Le lundi suivant

En l'espace d'un week-end, Aïcha était devenu une célébrité à Sweet Amotis. Les conversations s'arrêtaient sur son passage, pour reprendre de plus bel des qu'elle avait le dos tourné. Elle n'entendait pas tout, bien sûr, mais certains mots semblaient revenir souvent. Pute, Salope. Comme un canon chanté par une chorale adolescente, qui résonnait dans les couloirs du lycée. Aïcha la pute qui couche pour dix euros. Elle ne comprenait pas ce qui avait pu se passer. Elle s'attendait à ce que son comportement à la soirée de Melody est des conséquences, mais elle l'idée que cela puisse prendre une telle ampleur ne lui avait même pas traversé l'esprit. Ce n'était pourtant pas le genre de ses amis de répandre des rumeurs à grande échelle. Kim n'accordait pas beaucoup d'importance à ce genre de chose, Rosa ne lui aurait jamais fait une chose pareille. Quand à Iris et Violette, elles étaient si réservées qu'elle avait vraiment du mal à les imaginer faisant le tour du lycée pour raconter au tout venant ce qui c'était passé lors de l'anniversaire de Melody. Melody… Non, ça n'avait pas sens. Alors ça ne pouvait être que…

- T'es pas intérêt à avoir refiler des maladies à mon frère.

Ambre se tenait devant elle, triomphante, Capucine à ces cotés. Cette petite garce au visage lunaire avait toujours admiré Ambre, et avec ce nouveau ragot croustillant, elle avait enfin gagné sa place au côté de son idole. De chaque parcelle de son être émanait une satisfaction perverse. Elle ronronna:

- Et qui sait quelle genre de maladies ils ont dans ton pays.

Aïcha eut l'impression d'avoir été frappé en plein dans l'estomac. Ce n'était pas la première fois qu'on lui adressait une remarque de ce genre. Elle avait l'habitude des « rentre dans ton pays ! » que lui lançaient les beaufs du PMU quand elle allait cherché des cigarettes pour son père. Elle s'était fait à la façon dont les gens fixaient le hijab de sa mère quand ils les croisaient dans la rue, et à cette manie que les personnes âgées avaient de ne pas laissé traîner leur sac quand elle était dans les parages. Mais c'était la première fois qu'une personne qu'elle connaissait lui lançait une remarque aussi ignorante. Le choc laissa place à une colère brûlante, Mâchoire et poings crispés, elle dû faire appel à toute sa volonté pour ne pas faire ravaler à Capucine son stupide sourire, en même temps que toutes ses dents. Ça n'aurait mener à rien, elle n'avait jamais été douée pour ce genre de chose. Quand on mesure moins d'un mètre cinquante cinq, on apprend vite à utiliser ses mots plutôt que ses poings.

- Avis à la population ! Lança-t-elle à la cantonade.

Un silence relatif se fit dans le couloir. Quelques élèves curieux se tournèrent vers elle.

- J'ai couché avec un garçon ! Pas que ce soit vos affaires, mais comme tout le monde me regarde depuis ce matin comme si j'avais plus de nez au milieu de la figure, on va remettre les choses au clair.

Comme une avocate devant un jury peu convaincu, elle s'éclaircit la voix avant de reprendre d'un ton passionné :

- D'une part, il me semble qu'on n'est plus dans les années cinquante, et que par conséquent il est socialement acceptable d'avoir des rapports sexuels en dehors des liens sacrés du mariage. D'autre part, j'entends surtout des remarques sur mon manque de vertu. Quid de mon partenaire?

L'apparition de Nathaniel au milieu de la cohue de spectateur qui s'était formée l'arrêta net dans son élan. Elle sentit son cœur tomber jusque dans ses chaussettes. Elle était incapable de déchiffrer l'expression sur le visage du grand blond, dans laquelle se mêlaient horreur et amusement.

- Bref, merci de m'avoir écouté. Bonne journée.

Les gens retournèrent vite à leurs occupations. Ambre et Capucine tournèrent les talons et la laissèrent plantée au milieu du couloir. Nathaniel fit quelques pas vers elle.

- Je crois que ce serrait bien qu'on parle un peu.

- Je crois aussi. On se retrouve après manger sur le toit ?

- Super. À tout à l'heure.

Quand il reparti sans demander son reste, Aïcha sentit une pointe de déception. Une part d'elle avait espéré qu'il l'embrasserait avant de partir, ou au moins lui ferait un signe que tout allait bien entre eux. La mort dans l'âme, elle se traîna jusqu'à la salle de classe.

Aïcha s'était installée en tailleur sur un petit muret au beau milieu du toit. Elle fixait la ligne d'horizon sans vraiment la regarder, rongeant nerveusement le reste de ses ongles. C'était un habitude qui lui venait de sa plus tendre enfance, et dont elle avait réussi à se débarrasser avec le temps. Jusqu'à maintenant.

