Chapitre 3

Lorsque Harry ouvre les yeux, il ne sait quoi penser. Le paysage autour de lui ne lui est pas familier et il fait étrangement froid, chose anormale pour un mois de septembre. De la buée s'échappe de sa bouche à chaque respiration et ses pieds s'enfoncent dans une neige épaisse. Où est-il ? Est-ce encore une vision causée par son lien avec Voldemort ? Il en doute. Il ne ressent pas l'angoisse habituelle de ce genre de songe. Au contraire, malgré la température, il se sent étrangement... Bien. Comme si rien ne pourrait lui arriver dans cet endroit.

Il observe les alentours avec curiosité. De grands pins verdoyants l'entourent, le sol est recouvert de neige et au centre de ce tableau se trouve un lac. Harry écarquille les yeux face à la beauté du paysage. Des lucioles volent au-dessus de l'eau, dansant au gré du vent. Des petites fées s'amusent à les poursuivre, leurs rires cristallins rappelant le doux bruit d'un carillon. Elles paraissent encore plus brillantes et magnifiques sous les rayons de la lune et au centre du lac, assise sur un rocher, se trouve une jeune adolescente.

Elle n'a pas l'air d'être plus âgée que lui. Harry ne la voit que de dos mais il se retrouve hypnotisé par la longue chevelure rousse de la jeune fille, dont les pointes sont invisibles, cachées dans l'eau argentée. Ses doigts pianotent en l'air, jouant un air inconnu, et au bout de quelques instants, des fils d'une multitude de couleur apparaissent sous ses yeux.

L'adolescente se tourne à demi, permettant à Harry de distinguer certains de ses traits à la lueur de la lune. Sa peau est pâle, comme de la porcelaine, ce qui fait ressortir ses tâches de rousseurs. Ses lèvres sont étirées en un fin sourire alors qu'elle contemple les fils et ses yeux, d'un bleu glace, bougent avec excitation à mesure que les liens deviennent de plus en plus visible. Ces fils sont le reflet des sentiments des nombreuses fées qui les entourent. Même Harry est bouche bée devant cette scène des plus sublimes.

Instinctivement, il tente d'attraper un des liens non loin de lui, mais comme attendu, celui-ci s'évapore directement à son contact.

« C'est magnifique... », murmure l'adolescente en se relevant. « Dis-moi Magie, quelle est cette couleur ? »

L'espace d'un instant, Harry fronce les sourcils, se demandant à qui elle s'adresse, jusqu'à ce qu'une forme mystérieuse apparaisse de nul part. Celle-ci a une allure bien moins féerique que le reste du paysage. On pourrait même la croire tout droit sortie d'un cauchemar. Elle flotte à côté de l'adolescente, son corps recouvert d'une cape fluide mais déchirée à certains endroits et son visage masqué par une lourde capuche. Tout son corps est tourné vers l'adolescente, comme si elle la regardait et un sentiment d'attendrissement semble émaner d'elle. Il ne sait comment, mais Harry peut parfaitement dire que cette créature aime l'adolescente, d'une manière ou d'une autre.

Il voit la créature se rapprocher d'elle et s'installer sur le rocher.

« C'est du jaune, Anja. »

« Du jaune... Quelle couleur chaleureuse. Les fées semblent en être entourées. »

« C'est parce qu'elles sont heureuses en ta compagnie. Elles t'apprécient. Mais le jaune n'est pas toujours une couleur synonyme de joie ou de gaieté. Selon ses nuances, elle peut également représenter la tromperie ou d'autres sentiments négatifs. »

« Les couleurs ont des nuances ? Comment parvient-on à les différencier ? C'est la première fois que j'en vois alors je ne saurais moi-même les distinguer... »

La créature pose une main décharnée sur le front de l'adolescente et une lueur émane de leur contact.

« T'expliquer les nuances prendrait bien trop de temps. Grâce à ce nouveau pouvoir que je t'ai offert, tu seras instinctivement capable de saisir les nuances. »

« C'est incroyable... »

Harry veut les interpeller, leur poser des questions concernant ce pouvoir mais une part de lui sait que ce sera inutile, que tout ça n'est sûrement qu'un souvenir d'un passé oublié de tous... Et une autre part de lui se sent en trop, peu désireux d'interrompre ce moment. La créature finit par prendre une apparence plus humanoïde et c'est sous les traits d'un jeune homme qu'elle apparaît. Un jeune homme au regard éperdument amoureux.

Ses yeux croisent l'espace d'un instant ceux d'Harry et quelques minutes plus tard, Harry est pleinement éveillé, allongé dans son lit.


