Titre : Quête annexe : Ils se marièrent, vécurent heureux, et...
Genres : Romance, humour (?), famille, mpreg (beaucoup plus tard)
Rating : M
Personnages/Pairings : Luo Binghe/Shen Qingqiu majoritairement, avec des apparitions plus ou moins importantes de Mobei-Jun/Shang Qinghua, quelques autres personnages et divers OC
Disclaimer : Les personnages et l'univers de SVSSS appartiennent à Mo Xiang Tong Xiu.

Résumé : Huit ans après son mariage (heureux et épanoui, merci bien) à Luo Binghe, Shen Qingqiu aurait pu continuer à se la couler douce, s'il n'y avait eu les rumeurs - celles selon lesquelles son empereur de mari aurait bien besoin d'un descendant... Ne lui reste plus qu'à trouver moyen de le lui donner, maintenant.

Note de l'auteur : ... Hello :D Je vais essayer de la faire courte : ceci est la 100ème histoire que je poste sur ce site ! Yay ! Du coup, pour fêter ça, voici le début de ma première vraie fic longue depuis... longtemps... Je n'ai pas de nombre de chapitres final ni de rythme de parution fixé d'avance pour cette histoire, et pour être honnête l'ensemble relève plus du gros délire devenu sérieux en cours de route que d'autre chose, mais :P Si c'est un minimum fun à lire, ce sera déjà une grosse victoire.
Petit disclaimer, j'ai lu SVSSS dans sa version anglaise officielle, donc toutes les traductions des termes (noms des lieux, titres, expressions, etc.) sont de moi ! Il n'est pas impossible que je modifie certaines choses au fil de l'écriture des prochains chapitres. Voilà, c'est tout pour moi, merci d'avoir jeté un œil à cette histoire ! :)

Remerciements : À Zofra et à Barron P'tit Pois, les meilleurs d'entre les meilleurs, pour leurs encouragements et pour m'avoir poussée à ENFIN poster ce chapitre ! Ainsi qu'à toutes les personnes qui m'ont gentiment écoutée chouiner sur ma correction, MERCI vous êtes des anges !

Avertissements : C'est écrit plus haut, mais cette histoire discutera de mpreg. Étant donné qu'elle se déroule plusieurs années après la fin du canon, elle contiendra aussi de nombreux spoilers sur l'histoire principale et les extras du roman.


Quête annexe : Ils se marièrent, vécurent heureux, et...

Mission 1 : Entendre parler du problème

Un bref mouvement du poignet, vif, entraîné, qui ouvre d'un geste brusque un délicat éventail vert au bois somptueusement laqué puis le referme. L'ouvre encore. L'agite avec grâce mais sans douceur.
Un pas aussi mesuré que déterminé, dont les échos résonnent avec ferveur à mesure qu'ils se répercutent contre les murs presque à nu du palais souterrain et de son style minimaliste, pour ne pas dire carrément lugubre.
Et surtout – l'ombre d'un froncement de sourcils, sur un visage si pâle aux traits si élégants, comme pour ternir une expression d'ordinaire précautionneusement noble, indifférente, bien au-delà des tourments de ce monde.

Face à ce spectacle, n'importe qui aurait été en mesure de comprendre que Shen Qingqiu était contrarié. Mais que pouvait donc bien contrarier l'immortel Seigneur Shen du Mont Cang Qiong, illustre maître du Pic Qing Jing, manieur inégalé de l'épée Xiu Ya, accessoirement unique époux et consort de l'Empereur Céleste du royaume des démons Luo Binghe à ses heures perdues ?

Eh bien, premièrement, il y avait le fait que la dernière audience de l'empereur en question était toujours en cours malgré l'heure tardive, ce qui avait pour fâcheuse conséquence de reporter leur déjeuner d'au moins une bonne heure. Alors qu'il se réjouissait particulièrement de découvrir avec quels nouveaux petits plats raffinés Luo Binghe avait prévu de le surprendre aujourd'hui. Non pas qu'il doute un instant que ceux-ci seraient tous plus délicieux les uns que les autres, mais justement ! C'était bien là tout le problème !
Et puis, deuxièmement, mais de façon plus notable sans doute, c'était le fait qu'en espérant retrouver son Binghe en fin de matinée comme à son habitude, il avait omis d'emporter un livre pour se distraire, et ne s'imaginait plus faire l'aller-retour jusqu'à leurs quartiers au cas où la satanée audience se terminerait entre-temps – en d'autres termes, le dédale de couloirs qui composaient ce palais était une plaie, et l'immortel seigneur Shen s'ennuyait ferme. Or, avec l'ennui venait plus de temps qu'il n'en fallait pour ressasser des considérations dont il se serait bien passé… À plus forte raison lorsqu'il s'agissait d'éléments aussi agaçants que ceux-ci.

