Il avait toujours pensé que revenir en ces lieux le ferait souffrir. Lui ferait mal au cœur, lui rappellerait des souvenirs. Et pourtant, maintenant qu'il se retrouvait face à ces falaises arides de pierre coupantes, il n'arrivait pas à détourner le regard. Ces roches, il les connaissait depuis bien longtemps. Elles l'avaient vu grandir, bien plus que ses amis. Elles avaient toujours été là, dans ses moments de peur, dans ses moments de joie. Tout comme l'avait été son amie, sa compagne, son amante. Celle qu'il avait rencontré ici même, au pied de ce pant de montagne.

À l'époque, il venait à peine d'arriver ici ; éloigné de son frère, de ses amis, et sans aucun repère. Mis face à la violence de ce monde, sans aucun moyen d'y échapper. Et faisant de son mieux, pour ne pas l'utiliser contre les autres. Mais eux, ne s'en privaient pas. Et s'en donnaient à cœur joie, voyant à travers lui la victime parfaite.
Mais Shun ne leur en voulait pas ; ne leur en avait jamais voulu. Seuls, sur cette île perdue, à s'entraîner en tant que Chevalier... Il était normal de se battre. Cela permettait de s'améliorer. Combien même son adversaire restait au sol. Et puis, il se disait qu'au moins, il avait pu épargné à d'autres des souffrances. Et il préférait mille fois être le centre des moqueries que ces apprentis n'ayant eux non plus, rien demandé.
C'est ainsi, alors qu'à nouveau, il ne se défendait, qu'il la vit pour la première fois. Il n'avait pas compris au début pourquoi ses bourreaux s'étaient arrêtés. Et ce n'est qu'en relevant la tête qu'il aperçut cette jeune fille aux cheveux blonds, se dresser devant eux. À leur tenir tête, pour lui. Les dépassant de toute son assurance, et de toute la puissance qu'elle dégageait, malgré son jeune âge. Et même à travers ce masque fin qui cachait son visage, sa voix ne s'étouffait pas, restant assez forte pour qu'enfin, les autres prennent peur, et s'en aille sans discuter davantage.
C'est comme cela qu'il la connut : June, apprentie du Caméléon. Cette fille de son âge, qui l'avait aidé à se relever, à panser ses plaies. Cette fille qui l'avait bousculé, brusqué, qui lui avait crié dessus, ne comprenant pas son manque d'action, et son tempérament pacifique. Aucun Chevalier ne pouvait survivre sans se battre, disait-elle. C'était du suicide. Et pourtant, malgré leurs différents points de vue, malgré leur différente personnalité, ils finirent par s'entendre. Par grandir, et par créer une relation qui elle aussi finit par évoluer avec le temps. Mais qui ne pouvait fleurir, la probabilité d'une mort était trop élevée pour se risquer à une histoire.

Le temps avait fini par passer. Les Guerres, par se terminer. La paix par revenir. Mais leur amour, leur affection commune, elle, ne s'était jamais tue. Et aujourd'hui encore, sur cette île déserte où ils avaient passé leur enfance, Shun, enlaçant son amazone, se dit que leurs sentiments ne se tariraient jamais. Pas maintenant qu'ils étaient en Paix. Pas maintenant qu'ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient.

Pas maintenant qu'ils pouvaient s'aimer.