Disclaimer : Les personnages ne m'appartiennent pas.

Note : J'ai joué un peu avec la chronologie pour placer Thor 4 un peu plus tôt qu'il ne l'est.


Ce que nous aurions pu être


Darcy avait débarqué chez elle à l'improviste, un sourire sans fin collé sur ses lèvres et une bouteille de vin dans les mains. Jane avait hésité entre refermer la porte et faire comme si elle n'avait rien vu ou inviter son amie à entrer alors qu'elle savait très bien que l'autre femme allait encore lui offrir un monologue sur sa sale habitude à rester chez elle en pyjama depuis qu'elle avait rompu avec Thor. La physicienne avait choisi la deuxième solution, et elle se retrouvait désormais avec une personne volubile installée sur son canapé, en train de parler à tort et à travers.

« Tu m'écoutes ? lança Darcy en haussant un sourcil. Dr Foster, la Terre vous appelle.

— Désolée, j'étais …

— Perdue dans les neuf royaumes, se moqua son amie. »

Jane piqua un fard avant de toussoter avec force, pour essayer de reprendre contenance. Bien sûr qu'elle se perdait en rêve dans les mondes d'Yggdrasil, elle avait vu de ses propres yeux la beauté d'Asgard, avait assisté à des combats qui la dépassaient et elle peinait encore à admettre qu'elle était revenue sur Terre. Devoir se contenter de travailler sur une science trop exacte sans pouvoir évoquer la magie devenait difficile pour elle, elle aurait aimé associer ses connaissances et sa nouvelle passion pour dresser de nouvelles hypothèses et prouver à tous que ces deux univers n'étaient pas incompatibles. Mais dans son domaine, évoquer une énergie aussi instable et inconnue que la magie n'était pas une possibilité.

« Tu sais Jane, tu n'es peut-être plus la future reine d'Asgard mais tu restes quand même une femme douée, lui rappela Darcy. Le Shield se sert de tes recherches !

— Oh, ne mets pas la charrue avant les bœufs ! Je n'allais pas être la reine, s'empourpra Jane. Thor avait décidé de laisser tomber le trône. »

Son excuse sonnait faux à ses propres oreilles et elle finit par balbutier des propos que Darcy balaya d'un geste de la main avant de planter son regard dans le sien.

« Tu n'as pas besoin d'un gars pour être efficace, affirma son amie. Au contraire d'ailleurs ! Thor a quand même été une source d'ennuis pour toi.

— Tu es jalouse, remarqua Jane sans pouvoir se retenir. »

Les mots avaient été plus rapides que sa pensée mais il était trop tard pour faire marche arrière. Les yeux de son amie, son ton vindicatif, son habitude à vouloir absolument la défendre contre le monde entier, ses accusations répétées contre le dieu du tonnerre faisaient enfin sens dans son esprit. Darcy n'était pas simplement une amie qui tenait à elle et qui s'érigeait en muraille, elle était dans le rôle du chevalier servant. Au lieu de répondre, son amie se racla la gorge à son tour et fit mine d'être obnubilée par la bouteille qu'elle avait ramenée, commençant un long discours sur la meilleure façon de choisir son vin.

« Darcy, souffla Jane en attirant sur elle l'attention de son amie. Depuis quand ?

— Tu veux vraiment une réponse, Foster ? »

L'utilisation du nom de famille montrait que Darcy était en train de fuir au lieu d'affronter la réalité qui leur sautait enfin au visage. Jane ne se laissa pas avoir par sa position défensive, elle tendit une main maladroite vers celle de son amie et saisit ses doigts entre les siens.

« T'es une fille bien Jane, et tu as un cerveau de génie. Tu crois que j'allais tenter ma chance alors que je suis juste l'assistante ?

