Décision

Disclaimers : Harlock n'appartient pas à la petite Sylvidre. Ni à moi d'ailleurs. Mais la petite Sylvidre, si.

Note de l'auteur : ma période de productivité s'achève bientôt, et afin de ne pas laisser une histoire en plan, ce chapitre clôture donc cette fic. Cependant l'histoire d'Eyen ne se termine pas ici. Rien ne dit que nous ne la retrouverons pas plus tard, un jour. L'océan spatial est vaste…

Chronologie : pour ceux qui veulent resituer précisément la fic dans la série, à la fin de ce chapitre, nous pourrions être arrivés à l'épisode 27.

Au CTF qui m'a donné le temps d'écrire.
Aux lecteurs.

o-o-o-o-o-o

Harlock se réveilla avec un mal de tête digne d'un lendemain de soirée au Metal Bloody Saloon. Il avait la bouche pâteuse et l'impression d'évoluer dans du coton, et ce n'était pas seulement à cause des piqûres du doc.

— Eyen… souffla-t-il.

De toute évidence, la petite Sylvidre s'était aperçue de son réveil – ou l'avait provoqué, mais il ne pouvait l'affirmer – et elle lui transmettait à présent son soulagement.
Elle n'était pas avec lui. Il cilla lorsqu'une image lui parvint elle se trouvait dans une cellule à l'avant, a priori. Elle avait l'air indemne.
Il pensa « peur », « seule », et curieusement « docteur » puis « gentil ». Puis il perçut une phrase complète : de toute évidence, la petite Sylvidre apprenait à mieux s'exprimer, et elle progressait vite.
« Et toi ça va ? »

— Oui, ça va, murmura-t-il à la pièce vide. Mais tu me fais mal quand tu t'adresses à moi de cette façon, tu sais…

Il saignait du nez. Il savait ce que cela signifiait pour l'avoir déjà expérimenté avec Mimee : la télépathie était néfaste aux humains. Fatale, même. Surtout lorsqu'elle était pratiquée sans aucun contrôle et à forte dose comme c'était le cas avec Eyen.
Il se massa les tempes. Plus les pensées étaient complexes et plus les dommages étaient importants. Si la petite Sylvidre continuait à communiquer ainsi, il ne tiendrait pas longtemps avant que ses neurones ne grillent. Et au vu de la migraine qu'il subissait en ce moment, il se demanda si son cerveau n'avait d'ailleurs pas déjà commencé à se liquéfier.
Il se leva. Ça ne pouvait plus durer. D'autant que si ses hommes s'apercevaient de son état, il ne donnait pas cher de la vie d'Eyen.

« Mal ? Pourquoi mal ? »

Il vacilla.

— Je n'aime pas… quand tu parles dans mon esprit, expliqua-t-il.

Il sentit de la culpabilité mêlée d'incompréhension. Il soupira. Elle ne comprenait pas qu'il ne possède pas les mêmes capacités télépathiques innées qu'elle. Et elle était probablement trop jeune pour faire la différence entre une Sylvidre et un humain, songea-t-il. Son univers se résumait à l'Arcadia, pour l'instant. Elle devait même ignorer ce qu'était une Sylvidre.

Il hésita. Elle ne pouvait pas rester à bord. C'était trop dangereux pour elle, et c'était trop dangereux pour lui.

« Reste tranquille, je viens te chercher », formula-t-il intérieurement. « Et… essaie de me parler le moins possible, d'accord ? »
« Oui », répondit-elle.

Il sentit qu'elle comprenait confusément qu'elle était responsable de ce qui arrivait. Il perçut son angoisse. Il perçut également la confiance aveugle qu'elle lui portait. Tout s'arrangerait grâce à lui, et il n'y aurait plus de douleur et de colère autour d'elle, pensait-elle.

Harlock inspira profondément. Il doutait que quiconque à bord se réjouisse de ce qu'il s'apprêtait à faire.
Il fouilla rapidement l'infirmerie à la recherche de son arme. Son cosmodragon n'était pas là, mais il récupéra un pistolaser que le doc avait probablement subtilisé à un autre patient et avait ensuite oublié dans un tiroir.
Lorsqu'il referma la main sur la crosse, il resta plusieurs secondes à fixer l'arme, le regard vide.
Elle pouvait très bien l'influencer, se rappela-t-il. Elle pouvait très bien le forcer à agir de la sorte, dans l'intérêt des Sylvidres et à l'encontre de son équipage.

Il secoua la tête.
Okay, qu'elle l'influence si elle voulait, mais elle ne l'obligerait pas à tirer sur ses hommes, se promit-il.
Il glissa le pistolaser dans sa ceinture et allait sortir quand la porte de l'infirmerie s'ouvrit pour laisser passer Zero et Yattaran. Les deux hommes se figèrent en le voyant debout.

