Chapitre 2 - McGonagall

Le bureau du professeur McGonagall est un endroit familier pour Harry. Ses amis et lui ont l'habitude d'y être convoqués pour diverses raisons – le plus souvent par sa faute – si bien qu'il connaît à présent la disposition de chaque objet presque par cœur. Pour autant, il se sent intimidé par cette pièce familière. Son regard est fuyant, son attention instable et ses mains moites. Il sait pourtant qu'il n'a pas à s'en faire, que son professeur ne le jugera pas ou ne le traitera pas de fou, mais... Il a peur.

Peur d'être de nouveau différent des autres.

Quand il était plus jeune, cette peur d'être différent était déjà profondément ancrée en lui. Son oncle et sa tante lui répétait sans cesse que cette différence qui était sienne faisait de lui un monstre et il avait fini par les croire. Par croire qu'il n'aurait jamais dû naître, qu'il était une abomination. Puis, quand il avait découvert sa nature de sorcier, il s'était senti enfin heureux, soulagé de ne pas être seul. Il avait apprécié l'attention qu'on lui portait, à lui, l'orphelin que tout le monde critiquait. Il s'était senti important et même un peu intimidé quand les autres soufflaient son nom avec admiration.

Mais avec le temps, il s'était rendu compte d'une chose : au final, il était toujours différent des autres. Il était l'Elu, le Sauveur. Le seul capable de battre le Seigneur des Ténèbres. La personne sur qui l'espoir du monde sorcier reposait. Il n'était plus un monstre, mais un sacrifice. Les sorciers se fichait qu'il survive ou non, du moment qu'il les débarrassait de la plus grande menace qui pesait sur leur tête. Ils l'idôlatraient, le baignaient de compliment, pour mieux le pousser à se battre pour eux. Il le prenait pour un enfant facilement manipulable et ignorant.

Harry en a toujours eu parfaitement conscience mais au fond de lui, ça lui allait. Des personnes comptaient sur lui et il n'était plus perçu comme une erreur de la nature, alors que demander de plus ?

Mais Harry est encore un enfant, un adolescent, et peu à peu, il s'était surpris à rêver du futur, à envisager un métier, une vie de famille. Il s'était mis à désirer ardemment une vie normale. Une vie où son nom ne serait pas synonyme de monstre ou de Sauveur, une vie où personne ne reconnaîtrait son visage dans la rue, une vie où il ne serait pas vraiment différent des autres, où il serait libre.

Mais cette capacité peut être un nouveau frein à ce désir de normalité. Il est effrayé à l'idée d'être le seul à avoir ce pouvoir, d'être de nouveau au centre de l'attention de tout le monde. Ce pouvoir l'intrigue mais s'il doit y renoncer pour ne pas être à nouveau traiter comme quelqu'un de spécial, il le fera sans hésiter.

Il serre les pans de sa robe avec le stress et sursaute lorsque la porte du bureau laisse entrevoir la silhouette du professeur. Elle lui avait demandé de patienter quelques instants pour des raisons personnelles. Il suit du regard son professeur s'installer sur son siège et d'un mouvement de main, elle fait apparaître deux tasses fumantes devant eux. Il constate avec une certaine joie que la sienne est remplie de chocolat chaud. Il adore ça.

« Alors Monsieur Potter, que me vaut votre visite ? J'espère que vous ne vous êtes pas attiré de nouveaux ennuis. »

« Contrairement à ce que vous et les autres professeurs pensez Professeur, je sais me tenir éloigné des problèmes. »

Le professeur McGonagall hausse un sourcil, définitivement pas convaincue par ses paroles. Pour être honnête, lui-même se rend compte que sa phrase est assez mensongère. Même quand il ne cherche pas les ennuis, les ennuis viennent à lui. Il peut difficilement y échapper. Mais pour une fois, ce n'est pas ce qui le préoccupe, pas vraiment. Il tourne plusieurs fois sa tasse entre ses mains, à la fois pour profiter de la chaleur de cette dernière mais aussi pour lui permettre de réfléchir au meilleur moyen d'aborder le sujet qui l'intéresse. Au bout de quelques instants de réflexion, il prend une profonde inspiration et se lance.

« Dites-moi Professeur, avez-vous déjà entendu parler d'une magie en rapport avec des liens ? Des fils de couleur qui nous relient les uns aux autres et dont les nuances semblent correspondre à des émotions, des sentiments... »

L'espace d'un instant, seul le silence lui répond et les espoirs d'Harry de ne pas être l'unique détenteur de ce don commencent peu à peu à s'effriter. Malfoy aura encore une raison de se moquer de lui quand il le saura. « Tu voulais avoir encore toute l'attention sur toi, hein Potter ? Félicitation, c'est réussi. ». Son expression s'assombrit à cette pensée. Il entend le professeur McGonagall se racler la gorge pour attirer son attention et Harry lève la tête dans sa direction.