Harry s'installe dans la salle commune de Gryffondor, incapable de se rendormir. Il tente de se souvenir des moindres détails de son rêve, des informations qui peuvent l'aider à mieux comprendre son pouvoir et plongé dans ses pensées, il reproduit intuitivement les gestes de l'adolescente. Aussitôt les liens apparaissent. Alors c'est comme ça que ça marche ? Harry sourit pour lui-même en observant les fils de couleur. Ils sont moins nombreux que lorsqu'il se trouvant dans la grande salle ou à la bibliothèque mais il retrouve certains liens familiers.

Le bordeaux. Le rouge aniline. Un rose pêche particulièrement scintillant. Et un jaune canari.

« Mais le jaune n'est pas toujours une couleur synonyme de joie ou de gaieté. Selon ses nuances, elle peut également représenter la tromperie ou d'autres sentiments négatifs. »

« Tu aurais pu être un peu plus précis sur les nuances auxquelles sont associés les sentiments négatifs », soupire Harry en observant le lien jaune canari.

C'est bien beau de connaître les nuances, mais si on ne sait pas à quel sentiment elles sont associées, alors c'est quoi l'utilité ? Il ferme les yeux et essaye de se concentrer sur le lien pour percevoir quelles sensations s'en dégagent. Mais... Il ne ressent rien. Il n'arrive pas à identifier la signification derrière ce lien.

« Harry ? Je trouvais bizarre de ne pas te voir dans ton lit alors qu'on a pas cours aujourd'hui. Ça va ? Tu as fait un cauchemar ? »

Ron. Harry lui sourit affectueusement avant de secouer la tête. Il lui explique qu'il n'arrive juste pas à dormir et qu'il peut retourner se coucher mais le roux fait une moue pas convaincue. Harry sait qu'en ce moment Ron a aussi du mal à dormir. En fait, c'est le cas depuis la reprise et plus précisément depuis l'annonce du premier match de Quidditch de l'année scolaire. Un classique Gryffondor / Serpentard. Ce match sert avant tout à faire découvrir ce sport aux premières années et c'est un match décisif pour l'avenir de l'équipe car ces nouvelles recrues seront tôt ou tard ceux qui prendront leur place. Il fallait absolument parvenir à convaincre les nouveaux élèves de rejoindre l'équipe.

Ron stresse énormément à propos de ce match, il a peur de passer pour un moins que rien malgré toutes les paroles rassurantes d'Hermione et d'Harry. Ils croient en leur meilleur ami, en ses capacités, mais parfois, leurs encouragements ne suffisent pas. Ron a un complexe d'infériorité bien trop important.

C'est pour cette raison qu'Harry ne lui parle pas de ses préoccupations, il a déjà bien assez à penser comme ça. Ron hausse les épaules, le regard vide et retourne dans leur dortoir. Une fois qu'il est sûr que Ron est reparti se coucher, il jette un œil sur ses doigts liés.

Le lien qu'il partage avec Ron est le lien jaune canari.


« Pourquoi je dois t'accompagner ? Ron s'était porté volontaire pour y aller avec toi », grommelle Harry en clignant des yeux à cause de la fatigue.

« Toi et moi savons que Ron doit impérativement se reposer pour le match. Et tes notes en potions sont vraiment mauvaises ces derniers temps, réviser ne te fera pas de mal ! »

Harry lève les yeux au ciel tout en la suivant. C'est un record pour lui, aller deux fois à la bibliothèque dans la même semaine dont une fois sans y avoir été traîné par Hermione. Peut-être devraient-ils le noter dans un livre des records ? Sans surprise, la bibliothèque est accaparée par les Serdaigle studieux mais Harry est surpris en découvrant que le groupe de Malfoy s'y trouve également, échangeant apparemment sur le cours de potions. Seul Zabini semble manquer à l'appel.

Comme la dernière fois, son regard croise celui de Malfoy mais cette fois, il ne perçoit aucune animosité. L'expression du blond est toujours aussi froide mais plus comme s'il était plongé en pleine réflexion plutôt que comme s'il le dédaignait. C'est assez nouveau pour Harry, il a l'habitude du dégoût de Malfoy à son encontre. Mais tant que Malfoy ne lance pas les hostilités, il n'a aucune raison de s'en prendre aux Serpentard, alors il se contente de détourner le regard et d'installer ses affaires à côté de celles de son amie.

« Je vais voir si je trouve un manuel de potion », dit-il à Hermione en s'éloignant.

Il passe ses doigts sur les reliures des livres, sans grand enthousiasme, et s'égare finalement parmi les étagères les plus éloignées. Des livres sans classification s'y trouve et il se rappelle que c'est à cet endroit qu'il avait trouvé l'ouvrage « Magie inexpliquée et pouvoirs héréditaires ». Pouvoirs héréditaires... Son don aurait pu s'y apparenter si sa mère avait été une sang pur. Mais elle était née dans une famille moldue, donc c'était à écarter. Harry sait que même s'il cherche à nouveau, avec les informations qu'il détient à présent, ça ne servira à rien. Aucun livre ne traite de ce pouvoir.