Des pensées plus terrifiantes les unes que les autres se bousculaient dans sa tête. Et s'il était vraiment fâché pour la rumeur ? Ou pour la tirade aux accents de plaidoirie qu'elle avait subitement décidé de tenir pour défendre son honneur ? Et si, tout simplement, il avait juste couché avec elle parce que c'était l'occasion ? La porte s'ouvrit, comme au ralentit, et Nathaniel se glissa sur le toit avant de la refermer précautionneusement. L'image d'un Nathaniel défonça la porte du cabanon s'y superposa dans son esprit, et elle n'était pas certaine duquel elle était tombée amoureuse. Peut-être des deux à la fois, elle songea en levant sa main d'un geste timide. Il prit place à ses côtés.

- J'ai l'impression que tout le lycée est au courant de ce qui c'est passé dans la forêt.

- C'est de ma faute, en partie. Disons que ta sœur n'a pas aidé, » répondit Aïcha, un peu gênée.

- C'est bien son genre… Tu peux m'expliquer un peu ce qui c'est passé ?

Elle se lança alors dans un récit détaillé des événements de la soirée, des antécédents compliqués de se relation avec Melody, et de l'incident.

- Tu as dis quoi à Melody ?! » ses yeux s'écarquillèrent, horrifiés

- … Que tu ne m'avais pas rembarré quand on avait couché ensemble…

Il enfouit son visage dans ses mains. Aïcha reprit immédiatement.

- Je sais que j'aurai pas du, je suis tellement désolée, c'est juste qu'elle est insupportable des qu'il est question de toi et… Tu pleures ?

Nathaniel était secoué de spasmes, et produisait un étrange bruit étouffé. Elle passa son bras autour des épaules du jeune homme, et ne rencontrant pas de résistance, le pris dans ses bras.

- Je suis désolée…

Il partit alors dans un éclat de rire tonitruant. Surprise, Aïcha le lâcha, et l'observa rire à en perdre le souffle. Il essayait vaguement de former des phrases, mais elle aurait eu moins de difficultés à communiquer avec une otarie.

- Désolé, désolé, c'est juste… Très inattendu, » il renifla, et se sécha les yeux d'un geste de la main, « J'ai eu une journée difficile, ça fait du bien de se lâcher un peu. »

Et il était de nouveau là, devant elle. Pas le délégué sérieux que tout le monde connaissait, mais le garçon plein de passion, qui avait défoncé la porte d'un cabanon en pleine forêt pour la protéger du froid. Elle lui planta un baiser sur la joue, et il lui sourit. Alors elle prit son courage à deux mains.

- On est quoi Nath ?

Son sourire mourut sur ses lèvres, et il détourna le regard.

- Aïcha, t'es vraiment quelqu'un de super, et tu comptes beaucoup pour moi... » il commença

- Mais ?

- Mais mes parents sont super exigeants, j'ai pas exactement le droit de sortir avec une fille avant l'université. Je sais qu'ils font ça pour mon bien, mais j'ai un peu peur des conséquences.

Pensive, elle fixa un moment la pointe de ses chaussures avant de répondre.

- écoute, mes parents non plus seraient pas ravis, c'est le moins qu'on puisse dire. S'ils apprenaient ce qu'on a fait, j'aurai meilleur temps à quitter le pays. Mais on pourrait juste, pas leur dire ? On pourrait le dire à personne. Au moins pour un moment. Et puis si c'est sérieux, on vera à ce moment là.

- Je te préviens, j'ai pas beaucoup de temps libre. » dit Nathaniel.

- Moi non plus. On trouvera. De toute façon, j'ai pas envie d'être avec quelqu'un d'autre.

Il l'attrapa par la taille pour l'attirer à lui. Assise sur les genoux de son tout nouveau petit-ami, elle enroula ses jambes autour de sa taille. Ainsi enlacé, ils échangèrent un baiser passionné. N'y tenant plus, elle lui mordilla la lèvre inférieure, et avec un sourire carnassier qu'elle ne lui connaissait pas, il passa une main sous sa chemise. Une décharge électrique parcourut Aïcha, qui lâcha un soupir de satisfaction. Ils entendirent soudain un claquement.

Une silhouette familière venait de faire son apparition sur le toit. Une silhouette aux cheveux rouges, et à l'air hilare. Aïcha descendit de Nathaniel avec précipitation, et il prit une seconde pour réajuster ses vêtements. Castiel, nullement gêné par la situation, c'était rendu dans un autre coin du toit pour les ignorer superbement et s'allumer une cigarette.

- Je vais y aller, on se voit plus tard ?

En guise de réponse, elle lui planta un dernier baiser dans le cou, avant de le regarder partir. Un certain temps s'écoula avant qu'Aïcha ne se décide à aller vers Castiel.

- Tu me déçois beaucoup Forest. Je pensais que tu avais plus de goût que ça. » il l'accueillit d'un ton narquois.

- C'était juste pour te rendre jaloux. Ça a marché ? Elle répondit du tac-au-tac.

Avec un sourire admiratif, il lui tendit une cigarette, qu'elle accepta. Il lui fallut plusieurs tentatives pour enfin pouvoir tirer une première longue bouffée de fumée, qu'elle recracha aussitôt en toussant.

- Plus sérieusement, tu pourrais garder ça pour toi ? Demanda Aïcha

- Le fait que tes poumons aient la résistance d'une musaraigne cancéreuse, ou bien le fait que tu te

tape notre cher délégué principal ? » répondit-il avec un sourire entendu.

- Les deux, si possible.

- Les deux quoi ?

Elle soupira de soulagement.

- Merci.