- Fais attention à ne pas glisser ! S'écria Shunrei, voyant son amant sauter de rochers en rochers, avec toute l'agilité d'un Chevalier.
Shiryu se retourna ; et admira le merveilleux paysage que lui offrait ce point de vue. Cette jolie petite rivière d'eau claire et pure, qui s'écoulait le long du flanc de la montagne, trouvant sa source au plus haut de celle-ci. Leur lieu à eux, au milieu de toute cette nature qu'offrent les Cinq Pics.
Il sauta enfin sur un rocher proche de l'eau et, observa calmement les poissons qui ondulaient dans le sens inverse du courant. Il s'accroupit, et apaisa sa respiration. Pas question de se rater ! Et lorsqu'enfin, il sentit que c'était le bon moment, il attrapa avec force l'un de ces animaux et le retira de son milieu naturel, pour le mettre dans un de ces sacs en toile que sa belle avait tissé. Ils avaient leur déjeuner !
- Tu vois, ne t'en fais pas, j'y arrive ! Lui répondit-il, en lui montrant sa prise, avec un sourire.
- Ce n'est pas le cas tous les jours, lui fit remarquer la jeune femme, souriant également.
Ils se regardèrent tous les deux quelques secondes, pensant à ce même moment, dans ce même lieu, il y a quelques années. À l'époque même où ils ne se connaissaient pas encore très bien, où Shiryu venait à peine de commencer son entraînement.
Leur Vieux Maître leur avait alors demandé, comme à son habitude, d'aller chercher de quoi dîner. Et ils étaient partis, tous les deux, à la recherche de nourriture. C'est ainsi qu'ils tombèrent sur ce petit bout de paradis ; la pelouse verte qui brillait au soleil, les arbres abritant certainement quelques espèces d'oiseaux, et enfin, cette jolie rivière aux rebords caillouteux dans lequel se trouvait leur objectif.
Sans aucune hésitation, le futur dragon s'était placé sur ces mêmes rochers, et essayait d'attraper leurs vivres. Après tout, il était l'homme, il n'allait pas laisser cette jeune fille risquer de se tremper ! Et, même s'il ne l'avouerait peut-être pas, encore aujourd'hui, il doit reconnaître qu'une part de lui avait voulu l'impressionner.
Hélas ; il n'avait pas encore derrière lui toutes les années d'entraînement, d'agilité et de souplesse, de force et de rapidité. Et c'est ainsi qu'il se retrouva, les mains vides, la tête en bas... Les pieds dans l'eau.
Il aurait pu en être gêné : il l'avait été, au début. Mais ce sentiment partit bien vite, dès lors qu'il entendit le rire cristallin de sa gentille amie. Dès lors qu'il vit son visage si joyeux, son si grand sourire et les larmes qui perlaient au coin de ses yeux. Ne serait-ce que pour revoir cette image, il serait prêt à tomber encore une fois.
Elle l'avait tout de même aidé, après cet instant féérique. L'avait aidé à se remettre sur pieds et à se sécher. Et face à cette enfant qui prenait soin de lui, il se dit une chose : finalement, se ridiculiser, ce n'était pas fort payer. Ne serait-ce que pour avoir le bonheur de la revoir s'occuper de lui.
Et, voyant que la pêche n'était pas leur fort, ils étaient rentrés tous les deux, leur discussion animée rythmant leurs pas légers, heureux d'apprendre à se connaître et de nouveaux souvenirs en tête. Les baies qu'ils ramassèrent sur le chemin suffisèrent bien.
Shiryu contempla sa désormais femme : ils avaient bien grandi, tous les deux. Mais il ne se lasserait jamais de ces yeux qui l'observaient comme s'il était l'être le plus important sur Terre. De ce rictus à la commissure de ses lèvres. D'elle, tout simplement. Que ce soit son visage ou sa joie de vivre, son physique ou sa façon d'être.
Ce qu'il pouvait l'aimer, sa belle et forte femme, qui aurait pu partir mais avait voulu l'attendre tout ce temps. Ce qu'il pouvait l'admirer, lorsqu'elle faisait mine de s'énerver, et de soumettre à son autorité les plus grands combattants de la Chevalerie. Ce qu'il pouvait l'adorer lorsqu'elle était elle-même, malgré le temps, malgré les guerres. Il l'aimait. Et ça, Shiryu pouvait le crier au monde entier : il aimait Shunrei.
Mais, perdu comme il l'était dans ses pensées, notre Dragon ne fit pas bien attention... Et suite à un placement de pied assez désastreux, il se retrouva le corps à terre, le dos dans l'eau... L'animal retourné à sa douce liberté dans ces courants d'eau fraîche.
Le Chevalier regarda sa dulcinée ; et son rire si pur se fit à nouveau entendre.
Bon. Ce n'était pas encore ce soir qu'ils allaient manger du poisson. Mais en voyant le grand sourire de Shunrei, Shiryu se dit qu'au final, cela n'était pas si catastrophique.
Tant qu'elle souriait.
Tant qu'elle rigolait.
Tant qu'elle l'aimait.
