Macchi.
Harlock le fixa avec perplexité. Il percevait sans pouvoir se l'expliquer l'urgence dans la voix du chef ingénieur. Comme s'il courait un danger imminent. Il savait pourtant que ce n'était pas le cas.
Il resserra son étreinte. Ses cheveux couleur de mousse embaumaient le parfum d'un jardin après la pluie.
Elle sourit.
— Tu n'as plus à t'accrocher à moi, lui glissa-t-elle. Je t'ai laissé partir.
Il haussa un sourcil.
— Je ne contrôle plus ton esprit, expliqua-t-elle doucement.
— Presque plus, corrigea-t-il.
Elle leva les yeux, tendit les doigts vers sa joue sans toutefois oser toucher sa peau, puis écarta avec délicatesse la mèche de cheveux qui dissimulait son regard.
Il sentit comme un courant électrique le parcourir là où elle le frôlait.
— Non capitaine, souffla-t-elle, je n'influence plus ta volonté. Ce qui reste est lié à ce que nous avons vécu. … Nous avons partagé bien plus que ce que mes sœurs avaient prévu, ajouta-t-elle.
Elle ferma les yeux, sereine, plongée dans ses souvenirs.
— Laisse-le tranquille, sorcière ! criait un pirate.
Ils étaient nombreux à présent, venus en renfort, armes braquées, trop nombreux contre une créature si fragile. Ils n'osaient pas encore s'approcher, craignant certainement quelque duperie psychique, mais ils n'allaient pas tarder à s'enhardir.
Harlock leur jeta un coup d'œil impassible. Lentement, il recula et s'assura de rester dans la ligne de mire de ses hommes. Ils ne tireraient pas sur elle tant qu'ils risquaient de le toucher lui.
— Tu m'as protégé là-bas, fit-il. Ici, nous sommes sur mon vaisseau. Ce sont mes hommes qui te menacent. Je peux…
— Tu ne peux plus me protéger, coupa-t-elle. C'est trop tard.
— Il y a toujours une solution.
Ses yeux se plissèrent de tristesse.
— Ils ont détruit la plante-mère, reprit-elle. Elle était ma source vitale. Mes racines. Je ne pourrai pas survivre sans elle.
Il eut une moue sceptique. Jamais aucune des Sylvidres qu'il avait eu l'occasion de rencontrer n'avait présenté cette particularité. S'il suffisait d'aller brûler des plantes immobiles pour se débarrasser des guerrières, l'Arcadia aurait depuis longtemps remporté son combat.
— Celles de mes sœurs qui choisissent la voie des armes s'affranchissent de ce lien, ajouta-t-elle, anticipant sa question. Mais celles d'entre nous qui sont élues pour perpétuer notre peuple demeurent à jamais liées à leur plante-mère. Je me suis condamnée à partir du moment où j'ai quitté son abri… bien avant que tes hommes ne la brûlent.
Harlock cilla. Il avait la sensation qu'elle lui avait révélé quelque chose d'important, mais en cet instant précis, il se sentait bien incapable de raisonner avec logique. Il ne pouvait détacher ses yeux de la Sylvidre qu'il tenait entre ces bras. Elle paraissait s'étioler sous ses yeux, à bout de forces. Vidée.
Vieillie.
Elle fanait.
— C'est le destin d'une plante-mère de s'éteindre une fois son œuvre achevée, continua-t-elle.
Elle se tut, le front appuyé contre son torse, les épaules soudain agitées de tremblements.
— Je… J'aurais pu t'entraîner avec moi, avoua-t-elle finalement dans un murmure. Mais quel intérêt à ce que nous mourrions tous les deux ?
Il ne répondit pas. Il ne trouvait pas les mots pour exprimer ce qu'il ressentait.
Il se contenta de la serrer un peu plus fort contre lui.
Elle soupira.
— Je voulais … Je ne sais pas. Les Sylvidres aussi sont capables d'éprouver des sentiments, tu sais…
Elle ne lui laissa pas le temps de réagir. Elle plongea ses yeux aussi noirs que le vide interstellaire dans le sien. Son regard était triste, mais déterminé.
— La plante-mère, son fruit… J'ai pu le sauver. Je te le confie. Prends soin d'elle.
— Je ne comprends pas, réussit-il enfin à articuler. Attends…
Elle se détourna brusquement et le repoussa en arrière. Surpris, et encore faible sur ses jambes, il perdit l'équilibre et ne put la retenir.
Elle fit face au chef ingénieur et aux hommes de l'Arcadia, droite et hautaine.
Macchi n'hésita pas : il tira. Un seul coup, à bout portant.
Elle s'effondra au ralenti dans une cascade de cheveux.
Son corps prit feu avant même qu'elle ne touche le sol.
Le souffle des flammes porta ses dernières paroles comme un ultime adieu.
— Prends soin d'elle, répéta-t-elle. Elle s'appelle Eyen. Et ne m'oublie pas, Harlock…