Des rumeurs.
Ce qui préoccupait l'immortel Seigneur Shen du Mont Cang Qiong, dans l'immédiat plutôt Consort (humain) Shen du royaume des démons, depuis plusieurs jours et au point de lui faire faire les cent pas dans le grand hall du palais en tapotant ses lèvres du bout de son éventail replié avec concentration, n'était à la base qu'un ramassis de rumeurs.
Oh, bien sûr, s'il ne s'était agi que d'un racontar ici ou là, que d'une médisance attrapée au vol par son ouïe presque trop aiguisée par son niveau de cultivation, Shen Qingqiu n'en aurait pas fait grand cas. Qui en avait quoi que ce soit à faire de l'opinion on ne peut plus inculte de Démon-Complètement-Débile n°648, après tout ?! Ce genre d'ennemis niveau tutoriel du mode facile pouvaient bien se plaindre ; cela se saurait, si la bave de la chair à canon scénaristique avait la moindre chance d'atteindre le sacro-saint Protagoniste ! Binghe aurait tôt fait de les réduire en bouillie d'une flexion de l'index, bien avant de s'embarrasser d'écouter leurs jérémiades inutiles ! Ce n'était pas comme si et Binghe et lui-même avaient été tout à fait exempts de critiques, du reste, depuis leur… ahem, depuis l'officialisation de leur union. Et s'ils avaient réussi à passer les huit dernières années dans un calme troublé uniquement par quelques dizaines de subplots idiots égarés çà-et-là dans les brouillons supprimés de PIDW, que cette saleté de Système se réveillait ponctuellement pour lancer à la figure de Shen Qingqiu, il n'y avait aucune raison que l'opinion d'un ou deux vulgaires démons même pas nommés dans le chef-d'œuvre original les empêche de continuer.

Cependant.
Cependant, force était d'avouer que Shen Qingqiu en entendait de plus en plus régulièrement, de ces rumeurs. Au fil de ses pérégrinations dans le monde démoniaque, c'est-à-dire des longues promenades au cours desquelles il poursuivait son œuvre de cataloguer avec minutie la faune et la flore de ces nouvelles contrées, c'était arrivé plus d'une fois que ce genre de paroles lui parviennent – toujours pas lassé de Consort Shen, il voulait dire. Ou alors, Junshang ne veut pas d'autre épouse. Une sublime démone à nouveau éconduite. Notre seigneur dans la tourmente de la monogamie ! Luo Binghe : quelle beauté saura ENFIN devenir sa première concubine ?

Une seconde, c'est les doléances du peuple, ça, ou des gros titres de magazines people ?! Même les fidèles lecteurs payants ne sont plus à l'abri des pop-ups indésirables sur Zhongdian maintenant ?!

À chaque fois, Shen Qingqiu avait senti ses sourcils se froncer de désapprobation – et au diable son image soigneusement travaillée d'érudit inatteignable, il avait bien failli céder à l'envie de dégainer Xiu Ya. Ça ferait bientôt dix ans qu'il était devenu l'unique époux du tout-puissant, quasi-invulnérable et irrésistiblement séduisant Protagoniste de l'histoire, pour rappel, mettez-vous à la page ! Même si l'absence du fameux harem dont le nombre de beautés se comptait dans les trois chiffres tant adulé par les incels de Zhongdian n'avait pas suffi à insuffler ne serait-ce que quelques points de QI supplémentaires aux PNJ de cet univers – après presque une décennie, alors que Luo Binghe lui-même avait clamé haut et fort qu'il ne voulait personne d'autre, plusieurs fois, plusieurs très embarrassantes fois, ils n'avaient plus aucune excuse ! !
Encore, il pouvait pardonner ses… celles qui avaient l'audace de se prétendre ses rivales. Ne serait-ce que parce que sa présence en lieu et place du harem en question avait entraîné, à son plus grand désespoir, le report automatique des mille et un périples qu'auraient dû traverser les plus de trois cents femmes dévouées sur Shen Qingqiu lui-même. Et donc, étant donné l'imagination sans limites au renouvellement perpétuel du Grand Maître Airplane, il était évident qu'il en avait vécu, jusqu'ici, des subplots du type « une prétendante sortie de nulle part s'efforce de séduire Binghe dans l'espoir de prendre sa place en tant qu'épouse légitime de l'Empereur Céleste ». Ça n'avait jamais fonctionné, bien sûr, parce qu'il ne viendrait jamais à l'idée de son Binghe de poser les yeux sur n'importe qui d'autre, merci bien, pour le meilleur et pour le pire ; mais Binghe étant, eh bien, Binghe… Un soupçon d'embarras faisant soudain chauffer son visage, Shen Qingqiu ferma dignement les yeux. Non, vraiment, il ne pouvait pas leur en vouloir d'avoir essayé.

