Jour 1

Jeudi 1er janvier 1998,

23h,

Cher journal,

C'est assez étrange de confier ces pensées les plus intimes à une feuille blanche. Une feuille blanche, futile et sans intérêt. Par moments, je me demande si je ne suis pas en train de devenir complétement folle, si je ne le suis pas encore, ça ne saurais tarder. L'autre jour, Sydney m'a fait comprendre le concept de tenir un journal, je dois avouer qu'il n'a pas tout à fait tort. D'après lui, le journal aurait, comment a-t-il dit déjà ? Ah oui, des vertus thérapeutiques. C'est-à-dire, coucher ses émotions pour apprendre à découvrir des facettes de soi-même. Des facettes que l'on ignore. C'est un psychiatre très aguerri, alors évidemment, il pense comme tel. Il dit aussi qu'écrire quotidiennement, peu importe le support utilisé, serait comme faire le ménage dans sa tête, faire le vide. A-t-il raison ? À mon humble avis, c'est un peu plus compliqué que ça. Il pense que faire ce genre d'exercice, voilà comment il l'appelle, un exercice, « permettrait d'explorer son esprit. » C'est encore une phrase typique du docteur Freud. Selon lui, cela m'aiderait à faire le point sur ma vie et à prendre les bonnes décisions. Que veut-il dire par là ? Je sais ce qu'il veut dire. Pourtant, il sait tout comme moi, que grâce à la vie qu'on mène au Centre, nous ne sommes pas en mesure d'avoir un esprit sain, en fait pour tout te dire, vivre une existence normale ne doit pas être une priorité pour nous les gens du Centre. Je viens de prendre une résolution. Écouter un peu plus les conseils de Sydney. J'avoue que l'année dernière, je me suis montrée indifférente à ses nombreux avis, à ses avertissements. Je ne suis pas du genre à prendre en considération les recommandations des uns et des autres. Cependant, je dois reconnaître que c'est une approche assez intéressante, voire pertinente. Écrire ce que l'on ressent quand on ne peut le dire à… Enfin, tu m'as comprise. C'est comme si je parlais à un ami, un ami imaginaire. Bien sûr, ne va pas croire que je n'en ai pas. Je suis une personne très respectable et surtout, je suis une personne que l'on craint, mais pas que l'on apprécie forcément. Pourquoi… ? Qu'est-ce que je leur inspire ? De la méfiance ? De la haine ? De la crainte ? Il y a une personne qui je sais, se considère comme mon véritable ami. Parce que je sais qu'à une certaine époque, c'était le cas. Oui, il l'était, autrefois. Je parle, bien sûr de lui, de Jarod. Je te raconterai, plus tard, son histoire… Ou du moins, ce que l'on a bien voulu me dire de lui. Quand j'y pense !

Ma mère tenait un journal, je n'ai jamais su concrètement ce qu'elle écrivait à l'intérieur de ces pages, mais une fois faite, elle était plus apaisée, plus sereine. Elle relatait tout ce qu'elle éprouvait, ce qu'elle faisait ou encore qui elle côtoyait. Ce qui est aussi bizarre que le fait, que moi, Mlle Parker, je tienne un journal, en fait, je n'ai jamais pu retrouver celui de ma mère. Quoiqu'il en soit, j'ignore si un jour, je serai capable d'en faire autant qu'elle. C'était une femme incroyablement admirable, malheureusement partie bien trop tôt. Elle me manque terriblement. Et chaque année, la douleur insupportable que j'éprouve, amplifie son absence trop difficile à surmonter. Comment peut-on accepter la mort de sa mère ? Pour être honnête avec toi, je n'y suis pas encore arrivé. Je ne sais pas si un jour, j'y parviendrai.

À la suite des épisodes tragiques qui ont marqué ma vie, j'ai décidé de consigner tous ces événements par écrit qu'il soit passés, présent, ou a venir ainsi que mes ressentiments vis à vis de certaines choses ou encore de certaines personnes. Ces individus au regard dangereux, au sourire hypocrite, à la démarche d'un imposteur. Si je le fais, c'est pour laisser derrière moi, une trace de ce que je suis, de ce que je fais, de ce je vis, de ce que j'ai vécu. De mes angoisses, de mes peurs. Oui, je peux bien te l'avouer, à toi, j'ai peur. Mais surtout, j'espère qu'un jour prochain, ce journal pourra aider les futures générations d'êtres surdoués comme Jarod, à venir à bout de leur histoire…

Aujourd'hui, c'est la mienne que je vais tenter de retranscrire ici, sur ces pages blanches. Je ne sais pas par où commencer, il y a tellement à dire que rien que d'y penser, me donne la migraine. Je voudrais tout écrire. Tout dire, me débarrasser de ce poids immense sur mes épaules, de ce que je ressens. Et puis j'ai l'impression de me sentir plus proche de ma mère. Oui, de la sentir, là tout près de moi. Alors je vais commencer par le commencement. Voici mon histoire…

