Disclaimer : Les personnages ne m'appartiennent pas.
Note : Cette fic se place dans mon univers "Inflorescere" mais peut se lire de manière indépendante car elle se place très longtemps avant les événements qui s'y déroulent.
Note bis : Ici, j'ai décidé de faire de Sobek le premier ouchebti (techniquement on ne sait pas qui a été le premier). Et la suite de la fic va se concentrer sur le dernier avatar connu d'Ammit (Alexandre le Grand) avant qu'elle ne soit libérée par Arthur Harrow. Donc au programme, des dieux, des combats, et encore des dieux.
Prologue - Coeur de pierre
1300 avant J.C
Un à un, les braseros s'allument, déversant leur lumière dans la salle la plus secrète et la plus majestueuse de la Grande Pyramide. Les flammes révèlent les statues immenses des dieux tout en projetant leurs ombres monstrueuses sur les murs de pierre et de sable qui les dominent. Pour la première fois depuis bien longtemps, ce sont les divinités elles-mêmes qui se présentent les unes à la suite des autres, sans passer par l'intermédiaire de leurs avatars mortels. De formes animales, humaines ou hybrides, les silhouettes apparaissent et se dévisagent, comme pour tenter de déceler dans le regard des autres un brin de culpabilité ou de rébellion. Le fait qu'ils soient ainsi réunis n'est pas anodin, la méfiance surpasse tout autre sentiment, prenant naissance dans les cœurs millénaires habitués aux traitrises.
Khonshu se matérialise dans la pénombre d'où il détaille de ses yeux creux les membres du panthéon. Il aperçoit Osiris, le haut juge et maître du Conseil de l'Ennéade, dont la posture révèle un certain agacement. À côté du roi de la Douât, son bras droit et fils légitime, Horus, qui ne dit mot mais qui sait tout, assez attentif pour repérer les alliances qui se lient et se délient entre les différentes divinités. Un pas en arrière, Isis est également présente, son expression arborant un voile de tristesse qui intrigue presque aussitôt le dieu de la lune. Il voit Sobek, au centre de la pièce, ses mains liées par des cordes que Khonshu sait être enduites d'une magie particulière, sans toutefois comprendre pourquoi le dieu crocodile est ainsi exposé. Dans les gradins, d'autres divinités s'assemblent, dans le silence le plus complet, chacun prenant la meilleure place d'où assister à cette assemblée.
Dans un faible éclat d'or, Anubis apparaît à côté de lui, inclinant doucement sa tête de chacal avant de lui murmurer qu'un drame se prépare. Khonshu ne le questionne pas, il l'observe à la dérobée, notant les doigts de son ami qui sont serrés avec force autour de son sceptre-ouas, ainsi que sa posture bien trop tendue pour une simple réunion. Le psychopompe, qui côtoie régulièrement Osiris, a sans doute appris bien des détails sur cette assemblée qui se tient-là et, en constatant à quel point son ami semble raide, Khonshu se demande quel événement a pu précipiter ce rassemblement. L'Ennéade ne réunit l'ensemble des dieux qu'en de très rares occasions, souvent pour évoquer un changement drastique au sein de l'humanité ou pour imposer de nouvelles lois mais, cette fois-ci, le dieu de la lune pressent une décision terrible, en témoigne l'enchaînement de Sobek et la crainte qu'il lit dans le regard du dieu à tête de crocodile.
Osiris patiente un long moment, le temps pour les divinités de se rassembler. Seth lui-même se présente, accompagné de sa femme Nephtys et de leur fils Oupouaout, un dieu à tête de loup que Khonshu méprise depuis des millénaires. La présence du fils de Seth n'est pas anodine, il en mettrait sa main à couper, et il s'interroge sur les événements qui ont pu se produire en-dehors de la Grande Pyramide. Ammit apparaît à son tour, son corps hybride prenant forme alors qu'un sourire carnassier orne son visage, effrayant quelques-uns des dieux qui, à l'instar des mortels, ont peur de son jugement. Enfin, les braseros s'éteignent pour ne laisser qu'une seule lumière, celui d'Osiris dont la flamme vacille avec une ardeur presque désarmante. Le dieu aux yeux hétérochromes parcourt l'assemblée de son regard inquisiteur puis reporte son attention sur Sobek qui ne bouge pas.