… Mais il n'était même pas question de prétendues rivales, là ! C'était bien ça le pire, avec tous ces stupides ragots : le fait que la plupart du temps, ce n'étaient même pas les démones énamourées qu'il entendait commérer, mais leurs frères, ou pire, leurs pères, ou pire encore, les aînés des différents clans démoniaques. Le monde marchait-il donc à ce point sur la tête depuis que ses fiascos à répétition avaient fait re-catégoriser PIDW en œuvre digne de ce que les recoins de JJWXC avaient de plus sombre à offrir ? Juste parce qu'il avait réussi à rendre le Protagoniste gay, ça ne voulait quand même pas dire que toutes les créatures masculines de l'univers partageaient ces penchants et nourrissaient maintenant l'espoir d'avoir leur chance à leur tour, si ?! Même pour le genre de romans étranges que sa petite sœur aurait dévoré en une nuit dans son ancienne vie, Shen Qingqiu était pratiquement sûr que c'était trop-

Et c'était à ce moment-là qu'il s'était rappelé, d'un seul coup, que dans le ramassis de bullshit originel qu'était PIDW : La Voie du Démon Fier et Immortel Binghe et ses centaines d'épouses étaient censés avoir donné naissance à des descendants. À des hordes de descendants, même.

Aussitôt, un long frisson de dégoût avait remonté sa colonne vertébrale et il avait bien failli se mettre à cracher du sang, l'indignation passant à deux doigts de l'envoyer dans une déviation du qi. Encore maintenant, rien que d'y repenser, il eut besoin de tout son self-control de poseur quasi-professionnel pour se contenter de resserrer sa prise sur son éventail plutôt que de le casser en deux (tâche également facilitée par le fait qu'il aimait bien cet éventail, mine de rien). Inspiration. Expiration. Il n'y avait jamais vraiment cru avant sa transmigration, mais si les mois qu'il avait passés à essayer de se familiariser avec le corps du modèle original au fond des grottes de Cang Qiong lui avaient appris quelque chose, c'était bien qu'en fait, la méditation et ce genre de pratiques ridicules, ce n'était pas toujours aussi inutile que ça en avait l'air dans les vidéos de développement personnel-

Et lorsqu'il rouvrit les yeux, enfin calme, à nouveau aussi maître de lui-même que se devait de l'être n'importe quel cultivateur immortel qui se respecte, ce fut le regard jaune aux pupilles allongées dans lequel il plongea – trop près ! beaucoup trop près ! – qui manqua de lui faire faire une crise cardiaque.

« Seigneur Shen ! Seigneur Shen ! Ahah, c'est trop drôle, vous m'avez pas du tout entendue approcher ! Me dites pas que vous étiez en train de faire la sieste ? »

Mais cette voix douce aux accents printaniers, dont le rire taquin paraissait tout droit sorti d'un de ces anime à la gloire des kouhai insupportables… Ces deux yeux félins au milieu d'un visage aussi ravissant que juvénile, surmonté d'une coiffe de soubrette dont l'anachronisme aurait dû faire bondir tout lecteur de xianxia digne de ce nom… Et surtout, cette bouche fine d'où dépassaient deux canines brillantes et acérées…
Ses esprits heureusement vite retrouvés, Shen Qingqiu toisa la nouvelle venue d'un dernier regard prudent et retint un soupir.

« Croc Pénétrant », prononça-t-il enfin, quoique toujours à regret.

En face de lui, la jolie démone recula d'un pas, lui adressa son plus beau sourire et croisa sagement les bras dans son dos, en parfaite image de l'innocence même – bien que quiconque la connaisse un minium sache qu'il n'en était absolument rien. En fait, en dépit de son apparence de frêle jeune fille à la peau pâle, aux longs cheveux noirs et à la poitrine généreuse (c'est-à-dire, de son chara-design d'énième beauté du harem de Luo Bing-ge à laquelle cet escroc d'Airplane avait encore eu le culot de coller un thème de catgirl et de maid), Croc Pénétrant devait son nom à la morsure qu'elle avait infligée à son frère aîné le jour même où elle était née – si profonde et douloureuse que le malheureux en gardait encore la marque aujourd'hui, une mésaventure qui lui avait d'ailleurs valu, à lui, le nom démoniaque de Double Trou.

(En son for intérieur, Shen Qingqiu remerciait régulièrement la providence qui avait voulu que, de la fratrie, ce soit la sœur et non le frère qui entre à leur service.)