Je suis née le 3 janvier 1960, ma mère s'appelait Catherine Jamison, mon père… Pour les gens de l'extérieur à la famille, il préfère qu'on le nomme M. Parker, pour lui, le titre de « Monsieur » est une marque de respect, et de ce fait, je dois être semblable à lui, à ce qu'il représente. Oui, parce que vois-tu, il incarne la force, l'autorité, l'avenir. C'est pourquoi, je ne fais jamais usage de mon prénom. Pour tout le monde, aux yeux de tous, je ne suis que Mlle Parker ! Oui, l'impitoyable Mlle Parker. Je sais que ce n'est pas très flatteur, mais c'est ainsi fait, je dois être à l'image de mon père.

Maintenant, je vais parler un peu de ma mère, du moins de ce que je sais d'elle. Au bout du compte, je m'aperçois que je ne sais pratiquement rien d'elle. Je vais te raconter ce que je sais et tu comprendras alors pourquoi j'ai tant de mal à me remettre de sa disparition. C'était une très belle femme, oh oui, elle était magnifiquement belle. On dit que je lui ressemble beaucoup. C'est vrai, quand je me regarde dans le miroir, c'est elle que je vois. Cette ressemblance est si troublante que j'en ai peur. Tu me diras, c'est comme avoir peur de sa mère et c'est exactement ça. Parce qu'à chaque fois que je découvre quelque chose qui la concerne, c'est comme si c'était moi. Je veux dire, c'est comme si ça m'arrivait à moi. Et ça me terrifie. C'est cette émotion que j'essaie désespérément d'enfouir au plus profond de mon être… Tout comme ma mère, seulement à l'inverse de moi, elle n'avait pas peur de montrer ses faiblesses… Où en étais-je ? Ah oui. Catherine, ma mère, avait passé sa jeunesse dans un couvent. Si mes souvenirs sont exacts, c'était celui de Sainte-Catherine. Là encore, je ne sais pas si c'est un hasard. Moi, je n'aurai jamais pu vivre dans un couvent, voilà l'une des différences qu'il y a entre nous deux. Là-bas, il me semble qu'elle avait fait la rencontre d'une femme. Je crois qu'elle répondait au nom de Harriet Tashman. Elles avaient fait leurs études ensemble. C'était à ce moment-là qu'elle avait quitté le couvent pour suivre mon père. J'ignore ce qu'est devenue Harriet, au dernière nouvelle… Non, c'est une trop longue histoire pour en faire le récit à cette heure si tardive. Peut-être, plus tard. Mais une chose était sûre, c'était qu'elles étaient très amies. Il est vrai que maman avait cette facilité, un don, je dirais a se faire beaucoup d'amis, contrairement à moi.

Je crois qu'elle s'était mariée avec mon père en 1957, oui, c'est bien ça. Elle avait 21 ans. C'est si jeune. Elle avait à peine atteint sa majorité. Je ne sais pas si j'aurais, un jour, la volonté voire même la chance d'épouser un homme. Je crois que je ne suis pas faite pour l'amour. C'est un sentiment bien douloureux. Il vaut mieux ne pas trop s'en approcher.

Vois-tu, c'est comme un intrus dans une maison. C'est à fuir comme la peste. Mais être courtisé n'a jamais tué personne ! Comme on dit « Le sexe oui, l'amour non ! » Je me demande si le petit génie a eu beaucoup d'aventures depuis qu'il a quitté le Centre… ? Pourquoi je pense à lui ? Revenons à mes parents. Je ne sais pas si le grand amour existe vraiment. Est-ce que mes parents vivaient ce grand amour ? Celui que l'on écrit avec un grand A ? Une fois, plus jeune, j'avais ressenti ce petit quelque chose. J'ignore ce que c'était et je l'ignore encore aujourd'hui. Ou peut-être, tout simplement que je nie l'évidence… Je crois qu'il vaut mieux que j'en reste là, pour ce soir, il se fait tard et j'ai eu une très grosse journée. Demain, je me lève tôt. Encore une journée où je dois passer mon temps à chasser les fantômes du passé… Maintenant, le plus dur reste à faire, je dois te trouver un endroit, mais un endroit sûr ou jamais, de mon vivant, tu ne seras découvert. Non mais tu imagines ? Si le caméléon venait à découvrir ton existence ? Mes pensées les plus intimes seront entre ses mains, ses douces mains. Non, je ne suis pas encore prête à lui dévoiler cette partie de mon intimité. Un jour peut-être. J'espère…