« Pourquoi cette question Monsieur Potter ? »

« Eh bien... »

Il peut toujours trouver une excuse, dire qu'il en a entendu parler par d'autres élèves, tout faire pour le cacher. Si personne ne sait qu'il détient ce pouvoir, alors il pourra garder un semblant de normalité. C'est une solution. Sûrement la meilleure. Mais il aurait tout de même voulu en savoir un peu plus sur ce pouvoir étrange, le comprendre et savoir pourquoi ça lui arrive à lui plutôt qu'à un autre. Il mord sa lèvre inférieure et arrête de la malmener seulement lorsqu'il entend le bruissement des robes de son professeur alors qu'elle de lève. Sans un mot, elle se dirige la fenêtre, si bien que Harry ne distingue plus ses expressions. Il ne voit que le dos du professeur.

« Vous savez, une élève m'a posé une question similaire à la vôtre, il y a quelques années. C'était une élève remarquable, incroyablement douée, que ce soit pour la métamorphose, les potions ou encore les sortilèges. Une élève comme on en voit très peu chaque année. Elle aimait apprendre plus que tout, découvrir tout ce qu'il y avait à savoir sur le monde sorcier. Sur certains points, Miss Granger me la rappelle. »

Son ton était étonnamment maternelle, comme si elle parlait de son enfant qui avait, depuis bien longtemps, pris son envol et quitter le nid familial.

« Un jour, elle est venue me voir, paniquée, et pour la première fois, je l'ai vu perdre son calme légendaire. Elle n'arrêtait pas de tourner en rond dans le bureau en m'expliquant qu'elle avait été capable de voir des fils de couleurs après avoir souhaité pouvoir comprendre les sentiments d'un de ses amis. Certains de ces fils la reliaient à ses camarades tandis que d'autres étaient enroulés autour de chaque personne. Pour être honnête, la vieille femme que je suis n'avais jamais entendu parler d'une telle magie. »

« Alors je ne suis pas le seul », souffle Harry pour lui-même, un sourire rassuré aux lèvres.

« Vous semblez soulagé de cette nouvelle, Monsieur Potter », constate le professeur.

« C'est juste que... Vous trouverez sûrement cela idiot, mais je ne voulais pas être encore plus spécial aux yeux des autres que je ne le suis. Certes ce pouvoir n'a pas l'air d'être commun, mais je ne suis pas le seul à qui c'est arrivé, du coup ça me rend bien moins exceptionnel que si j'avais été l'unique détenteur de ce pouvoir, vous voyez ? »

« En effet, je comprends. »

Ses paroles semblent sincèrement.

« Et finalement, vous êtes parvenus à comprendre ce qu'était ce pouvoir ? »

« Pour être honnête, mes recherches n'ont pas été vraiment concluantes. Aucun livre anglais n'évoquait un tel pouvoir. Mais au bout de quelques mois, mon élève a su maîtriser son pouvoir. Elle ne m'a jamais expliqué de quelle manière elle y était parvenue, tout ce que je savais, c'est qu'elle était capable de percevoir les liens qu'elle entretenait avec les autres, aussi bien des liens positifs que négatifs. Elle pouvait discerner les liens d'amitié, d'amour, de haine et était capable de connaître les sentiments d'une personne à l'instant T. »

Elle marqua une légère pause avant de reprendre.

« Malgré tout, elle refusait de recourir en permanence à ce pouvoir. Elle l'appréciait, énormément. Elle me répétait que c'était comme nager dans un océan infini de couleur et qu'elle pouvait passer des heures à observer ces liens simplement pour en apprécier la beauté. Mais elle préférait compter sur son instinct et son propre jugement plutôt que sur la magie pour s'entourer. Elle était de ceux qui laisse le bénéfice du doute à tout le monde, qui leur accorde une chance de prouver qu'ils méritent qu'on s'intéresse à eux. J'aimais cette enfant et j'en étais fière mais parfois... Je regrettais sa nature trop douce. L'utilisation de son don aurait certainement pu changer le cours des événements. »

« Que lui est-il arrivé ? Est-ce qu'elle est toujours vivante ? Je... J'aimerais discuté avec elle de ce pouvoir. »

« Hélas, elle n'est plus de ce monde... Harry, cette élève n'était autre que votre mère. »

Harry écarquille les yeux, ne s'attendant pas à cette révélation. Alors ce pouvoir, il le tient de sa mère ? La simple évocation de Lily emplit son cœur de tristesse. Sa mère lui manque terriblement. Il aurait aimé qu'elle soit toujours là, à ses côtés. Elle l'aurait certainement aimé comme personne ne l'avait jamais aimé jusqu'à présent. Elle l'aurait choyé, se serait assuré qu'il ne manque jamais de rien et aurait même pu l'aider à contrôler son pouvoir. Mais le destin en avait décidé autrement. Voldemort l'avait tué.