Bref. Comme la plupart des démons à la backstory aussi sanglante, Croc Pénétrant était très fière de son nom et prenait toujours beaucoup de plaisir à raconter cette histoire ; en dehors de ça, ses loisirs incluaient le combat, ses centres d'intérêt étaient le combat, et ses domaines de prédilection tournaient autour du combat, de préférence à mains nues ou à l'aide de son fléau d'armes dévastateur. Avec sa devise, « Plus il y a de sang, mieux c'est ! », elle était aussi féroce que redoutable, et c'est pour ça qu'en toute logique, Binghe avait fait d'elle-
Une domestique. Une foutue domestique.
Pire que ça, l'une de celles qui avaient tendance à suivre Shen Qingqiu dans tous ses déplacements en lui demandant son avis sur tout et à qui l'Empereur Céleste du royaume des démons Luo Binghe avait personnellement interdit de l'appeler « Shizun ». Bientôt dix ans, Binghe, et tu n'as toujours pas de maux d'estomac avec tout ce vinaigre ?! Évidemment que ton vieux maître n'accepte plus de disciples ! Il a déjà bien assez à faire avec toi !

Plus d'une fois, à vrai dire, Croc Pénétrant n'avait dû son salut qu'à son impressionnante capacité à s'éclipser habilement à quelques secondes à peine du désastre. De temps à autre, il arrivait que Shen Qingqiu se demande si elle tenait ça de son côté démoniaque, ou de son côté félin, ou de son côté maid, ou les trois.

Qu'à cela ne tienne ; c'était plutôt pratique, comme talent, et c'était bien pour ça que c'était elle qu'il avait chargée de la mission qu'il lui avait confiée deux jours plus tôt.

Un coup d'œil entendu, cette fois-ci, lancé par-dessus son éventail dont il s'accompagna d'un geste rapide, et Croc Pénétrant n'attendit pas de se faire prier davantage pour lui présenter son rapport.

« C'est comme vous pensiez, Seigneur Shen, commença-t-elle. Peut-être même un peu pire. À ce jour, je dirais que l'opinion publique est parfaitement divisée. »

Shen Qingqiu se retint de froncer un sourcil désapprobateur. Bien. Soit. Il s'en doutait, bien sûr. Après les rumeurs qu'il avait entendues lui-même, c'était loin d'être une surprise. S'il avait envoyé Croc Pénétrant espion- ahem, se renseigner discrètement sur les points de vue de la population démoniaque à ce sujet, c'était bien parce qu'il imaginait que la question devait avoir pris une telle ampleur…

« Les réfractaires au régime de Junshang sont très… eh bien, réfractaires à l'état actuel de son harem aussi », poursuivit la domestique, l'air de réfléchir à ses mots au fur et à mesure qu'elle s'exprimait. Puis elle parut trouver ce qu'elle cherchait et son attitude changea du tout au tout, en même temps qu'elle reprenait d'une voix faussement grave et d'un ton bourru : « Quelle puissance, bwahah, si cet avorton n'est pas capable de combler plus qu'un pauvre humain, sans même avoir besoin d'une démone ou deux ?! À ce stade, pas la peine de parler de démon, c'est même pas un homme, un vrai ! Enfin, ce sont leurs mots, pas les miens ! »

... À ces mots, cependant, Shen Qingqiu ne parvint plus à empêcher ses lèvres de s'arquer en une grimace dégoûtée – et dut adroitement relever son éventail ouvert pour protéger l'image de crâneur inaccessible et détaché du monde qui faisait la réputation du Grand Immortel Shen.
Mais pour qui est-ce qu'ils se prenaient, ces PNJ de seconde zone tout juste bons à répéter la même phrase en boucle jusqu'au début du prochain niveau ?! Avoir été soumis par la force – certains diraient même lamentablement écrasés – par le tout-puissant Empereur Céleste Luo Binghe ne leur avait pas suffi, non, il fallait encore qu'ils aillent étaler leur médiocrité en osant calomnier le Protagoniste dans son dos ! Sans même parler du fait que c'étaient bien des remarques qui ne pouvaient venir que de ceux qui n'avaient jamais posé les yeux sur l'infatigable Pilier Céleste, ça ; pas capable de combler plus qu'un pauvre humain, mon œil, oui ! Étant donné la taille et la fougue de l'engin, ils devraient plutôt se prosterner devant ce maître en reconnaissance pour son sacrifice ! !

Malheureusement, un manque d'intelligence aussi flagrant était à prévoir, venant des opposants au règne du personnage principal. Là où la plupart des auteurs de Zhongdian faisaient l'effort d'inclure un minimum de challenge même dans les aventures ne visant qu'à faire fantasmer le lecteur lambda, bien sûr qu'Airplane Shooting Towards the Sky, le pire d'entre les pires, avait toujours procédé selon la règle implicite : les ennemis de Luo Binghe sont plus crétins que la plus écervelée des concubines de son harem.
Au moins, ces ennemis avaient beau être nombreux, ils ne représentaient la part ni la plus importante, ni la plus à craindre du peuple. Plus calme, Shen Qingqiu ferma les yeux.

