Jour 2
Samedi 3 janvier 1998,
13h,
Cher journal,
Aujourd'hui, nous sommes le 3 janvier, jour de mon anniversaire, jour de ma naissance. Je me sens seule, et je n'ai le goût à rien. Tout me semble si dérisoire. Est-ce que cette solitude me mènerait tout droit à la folie ? Non, pas au point de prendre l'ascenseur… Je me comprends. J'ai décidé comme chaque année, et ce, depuis le 13 avril 1970, date à laquelle ma mère est décédée, de ne plus fêter mon anniversaire. À quoi bon, de célébrer un événement quel qui soit, si on n'a pas la personne qu'on aime auprès de soi ? Je sais ce que tu dois penser, que je dramatise ou peut-être que je ne sais pas la chance que j'ai. C'est sans doute un peu vrai. Pourtant, les faits sont là. Alors aujourd'hui, c'est un jour comme un autre. Pas de mère, pas de cadeaux, pas d'amour. Il n'y a que moi, et uniquement moi…
Ce matin, comme d'habitude, je me suis rendu de très bonnes heures au Centre. Le Centre, je t'en dirai un peu plus, le moment venu sur ce lieu aussi morbide que triste ainsi que les gens qui y travaillent. Tu verras ce n'est pas très glorieux et si mon père savait ce je ressens, à l'heure où j'écris ces mots, vis à vis de cet endroit qu'il considère comme « sa famille » je crois qu'il ne serait pas très fier de moi ! L'a-t-il un jour été ? M'a-t-il un jour aimé ? Seulement, vois-tu, parfois, j'aimerais en avoir la certitude. J'aimerais que pour une fois, il me fasse passer avant ses propres intérêts, ceux du Centre et ceux de ses associés où encore ceux du Triumvirat. « Le Triumvirat ! » Voilà un nom qui symbolise la peur ! Mon père, M. Parker est un homme très occupé et malgré tout, il a toujours pensé à mon bien-être, il a toujours fait en sorte que je ne manque de rien. Enfin, je crois, je ne suis plus très sûre de quoi que ce soit. Surtout ces derniers temps. Jarod doute de la sincérité de mon paternel. Dois-je le croire ? Il pense que mon père me cacherait volontairement des informations sur la mort de ma mère. T'ai-je déjà parlé de sa mort ? Non, je ne le ferai pas aujourd'hui, c'est trop douloureux. Plus tard, peut-être...
Sydney s'est montré sous un jour nouveau, disons qu'il a mis de côté, pour un temps du moins, sa psychologie de bazar. Il sait que je déteste ça. Il a tendance à trop vouloir se mêler de ma vie ou encore de ma relation avec Jarod. Non, ce n'est pas ce que tu crois ! Mais Sydney ne cesse de me materner. C'est limite agaçant. Je sais qu'il croit bien faire, mais depuis le départ de Jarod, il déverse un mélange de sentiment paternel et de culpabilité sur moi que ça en devient très frustrant. Je trouve qu'il s'apitoie un peu trop sur lui-même. Alors je l'évite tant que je peux. Heureusement pour moi, je ne l'ai pas trop dans les pattes. C'était un ami de ma mère, de longue date, je crois. C'était son psychiatre. Je ne sais pas jusqu'à quel point ils étaient proches. Proches, comment ? Sait-il des choses la concernant ? Je suis sûre qu'il sait beaucoup plus que ce qu'il ne veut bien me le dire. L'année dernière, Sydney m'avait gentiment proposé d'oublier le traumatisme que j'ai vécu pendant l'enfance. Mais comment peut-on oublier la mort de sa mère ?
Flashback
« Je pourrais vous aider à tout oublier.
- Très gentil. Mais dites moi, avant de mourir, ma mère ne sortait-elle pas d'une séance de psychanalyse avec vous pour soigner sa dépression ? Non merci. Je réussirai à oublier seule ! »
Maintenant, je vais te parler d'une personne, qui travaille au Centre et qui je pense, selon moi, ne devrait pas avoir sa place au sein de cette « famille de disjoncté ! » C'est un homme, avec très peu de cheveux sur le caillou, assez banal. Trop banal, au premier abord, mais très doué dans son domaine. Une chose que tu dois savoir sur moi, je ne m'entoure que des gens compétents. Certes inférieures à moi, mais compétents. Je t'ai dit qu'il s'appelait Broots ? Voilà, c'est son nom, Broots. Un nom simple pour une personne simple. Talentueux mais tellement naïf. Grâce à son génie pour l'informatique, le Centre y compris moi-même, nous avons pu rester sur les traces du petit génie. Le petit génie, c'est Jarod ! C'est l'un des surnoms que j'aime bien lui donner. Bien sûr, j'en ai d'autres en réserve. Revenons à Broots. Il n'a aucun sens de la mode. Aucun goût vestimentaire ! Il porte des vêtements démodés, ringards… C'est pitoyable. Quand je le vois, j'ai envie de découper au ciseaux tout ce qui porte ! S'il ne change pas sa façon de se vêtir, que Dieu m'en témoigne, un jour, c'est ce que je ferai ! Ah, l'année dernière, on a appris que ce cher bon vieux Broots, nous avait caché l'existence de sa progéniture. Non mais tu te rends compte ? Cacher une telle information au Centre ! Il ne sait pas dans quel pétrin il s'est fourré. On peut dire qu'il sait trouver le danger où c'est le danger qui l'a trouvé ! C'est bien ce que je dis, il n'a pas sa place dans notre « famille » et désormais, il va devoir faire ses preuves...
