Génome
Disclaimers : Macchi, Midori, Masu, Mimee, Mii et tous les autres dont le nom ne commence pas par « M » appartiennent à M. Matsumoto. Mais pas Eyen.
Note de l'auteur : d'un point de vue chronologique, tous ces évènements se déroulent après l'épisode 18 de la série « Albator 78 » – celui avec Midori – mais avant que l'Arcadia ne rencontre une Sylvidre rousse dans l'épisode 23.
Version originale : Macchi (ou Maji, ou encore Marisse) est le chef ingénieur de l'Arcadia. Midori est sa « fille ». En français elle s'appelle Madeleine. Quant à Kazuya, c'était le petit ami de Kei Yuki, dans l'épisode 16.
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La fin de la nuit s'était déroulée sans autre incident. Ils avaient conduit le capitaine à l'infirmerie et enfermé la Sylvidre dans un local sécurisé à l'avant du vaisseau. Elle avait crié et s'était débattu, mais elle était si petite qu'un seul homme suffisait à la maîtriser – même si le gars avait malgré tout écopé de quelques griffures.
Le docteur Zero tapota pensivement l'écran de surveillance vidéo. La petite Sylvidre avait clairement montré qu'elle ne voulait pas être séparée d'Harlock. À présent, seule entre quatre murs nus, elle s'était recroquevillée dans un coin et semblait s'être calmée, mais Zero se demandait encore s'il suffisait d'éloigner le capitaine de la Sylvidre pour le soustraire à son influence.
Il jeta un coup d'œil à son patient allongé sur un des lits de la salle de soins. Avec la dose de sédatif qu'il lui avait administrée, Harlock dormirait au moins une bonne dizaine d'heures, mais cela ne résoudrait pas leur problème. Le médecin ignorait quelle serait la réaction du capitaine à son réveil.
S'il était totalement sous l'emprise de la Sylvidre, il pourrait se montrer violent. S'il se montrait violent, vraiment violent et non pas « agité » à cause de ses blessures, de la fièvre et du contrecoup du choc traumatique… et bien, personne à bord n'avait la moindre chance.
Zero soupira. L'état-major de l'Arcadia avait prévu une réunion de crise. Il avait tout intérêt à y être.
Lorsqu'il parvint en salle de briefing, Yattaran, Kei, Mimee et Macchi s'y trouvaient déjà. Ainsi que Masu, remarqua-t-il en se demandant si la cuisinière ne serait pas plus utile à ses fourneaux.
La vieille femme lui tendit une tasse de café. Il déclina d'un geste.
— Faut l'attacher, doc, déclara Macchi sans préambule à peine fut-il assis. Et le boucler à double tour. Les gars de la machine et moi, on veut pas prendre le risque qu'il nous pète un plomb pour de bon.
— Il dort pour l'instant, rétorqua Zero. Il n'y a pas de danger.
— Ouais… Et quand il reviendra à lui ? Vous avez laissé quelqu'un pour le surveiller ? Vous vous imaginez ce qui se passera s'il décide de défendre cette sorcière par les armes ?
Zero baissa les yeux. Macchi ne faisait qu'exprimer à haute voix ce que tous redoutaient : que la petite Sylvidre ait manipulé le capitaine au point qu'il se retourne contre eux. Lorsque le docteur avait anesthésié Harlock quelques heures auparavant, il s'en était fallu d'un cheveu pour que le capitaine n'utilise son arme et que le mess ne se transforme en champ de bataille.
— Rien ne dit que ce sera le cas, intervint Kei.
La jeune femme fixa le chef ingénieur en face.
— Le capitaine ne mettra pas en danger son vaisseau ou son équipage, reprit-elle. Il sait ce qu'il fait.
— Non ça, ça m'étonnerait, répliqua Macchi avec une pointe de dédain. Et croyez-moi, je ne suis pas le seul à le penser.
Le chef se renversa sur sa chaise en croisant les bras.
— Sauf votre respect, miss, tout le monde sait que vous n'êtes pas objective dès que le captain est concerné.
Kei rougit et se tut. Macchi eut un sourire victorieux.
— De toute façon, le vrai problème ce n'est pas le capitaine mais la petite sorcière, ajouta-t-il. Il faut s'en débarrasser.
Il se leva et posa fermement les deux mains sur la table autour de laquelle ils étaient installés.
— Si on s'occupe d'elle avant que le captain se réveille, on n'aura plus d'ennuis.
— Tu veux dire… « si on la tue maintenant » ? fit Yattaran.
— Ouais. Tu vois une autre solution ?
— C'est une enfant, objecta Zero. On ne peut pas la tuer de sang-froid comme ça.