« Et les autres ? Demanda-t-il.
– Les autres, alors eux, ils trouvent ça particulièrement inquiétant ! »

… À nouveau, Shen Qingqiu n'eut qu'une envie : replier son précieux éventail et s'en servir, de désemparement, pour frapper son propre front. Fort.
Mais il était le redoutable et redouté maître du Pic Qing Jing ; il n'en fit montra donc rien, et se contenta de fixer sans en avoir l'air un point invisible sur le mur derrière Croc Pénétrant en attendant qu'elle termine son explication.

« Ils le respectent, bien sûr ! Ça ne leur viendrait jamais à l'idée de remettre en question une décision de notre Junshang ! Mais ils ne comprennent pas trop pourquoi il refuse à ce point de prendre une autre épouse. Ils se demandent s'il ne serait pas, vous savez… » Au bout d'une seconde de silence, la domestique jeta un rapide coup d'œil autour d'elle et baissa considérablement la voix, avant de conclure : « … dans l'impossibilité physique de concevoir un héritier. »


Eh bien, ce que Shen Qingqiu se demandait, de son côté, c'était pourquoi tous ces démons étaient aussi prompts à croire qu'un refus d'ajouter des concubines à son harem était forcément un aveu d'impuissance ou d'infertilité, merde- La fidélité, ça leur disait quelque chose ?! Et puis sérieusement, comment est-ce qu'ils faisaient pour poser les yeux sur Luo Binghe, parmi tous les demi-démons de cet univers, et ne pas voir en lui le mâle alpha qu'il avait littéralement été créé pour être ? ? Il voulait bien que la plupart des habitants de ces contrées n'aient jamais lu ne serait-ce qu'une ligne des interminables descriptions de PIDW, grand bien leur fasse d'ailleurs, mais quand même ! Ça se voyait ! Rien qu'à l'aura qu'il dégageait en permanence, son allure qui attirait l'œil partout où il passait, ses- ses muscles saillants sous ses robes qu'il devrait parfois serrer un peu mieux à l'encolure, son… regard intense…

D'un coup étrangement embarrassé, Shen Qingqiu ne réalisa pas qu'il avait perdu le fil de son raisonnement – et ne put que sursauter lorsqu'il sentit, comme sortis de nulle part, deux bras puissants se glisser autour de sa taille en même temps qu'une voix qu'il ne connaissait que trop bien emplissait le grand hall.

« Shizun ! »

Puis, au creux de son oreille, sur un ton boudeur qui lui était réservé et dans lequel il entendait d'ores et déjà poindre les larmes qui ne cesseraient décidément jamais de lui serrer le cœur, peu importe à quel point elles étaient feintes et peu importe à quel point il le savait très bien-

« Ce disciple pourrait-il savoir avec qui Shizun discutait à l'instant ? »

Évidemment.
Quand on parlait du loup – ou plutôt, du plus dangereux et du plus craint de tous les seigneurs (demi-)démoniaques, dans ce cas-là !
Pendant qu'il était occupé à écouter le consciencieux rapport de leur domestique, la dernière audience matinale du Seigneur Luo avait touché à sa fin – mais non, Binghe, pas les larmes de crocodile, aah ! C'est pas le moment ! Ce maître ne peut décemment pas t'expliquer qu'il était en train d'apprendre que tes sujets te croient impuissant, enfin ! !

Sans avoir besoin d'y réfléchir une seconde, Shen Qingqiu caressa doucement l'un des bras qui le maintenaient sans fermeté, sur lequel il avait posé sa main libre par réflexe. Mais alors que leur étreinte se resserrait un peu, avant qu'il n'ait eu le temps de se retourner ni de formuler la moindre réponse-
Le murmure qu'il entendit autant qu'il ressentit ensuite, accompagné d'un baiser tout contre sa tempe, lui parvint bien dans la voix grave et confiante qu'on attendrait d'un surpuissant protagoniste aux centaines, non, aux milliers de concubines, cette fois-ci.

« Je n'ai toujours pas appris à partager mon mari », reconnut le protagoniste en question, mais son ton était davantage celui de l'amusement que du repentir – ce qui ne fit qu'empirer sitôt qu'il poursuivit, un sourire fier arquant très clairement la courbe de ses lèvres déjà parfaites, le traître : « Désolé, A-Yuan. »

Et Shen Qingqiu, bien malgré lui, à son grand désespoir, parce qu'ils étaient toujours au beau milieu du grand hall du palais, il ne fallait peut-être pas l'oublier-
Frissonna des pieds à la tête, et ferma les yeux d'embarras tandis qu'il laissait sa tête retomber contre l'épaule de l'Empereur Céleste, maître incontesté de ce royaume. Son époux.