Jarod. Ce prénom, la première fois que je l'ai entendu, j'ai su que je ne l'oublierai jamais. Je ne vais pas te parler de ma rencontre avec lui maintenant, il y en aurait pour des pages, autrement dit, des heures et des heures d'écriture, parce que vois-tu, Jarod est un livre à plusieurs tomes, à lui tout seul. Mais sache juste que lui, le caméléon, parce que c'est qu'il est un « caméléon humain » et moi, nous avons une « relation » bien particulière. Je t'en dirai plus sur le projet Caméléon, une autre fois, enfin du moins ce que j'en sais. Finalement, je travaille dans l'entreprise de mon père, et il me semble que je ne sais pas grand-chose. Est-ce que cela m'intéresse vraiment ? Il est encore trop tôt pour le dire ! Je disais donc que lui et moi, nous avions, je dirais une relation poursuivi-poursuivant. Il y a quelques mois, nous avons même défini les règles de notre petit jeu. Je t'en dirai plus, la prochaine fois. Notre petit jeu, un moteur qui me motive davantage que n'importe quoi pour le ramener au bercail. Tu me diras plus que l'amour et le sexe ? Alors je te répondrais sans hésiter, OUI ! Je ne sais pas comment te décrire cette sensation qu'on a quand on se retrouve à traquer une personne. Quand je saurai mettre des mots sur cette sensation, tu le sauras. Une minute, quelqu'un sonne à ma porte…
Me voilà de retour. Je viens de recevoir un cadeau d'anniversaire. Je ne sais pas encore de qui cela peut provenir, bien que je m'en doute un peu. Je sais par élimination que ce n'est pas mon père. Il n'a pas pour habitude de faire des cadeaux ni pour les anniversaires et encore moins pour Noël. Il n'en fait que très rarement. Mais quand il en fait, ce sont de très beaux cadeaux. On va dire qu'il sait y mettre le prix ! Ce n'est pas non plus Sydney, il n'a quasiment jamais offert de cadeaux à son petit protégé. Pourquoi m'en ferait-il un à moi ? Broots. Je ne crois pas lui avoir dit, un jour, ma date de naissance. Peut-être l'a-t-il découvert. C'est un informaticien très doué, ne l'oublions pas. Il nous reste, Jarod. C'est bien son style d'envoyer des cadeaux surprises. L'année dernière, j'en avais reçu un de sa part, c'était quelque chose que je n'avais pas pour habitude de recevoir et je peux le dire à toi, ça m'a bouleversée. Ce jour-là, j'ai fait la connaissance d'une personne remarquable. Ben. Un ami de ma mère. D'après ce que j'ai compris, il y avait un peu plus que de l'amitié entre eux. Ce qui m'a bouleversé, ce n'était pas tant le cadeau lui-même. Non, c'était le fait de savoir que ma mère a eu une vie si triste. Tu comprends maintenant pourquoi j'hésite à l'ouvrir. Jarod ne vit que pour me tourmenter. Il devrait profiter de sa liberté ! Mais je suis piqué par la curiosité. Il n'est pas très volumineux, ça doit-être à la hauteur de ses moyens. On lui a gelé son compte en banque, il y a quelques mois. Je ne m'inquiète pas trop pour Jarod, il s'en remettra. Au pire, il sait qu'il peut toujours revenir au Centre…
Je viens de recevoir un appel téléphonique de Broots. Il a paraît-il retrouvé la trace du petit génie. C'est trop facile. Jarod est beaucoup trop malin pour se faire attraper. Non, c'est encore une ruse. Qu'est-ce qu'il nous attend, cette fois-ci ? Va-t-il nous coller au plancher ? Nous transmettre le virus Ebola ? Où bien alors nous enfermer dans un immeuble piégé ? Malheureusement, c'est l'un des risques du métier. Traquer le caméléon, c'est un travail qui demande une disponibilité 24h/24, 7j/7 et sans prime de risque !
Il faut vraiment que je parte. Je dois mettre fin à cet épisode et également mettre fin à la poursuite de Jarod. À ce sujet, il faudra que l'on en reparle un peu plus en détail, mais pas aujourd'hui. Très prochainement.
« À nous deux Jarod ! »