— Non, ce n'est pas une enfant, gronda Macchi. C'est une Sylvidre. C'est un simulacre d'enfant, dont le seul but est de nous attendrir. Si ça vous pose des problèmes de conscience d'appuyer sur la détente, doc, ce ne sera pas mon cas.
Zero secoua la tête.
— J'ai promis au capitaine de ne pas la toucher.
— L'avis du capitaine ne compte pas, rétorqua Macchi en haussant les épaules. Et puis j'ai rien promis, moi.
Le docteur pinça les lèvres.
— Le capitaine, c'est le capitaine, répondit-il froidement. Il a demandé à ce qu'on ne fasse pas de mal à la Sylvidre. Et jusqu'à preuve du contraire c'est quand même lui qui commande ici.
— Pas quand c'est une Sylvidre qui lui dicte son comportement.
Le chef machine fit quelques pas autour de la table en toisant chacun des participants d'un air de défi. Zero détourna le regard, mal à l'aise. La solution que proposait Macchi était extrême, mais il devait convenir que son argumentaire se tenait. La petite Sylvidre était une menace, tout le monde s'accordait sur ce point. Néanmoins, elle était aussi une enfant, et le docteur ne pouvait se résoudre à accepter qu'elle soit abattue froidement – question d'éthique.
Mimee choisit ce moment pour prendre la parole.
— Je perçois un lien psychique très fort entre eux deux, déclara-t-elle d'une voix calme. Cependant, les pensées de la Sylvidre ne sont pas hostiles.
— Pour le moment, grogna Macchi. Et elle peut très bien simuler.
— Je ne crois pas, répondit la Jurassienne. Elle est très jeune et ses pensées ne sont pas encore ordonnées. Le lien qui existe n'est pas construit elle ne cherche même pas à le dissimuler comme le ferait une adulte. J'aurai tendance à dire qu'il s'agit d'un réflexe inconscient de survie.
— Inconscient ou pas, elle influence le capitaine ! coupa le chef ingénieur. Il faut que ça cesse !
Mimee hésita.
— Je suis d'accord, finit-elle par admettre. À la longue, cela peut même se révéler dangereux pour Harlock. Les humains supportent mal la télépathie. Ce genre de lien peut détruire son cerveau.
— Et donc, renchérit Macchi en frappant violemment du poing sur la table, ça signifie que c'est inutile de tergiverser plus longtemps ! Bon sang, vous préférez continuer à vous apitoyer sur le sort de cette créature plutôt que de vous préoccuper de la vie du capitaine ?
Il fit un signe de tête à l'intention de Kei.
— Je suis d'accord, elle a l'air jeune, continua-t-il. Mais il n'y a pas si longtemps, Kei a croisé une jeune Sylvidre dans la maison de ses parents et le captain n'a eu aucun scrupule à tirer, lui ! Et s'il avait tous ses esprits, il n'aurait aucun scrupule à tirer maintenant !
Kei acquiesça. Pourtant, et il en était d'ailleurs le premier surpris, le docteur n'était pas convaincu. D'abord parce que la Sylvidre qui accompagnait Kazuya était de toute évidence plus âgée que celle qui se trouvait à bord actuellement, ensuite parce que son instinct de médecin lui soufflait que « leur » Sylvidre était différente.
— Encore un peu de café ? demanda soudain Masu à brûle-pourpoint.
— Ce n'est pas le moment, grommela Zero.
La vieille femme lui fit un sourire narquois.
— Mais si, doc, et je vous assure que vous allez avoir besoin de mon sens de l'observation, souffla-t-elle.
Masu agita son pot à café.
— Jeunes gens, annonça-t-elle de façon théâtrale, en dehors du fait que le captain semble être très attaché à cette petite Sylvidre et réciproquement, il reste quand même un élément que vous n'avez pas pris en compte.
La cuisinière fit une pause comme pour mieux ménager son effet.
— C'est une Sylvidre aux cheveux châtains et aux yeux marrons, termina-t-elle.
Zero haussa un sourcil d'incompréhension.
— Et alors ?
— Vous en avez croisé beaucoup, vous, des Sylvidres aux cheveux châtains et aux yeux marrons ?
Le doc réfléchit une seconde.
— Ben… En règle générale elles sont plutôt vertes.
— Ou avec des cheveux et des yeux noirs, renchérit Yattaran. Mais je ne vois pas trop où vous voulez en venir, ma'am.
Masu haussa les épaules.
— Pas très loin, en fait. On trouve assez vite une combinaison cheveux châtains / yeux marrons à proximité de cette Sylvidre.
Tout le monde la fixa bouche bée. Bon sang, elle avait raison, se dit le doc en se remémorant l'apparence de la petite Sylvidre. Il n'y avait pas vraiment porté attention, mais se pouvait-il…
— Eh, pas si vite ! interrompit Macchi. À quoi est-ce que vous pensez ? Cette chose est une plante. Une putain de plante !