« Ça- Ça suffit, Binghe ! » parvint-il tout de même à protester, quoique faiblement, non sans se rendre compte que toute la surface de son visage s'était mise à chauffer d'un coup ; alors il lui administra une brève tape sur l'avant-bras de son éventail fermé, pour faire bonne mesure. Il- On ne pourrait pas dire qu'il ne l'avait pas mérité, en même temps ! « C'était juste Croc Pénétrant. Elle est déjà partie. »

C'était vrai : dans une nouvelle démonstration de son aptitude inégalée, Croc Pénétrant n'avait pas demandé son reste, et promptement disparu de la pièce entre la seconde où Shen Qingqiu avait reporté toute son attention sur Binghe et celle, juste après, où il l'avait à nouveau cherchée du regard. Un talent remarquable, vraiment.
À en juger par la façon dont il s'accrochait toujours à sa taille comme si c'était lui qui allait s'évaporer dans la nature, toutefois, Binghe lui-même n'était pas encore satisfait. Aah, mais qui est-ce qui lui avait refilé un mari aussi collant, et jaloux en plus ? En-Enfin, il savait bien que c'était lui qui l'avait choisi, techniquement, mais ce n'était pas une excuse… !

« Et- Et puis… »

… Autrefois, dans une autre vie, un certain irrécupérable nerd avait lu quelque part que l'amour ne durait que trois ans. Des années, un nouvel univers et la moitié d'une autre existence plus tard, il en avait fallu quatre à Shen Qingqiu pour prendre sa décision ; mais il lui avait suffi d'entendre Binghe prononcer ce nom, au soir de leur cinquième anniversaire de mariage, pour être aussi certain que ça avait été la bonne. Et aujourd'hui encore, quel que soit le temps qui avait passé…
Un soupir aux lèvres, le poing serré sur le bois son éventail, Shen Qingqiu écouta son propre cœur manquer un battement, un de plus, et se résolut à abandonner toute dignité – une fois de plus.

« … tu sais très bien que je suis tout à toi, de toute manière… »

Ce n'étaient que quelques mots, et il les avait ajoutés à mi-voix avec les joues en feu, mais ça aurait été trop beau d'espérer qu'ils tomberaient dans l'oreille d'un sourd – en tant que mi-cultivateur, mi-démon céleste, Binghe avait l'ouïe fine. Alors, bien sûr, il affermit encore sa prise sur la taille de Shen Qingqiu ; le fit pivoter entre ses bras jusqu'à ce qu'il ne puisse plus ignorer son regard de petit toutou en manque d'affection, comme si tu ne recevais pas déjà plus d'affection que cet époux n'a à en donner, et tous les jours ! Hypocrite ! ; se pencha sur lui au point que Shen Qingqiu ne dut sa protection qu'à son fidèle éventail, dont il appuya le bois contre les lèvres du tout-puissant Empereur Céleste ; et s'ensuivirent plusieurs minutes de débat animé, à base de maiis Shizuun amusés et autres Pas maintenant, Binghe, ce n'est pas l'endroit ! honteusement embarrassés, mais…

Peu importe à quel point Shen Qingqiu s'évertuait à refuser, parce qu'il savait très bien où un simple baiser pourrait les mener, merci- Impuissant, et puis quoi encore- avec ses grands yeux rouges brillant de larmes émues et d'amour sincère, Binghe était…

Adorable. Tout simplement à croquer. Au point de rendre impossible le choix de continuer à le regarder, ou de détourner les yeux pour ne pas craquer.
Et l'espace d'un instant, pour la première fois depuis qu'ils avaient bon gré mal gré célébré leur mariage presque dix ans plus tôt, Shen Qingqiu se prit à se demander-
Est-ce que c'était à ça que ça ressemblerait ? Un descendant ? Un mini-Binghe, comme cette fois où la version standard avait rétréci au lavage ? Avec la même crinière de boucles douces, les mêmes yeux pleins de larmes et les bras tendus dans sa direction ?

À l'instant même où l'idée effleura son esprit, Shen Qingqiu comprit qu'elle était dangereuse et l'éloigna d'un revers d'éventail, d'un hochement de tête on ne peut plus ferme.

« Binghe, conclut-il, sans appel. Ce maître meurt de faim. Allons déjeuner.
– … C'est vrai. Allons-y, Shizun. … Mais après le déjeuner… ? »

(Ce jour-là, comme bien souvent, l'Empereur Céleste du royaume des démons Luo Binghe ne reçut en réponse de son époux qu'un petit coup d'éventail sur le haut du crâne – juste assez fort pour qu'il le sente, mais pas suffisamment pour lui faire mal, bien sûr. Et ce jour-là, comme bien souvent… cela parut l'encourager davantage que de calmer ses ardeurs, au grand désespoir de l'époux en question.)