« Mes lois étaient claires, commence Osiris en avançant d'un pas vers le dieu enchaîné. Toute relation charnelle avec les mortels doit être punie. »
Khonshu penche légèrement sa tête squelettique, surpris par l'annonce du roi des dieux. Il est vrai qu'Osiris a imposé cette règle plusieurs siècles plus tôt, terrifié par la pensée d'un enfant qui naîtrait de l'union d'un dieu et d'une humaine, mais aucune divinité n'a tenté de briser ce serment. Sobek n'est pas le genre de dieu à désobéir aux ordres, il passe son temps à veiller sur le bien-être des hommes et sur la fertilité du Nil. S'il a violé la loi d'Osiris, ce n'est sans doute pas sans raison.
« N'ai-je pas été assez clément avec l'ensemble des dieux ? poursuit le roi de la Douât. Pendant des millénaires, j'ai laissé vos émotions et vos pouvoirs vous guider, je vous ai permis d'aller et venir entre notre monde et celui des humains. Vos avatars ne sont-ils pas suffisants ? »
Au fur et à mesure qu'il s'exprime, Osiris croît, sa silhouette prend de l'ampleur, son ombre s'allonge, son regard devient plus dur. Certains dieux, impressionnés par ce changement alors que l'espace de la Grande Pyramide semble peser sur leur tête, reculent de quelques pas. Pour sa part, Khonshu ne bouge pas, il observe cette démonstration de pouvoir sans la moindre émotion, conscient que le roi de l'Ennéade tente seulement d'intimider ses pairs. Le dieu de la lune pourrait en rire s'il ne percevait pas la tension d'Anubis, s'il ne voyait pas les mains tremblantes de Sobek, s'il ne distinguait pas autant de regrets dans les yeux d'Isis.
« Je l'aime, murmure enfin le dieu crocodile en relevant la tête pour braver le regard d'Osiris. »
Un vent de rires s'abat dans la salle, secouant de nombreux dieux. Khonshu ne comprend aucun d'entre eux, bien qu'il sache précisément pourquoi les moqueries s'élèvent. Aux yeux des divinités, les humains ne sont que des cafards – lui-aussi éprouve ce sentiment vis-à-vis des mortels – et s'il y a eu autrefois des bons moments passés entre les dieux et les humains, jamais encore il n'a été question de sentiments. Le dieu de la lune lui-même n'aurait jamais pensé que l'un des siens tomberait un jour amoureux de l'espèce humaine, assez pour braver les ordres de leur roi, mais en avisant l'expression plus que sérieuse de Sobek et la soudaine détermination dans ses yeux verts, Khonshu devine que tout est réel. Le dieu à tête de crocodile ne tente pas de se trouver une excuse, il a vraiment été touché en plein cœur.
À côté du dieu à tête d'oiseau squelettique, Anubis souffle que Sobek ne s'en sortira pas. Son ami croit déceler de la compassion dans ses yeux d'or, et il se surprend à ressentir la même émotion que le psychopompe. Pourquoi condamner un dieu si ses sentiments sont vrais ? Pourquoi réunir l'ensemble des divinités afin de juger un crime qui n'en est pas un ? Dans l'ombre qui recouvre leur assemblée, Khonshu remarque le regard avide d'Oupouaout, un signe qui prouve qu'il a eu raison de se méfier ; il ne fait aucun doute que le dieu à tête de loup a dénoncé Sobek à Osiris.
« Je l'aime, répète une nouvelle fois le dieu crocodile en affrontant l'ensemble des dieux. Depuis quand aimer l'humanité est devenu un crime ? Le peuple d'Égypte nous honore, ils bâtissent des temples à notre image, élèvent des statues à notre gloire. Que pourrions-nous leur apporter de mieux que l'amour ?
— Les humains sont faibles, riposte Horus. Derrière chaque construction, il n'y a que leur orgueil et leur volonté de se mesurer à notre divinité.
— Leurs croyances sont toujours présentes, proteste Sobek qui tente de faire un pas en avant. »
Mais les cordes qui entravent les poignets du dieu à tête de crocodile se mettent à briller et une vive douleur se peint dans ses yeux. Isis baisse les siens avec culpabilité, démontrant que ce sort tissé autour de la corde est de son fait – une demande de son mari, une incantation pour éviter une fugue, une entrave afin de garder l'accusé sous leur puissance.
« Je ne remets pas en cause leur foi, reprend le dieu faucon. Mais je sais que leur soumission n'est plus aussi forte qu'autrefois. Ce n'est pas sans raison que nous passons par des avatars afin d'avoir le minimum de contacts avec cette humanité. Par le passé, nous pouvions leur apparaître dans toute notre splendeur.