— C'est peut-être une plante, rétorqua Masu, mais j'ai bien eu le temps de l'observer cette nuit en attendant les renforts, quand elle était cramponnée au capitaine. Elle a les cheveux de la même couleur que lui. Exactement de la même couleur.
Macchi renifla tout en balayant l'argument d'un geste de la main.
— C'est impossible, lâcha-t-il mâchoires serrées. C'est une coïncidence, une sorte de mimétisme, ou alors un artifice pour nous amadouer. Il ne peut pas y avoir le moindre lien génétique. … Je suis bien placé pour le savoir, finit-il dans un murmure.
Les épaules du chef machine tremblèrent sous le poids de souvenirs douloureux.
— C'est impossible, répéta-t-il.
— N'empêche qu'il serait peut-être judicieux de comprendre comment elle a pu attraper cette couleur-là avant de songer à l'éliminer, vous ne croyez pas ? répondit doucement Masu.
Zero se massa nerveusement la nuque.
— À vrai dire, on ne sait toujours pas ce que ces Sylvidres ont fait au capitaine. Ni à quoi servait cette plante à laquelle elles l'avaient relié. Ni pourquoi il avait une quantité impressionnante d'organismes végétaux dans son organisme.
Il s'humecta les lèvres. S'il y avait quoi que ce soit de génétique dans tout ça, il n'osait imaginer les conséquences.
— Tout ce que je peux affirmer, c'est que les échanges avec la plante n'étaient pas à sens unique. … C'est ce que j'ai constaté quand j'ai soigné le capitaine, expliqua-t-il comme il se voyait gratifié d'une série de haussements de sourcils perplexes. Certaines des racines lui injectaient de la sève et d'autres absorbaient son sang, si bien que le capitaine était en quelque sorte « intégré au circuit ». Au final, la plante et lui partageaient le même « mélange sanguin » saturé d'éléments végétaux.
— Et le résultat serait la petite Sylvidre ? s'étonna Kei. Quel est l'intérêt d'avoir fait ça ?
— Pas la moindre idée. Le goût de la recherche scientifique, peut-être ?
— Je n'appelle pas ça de la recherche scientifique, répliqua la jeune femme. J'appelle ça de la torture.
Yattaran fit claquer sa langue contre son palais.
— Je n'ai pas encore exploité les données récupérées sur la nef abordée, intervint-il. … Mais je crois que je vais m'y mettre de suite.
— De toute façon, il y a un moyen très simple d'être fixés, reprit Zero. Je vais examiner la petite Sylvidre. Avec un check-up médical complet on saura tout de suite de quoi il en retourne.
— Et vous êtes capable de gérer ça avant que le captain ne se réveille ?
— Bah, au besoin je pourrai toujours le rendormir pour quelques heures… mais je crois que j'aurai largement le temps de faire tous les tests nécessaires.
—
Le docteur était allé chercher la petite Sylvidre, l'avait auscultée, lui avait passé un scanner et avait terminé par une prise de « sang ». Il devrait obtenir le décryptage ADN d'ici quinze minutes.
Contrairement à ce à quoi il s'était attendu, la petite Sylvidre se tenait tranquille. Elle se contentait de le regarder avec des yeux implorants et, de temps à autre, elle lui tirait la main en tendant le doigt vers l'endroit où Harlock était allongé.
Zero l'avait ignorée. Hors de question qu'il la laisse toucher le capitaine.
Il avait soigneusement étudié les résultats avant de livrer ses conclusions au reste de l'équipage.
Tous les gars qui n'étaient pas de quart s'étaient entassés dans le mess. Le docteur avait amené des copies des holoscans de la petite Sylvidre qu'il fit passer dans l'assemblée.
— Très bien, commença-t-il. Personne n'ignore que nous avons actuellement un problème d'environ quatre-vingts centimètres sur les bras…
— Ouais, une foutue Sylvidre ! cria quelqu'un.
Le mess s'emplit du brouhaha de conversations passionnées. La plupart des hommes étaient d'avis d'en finir, constata Zero. Il attendit que le bruit de fond baisse en intensité.
— D'après les examens médicaux que je viens de lui faire passer, pas complètement, reprit-il.
Son annonce réduisit son auditoire au silence.
— Comment ça, « pas complètement » ? demanda un mécanicien au premier rang. C'est une Sylvidre, oui ou non ?
— Ben… pas complètement, répéta le médecin. Entre autres choses, elle possède notamment un proto-squelette, certes beaucoup moins élaboré que le nôtre, en particulier avec moins d'os au niveau des pieds et des mains, mais un squelette quand même. Je lui ai aussi trouvé un cœur et une ébauche de poumon, et un organe qui doit lui servir d'appareil digestif. À l'exception de ces « petits » détails, le reste ne diffère pas des Sylvidres que j'ai déjà eu l'occasion d'examiner.
