À poings fermés


« Réveille-toi, Marinette ! »

Marinette s'efforça d'ignorer la voix qui l'appelait d'un ton pressant, et elle se recroquevilla plus serrée encore sous sa couette chaude et douillette.

« Marinette ! »

Décidée à ne pas se laisser troubler par la voix qui essayait de la tirer de son bienheureux sommeil, elle remonta le drap plus haut sur sa tête.

« Marinette ! »

De petits doigts saisirent fermement une mèche de cheveux sur son front et commencèrent à tirer dessus. Marinette envisagea de les chasser avec sa main, mais devant l'ampleur du mouvement requis et la perspective de quitter de quelques centimètres la chaleur de la couette, elle renonça, préférant tourner la tête pour essayer de relâcher la tension.

« Marinette ! Il y a une attaque ! »

L'urgence de la voix et de la situation ne parvint pas tout à fait à pénétrer son cerveau embrumé par un confort délicieux, et elle grommela :

« Chat Noir s'en occupera, laisse-moi dormir…

— Mais justement Marinette, tout le monde dort !

— Et moi aussi…

— Marinette ! »

La jeune fille en question sentit que le drap qui recouvrait son oreille était descendu de quelques centimètres par une petite main têtue, puis qu'une non moins petite créature venait s'y coller en hurlant :

« Marinette ! Si tu ne te lèves pas, je découpe aux ciseaux ton nouveau haut bleu indigo ! »

Cette fois-ci, l'information pénétra la conscience de l'adolescente, qui s'était couchée une heure plus tard la veille pour en ajuster les plis et les broderies. Elle sortit la tête du duvet et protesta :

« Tikki ! Ça fait une semaine que je travaille dessus ! Tu ne peux pas me faire ça !

— Et toi tu ne peux pas laisser la ville de Paris en proie à une attaque !

— Mais quelle attaque ? protesta Marinette. Tout est calme, je n'entends aucune sirène !

— Justement ! Tes parents n'ont pas ouvert la boulangerie, ils ne se sont même pas levés, et quand je suis descendue dans le magasin, je me suis aperçue qu'il n'y avait aucune personne dehors, aucune fenêtre allumée ! La ville est anormalement calme ! Tout le monde dort ! »

Marinette s'assit dans son lit en maugréant, et s'efforça d'écouter avec attention les bruits familiers de la ville : or ces bruits n'étaient pas là, Tikki semblait dire vrai. L'adolescente ne percevait rien, ni de l'immeuble, ni du dehors, pas même les roucoulements de pigeons ou les vrombissements de voitures habituels. Elle posa alors les pieds sur le sol froid et sortit sur sa petite terrasse : elle ne voyait non plus aucun mouvement aux fenêtres alentours, qui étaient restées fermées dans le petit jour naissant. Elle rentra et consulta son réveil :

« Tikki ! il est déjà huit heures et demi ! Pourquoi ne m'as-tu pas réveillée plus tôt ?

— J'ai essayé, mais tu ne voulais pas m'écouter !

— Et tu dis que mes parents ne se sont pas levés non plus ?

— Je me suis réveillée il y a plus d'une heure, parce que ton père devait préparer une nouvelle fournée de macarons, mais le laboratoire et la boutique étaient vides et noirs ! »

Marinette saisit sans ménagement Tikki dans ses mains, inquiète :

« Est-ce qu'ils vont bien ?

— Ils dorment, c'est tout. Je n'ai pas essayé de les réveiller. »

Marinette descendit rapidement l'escalier en pyjama et se rendit dans leur chambre. Ils étaient bien endormis dans leur lit, enfouis côte à côte sous la couette, le silence de la chambre seulement troublé par un léger ronflement. Elle essaya de secouer l'épaule de son père : il maugréa, se retourna pour lui tourner le dos, et ronfla un peu plus fort.

