Ecrir pour le thème "Un seul lit" pour le mème de Saint-Valentin


Grantaire se réveilla avec une gueule de bois modérée, qu'il aurait bien apaisée avec un petit verre de vin, ou même un café s'il apparaissait par miracle devant son nez.

Il était couché sur le côté. Sous son flanc, un matelas plutôt confortable et sans mauvaises odeurs. En face de lui, un brave mur, qui, quand il s'était retourné dans son sommeil et avait roulé au-delà du bord du lit, l'avait protégé d'une misérable prise de contact avec le tapis. Grantaire avait connu de bien pires réveils.

Derrière lui, une impression de chaleur humaine, et Grantaire réalisa qu'il allait vraiment devoir se rappeler ce qui s'était passé la veille, parce que si l'univers avait choisi de réaliser les histoires où toutes les filles rêvaient de partager son lit, il voulait être au courant.

Grantaire se retourna sur le dos, certain cette fois d'avoir touché une vraie hanche de vraie personne, puis il se retourna de l'autre côté.

Ce n'était pas sa chambre. C'était une chambre qu'il reconnaissait, dans laquelle il était venu la veille avec le reste des Amis de l'ABC, et son cerveau mal réveillé aurait probablement réussi à déduire habilement qui partageait son lit, s'il n'avait pas eu une anti-sèche en accéléré alors qu'un rayon de lune frappait l'oreiller.

Les cheveux d'Enjolras étaient souples comme des rayons de soleil qui feraient un détour pour caresser le lit, et Grantaire se rappela à nouveau qu'il avait très soif. Il avait l'impression que son corps se réchauffait, se remplissait de quelque chose qui ressemblait à de la joie, de la vraie, dorée et pas rouge comme du vin. Il n'en avait plus l'habitude, et très vite, elle se ternit de honte et même un peu d'angoisse.

Soudainement, Grantaire, très bien réveillé, décida qu'il était largement temps de sortir de ce lit. Oui, c'était une idée de génie. Il examina la situation. Si cela avait été n'importe qui d'autre qu'Enjolras dans ce lit, il aurait été totalement capable de faire une cabriole impressionnante et de retomber sur le tapis sans toucher son voisin. Peut-être même sur ses pieds, même s'il ne fallait pas trop en demander de bon matin. Mais là, il était certain qu'il allait se faire happer par un drap à moitié divin, à moitié démoniaque, et lui retomber dessus.

Il se rappela la structure de la pièce ; le pied du lit collé contre le mur, dans une petite chambre d'étudiant. Il n'était pas capable de ramper directement sur le mur, malgré la tenace ressemblance qu'il se percevait avec un cafard en ce moment même. Il ne lui restait donc plus qu'une solution : ramper en avant pour sortir du lit.

Il examina une dernière fois, avec regret, la forme d'Enjolras sur le lit, couché sur le ventre ; l'angle de sa machoire, la courbe de son cou, laissant presque voir son épaule à travers sa chemise. Il fut tenté de remonter le tissu, il fut tenté de le baisser plus, mais bien sûr, ce n'était que des rêves sans consistance, comme de toucher ces cheveux comme un nuage d'or blanc.

Il se mit à ramper sur ses coudes, essayant de ne pas faire de bruit, de ne pas frotter ses hanches contre le corps endormi d'Enjolras - et aussi, de frissonner à chaque fois qu'il échouait, quel besoin Enjolras avait-il d'un un lit à une seule place ? Combien de maîtresses avait-il prévu de ne pas y recevoir ?

Finalement, Grantaire arrive à un point où ses mains pouvaient toucher le sol, s'y positionna fermement, tirant sur ses mains pour avancer plus vite vers l'avant.

Ce n'était pas le sol. C'était un livre. Qui manifestement était la base pour une pile de livres. Un déluge de papier qui aurait fait pâlir Noé s'écoula sur le sol, en un tonnerre assourdissant, et même un peu sur le lit lui-même, à la suite d'un processus complexe impliquant certainement plus d'une pile de livres.

Enjolras releva la tête de son oreiller. Grantaire avait toujours les mains à terre, le ventre sur le lit, et ses fesses juste au niveau des yeux d'Enjolras. Il souhaita très fort être ailleurs, mais bien sûr, cela échoua.

"Ils font ça des fois," grogna Enjolras, pas encore très bien réveillé. "Ignore-les. Dors."

"Tu sais que je suis dans ton lit ?"

"Cela ne m'a pas échappé."

"Pourquoi ?"

La voix d'Enjolras commença à se teinter de lassitude, comme souvent quand il lui parlait. "Tu as bu, tu t'es endormi ici, que voulais-tu ? Qu'on te porte jusque chez toi ? Que je te laisse dormir par terre ?"

Cela aurait été une option, mais Grantaire réussit à retenir cette réponse-là.

Clairement, Enjolras ne voyait aucun problème à la situation, ne se posait aucun commencement de questions inquiètes, et cela aurait dû être une très bonne nouvelle, mais Grantaire avait une tendance fâcheuse à rejeter les bonnes nouvelles avec méfiance, quand on pouvait juste imaginer le pire et ne jamais être déçu.

"Non, bien sûr, j'oubliais les grands principes d'égalité et de fraternité de cette maison, partageons le lit à part égales, je suis certain que tu t'es placé de façon à m'en laisser exactement la moitié. Quel engagement admirable."

Grantaire, paniqué, réalisa que ses propres déclamations moqueuses lui faisaient mal à la tête, et aussi que s'il n'avait pas été assez ridicule jusqu'à maintenant, il était temps d'enfoncer les derniers clous à son cercueil.

Enjolras grogna quelque chose d'incompréhensible, probablement une nouvelle injonction à dormir, et se rabattit son oreiller sur la tête.

Grantaire, vaincu, rampa en arrière, jusqu'à se retrouver à nouveau couché sur le matelas, sur le côté, fixant le mur avec une passion nouvellement trouvée, et tenta sans grand succès de ne rien ressentir du tout.