« Quand vous parlez du changement qu'aurait pu entraîner l'utilisation des liens, vous parlez de son décès des mains du Seigneur des Ténèbres ? »

« Entre autres... Il y a beaucoup de choses que vous ignorez sur vos parents Monsieur Potter. Mais je ne pense pas qu'aujourd'hui soit le jour idéal pour évoquer le passé. Concentrez-vous sur l'appréhension de votre don pour le moment. Et un jour, je vous raconterais ce que je sais de ce passé. C'est promis. »

Harry n'insiste pas, conscient que ce sera de tout manière inutile. Mais sa curiosité est poussée à son paroxysme. Pourquoi sa mère aurait-elle dû utiliser son pouvoir ? Est-ce que ce qu'on lui avait raconté sur ses parents n'étaient pas tout à fait vrai ? Cachaient-ils de sombres secrets qu'on avait trouvé bon de ne pas lui partager ? Est-ce que sa mère aurait pu empêcher l'attaque de Voldemort d'une manière ou d'une autre avec son pouvoir ? Tant de questions se bousculent dans sa tête.

« Une dernière chose avant que vous ne partiez. »

Harry, qui s'apprêtait à franchir la porte du bureau, se stoppe. Il se tourne à demi vers son professeur pour montrer qu'il écoute.

« Je pense que votre mère aurait souhaité que vous et Severus vous vous entendiez. Je sais que c'est compliqué, l'un comme pour l'autre, mais votre mère serait triste en voyant votre relation actuelle. Severus avait une place spéciale dans son cœur, c'était son plus cher ami. »

Harry ne s'attendait pas à ça. Ce n'est pas comme si être en guerre contre son professeur de potions était de son fait, Snape l'avait toujours détesté pour être le fils de James Potter. Il n'avait jamais essayé de le voir autrement. Mais Harry place les paroles de son professeur dans un coin de sa tête. Tout ce qu'il souhaite, c'est que de là où elle est, sa mère soit fière de lui. Il ne veut pas qu'elle soit triste. Mais s'entendre avec un homme que vous avez passé six ans à haïr et qui vous déteste tout autant, ce n'est pas chose simplement. Harry est même persuadé qu'il aurait plus de facilité à s'entendre avec Malfoy qu'avec Snape. Il soupire à cette pensée et quitte le bureau, sans un mot.


Une fois seule dans son bureau, McGonagall sort une bouteille de Whisky Pur-Feu et s'en sert un verre. Lily l'avait prévenu de cette possibilité qu'un jour, Harry hérite de son don. Elle en était même persuadée. Mais McGonagall sait que ce pouvoir n'est pas aussi fabuleux qu'il le laisse paraître, il a souvent fait souffrir Lily.

Lily.

Parfois, McGonagall voudrait parler d'elle avec Harry, lui montrer à quel point son élève était une femme formidable. Lui raconter ses années à Poudlard, sa douce amitié avec Severus, mais l'évocation de ce passé s'accompagne forcément de la vérité. Une vérité bien plus terrible et sombre que celle que connaît Harry. Tout le monde n'a fait que lui montrer le bon côté de James Potter, à l'exception peut-être de Severus. Elle sait que Harry, d'une certaine manière, admire son père et cherche à en connaître plus à son sujet. Il n'y a qu'à voir la manière dont il questionnait sans cesse Sirius et Remus quelques années auparavant.

Ce n'est pas bien, elle le sait, mais elle préfère le laisser encore un peu dans l'ignorance. Harry a suffisamment de soucis comme ça. Il n'a pas besoin de savoir que son père n'était qu'un manipulateur égoïste et obsédé par sa mère. Il n'a pas besoin de savoir qu'il n'a pas été, pas même une seule seconde, aimé par James Potter. Que l'homme ne voyait en lui qu'un parasite voulant éloigner sa Lily de lui.

Ce n'est qu'un enfant. Il mérite de croire que ses deux parents le chérissaient plus que tout avant leur mort et qu'ils s'aimaient sincèrement.


« Magie inexpliquée et pouvoirs héréditaires ». Pourquoi diable Potter lirait un livre pareil ? Draco feuillette l'ouvrage en fronçant les sourcils. En voyant Harry à la bibliothèque, il s'était demandé quel coup fourré préparait encore le gryffondor. C'était tellement rare de le voir dans ce lieu sans Granger qu'il ne pouvait que préparer quelque chose. C'est pour cette raison qu'il s'était installé en face de lui et qu'il avait prétexté travailler pour mieux l'espionner.