— Et nous le faisons encore, intervient Anubis. »
Un silence vient s'installer dans la salle de la Grande Pyramide tandis que les regards convergent vers le coin où se tient le psychopompe. Le dieu chacal reste de marbre, il se contente d'avancer vers le centre de leur assemblée afin d'être visible de tous. Khonshu est aussitôt aux aguets, il n'ignore pas qu'Osiris est là pour une condamnation et il refuse de voir son ami subir les retombées de la colère du roi des dieux. Il lui faut toute sa volonté pour ne pas tendre le bras et saisir celui du dieu des morts afin de le ramener dans l'ombre, le cœur serré à l'idée de le perdre.
« Combien d'entre nous ont visité les songes des mortels ? s'enquiert Anubis avec un léger sourire sur ses babines. Combien d'entre nous ont répondu aux appels des festivités ? Tous les ans, Amon se présente aux fêtes en son honneur, il bénit encore l'humanité en compagnie de sa femme et de leur fils. Hathor aide certaines femmes enceintes, Sobek apporte la fertilité au Nil. Nous entendons tous les prières des humains, ils ne sont pas devenus des non-croyants.
— Puisque tu sembles si bien les connaître, mon frère, peut-être sais-tu combien d'entre eux nous vénèrent vraiment ? réplique Horus sur un ton acide. Leur nombre ne cesse de décroître.
— Il en serait autrement si nous intervenions bien plus, remarque Isis en prenant part à la conversation.
— IL SUFFIT ! tonne Osiris. »
Son ordre éteint les protestations des autres dieux, replongeant l'assemblée dans un calme teinté de tension. Le roi de la Douât paraît las, il soupire un instant avant de reporter son attention sur Sobek qui a observé la discussion avec respect. Osiris annonce qu'il ne remet pas en cause les interventions de ses pairs étant donné qu'ils ont tous un rôle à accomplir, lui-même accueille les défunts dans la Douât ou traverse avec eux la longue étendue d'eau qui les mène à leur ultime jugement.
« Que vous soyez là pour remplir vos tâches, je le conçois. Mais j'ai interdit tout lien charnel avec les mortels, et je ne peux laisser l'un des nôtres désobéir. »
Il claque des doigts et, dans la seconde, une ouverture se forme sur l'un des murs sableux, révélant une cachette sombre, de la hauteur d'un grand homme, sans pour autant atteindre la dimension des divinités. Un mortel terrifié est amené au centre de la salle par des gardes à tête de loup – sans doute des serviteurs qu'Oupouaout a proposé à Osiris afin de prouver sa bonne foi. L'humain dévisage chaque divinité avec une frayeur croissante, il tremble en remarquant que les inscriptions sur les temples rendent justice à l'aspect monstrueux des dieux de sa patrie. Khonshu méprise cette mise en scène, il y voit là l'empreinte d'Osiris, pour faire passer à ses pairs toute envie de se rebeller contre ses ordres. Quoi de mieux qu'un spectacle des plus horrifiques pour ramener l'obéissance ?
« Je suis navré de devoir mettre fin à une vie mais nous ne pouvons courir le risque de voir la vérité éclater au grand jour, poursuit Osiris. Deux ont commis une faute, deux seront punis. »
Affolé, le mortel se rapproche de Sobek, tend une main vers lui en un geste de réconfort mais, alors que le dieu crocodile veut intervenir à son tour, une intense lumière s'échappe de ses cordes et frappe l'humain qui s'écroule, inconscient. À côté de lui, Anubis murmure une parole destinée à guider son âme à travers la Douât. Khonshu a le sentiment qu'une chape de plomb s'abat sur ses épaules squelettiques, il voit le corps se flétrir, presque momifié, puis disparaître dans les grains de sable qui parsèment le sol de la salle de la Grande Pyramide. Sobek, tétanisé, tombe à genoux là où son amant s'est effondré, soufflant son nom encore et encore comme si le simple fait de l'appeler allait le ramener à lui.