— Tu aurais pu être bien plus si tu avais essayé, répliqua Jane. Je pensais … j'ai cru voir des signes certains jours mais comme tu me poussais vers Thor, je ne savais plus comment interpréter tout ça. »

Darcy se mit à rire, de ce son que Jane affectionnait tant depuis qu'elle la connaissait. Elles se regardèrent avec complicité puis le silence s'installa, doux et agréable, porteur de promesses qui n'étaient pas formulées. Lorsque le baiser se produisit entre elles, ce fut naturel, comme si elles avaient toujours été ensemble, et Jane se sentit submergée par une vague d'émotions. Elle n'était pas encore sûre d'elle mais elle avait le sentiment qu'elle devrait faire en sorte de ne jamais perdre ce lien qu'elle tissait avec Darcy. Ce ne serait sûrement pas comme avec Thor, il n'y aurait aucun coup de tonnerre, aucune magie divine, aucun récit extraordinaire sur les neuf mondes. Cependant, la normalité lui plaisait.

« Tu risques d'avoir une existence banale avec moi, se moqua Darcy en devinant sans peine le fil de ses pensées. Je ne suis pas digne de Mew-Mew.

— Je crois que je n'aurai aucun mal à me passer de l'orage, sourit Jane. Et pour être honnête, je ne vois pas vraiment comment ça aurait pu marcher entre un dieu et une humaine. »

Elle y avait réfléchi très longuement depuis qu'elle était tombée amoureuse de Thor. Il avait vécu des siècles et en connaîtrait d'autres encore alors que sa propre vie était vouée à disparaître bien plus tôt. Le dieu lui avait déjà parlé des pommes du jardin d'Idunn, des fruits qui offraient aux divinités d'Asgard cette immortalité que les humains convoitaient sans jamais l'effleurer. Mais les mortels n'étaient pas en droit de réclamer ne fut-ce qu'une bouchée du fruit sacré et Jane ne comptait pas violer les règles du royaume d'Odin. Elle culpabilisait assez d'être à l'origine de la mort de la reine Frigga, elle n'allait pas s'attirer une nouvelle fois les foudres du Père de Tout. C'était une décision qui lui paraissait raisonnée, d'autant plus qu'elle avait rompu avec Thor et qu'elle aurait été bien en peine de vivre une existence immortelle en étant seule sur Terre.

Dans les yeux de Darcy, Jane vit une lueur d'hésitation. Elle fronça les sourcils, repassant dans son esprit les paroles qu'elle venait de prononcer. Rien ne lui semblait particulièrement surprenant mais son amie s'empressa de lui faire comprendre ce qui la dérangeait. Avec un air déterminé, Darcy déclara qu'elle n'était pas un second choix et qu'elle ne serait pas là pour remplacer Thor. Si elles devaient former un couple, ce serait parce qu'elles avaient réellement des sentiments l'une pour l'autre et non parce que Jane se remettait mal de sa rupture et tentait d'oublier le dieu du tonnerre dans les bras de la première personne présente pour lui remonter le moral.

« Je ne te dis pas ça pour que tu te sentes mal, temporisa Darcy, mais je ne suis pas une remplaçante.

— Tu ne l'es pas, affirma Jane. J'ai tourné la page. »

Et elle était prête à écrire un nouveau livre en compagnie de son amie.

*.*

Dès que les vaisseaux avaient été repérés autour de la Terre, Darcy avait senti une vague de panique la submerger. Elle n'avait pas été présente sur les lieux, à New York, lors de l'attaque des Chitauris mais elle n'oubliait pas les dommages causés par les extraterrestres et elle avait la nette impression qu'un scénario similaire se profilait. La disparition de Stark avait paru accélérer les événements et Darcy avait alors fixé son regard sur les informations télévisées, comme si des réponses allaient tomber du ciel. Il n'avait pas fallu longtemps pour que sa crainte fût confirmée de la pire des façons. Tout autour d'elle, comme des châteaux de cartes balayés par le vent, plusieurs de ses collègues s'étaient dissipés, tombant en poussière avant de complètement disparaître. Bien évidemment, Darcy avait eu la réaction la plus normale possible dans ce genre de situation : elle avait hurlé, bondi comme une furie à l'extérieur du bureau et s'était précipitée dans la rue avec la peur au ventre, descendant les étages sans se soucier des marches qui défilaient sous elle.