— Merde, jura le doc. Comment avez-vous fait pour vous réveiller aussi vite ?

Harlock n'avait pas le temps de discuter.

— Reculez, fit-il. Laissez-moi passer.
— Capitaine…
— Reculez ! ordonna-t-il plus rudement.

Il résista à l'envie de saisir son arme. Elle ne l'obligerait pas, se répéta-t-il. C'était son vaisseau, son équipage. Il ne risquerait pas de les perdre, même pour elle.

— Et n'essayez même pas de vous approcher d'une seringue, ajouta-t-il comme Zero jetait un coup d'œil furtif vers ses étagères.

Le doc leva les deux mains d'un air conciliant, mais ni lui ni Yattaran ne s'écartèrent de la porte. Harlock pinça les lèvres. Il allait bien falloir qu'il passe.

— Je ne voudrais pas… en arriver là, lâcha-t-il sans regarder aucun des deux hommes.
— Nous non plus, capitaine, répondit calmement Yattaran. Mais j'espère que vous comprenez qu'on agit dans votre intérêt.

Harlock garda obstinément le regard baissé. Oh oui, il comprenait parfaitement où Yattaran et les autres avaient placé son intérêt. Son intérêt, c'était qu'il reprenne sa place aux commandes de l'Arcadia sans qu'aucune Sylvidre n'interfère. Dans son intérêt, Eyen devait mourir.

— Bien sûr, souffla-t-il.
— Alors vous allez croiser les mains derrière la tête et me laisser vous débarrasser de cette arme, reprit Yattaran du même ton calme.

Harlock acquiesça, en apparence vaincu, mais toujours sans regarder son second.
Yattaran s'avança à pas comptés après une fraction de seconde d'hésitation. Harlock banda ses muscles. Peu importe qu'ils le croient coupable, peu importe qu'ils pensent qu'Eyen l'avait hypnotisé, à vrai dire il se fichait pas mal de l'opinion que son équipage pourrait avoir de lui. Sa priorité, à présent, c'était d'emmener la petite Sylvidre en sécurité.
Il se détendit brusquement quand Yattaran fut à sa portée.

— Désolé, s'excusa-t-il en le plaquant contre la cloison tout en lui tordant le bras dans le dos. Mais je ne peux pas vous laisser faire ça. … Ne bougez pas ! ajouta-t-il à l'intention du doc.

Zero stoppa son geste à quelques centimètres d'un chariot de médicaments.

— Capitaine, reprenez vos esprits. Vous êtes à bord de l'Arcadia… C'est votre vaisseau, capitaine ! Vous ne voudriez pas que ça dégénère !

Il s'était promis de ne pas dégainer. Il s'était promis…
Le doc fit un pas en arrière, vers l'intercom.

— J'ai dit « ne bougez pas ! », répéta Harlock.

Zero fit un deuxième pas dans la même direction. Harlock se mordit la lèvre. Si le médecin atteignait l'intercom, tout son équipage accourrait en renfort et c'était justement ce qu'il voulait éviter.

— Éloignez-vous de cet intercom !

Il tira juste au-dessus de l'épaule du médecin. L'impact explosa une étagère et projeta une multitude d'éclats de verre sur le doc. Zero pâlit. Le capitaine pouvait deviner l'incrédulité dans son regard. Lui aussi avait espéré qu'il n'en vienne pas à l'usage des armes, songea Harlock. Mais à présent, il ne pouvait plus reculer.

— Éloignez-vous. Lentement, répéta-t-il encore.
— Harlock, c'est une erreur… voulut argumenter Yattaran, toujours douloureusement coincé contre la paroi.
— Silence !

Il assomma son second d'un coup de crosse derrière le crâne puis il s'approcha du doc. Le médecin semblait résigné, mais il fit face sans trembler – et il ne tenta rien qui soit susceptible d'aggraver la situation.

— Vous n'irez pas loin, captain, dit simplement Zero.
— J'irai aussi loin qu'il faudra, répliqua Harlock fermement avant de l'assommer à son tour.

Les dés étaient jetés, maintenant. Le capitaine enferma les deux hommes dans le bureau du doc et quitta l'infirmerie aussitôt. Il lui fallait agir vite. Il ne disposait probablement que d'une poignée de minutes avant que quelqu'un ne s'inquiète du sort du second et du doc. Sans compter qu'une porte verrouillée n'arrêterait pas longtemps Yattaran. Peut-être aurait-il dû les attacher, mais il était trop tard pour y penser.