Marinette remonta dans sa chambre, et fut soudain prise d'une vague de fatigue. Elle regarda son propre lit avec envie. Tikki l'interrompit :

« Non Marinette : il se passe quelque chose d'anormal ! Il faut que tu ailles enquêter dehors ! »

Marinette jeta un dernier regard vers son lit ouvert et encore tiède, puis, toujours en pyjama, elle demanda :

« Tikki, transforme-moi ! »


Les rues de Paris étaient tout à fait désertes : pas une seule voiture, pas un seul passant, pas même un chat errant, un pigeon ou un rat. Les immeubles étaient pareillement immobiles : la plupart des volets étaient restés clos, sans lumière, sans vie. Il régnait sur la ville un silence que rien ne troublait, et que Ladybug trouvait de plus en plus oppressant au fur et à mesure qu'elle parcourait les rues, à la recherche d'un indice ou même d'une seule créature éveillée.

Il ne semblait pas y avoir de danger apparent, ni d'urgence, seulement cette totale absence d'activité qui était effroyablement inhabituelle pour une ville comme Paris, normalement joyeuse et animée à toute heure de la journée et de la nuit. Le soleil s'était levé, les réverbères s'étaient automatiquement éteints, et rien ne bougeait.

Elle fit un détour par le collège : aucun mouvement. Chat Noir ne répondait pas à ses tentatives d'appel. Alors elle se dirigea vers la tour Eiffel pour essayer d'avoir au moins une vue d'ensemble du problème. Mais à mesure qu'elle s'en rapprochait, ses mouvements se ralentissaient, elle avait de plus en plus de mal à passer d'un toit à l'autre, et elle se résolut à finir le trajet à pied dans les rues, où de toute façon aucun véhicule ne la gênait.

Elle arriva enfin près de la tour, aperçut une masse marron inhabituelle sous ses piliers, et fut prise d'une fatigue vertigineuse qui la ralentit encore et força ses yeux à se fermer. Elle trébucha alors sur quelque chose et tomba la tête la première, sa mâchoire heurtant le sol sans qu'elle ait l'énergie de freiner sa chute avec ses bras. La douleur irradiante lui communiqua cependant un regain d'attention, et elle se releva sur ses coudes pour examiner la forme sur laquelle elle avait trébuché et qui venait de grogner quand elle s'était à moitié effondrée dessus. C'était Chat Noir, étendu de tout son long en travers de l'allée ; il essaya faiblement de dégager leurs jambes entremêlées avant de rabattre un bras sur ses yeux et de ronronner doucement.

Ladybug appuya sur sa mâchoire endolorie et se servit de la douleur lancinante qui en émanait pour rassembler l'énergie de s'asseoir et d'examiner la situation. Il y avait toujours cette masse marron sous la tour Eiffel, et un Chat Noir pris dans les bras de Morphée à côté d'elle.

Elle décida de commencer par Chat Noir. Elle l'attrapa par l'épaule et commença à le secouer, mais il agita une main presque atone pour protester avant de ronronner de plus belle. Elle essaya à nouveau ; en vain. La douleur dans sa mâchoire commençait à s'apaiser et elle sentait la torpeur du sommeil recommencer à l'envahir. Les idées lénifiées, elle invoqua dans un sursaut son « Lucky Charm ! » et regarda la vuvuzela rouge à pois noirs tomber sur la tête de Chat Noir, qui grogna son mécontentement mais ne se releva pas. Ladybug s'en saisit péniblement et prit une inspiration avant de souffler dedans. Le son lui vrilla aussitôt les tympans, dissipant sa fatigue et réveillant Chat Noir qui la regarda avec étonnement :

« Je ne te savais pas prête à supporter notre équipe avec autant d'enthousiasme, ma Lady ! »

À ce commentaire, Ladybug souffla une deuxième fois dans l'instrument ; Chat Noir porta les deux mains à ses oreilles en grimaçant :

« Ouille ! Je suis toujours tout ouïe pour t'écouter, mais un chat a les oreilles sensibles !