Ses yeux scrutent les reliures, toutes plus différentes les unes que les autres, avant de finalement tomber sur un titre qui l'intrigue. « Promotion 1971 ». Il s'empare du livre avec curiosité et ses yeux brillent en découvrant de multiples photos. Pourquoi personne ne lui avait parlé de l'existence d'un tel livre ? La promotion de 1971 était celle de ses parents et les photos représentaient l'ensemble des élèves de leur première année et à leur dernière année.

Il s'assoit à même le sol, incapable de détacher son attention des photos qui lui font face. De nombreux visages lui sont inconnus, mais après avoir tourné les trois premières pages, il l'a voit. Sa mère, à l'âge de onze ans. Elle est adorable avec ses cheveux roux tressés de manière studieuse et ses yeux verts pétillants. Il l'a voit éclaté de rire aux paroles du jeune garçon à ses côtés. Harry peut dire sans nul doute qu'il s'agit de son professeur de potion et constater qu'il était réellement ami avec sa mère fait vibrer son cœur d'un sentiment indescriptible. Le sourire qu'ils partagent prouve tout l'amour et la tendresse qu'ils ressentaient pour l'autre.

En tournant une nouvelle page, c'est cette fois le visage de son père qu'il reconnaît. Un regard fier, un sourire mielleux et une expression qui ne laisse aucun doute sur ses intentions. Du haut de ses onze ans, il prévoyait déjà de faire tourner les professeurs en bourrique.

Plus il avance dans l'album, plus il constate que le sourire de sa mère perd en luminosité. En fait, à partir du moment où ce n'est plus Snape qui l'accompagne mais son père, le visage de sa mère est plus sombre, sa joie, plus factice. Il ne comprend pas. Ses parents s'aimaient pourtant, n'est-ce pas ? Alors pourquoi sa mère lui paraît aussi malheureuse ?

« Je me demandais où tu étais passé. Que lis-tu ? »

Harry tend sans un mot l'album à Hermione qui le feuillette avec le même intéressement que lui, quelques minutes plutôt. Il attend qu'Hermione le termine pour lui poser une question.

« Quelle impression te donne ma mère au fur et à mesure que les années passent ? »

« Honnêtement ? Je n'ai pas l'impression qu'elle soit... Heureuse. Surtout sur les photos où elle accompagne ton père. »

« C'est aussi mon impression... »

Il étend ses jambes devant lui, dénoue sa cravate pour être plus à l'aise et enlève ses lunettes. Aussitôt, son monde devient flou. Mais lorsqu'il active son don, c'est avec netteté qu'il distingue les liens. Dont celui qui le lie à Hermione. Un lien d'un rose pêche apaisant.

« J'ai été voir McGonagall il y a deux jours. Je voulais lui parler d'une de mes découvertes. Je n'osais pas vraiment vous en parlez à toi et à Ron parce que j'avais peur que vous me preniez pour un fou mais depuis quelques jours, je suis capable de voir des sortes de liens de couleur qui me relient aux autres et des fils qui m'indiquent les sentiments et les émotions des autres. »

« Je n'ai jamais entendu parler de ce genre de magie », avoue Hermione avec les sourcils froncés.

« Ce n'est pas étonnant, aucun livre n'en parle. C'est aussi ce qui me faisait peur, que je sois à nouveau, tu sais, l'exception du monde sorcier. Je déteste cette étiquette. Mais tout ça pour dire que je suis venu à en discuter avec McGonagall et elle m'a dit que ma mère avait aussi cette capacité. Et il y a des choses sur le passé de mes parents que j'ignorerais apparemment. Quand je vois cet album, je me demande s'ils s'aimaient vraiment autant que ce que m'ont raconté Sirius et Remus. Ah, et j'ai aussi découvert que ma mère était amie avec Snape, t'y crois ça ? »

Au départ, Hermione ne dit rien. Harry sait qu'elle est en train d'analyser les informations, de les interpréter pour lui donner une réponse appropriée et c'est ce qu'il aime chez son amie. Il sait qu'elle trouvera toujours les mots qu'il faut.

« Tu sais Harry, après tout ce que nous avons traversé, Ron et moi sommes quelque peu habitués aux choses peu communes qui t'arrivent. Rien de ce que tu pourrais nous dire ne nous pousserait à te prendre pour un fou et nous ne te traiterons pas différemment juste parce que tu as un pouvoir en plus. Tu n'es pas une exception Harry. Tu es toi. Et ta différence fait partie de toi alors ne la considère pas comme une mauvaise chose. Nous on t'aime pour ce que tu es. »

Harry laisse tomber sa tête sur l'épaule de son amie qui caresse tendrement ses cheveux. Il ne s'attendait pas à être autant ému par ses paroles.