Harlock emprunta les coursives techniques plutôt que le chemin direct vers la cellule d'Eyen afin d'éviter les mauvaises rencontres. Il ne croisa qu'une seule personne, un mécanicien occupé à démonter un tableau électrique.
Le capitaine affirma avoir reçu du doc l'autorisation de quitter l'infirmerie d'un ton suffisamment autoritaire pour que sa phrase ne soit pas contestée sur le champ. L'homme le considéra d'un air dubitatif avant de s'éloigner en sens inverse. Harlock ne se faisait pas d'illusions : le mécano allait vérifier l'information auprès du doc… Il lui restait peut-être trois ou quatre minutes avant que tout le monde ne soit averti par diffusion générale.

Il ne possédait pas le code d'ouverture de la cellule, mais un coup de pistolaser bien placé régla le problème.
Eyen lui adressa un sourire rayonnant lorsqu'elle l'aperçut – le premier qu'il lui voyait faire.

— Allez, viens, dit-il. Dépêche-toi.

Il entraîna la petite Sylvidre à sa suite à travers les coursives, louvoyant pour s'écarter des zones usuellement plus animées, courant presque. Il s'attendait à entendre retentir l'alarme à chaque seconde.
La menace, impalpable, pesait sur lui telle une épée de Damoclès, mais finalement il atteignit les ponts inférieurs sans qu'aucune annonce n'ait troublé la quiétude de l'Arcadia.
Le hangar des spacewolfs était désert à l'exception d'un pilote penché sur son appareil, concentré sur quelque maintenance. Le gars écarquilla les yeux lorsqu'il aperçut le capitaine et la petite Sylvidre qu'il tenait par la main.

— Mais qu'est-ce que…

Harlock ne lui laissa pas le temps de réagir et le frappa d'un direct au menton. L'homme s'écroula inconscient.
L'alarme se déclencha à ce moment. Eyen sursauta et se colla contre lui.

— Tout va bien, la rassura-t-il.

Il installa la petite Sylvidre à l'arrière d'un spacewolf et s'assit aux commandes après avoir actionné l'ouverture des portes du hangar en manuel. Il était trop tard pour que quiconque puisse l'arrêter.
Il quitta l'Arcadia alors que la radio du jet s'animait.

— Captain ! Captain, c'est Kei, est-ce que vous me recevez ?

Il faillit répondre, réfléchit, s'interrompit. Non, inutile. Elle ne comprendrait pas, et discuter lui ferait perdre un temps précieux.
Avec un soupir, il coupa la radio et éteignit la balise de localisation du spacewolf.
Puis il bascula en hyperespace.

Il avait volé une journée entière, avait exécuté trois sauts hyperspatiaux et une savante manœuvre d'évasion – juste assez complexe pour empêcher l'Arcadia de le rattraper trop vite – et avait finalement abouti dans un système planétaire qui n'était mentionné que par un numéro sur les cartes terriennes.
Trop petit, trop éloigné de la Terre et de ses colonies, il n'avait pas intéressé les gouvernements humains, ni même d'éventuels contrebandiers ou trafiquants qui l'avaient jugé trop à l'écart des grandes routes commerciales pour posséder une réelle plus-value stratégique.
Harlock se demanda pourquoi il avait songé à ce système en particulier. Il était plus que probable qu'« on » l'avait un peu aidé. Mais ça ne venait pas d'Eyen, il en était sûr. C'était un souvenir qui datait d'avant, d'elle. En y repensant, il s'aperçut qu'il ne connaissait d'ailleurs pas le nom de cette Sylvidre alors même qu'elle était la mère d'Eyen, en définitive.

Il jeta un coup d'œil à l'arrière.

— On est bientôt arrivé, lança-t-il par dessus son épaule.

Il ne reçut pas de réponse. Il ignorait si c'était parce qu'elle ne voulait rien dire ou parce qu'il n'était plus réceptif à sa télépathie, mais il ne s'attarda pas sur l'une ou l'autre option : il lui fallait toute sa concentration pour piloter. Son mal de tête avait empiré, et depuis qu'il était sorti de son dernier saut warp, il saignait en continu du nez et des oreilles.
Il cligna des yeux pour éclaircir sa vision qui se troublait dangereusement.
Allez, encore un effort, il touchait au but.

Il se plaça en orbite basse autour de la planète et enclencha le scanner du spacewolf, même s'il savait d'instinct où atterrir. Il ne tenait pas non plus à ce qu'un comité d'accueil l'attende à son arrivée.
La planète était calme : pas d'installations militaires, pas de piste ou de docks pour d'éventuels vaisseaux spatiaux, il n'y avait même pas de trace de passage, signatures ioniques ou résidus de carburant en orbite. Mais le scan de surface confirma la présence d'une colonie sur le continent septentrional.

Une colonie sylvidre.

Il repéra pas le moindre signe d'une quelconque industrie « mécanique » mais il y avait beaucoup d'activité végétale. L'endroit idéal. Il ne vit aucune habitation, ce qui l'ennuya un peu, mais de toute façon il n'était plus suffisamment vaillant pour emmener Eyen ailleurs. Ce serait ici ou nulle part.

Il se posa sur un promontoire rocheux à l'écart de toute végétation – pas question qu'on le prenne par surprise –, sortit Eyen du spacewolf et la conduisit jusqu'à la lisière de la forêt, à une centaine de mètres de son appareil.
Puis il lui lâcha la main et la poussa fermement dans le dos, vers l'ombre des frondaisons.

— Voilà, lui dit-il. Il y a des… personnes comme toi qui vivent dans le coin. Tu devrais t'y plaire.

Elle fronça les sourcils. Elle avait l'air inquiet.
Elle fit la moue lorsqu'il eut un geste d'impuissance et qu'elle comprit qu'elle ne parvenait plus à communiquer avec lui par la pensée.

— Tu… pars ? fit-elle d'une voix hésitante.

Il se figea. Oui, il partait. Que pouvait-il faire d'autre ?

— Je veux… tu restes avec moi, ajouta-t-elle le regard triste mais plein d'espoir.

Il faillit céder. Puis il se passa la main sur le visage, considéra ses doigts couverts de sang et il se rappela pourquoi il était ici.
Elle le tuait à petit feu. Il ne pouvait se résoudre à l'achever. Il fallait qu'elle poursuive son chemin seule.

— Ne t'en fais pas, répondit-il avec un sourire forcé. Tes sœurs vont s'occuper de toi. Tout va bien se passer.

Il n'en savait rien, en fait. Il espérait seulement que quelqu'un l'avait vu atterrir et viendrait aux nouvelles. Il espérait que les Sylvidres possédaient un minimum de sens familial, ou bien qu'Eyen était capable de… prendre racine dans cette forêt, ou de faire un truc de plante pour survivre toute seule.

Il se retint pour ne pas regarder en arrière tandis qu'il regagnait son spacewolf.

Ses épaules se détendirent une fois revenu en orbite, et il pleura le front appuyé sur le tableau de bord. Il mit plusieurs minutes à évacuer toute la tension accumulée – mais son mal de tête s'estompait et il ne saignait plus, ce qui le convainquit qu'il avait pris la bonne décision.

Il respira profondément. Les événements allaient pouvoir reprendre leur cours normal.
Il ralluma sa balise et envoya un code d'identification/réponse pour localiser son vaisseau : l'Arcadia était sur ses talons – et à portée de radio. Il serait à bord dans moins d'une heure.

— Harlock à Arcadia. Le problème… est réglé. Je rentre.
— Content de l'entendre, capitaine, répondit Kei à l'autre bout. Bon retour parmi nous.

La jeune femme ne posa pas de questions. Le doc le considéra d'un air suspicieux, mais il se contenta de l'examiner et de le déclarer « bon pour le service, à condition que vous ne fassiez pas d'efforts violents, capitaine ». Mimee lui confirma qu'elle ne percevait plus aucune intrusion télépathique extérieure.
Aux rares interrogations auxquelles il dût faire face, il répondit simplement qu'il avait préféré s'isoler pour se débarrasser plus facilement de la petite Sylvidre et de son emprise. La plupart des gars en déduisirent qu'il lui avait réglé son compte, et il ne les détrompa pas.
Et si certains d'entre eux avaient encore éprouvé de la méfiance à son égard, ce sentiment disparut lorsque l'Arcadia participa à sa première bataille rangée depuis longtemps. Quelque part, Harlock fut rassuré également. Jamais au cours du combat il n'éprouva le besoin d'épargner un vaisseau sylvidre ou de saboter sa propre manœuvre. Il fut inflexible, comme à son habitude. Fidèle à ses principes.
Il gagna.

Il sentit encore pendant quelques semaines une présence faible au fond de son esprit, une étincelle qui s'atténuait au fur et à mesure que la distance avec la planète sur laquelle il avait laissé Eyen augmentait.
Et puis, un matin, tout fut terminé.
Il eut un pincement au cœur en songeant à la petite Sylvidre. Qu'était-elle devenue ? Était-il trop loin pour l'entendre, ou bien… Il se força à la chasser de ses pensées. C'était une Sylvidre et elle avait failli le détruire. Quel besoin avait-il de se préoccuper du sort d'une ennemie alors que la Terre était en danger ? Pourquoi se soucier de cette plante alors que Mayu réclamait son aide ?

Le visage de la fille de Tochiro s'imposa à lui et supplanta celui d'Eyen. Il crispa ses mains sur la barre. Trêve de sentimentalisme.
Il avait une guerre à mener.