— Est-ce que tu es réveillé maintenant ? »

Chat Noir baissa les mains :

« Je ne m'étais même pas rendu compte que je m'étais endormi.

— As-tu remarqué quelque chose de particulier lors de cette attaque ? »

Chat Noir secoua la tête et expliqua :

« Mon kwami m'a réveillé pour une urgence avant qu'il ne fasse jour. C'est alors qu'on s'est aperçu que rien ne bougeait. »

Il bâilla de toutes ses dents et étira ses bras en arrière. Ladybug fut si tentée de l'imiter qu'elle porta de nouveau la vuvuzela à ses lèvres pour mieux les réveiller tous les deux. Chat Noir l'interrompit en levant des mains soudain anxieuses :

« Non, non, ce n'est pas la peine. Je ne vais pas me rendormir. Comment le pourrais-je, alors que je peux profiter de ton admirable radiance, ma Lady ? »

Ladybug fut tentée d'utiliser quand même la vuvuzela, mais elle se contenta de se frotter la nuque, pour essayer de se concentrer à nouveau :

« Et tu n'as vu aucune trace du Papillon ? »

Chat Noir cligna lentement des yeux :

« Non, aucune. Il n'y a aucune menace, aucune revendication, mis à part le fait que tout le monde semble dormir, animaux compris.

— C'est étrange, fit remarquer Ladybug dans un bâillement.

— Hé, ma Lady, ne t'endors pas à ton tour ! Ou plutôt endors-toi, qu'un baiser de ton prince charmant puisse te réveiller définitivement ! »

Ladybug frissonna :

« Ne compte pas sur ça, Chat Botté ! »

Elle ne put s'empêcher de bâiller à nouveau, et Chat Noir fit de même à peine une seconde plus tard. Elle reprit :

« C'est vraiment bizarre comme attaque.

— Nous ferions mieux d'en trouver la source avant de nous endormir à nouveau, suggéra Chat Noir.

— Sous la tour Eiffel, non ? Cette masse marron qu'on arrive à apercevoir ?

— C'est bien en essayant de m'en rapprocher que j'ai dû m'endormir », confirma-t-il.

Ils se levèrent maladroitement, prenant appui l'un sur l'autre, et se dirigèrent vers la masse en question. Plus ils avançaient, plus à nouveau leurs pas et leurs paupières se faisaient lourds, et Chat Noir finit par se saisir lui-même de la vuvuzela pour sonner un coup de trompette à la fois tonitruant et salvateur. Ils s'arrêtèrent à quelques mètres, luttant contre l'endormissement.

« C'est une marmotte, conclut Chat Noir.

— Une marmotte géante », corrigea Ladybug.

C'était en effet une gigantesque marmotte, de la taille d'une petite maison. Le souffle tranquille et régulier de l'animal endormi résonnait dans l'air autour d'eux, le remplissant de calme et de sérénité : c'était un puissant appel au paisible repos et au sommeil voluptueux, et Chat Noir se pinça méchamment la cuisse pour ne pas y céder. Ladybug l'imita.

« Vois-tu où peut être son akuma ? demanda-t-elle.

— Non, peut-être devrions-nous en faire le tour ? »

C'est ce qu'ils firent d'un pas mal assuré, se pinçant ou se giflant régulièrement les joues pour tenir éveillés. Au bout d'un temps qui leur sembla assez long, ils se retrouvèrent à nouveau au niveau de la tête de la marmotte.

« Peut-être est-il quelque part en dessous ? suggéra Chat Noir.

— Et comment va-t-on s'y prendre pour la déplacer ?

— Peut-être qu'un bon coup de vuvuzela dans une oreille ferait l'affaire ? Si ça a marché pour nous réveiller, ça marchera peut-être sur elle aussi ?

— Alors préparons-nous à reculer, au cas où cela marche trop bien », tempéra Ladybug.