Depuis peu, il s'était mis à observer le moindre des agissements de Potter à la recherche d'un opportunité pour se rapprocher de lui. Officiellement, il devait se rapprocher de lui seulement pour trouver une manière de ne pas rejoindre le camp du Seigneur des Ténèbres mais officieusement... Potter commençait peu à peu à l'intéresser d'une manière différente de ce qu'il avait l'habitude, sans qu'il ne sache mettre de mot dessus.

Mais il ne comprend pas pourquoi il a choisi ce livre. Aucun de leurs cours ne traitent des pouvoirs héréditaires, c'est un sujet peu connu à vrai dire. Seules quelques familles de sang-pur ont de telles capacités. Des dons propres à leur sang, une magie que seuls eux peuvent pratiquer. Les familles Malfoy et Black possèdent chacune un de ces pouvoirs héréditaires mais en dehors du cercle familial, personne ne le sait. Potter aurait-il découvert quelque chose à ce propos ? Il y a peu de chance que ce soit le cas. A moins que...

« Est-ce que les Potter ont un don héréditaire ? »

« Pourquoi toutes tes conversations tournent autour de Potter en ce moment Dray ? », se plaint Blaise en ordonnant à l'une des pièces de l'échiquier magique de se déplacer.

« A part leur prédisposition à utiliser les objets intimement liés à Gryffondor, il ne me semble pas qu'ils en possèdent un », répond Théodore avant de sourire malicieusement. « Échec et mat Blaise ! »

« Fait chier... »

« Quel est le gage du perdant, cette fois ? », questionne Daphné en s'installant à côté d'eux, une tasse de thé entre les mains.

« Blaise va devoir avouer ses sentiments à la personne qu'il aime à la St-Valentin. »

« Puéril », grogne Pansy en levant les yeux au ciel.

« Ce n'est pas comme si j'avais quelqu'un que j'aimais », boude Blaise en observant Théodore qui se contente de sourire, moqueur. Ah oui, Blaise a tendance à oublier que mentir à Théodore est tout simplement... Impossible.

« Enfin », reprend ce dernier en posant son regard sur Draco. « Pourquoi cette question soudainement ? »

« J'ai croisé Potter à la bibliothèque et il semblait s'intéresser aux dons héréditaires. Une des branches de sa famille est l'une des plus anciennes familles de sang-pur alors peut-être que lui aussi possède ce genre de pouvoir. Mais qu'importe, ce n'est pas ça qui va nous aider à nous rapprocher de lui, surtout si je me trompe sur toute la ligne et qu'il n'a pris ce livre qu'au hasard. Pour le moment, je ne sais toujours pas comment lui parler de notre décision. »

« Est-ce qu'il acceptera de nous écouter au moins ? Il a plutôt une mauvaise image de toi Dray, et à juste titre, tu n'as fait que lui mettre des bâtons dans les roues, encore et encore. »

Draco lance un regard noir à Pansy qui lève les mains innocemment. Il sait parfaitement qu'elle n'a pas tord mais ça ne la rend pas moins agaçante. Et puis Potter n'est pas tout à fait innocent, lui aussi répondait à ses provocations. Mais à présent, il s'en veut quelque peu de s'être mis à dos Potter. Il était leur seule chance de garantir leur sécurité et celle de leur famille. Seulement, son arrogance et sa jalousie face à l'intérêt que tous portaient à Potter ont souvent eu raison de lui.

Il passe une main dans ses cheveux, épuisé. Si jamais il échoue à convaincre Harry Potter de les aider, alors il ne donne pas cher de leur peau. Et ce sera en partie de sa faute. Il ne veut pas que ses amis subissent les conséquences de ses erreurs. Surtout pas alors que cette année est leur dernière chance d'échapper au Seigneur des Ténèbres.

Théodore pose une main réconfortante sur son épaule tandis que Daphné lui sourit amicalement.

« Ne t'inquiète pas Draco, on trouvera un moyen de lui faire comprendre à quel camp on appartient réellement. »

« Il suffit de lui montrer notre bonne volonté. Et s'il se méfie de nous, nous n'aurons qu'à tout faire pour lui prouver qu'il n'a pas à s'en faire avec nous à ses côtés ».

Ils sont tous un peu épuisé de cette guerre permanente entre eux et le trio d'or. Les querelles d'enfants ne devraient pas avoir lieu alors qu'une guerre se prépare. Ils doivent apprendre à mettre chacun leurs différends de côté et apprendre à travailler main dans la main.

Draco espère juste que Potter acceptera d'enterrer la hache de guerre.