Une vive colère semble alors traverser le dieu crocodile qui se relève d'un bond et se jette sur Osiris. Il n'a cependant pas le temps d'atteindre le roi des dieux, Horus s'interpose en bouclier, ses ailes de faucon surgissent dans son dos et produisent un vent qui repousse Sobek vers le centre de la salle. Pourtant, ce dernier ne faiblit pas, il montre ses crocs, bande ses muscles reptiliens, et claque sa mâchoire en direction du fils d'Osiris et d'Isis. Peu impressionné, Horus brandit son sceptre et frappe Sobek à l'abdomen avant de l'obliger à s'agenouiller, ses yeux illuminés par l'énergie qui leur est propre, la lune à gauche et le soleil à droite, deux astres qui jugent le dieu crocodile.
Plusieurs dieux s'agitent, quelques sceptres apparaissent dans des mains, des éclats colorés de magie brillent entre les doigts. Mais face au regard imperturbable d'Osiris, les divinités se forcent à retrouver le calme le plus total. Khonshu perçoit le malaise qui se répand dans la salle, les coups d'œil alarmés qui s'échangent, l'air horrifié de Taouret, l'expression fermée d'Anubis, le choc sur le visage d'Isis. Le dieu de la lune a l'impression que ce n'est que le début d'une catastrophe plus importante, il le sent dans sa vieille carcasse, comme si un vent glacé venait saisir ses os. Même Thot, perché sur son parchemin pour consigner les événements, a suspendu son calame avec un regard troublé.
« Sobek, pour avoir désobéi aux lois de l'Ennéade et essayé d'attenter à la vie de notre roi, tu es condamné à l'emprisonnement éternel, annonce Horus. Ce châtiment est irrévocable. »
Le dieu à tête de faucon tend sa main gauche vers sa mère et la droite vers son père. Ils psalmodient tous les trois des mots qui résonnent dans le cœur de Khonshu et qui lui donnent envie de tout détruire. Il sait que les autres dieux sont aussi surpris que lui mais cela n'apaise en rien sa fureur. Le croissant de lune qui orne son sceptre se met doucement à luire alors que le dieu protecteur des voyageurs se prépare à intervenir. Cependant, une main se pose sur son bras, lui intimant de ne pas bouger. Son regard creux croise celui doré d'Anubis, il lit dans les pupilles de son ami toute la tristesse qu'il ressent – une émotion forte qui fait écho à la sienne – et il chancèle légèrement. Le psychopompe lui souffle qu'ils ne peuvent pas agir, cela ne ferait qu'exacerber la colère d'Osiris et de son fils.
Avec un brin de regrets, Khonshu regarde la statuette en train de se former aux pieds d'Horus. L'ouchebti prend l'aspect de Sobek, avec sa tête de crocodile surmontée de cornes de bélier, de plumes d'autruche et d'un disque solaire, comme il est représenté par les inscriptions des mortels. Sobek ne prononce aucun mot, il verse des larmes en silence, et se laisse emporter lorsque l'incantation se termine. Sa silhouette s'estompe en fragments alors que l'ouchebti se fige enfin. Il y a de la crainte dans les yeux des autres divinités, une émotion qui n'est pas anodine chez eux et qui a déjà engendré de terribles ennuis par le passé. Horus, avec cet acte cruel, réanime les peurs les plus primitives chez les dieux.
« Voici le nouveau châtiment qui attend tous ceux qui voudront désobéir aux lois de l'Ennéade, déclare Osiris. Je le dis, Thot l'écrit et vous l'entendez. Puisse Sobek n'être qu'un ouchebti isolé et non le premier d'une longue lignée. »
La mise en garde est limpide pour chaque dieu. Derrière eux, les braseros se rallument, éclairant la salle de la Grande Pyramide avec une douce lumière, comme si un double drame ne venait pas de s'y dérouler. Certaines divinités ne se font pas prier et quittent les lieux en un clignement de paupière tandis que d'autres, respectueuses – ou hypocrites – renouvellent leur soumission aux règles d'Osiris. Khonshu ne s'embarrasse pas d'autant de faux semblants, il s'empresse de partir en un éclat argenté pour se rendre à Louxor où ne règne qu'un profond silence accueillant. Il demeure un long moment immobile, les poings serrés, une vague de colère au creux de son torse osseux. Quelque part en lui, il y a une peur insensée qui serpente, qui murmure dans son oreille qu'il finira ses jours dans le même état que Sobek, enfermé dans une pierre d'où il ne ressortira jamais, lui qui passe son temps à agir selon son bon vouloir – il repousse cette voix avec fermeté, il refuse de céder à une crainte ridicule.