Elle commença à grimper sur l'épaule de la marmotte pour atteindre l'une de ses oreilles. Ses mains et ses pieds s'enfonçaient dans la fourrure douce et tiède, toute mouvante des longues respirations de l'animal, et elle ne put s'empêcher d'y emmêler ses doigts. Elle s'arrêta un instant pour reposer sa tête et son corps lourds contre cette masse soyeuse.

« Ma Lady ! Ne t'endors pas ! »

Le cri de Chat Noir lui permit de se ressaisir, et elle se mordit violemment l'intérieur de la joue pour se reconcentrer. Elle finit son ascension le plus vite qu'elle pût. Elle s'installa alors à califourchon sur l'oreille de la marmotte et dirigea la vuvuzela vers son tympan :

« Poueeeeeeeeeeet ! »

Ladybug souffla longuement, de toutes ses forces. La marmotte ne réagit pas.

« Réessaye ! l'encouragea Chat Noir.

— Poueeeeeeeeeeet ! Poueeeeeeeeeeet ! »

Lentement, la marmotte renifla, son oreille bougea, et elle se tourna sur l'autre côté ; Ladybug, bien réveillée, elle, sauta vivement à terre pour ne pas être écrasée par le mouvement.

« Là, annonça Chat Noir, désignant un trousseau de clés qui venait d'apparaître à l'endroit où se trouvait auparavant l'animal. Cataclysme ! »

Un papillon noir sortit du trousseau, que Ladybug purifia aussitôt. L'énorme marmotte perdit ses contours et réduisit considérablement de taille, jusqu'à révéler un homme en uniforme allongé par terre, sur le côté, et toujours endormi.

Chat Noir s'approcha de lui pour le réveiller :

« Monsieur, appela-t-il en lui secouant l'épaule, Monsieur ! Comment allez-vous ? »

L'homme grogna, releva la tête, ouvrit les yeux, et bâilla longuement avant de déclarer :

« Ah ! que j'ai bien dormi ! »

Ladybug ramassa les clefs et les lui tendit :

« Tenez, vous les avez fait tomber.

— Merci beaucoup, dit-il en s'en saisissant. Je ne vais plus en avoir besoin, mais il ne faut tout de même pas que je les perde.

— Vous n'en aurez plus besoin ? questionna Chat Noir.

— Je suis le gardien de nuit de la tour Eiffel, ou plutôt je l'étais. J'étais très en colère parce qu'on va me remplacer par un système de surveillance informatique, mais finalement je me dis que je pourrai enfin passer mes nuits à dormir. »

L'homme se redressa et regarda autour d'eux :

« Il fait déjà jour ! C'est étrange qu'aucun touriste ne soit encore arrivé.

— Je crois que tout le monde commence la journée un peu tard, aujourd'hui », commenta Ladybug en se relevant à son tour.

Avant que Chat Noir et elle ne se séparent, il demanda :

« Mis à part notre grande envie de dormir, c'était un peu trop simple. Je n'ai pas l'impression que Papillon ait cherché à manipuler cet homme. Tu crois que lui aussi a été saisi par le sommeil ? »


Quand Adrien descendit prendre son petit-déjeuner, il trouva son père qui y était déjà attablé :

« Bonjour Adrien, je vois que tu as dormi encore plus tard que moi.

— Bonjour, père. Je m'en excuse, je ne sais pas ce qui m'a pris.

— Tu es loin d'être le seul, de ce que j'ai pu remarquer en me levant. Il faut croire que le sommeil était le plus fort, ce matin. »


Ce texte a été écrit en l'honneur du jour de la marmotte, qui a lieu le 2 février. Joy Misty Holy a eu la grande gentillesse de me relire deux fois, pour que le texte soit le plus fidèle possible à l'univers de la série. Le jeu de l'écriture des journées mondiales est l'un des nombreux jeux proposés par le FoF, forum francophone sur le site fanfiction, où l'on peut se retrouver pour discuter et s'amuser.