Le mal était fait, cependant.
Shen Qingqiu ne tarda pas à s'en rendre compte dans les jours qui suivirent : de tous les instants privilégiés – il n'avait jamais été aussi soulagé qu'ils soient si peu nombreux – qu'il vivait seul avec lui-même, il ne s'en passa bientôt plus un sans qu'il n'y repense. Sans que l'image ne lui revienne, alors qu'elle n'était que pur produit de son imagination, et qu'il n'échoue lamentablement à se l'ôter de la tête. Peu importe qu'il soit en train de rédiger une missive, d'ailleurs, d'essayer de déchiffrer la dernière superproduction du Grand Maître Airplane rédigée en pattes de mouche sur vieux rouleau miteux, ou simplement d'attendre que Luo Binghe ait enfin fini d'écouter les doléances de ses sujets…
Argh !

Ce n'était pas comme si le concept avait quoi que ce soit de révolutionnaire, de particulièrement attirant ou de jamais vu, en plus ! ! Après tout, un mini-Binghe, quelles que soient les grosses larmes qui empliraient son regard fuyant, la force de ses petits poings serrés, les supplications mal assurées qui feraient trembler sa voix pleine d'espoir… Quand on possédait déjà la taille adulte, c'était du réchauffé ! ! Et même si, en grandissant, il développait la même dévotion et la même ferveur d'adorable petit mouton duveteux- Le même émerveillement béat de lotus blanc si désireux de plaire, qu'une caresse sur le haut du crâne suffisait à faire rayonner à des kilomètres- Shen Qingqiu avait déjà connu tout ça ! Le fait que ça remonte à des années ne signifiait pas qu'il en avait oublié quoi que ce soit, ni qu'il souhaitait forcément y revenir ! Non, cette époque était révolue, son mari et lui avaient grandi depuis lors, et quoi qu'en aient été les souffrances, c'était pour le mieux, seulement…

… Seulement…

C'était à l'extérieur que c'était le pire. Dans le monde des démons, passe encore ; les mœurs et l'éducation classique n'étaient pas exactement très orientées famille, dans le coin, au cas où ce n'était pas déjà évident aux noms que ceux-là donnaient à leur progéniture et au nombre impressionnant de conflits parent-enfant, ou oncle-neveu, auxquels Shen Qingqiu avait d'ores et déjà assisté, souvent jusqu'à la mort de l'un des deux ; mais dans le monde humain…

Quelques semaines plus tard, une affaire urgente vit Binghe obligé de se rendre dans le sud-ouest de son royaume, les bras croisés de désapprobation et incapable de dire avec certitude quand il serait de retour. Non sans un sourire, Shen Qingqiu déposa un baiser sur sa marque démoniaque entre ses sourcils froncés, pour chasser de son beau visage ce vilain air boudeur, et se saisit de l'occasion pour rendre une visite de quelques jours à ses collègues de Cang Qiong, ainsi que vérifier les récents progrès de ses turbulents disciples sur Qing Jing – en sachant bien qu'ils auraient droit à un examen surprise dès son retour s'ils avaient négligé leurs apprentissages. Là, il eut plaisir à prendre le thé avec Liu Qingge ; à rassurer – une fois de plus – Mu Qingfang sur son état de santé, merci ; à se faire battre à plate couture au jeu de go par Qi Qingqi ; et même à accompagner Yue Qingyuan à l'occasion d'un déplacement officiel en ville, maintenant que celui-ci paraissait avoir laissé tomber l'idée de chercher en lui quelqu'un d'autre lorsqu'il le regardait, mais…
Les enfants qui courent dans les rues, en jouant et se chamaillant tout pareil, les vêtements couverts de boue à force de se pousser ou de se rouler par terre. Leurs cris d'indignation et leurs éclats de rire, les uns à la suite des autres puis dans l'ordre inverse, comme si rien au monde n'existait en dehors des histoires qu'ils s'imaginent. Le silence soudain lorsqu'un parent appelle l'un d'eux ; et puis le bruit de leurs pas, rapides, pour se précipiter dans sa direction...