Il n'est pas étonné de voir surgir une lueur dorée qui se meut avant de prendre l'apparence d'Anubis – peut-être qu'intérieurement, il attendait aussi de l'avoir à ses côtés, lui son rare ami fidèle dans ce panthéon des plus mensongers, le seul capable aussi d'apaiser la fureur qui le ronge. Ils ne parlent pas, ils se contentent d'arpenter le temple qui se dresse en majesté, chacun essayant de ne pas songer à ce qui s'est produit au sein de la Grande Pyramide. Le dieu de la lune reproche aux siens de se comporter en moutons dociles et d'obéir aveuglément aux ordres d'Osiris. Ils auraient dû, tous autant qu'ils sont, intervenir pour protéger Sobek d'un sort pire que la mort. Il ne fait aucun doute que le dieu crocodile, malgré son enfermement dans un ouchebti, peut encore entendre ce qui est dit autour de lui ; ce n'est que son corps physique qui a disparu, son âme demeure là dans sa prison de pierre.
« Tu le savais, murmure Khonshu en dardant son bec squelettique vers son ami.
— Horus m'a dit qu'il comptait faire condamner Sobek pour sa désobéissance mais j'ignorais quelle forme prendrait son emprisonnement. »
Anubis lui avoue connaître la relation qu'entretenait le dieu crocodile et le mortel depuis des mois. Il a gardé le secret pour éviter d'en arriver à ce jugement, conscient qu'Osiris n'accepterait aucune transgression. Khonshu maugrée que leur roi n'est qu'un lâche et qu'il ne craignait rien d'un simple humain ; si Osiris a fait inscrire une nouvelle loi pour éviter tout lien entre un dieu et un mortel, c'était avant tout pour ne pas voir naître un demi-dieu, ce qui était impossible dans le cas de Sobek et de son amant. Mais bien évidemment, puisque cela contrevenait tout de même à cette règle ridicule, il a fallu que quelqu'un paie le prix fort.
« Thot prétend que ce n'est qu'un début, déclare le dieu des morts après une courte hésitation.
— Il l'a vu dans le ciel ? riposte Khonshu avec une mauvaise foi évidente. »
Il est le dieu de la lune, le protecteur des voyageurs, et il lit la carte des astres assez régulièrement pour savoir que les étoiles ont bien souvent des messages exacts à délivrer. Anubis hoche négativement la tête avant de lui apprendre que le dieu de la connaissance l'a juste déduit. Leur panthéon est bien trop instable pour que le cas de Sobek reste unique, d'autres seront eux-aussi piégés.
« Tu dois faire attention, souffle le psychopompe en saisissant le poignet du dieu de la lune. Aujourd'hui, il y a eu cette assemblée pour montrer un exemple aux autres dieux mais Osiris et Horus n'ont pas besoin de tout ce spectacle pour décider qui sera le prochain ouchebti. Il leur suffit d'une seule désobéissance pour condamner quelqu'un et …
— Je serai prudent, marmonne Khonshu. »
Bien qu'il ne le montre pas, l'attention d'Anubis le touche, il perçoit l'inquiétude dans ses yeux. Autrefois, les dieux punis par l'Ennéade étaient bannis quelques siècles, sans avoir le droit d'établir un contact avec l'humanité ou leurs semblables, mais ce nouveau châtiment change la donne, y compris pour Khonshu. Ne plus avoir de liens avec les siens ne le dérange pas – si ce n'est l'absence de son meilleur ami – mais être enfermé pour l'éternité dans une statuette n'est pas un sort qui le tente. Il a besoin de sa liberté, de ses avatars, de ce ciel si sombre orné de la lune et des étoiles ; être prisonnier d'un ouchebti le contraindrait à une dimension close et froide, sans aucune lueur d'espoir à l'horizon.
« Osiris vient de semer les graines de la discorde, remarque Khonshu en pointant son crâne osseux vers le ciel étoilé. Combien des nôtres accepteront encore d'être dirigés par un roi qui craint les mortels ? »
Anubis ne lui répond pas mais le dieu de la lune connaît parfaitement ses pensées. En condamnant Sobek devant une grande partie de leur panthéon, Horus et Osiris ont attisé la colère des plus silencieux. Ils savent que cette nouvelle règle va pousser les leurs à se lier à plus d'avatars – la seule relation acceptable avec les mortels, si ce n'est une brève apparition pour raviver leur foi – et que le monde risque d'en être bouleversé. Pour la première fois depuis bien longtemps, Khonshu espère avoir tort.