— Et qu'en est-il de l'analyse génétique, doc ? intervint Yattaran.
— Quatre-vingt pour cent sylvidre, répondit Zero.
Il marqua un temps.
— Les vingt pour cent restants sont plus ou moins humains.
— Plus ou moins ?
— Faudrait une analyse plus pointue pour en être sûr. Les gènes non végétaux sont isolés et pas forcément évidents à caractériser… mais je n'ai pas trop de doutes sur leur provenance, conclut le doc.
Il fit un signe du menton à l'intention du second.
— Et du côté des archives informatiques ?
— Je n'ai rien trouvé de vraiment probant pour l'instant, répondit Yattaran. J'ai un peu de mal à traduire leur langue, et les données scientifiques sont codées. Mais le journal de bord de leur commandante contient le mot « hybridation » et un bref aperçu de leur objectif… Pour ce que j'ai réussi à comprendre elles cherchaient à obtenir une guerrière plus performante, continua-t-il. Après, je n'ai pas encore réussi à relier formellement cette information au capitaine, mais vu ce que vous avez dit…
Le second haussa les épaules.
— Ouaip, répondit Zero.
Les deux hommes se considérèrent sans prononcer un mot pendant une poignée de secondes.
— En tout cas, ça ne nous arrange pas, reprit le doc.
— C'est sûr…
Il y eut un autre silence pesant.
— Ça ne change rien ! lança soudain Macchi avec un rictus de haine. Cette chose est une création des Sylvidres ! Une abomination dont le but est de nous détruire ! Qu'on la laisse grandir et elle nous mènera à notre perte !
Ses voisins hochèrent la tête d'assentiment. Quelques autres prirent l'air gêné. Zero se mordit la lèvre. Bon sang, ils ne pouvaient pas devenir des bourreaux d'enfants, c'était contre les principes que défendait l'Arcadia ! Et pourtant… pourtant, quelque part, Macchi avait raison. Même si le doc se doutait que son acharnement devait être en partie dicté par le souvenir de Midori.
Zero soupira. Cette Sylvidre-là n'était pas Midori. Midori était une Sylvidre à part entière et n'avait jamais été la fille de Macchi. La Sylvidre du capitaine possédait quelques-uns de ses gènes. Très peu, mais cela faisait toute la différence – et c'était peut-être ça qui rendait le chef machine aussi amer.
Le docteur consulta Yattaran. En l'absence du capitaine, c'était au second de trancher. L'intéressé fit la grimace.
« En l'absence du capitaine, j'attendrais que le capitaine revienne », songea Zero. C'était ce à quoi avait également pensé Yattaran, a priori.
— Le doc et moi informerons le capitaine dès son réveil, déclara-t-il.
Il ignora les grommellements de protestation et poursuivit, imperturbable.
— Il est possible que le capitaine ait échappé à l'influence de la Sylvidre, auquel cas c'est à lui de décider en ce qui la concerne. Sinon, nous aviserons en fonction de sa réaction.
Macchi le foudroya des yeux, mais Yattaran soutint son regard sans faillir. Le chef ingénieur céda avec un juron.
— Z'avez intérêt à pas vous gourer, en tout cas, parce que vous pouvez être sûrs que je ne vous laisserai pas prendre une décision qui nuira à l'Arcadia, siffla-t-il avant de quitter le mess en colère.
L'équipage se dispersa à sa suite. Certains étaient franchement furieux, mais la plupart semblaient hésiter sur la conduite à adopter.
Restés seuls, Zero proposa un verre d'alcool à Yattaran, qui accepta d'un signe de tête. Le second attendit d'en avoir bu la moitié avant de reprendre la parole.
— Quand est-ce que le captain reprendra conscience, doc ? demanda-t-il.
— Il en a pour quatre ou cinq heures, mais je peux toujours lui donner quelque chose pour le réveiller tout de suite.
— Okay pour cette solution, soupira Yattaran. Autant s'acquitter de cette tâche le plus vite possible.
Il vida ce qui restait dans son verre cul-sec.
— Dans tous les cas, doc, ajouta-t-il, quelle que soit la décision qui sera prise, la petite Sylvidre ne peut pas rester à bord. Les gars sont nombreux à être du même avis que le chef, et il y en aura fatalement un qui voudra faire justice lui-même… avec ou sans l'accord du capitaine. Et je ne veux pas risquer une mutinerie à cause d'une Sylvidre.
— Qu'est-ce que vous proposez, alors ?
— J'en sais rien… avoua le second. Mais si vous avez une idée, je suis preneur.
Il secoua la tête.
— Ce que j'espère maintenant, c'est que le capitaine ne nous causera pas de problèmes, termina-t-il.