Un petit garçon heurta ses jambes, ce jour-là, avant de se mettre à pleurer. Alors Shen Qingqiu s'accroupit pour l'aider à se redresser, essuyer ses grosses larmes, épousseter ses habits – et durant tout le temps que dura l'échange, sous le regard du chef de secte surpris, il ne put s'empêcher d'imaginer. De se souvenir et de rêver. D'une minuscule meimei qui avait un jour été sa plus grande faiblesse- D'un tout petit Binghe dont la silhouette tremblante, la tête couverte de thé brûlant, lui avait brisé le cœur- D'un enfant dont les cheveux ne se soumettraient à aucun peigne, comme un agneau mal entretenu, et dont les yeux noirs remplis d'étoiles ou rouges pleins d'ardeur scintilleraient comme mille soleils.

Est-ce que c'était le genre d'image que ça donnerait, si leur enfant sautait dans les bras de Binghe ? Si, contraire, il préférait se blottir au creux des siens ? Lorsqu'il se mettrait à parler, est-ce qu'il les appellerait baba et a-die, père et mère, ou bien…

« … A-Yuan. »

De retour au palais de l'Empereur Céleste, juste après les traditionnelles retrouvailles passionnées avec Luo Binghe, d'usage immanquable quel que soit le nombre de terribles jours qui les avaient séparés, Shen Qingqiu revint brusquement à lui et cessa aussitôt de promener d'un geste absent ses doigts contre le visage de son mari.
Allongé à ses côtés, sublime entre l'ombre des bambous à l'extérieur et les teintes orangées que la fin d'après-midi projetait par la grande fenêtre, le mari en question le fixait d'un regard… comme qui dirait intense. Shen Qingqiu déglutit.

« Ce seigneur n'a-t-il pas su combler son époux ? poursuivit l'empereur en personne, un sourire aux lèvres et un éclat de malice dans le regard. Faut-il qu'il… redouble d'efforts pour le satisfaire ? »

Tout en parlant, il s'était hissé sur ses avant-bras, d'un mouvement qui avait subtilement fait glisser le long de son épaule la robe de soie noire dénouée qui aurait au moins pu faire semblant de le couvrir un minimum si elle n'avait été si transparente- Mais Shen Qingqiu n'eut le temps de s'indigner ni de ça, ni de la vision soudaine de son torse impeccablement – et injustement ! – musclé que, déjà, la sensation d'une main puissante caressant son bras nu le fit sursauter autant que frémir.

Aah, Binghe ! Tu ne peux donc vraiment pas faire preuve d'un peu de pitié ?! Une fois dans ta vie ?!

Malheureusement, la lueur qui faisait à nouveau briller ces envoûtants yeux rouges lui signifiait bien que c'était peine perdue – et qu'importe à quel point ça lui faisait mal de le reconnaître… Sans pour autant quitter son époux du regard, Shen Qingqiu détourna légèrement la tête. Ahem. Difficile de reprocher à une quelconque brise arrivée d'on ne sait où le frisson qui remontait sa colonne vertébrale, il supposait. Impossible aussi, sûrement, de blâmer la température de la pièce ou du soleil au-dehors pour la chaleur qui reprenait soudain vie au creux de ses entrailles, ou le besoin de toucher qui rongeait tout à coup chacun de ses doigts de l'intérieur-
Et puis- Et puis quoi, en fin de compte, hein, si c'était plus simple de se contenter d'acquiescer d'un signe de tête, de laisser son démon de mari l'attraper par la taille pour inverser en douceur leurs positions sur le lit, plutôt que de lui répondre honnêtement- Qu'est-ce que ça pouvait faire, au final, s'il préférait céder aux avances de l'homme le plus objectivement irrésistible de cet univers, plutôt que de lui expliquer ce qu'il avait réellement en tête quelques minutes plus tôt ?! Ce n'était pas comme s'il pouvait simplement lui dire, de toute façon- Ne serait-ce que comme s'il pouvait y penser en des termes aussi complets et précis, il lui restait quand même un semblant de dignité, merci-

Alors, quand bien même il se défendrait farouchement – et à raison ! – que ça ait été son intention première, Shen Qingqiu n'hésita plus une seconde à passer les bras autour du cou de Luo Binghe, les mains dans ses cheveux sombres et en bataille, la langue contre la sienne qui lui répondait avec désir ; et tandis que leurs corps se rencontraient et se mêlaient à nouveau sur les draps tièdes, s'il se prit à se demander si c'était avec la même fougue qu'un autre Binghe, dans un PIDW parallèle, avait conçu ses fameuses hordes de descendants… À songer, brièvement, l'esprit ailleurs et à moitié étourdi, qu'il ne serait peut-être pas si opposé à l'idée qu'ils aient un jour le leur, eux aussi…

Eh- Eh bien, il lui semblait que c'était un problème qui ne concernait que lui, d'abord – et dont il aurait tout le loisir de s'occuper plus tard.


Et voilà, merci de m'avoir lue pour cette mise en place de la problématique ! Je vais essayer de ne pas trop tarder à revenir avec le chapitre 2, en espérant vous y revoir c: