Petunia ne savait pas grand-chose des grandes envolées romantiques, ou plutôt elle avait tendance à regarder de haut tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un présent amoureux. Jamais boîte de chocolat en forme de cœur ou brassée de roses blanches ou rouges n'avaient pu l'impressionner.
Si elle avait regardé un peu plus attentivement et honnêtement au fond d'elle-même, Pétunia se serait peut-être avoué que c'était avant-tout un manque cruel de confiance en elle qui guidait ses choix, et non une véritable détestation du mélodrame ou des élans sentimentaux.
Car elle aimait Vernon, tendrement, profondément et passionnément. Ce n'est qu'avec lui qu'elle se sentait comprise, comblée et complète.
Être à ses côtés rimait à éprouver un solide sentiment de sécurité, à se sentir femme et appréciée à sa juste valeur, enfin.
Après toutes ces années à vivre loin dans l'ombre et à paraître médiocre.
Avant-même de s'intéresser à un homme, Pétunia avait éprouvé le plus dur et le plus vil des sentiments de jalousie. Elle s'était sentie brûler de l'intérieur et, lorsque sa sœur quittait la maison à chaque premier septembre, c'était une envie de se faire du mal qui l'envahissait.
La rage, l'impuissance et la tristesse la rongeaient à petit feu tandis que ses parents se languissaient de leur fille cadette.
Et puis, à la faveur d'une formation au secrétariat, il y avait eu Marge la tonitruante, pas séduisante pour un sou, pas bien raffinée non plus mais une travailleuse et une acharnée, comme elle.
Le portrait qu'elle avait dressé de son frère avait intrigué Pétunia : un homme droit dans ses bottes assurait-elle, méritant, un bourreau de travail et un cadre intègre. Pouvait-elle le croire ?
L'homme l'avait rassurée par sa maladresse lorsqu'il était apparu un soir, venant chercher cette sœur aînée qui ne voyait que par lui.
Pétunia qui avait fait les frais d'un licenciement pas tout à fait économique et, avant ça, des manières peu reluisantes d'un directeur à qui elle avait clairement du dire non, s'était sentie positivement impressionnée.
Elle avait donc répondu à l'appel de Marge, rapidement puisqu'elle était passée déposer son dossier de candidature le soir-même à la Grunnings.
Car Pétunia avait besoin de travailler et le chômage ne lui convenait guère. Comme elle avait un peu d'expérience, elle voulait croire que cette offre-là serait la bonne.
Un entretien plus tard, elle était embauchée comme sténotypiste de conférence. Puis comme secrétaire-clientèle.
En même temps, elle apprenait à connaître Vernon Dursley.
Auréolé par son statut de directeur, bien que quelque-chose d'un peu pataud lui reste par moment, il n'était plus l'homme maladroit et embarrassé qu'elle avait croisé une fin d'après-midi.
C'était un stentor, un meneur et un vrai bonhomme. Pétunia n'avait pas tardé à se sentir éblouie et elle avait eu envie de briller à son tour. Elle avait pris un peu plus soin d'elle, bien qu'elle ne soit jamais négligée, elle avait payé ses parfums un peu plus cher, était passée plus souvent chez le coiffeur…
Elle avait pris garde au camaieu de ses tenues également, plus que d'habitude. En un mot, elle avait essayé de devenir séduisante, discrètement mais sûrement.
C'est en recroisant sa sœur à l'occasion d'une visite à ses parents qu'elle s'était de nouveau sentie laide. Car Lily était éblouissante et sensuelle, inutile de le nier et Pétunia sentait à nouveau la jalousie la mordre. Le petit ami de sa sœur était terriblement beau, tout comme elle, et terriblement adulé aussi, Pétunia le sentait.
A côté de sa sœur, elle ne ressemblait à rien. Et lorsque sa mère et Lily s'étaient isolées dans la cuisine en ce dimanche après-midi, Petunia s'était sentie plus amère que jamais. Alors elle les avait espionnées, discrètement.
Ce qu'elle avait surpris lui avait fait dresser les cheveux sur la tête. Car dans la cuisine, les deux femmes discutaient d'un sujet qui n'était nul autre que…
Les philtres d'amour dont Lily tenait un flacon en main, tandis que sa mère préparait une pâte onctueuse destinée à devenir un gâteau au chocolat. Lily avait mis quelques gouttes du flacon dans la pâte, avant de la verser dans deux moules que mère et fille avaient enfournés.
- Vous en aurez un pour ce soir ma chère, lui avait dit sa mère. Quant-à moi, je garde le second pour nous deux. Il est toujours bon d'en faire goûter à ton père, cela a le don d'améliorer son caractère...
Pétunia était restée mortifiée, autant par la manœuvre que par le fait qu'on l'ait tenue dans le secret, mais pas assez longtemps pour ne pas réagir. Elle avait fait ses affaires sans se faire remarquer, puis elle avait attendu que sa mère sorte les gâteaux du four pour passer dans la cuisine et en voler un qu'elle avait caché dans une boite.
Enfin elle était partie, prétextant un horaire de bus à respecter et le cœur battant d'angoisse. Ce n'est que rentrée chez elle qu'elle avait respiré, fixant avec détermination ses objectifs pour le lendemain.
A savoir : Faire manger un bout de ce gâteau à Vernon Dursley.
Le lundi elle était prête. Elle savait que le directeur de la Grunnings faisait toujours un tour dans les bureaux vers onze heure trente, juste avant de prendre sa pause car il était toujours affamé en fin de matinée.
C'était parfait, elle avait posé le gâteau sur son bureau après en avoir mangé un bout, c'est ce qui semblait bien nécessaire pour que la magie opère et elle espérait simplement que la technique marche.
Mais vu comme semblaient s'aimer Lily et James, ainsi que son père et sa mère, Pétunia pouvait se permettre d'avoir bon espoir.
Il était onze heure quarante-cinq et ses nerfs étaient déjà à vif lorsque Vernon Dusley entra dans le bureau qu'elle occupait pour vérifier que tout allait bien. Ses yeux glissèrent très lentement sur le gâteau au chocolat, laissant apparaître une lueur de convoitise.
Pétunia de son côté s'efforçait de rester calme, répondant à ses question un rien plus maladroites que d'habitude. Oui la matinée se passait bien, oui tel rapport était prêt, oui elle avait changé son emploi du temps pour la semaine suivante en raison du décalage de la réunion.
Le regard de Vernon glissa à nouveau sur le gâteau. Pétunia lui tendit la boite, sans rien dire mais avec un sourire presque maternel et un peu taquin qu'elle se surprit elle-même à esquisser.
Il n'hésita pas une seconde avant d'accepter et attrapa une grosse part dans laquelle il mordit :
- Hum que c'est bon, surtout quand on a faim… Pas déjeuné ce matin… Délicieux… C'est vous qui l'avez fait Pétunia ?
Il n'en avait fait que trois bouchées mais il les savourait. Pétunia se sentait comblée :
- Oui, mentit-elle sans scrupules.
- Je… Je peux en reprendre ?
- Bien-sûr !
Elle n'aurait pu se sentir plus heureuse lorsqu'il lui dit :
- Rarement goûté quelque-chose d'aussi bon… Il faut absolument que votre talent soit connu ma chère… Quelle pâtissière remarquable !
La conversation était engagée et Pétunia laissa Vernon Dursley lui raconter combien sa propre mère était industrieuse mais combien elle ne maîtrisait pas cet art… Il n'avait jamais mangé que des gâteaux achetés chez le pâtissier.
Au fur et à mesure qu'il parlait, Pétunia se sentait cependant toute drôle et le sentiment d'être une imposteur l'envahissait. Elle n'avait pas fait ce gâteau et n'avait aucune idée de comment s'y prendre pour reproduire l'exploit.
La seule chose qu'elle savait faire elle-même était la meringue, pour ça oui elle était douée… Mais Vernon accepterait-il d'en goûter une fois l'effet du philtre de Lily dissipé ?
Lorsqu'il la quitta enfin, Pétunia se sentait complètement dos au mur, honteuse et terrifiée… S'il se doutait de quelque-chose ? Que lui arriverait-il et surtout que penserait-il d'elle ?
C'est triste et troublée qu'elle rentra chez elle ce soir-là. Le sentiment de triomphe qu'elle avait éprouvé en donnant le gâteau à Vernon avait été de courte durée, même s'il avait vanté ses dons à toute la firme.
- Je réussi mieux la meringue… Avait-elle bredouillé pour se tirer d'affaire. Ce n'était qu'un essai…
Elle dormit très mal cette nuit-là, ainsi que la suivante et c'est donc avec une humeur massacrante qu'elle vit arriver au matin du mercredi un petit hibou qui rentra par la fenêtre ouverte de son appartement :
- Ah non ! Cria t-elle, effrayant l'oiseau.
Celui-ci était néanmoins suffisamment courageux pour lui tendre sa patte malgré tout. Pétunia, malgré sa colère, consentit à détacher le parchemin qui se trouvait au bout.
Si Lily osait l'accuser et lui faire le reproche d'avoir volé le gâteau, elle se ferait recevoir !
Bientôt, la belle écriture de sa sœur s'étala devant les yeux de Pétunia qui sentit ses membres se mettre à trembler dès qu'elle en entama la lecture :
« Ma chère Pétunia,
Tu me pardonneras le subterfuge que j'ai mis au point dimanche avec l'aide de maman. Le but n'était pas de te nuire mais de t'aider à sauter le pas car il ne nous a pas échappé que tes mines lointaines et soucieuses cachaient sans doute un tourment amoureux. Je crois pouvoir dire que nous ne nous étions pas trompées, pas vrai ?
Je sais que c'est toi qui a subtilisé le second gâteau au chocolat sur lequel j'avais déversé cette délicieuse essence de mandarine (qui n'a, tu peux m'en croire, strictement aucune propriété magique : jamais je ne t'aurais mise en danger avec un véritable philtre). Je ne te blâme pas, mon intention était de te pousser au vice afin que, croyant en toi, tu oses offrir ce gâteau à celui qui occupe tes pensées.
Espérant que ce petit présent vous aura permis de vous rapprocher,
Bien affectueusement,
Lily.
PS : Maman a la recette du gâteau et je peux te fournir en essence de mandarine si nécessaire. Cela dit, je sais que tes meringues et tes soufflés sont délicieux et je ne doute pas que tu n'aies pas besoin de notre aide pour briller en cuisine. Tu as toujours été la plus raffinée de nous trois à ce jeu-là. »