« Concernant ton pouvoir, je vais faire des recherches de mon côté, voir si je trouve quelque chose qui pourrait correspondre. Et pour tes parents... »

« McGonagall m'a dit qu'elle m'en parlerait, un jour. J'attendrais. »

Hermione acquiesce et ils restent de longues minutes ainsi, assis entre les étagères, un album ouvert devant eux.


Ron se sent comme un misérable. Un moins que rien. Il y a des jours comme ça, où il a l'impression de n'avoir aucune valeur, aucun intérêt. Lorsqu'il en avait parlé à Hermione un jour, elle lui avait répondu que c'était sûrement une réaction normale étant donné qu'on le comparait sans cesse à ses frères aînés. Mais que ça ne voulait pas dire que c'était vrai pour autant.

Elle lui répète souvent qu'il a de l'importance pour elle et pour Harry, qu'il est essentiel sans leur vie. Mais Ron ne la croit pas. Certains jours, il arrive à se convaincre que c'est peut-être le cas, peut-être qu'ils l'apprécient réellement, autant que lui les aime. Mais d'autres jours, ses doutes reviennent, comme aujourd'hui.

Il ne comprend pas. Pourquoi sont-ils allés tous les deux à la bibliothèque sans l'attendre alors qu'il a dit à Hermione qu'il l'accompagnerait ? Ne voulaient-ils pas de lui à leur côté ? Ron ne comprend vraiment pas. Il mord l'ongle de son pouce, assis sur l'un des bancs de la cour, attendant sans but que le temps passe.

Il voit un groupe de Serpentard passer non loin de lui et à sa vue, ils pouffent.

« Regardez-le, Potter et Granger l'ont sûrement laissé tomber ! »

La ferme.

« Quoi de plus étonnant, il n'a rien de si génial à côté d'eux. Un boulet qui se raccroche à la célébrité de l'un et à l'intelligence de l'autre. »

La ferme.

« Une honte pour les sang purs. »

LA FERME !

Ron sursaute quand un goût de fer rempli sa bouche. Il a trop mordu son ongle. Pourquoi ses idiots de Serpentard se sentent-ils obligés de lui rejeter tous ses doutes en plein visage ? Il a presque envie de pleurer. Pauvre Ron Weasley, tellement pathétique comparé à ses deux meilleurs amis. Comment peut-il même prétendre être meilleur ami avec eux alors que lui n'a absolument rien de spécial comparé à eux ?

« Ne les écoute pas, Weasley. Ce sont des imbéciles qui ne savent pas ce qu'ils disent. »

Ron ricane ironiquement. Il aurait pu croire à ces paroles si ça avait été n'importe qui d'autres. Mais quand il lève la tête, c'est le regard sombre de Blaise Zabini qu'il rencontre. Alors quoi, il vient terminer ce que les autres élèves de sa maison ont commencé ? Lui faire croire à sa gentillesse pour mieux le casser par la suite ? Il sait qu'il est vache, que de tous les Serpentard, Zabini est celui qui a toujours été le moins violent dans ses propos à leur égard. Au contraire, il évite un maximum les conflits. Mais il reste le meilleur ami de Malfoy, celui qui n'a pas été avare d'insulte sur lui et sa famille.

« Tu devrais aller à l'infirmerie, ton doigt n'est pas beau à voir. »

« Putain mais qu'est-ce que ça peut te foutre Zabini ? On est pas amis à ce que je sache. »

« Je disais juste ça pour t'aider. Mais je n'insisterais pas. Juste une chose Weasley, je doute que Potter et Granger te considère comme un boulet qu'ils traînent à leur pied. Tu n'as pas l'air de te rendre compte à quel point ils tiennent à toi. J'ai entendu des gars de ta maison tout à l'heure, apparemment ils voulaient te laisser te reposer parce que tu avais l'air de stresser pour le match. Mais comme on est pas amis, disons que je n'ai rien dit. »

Et il le laisse là, sans un mot de plus. Ron est bouche bée. Est-ce que... Est-ce que c'était un acte de gentillesse de la part de Zabini ? Mais pourquoi, alors que leurs meilleurs amis respectifs se vouent une haine sans merci, Zabini tente de le rassurer de cette manière ? Il ne comprend pas et baisse le visage, certain que ses joues ont rougies. Parce qu'au fond de lui... Ses paroles lui ont fait du bien. Ses amis étaient partis sans lui juste parce qu'ils pensaient que c'était mieux pour lui de se reposer à cause de son stress ?

Il se sent honteux.

Pourquoi doute-t-il à ce point de ses amis ?