Cependant, elle devait désormais reconnaître qu'elle était une sorte de survivante. Elle était encore là, debout, intacte, comme si rien ne pouvait l'atteindre. Dehors, des gens étaient en train de crier, de pleurer, de prononcer le nom de leurs parents, amis ou voisins dans l'espoir d'une réponse qui ne viendrait pas. Des voitures klaxonnaient, plusieurs étaient embouties, de la fumée s'échappait même d'un magasin, à quelques pas de là. Darcy était encore sous le choc, elle ne comprenait rien à ce qui se passait, tout en songeant avec ironie au fait que les Avengers étaient sans doute dans le coup – ils l'étaient à chaque étrange manifestation, elle n'avait qu'eux à accuser. Malgré les températures clémentes, elle frissonna, consciente d'avoir laissé son manteau sur sa chaise, à l'intérieur, là où certains de ses collègues avaient été emportés. Elle s'y reprit à trois fois avant de se décider à retourner voir l'ampleur de la catastrophe.

Dans la plupart des bureaux et des laboratoires, des papiers étaient abandonnés au sol, ainsi que du matériel que certains devaient sûrement garder dans leurs mains au moment où les faits s'étaient produits. Darcy ne parvint pas à trouver une personne avec qui discuter, la panique gagnait tout le monde, ses collègues récupéraient fébrilement quelques affaires avant de rentrer chez eux en catastrophe. Encore hébétée par ce qu'elle avait vu, elle mit du temps à se secouer pour enfin récupérer son téléphone portable. Elle poussa un juron en remarquant que le réseau était trop faible, sentant grandir dans le creux de son estomac une anxiété désagréable. Il fallait absolument qu'elle trouvât un moyen de contacter Jane, sans quoi elle allait faire une grosse crise de panique en plein milieu de son bureau.

Comprenant qu'attendre ne résoudrait pas ses problèmes et qu'elle serait la seule à piétiner là alors que tout le monde désertait le navire, elle attrapa son manteau et son sac avant de partir. Les lignes de bus étaient inutilisables, les véhicules n'avançaient plus et elle entendait des coups de klaxons à chaque route qu'elle croisait sur son chemin. Heureusement pour elle qu'elle n'habitait pas si loin de l'appartement qu'elle partageait avec Jane car elle aurait été bien en mal de traverser les grandes voies pour retourner chez elles. Quand elle arriva devant la porte, les mains tremblantes et incapable de glisser les clefs dans la serrure, le battant s'ouvrit à la volée, révélant le visage de sa petite-amie ainsi que les larmes qui coulaient sur ses joues.

Dans un mouvement spontané, elles se jetèrent l'une sur l'autre pour une étreinte désespérée. Darcy ne se rappelait pas avoir été aussi contente de voir Jane, elle avait l'impression qu'un poids s'ôtait de ses épaules. Cela n'expliquait pas la situation dans laquelle le monde se trouvait mais elle était au moins certaine que le destin – ou peu importait l'entité qui régissait l'univers – n'avait pas décidé de la priver de la personne qui comptait le plus pour elle. Elles pleurèrent un long moment, dans les bras l'une de l'autre, enlacées comme si la Terre pouvait s'arrêter de tourner d'un instant à l'autre.

« Tout … tout va bien, balbutia Darcy. »

Ses mots lui paraissaient dénués de sens alors qu'elle avait assisté à la disparition de plusieurs de ses collègues mais elle n'était pas vraiment en état de réfléchir. Jane desserra leur étreinte, planta son regard dans le sien et sembla lutter contre de nouvelles larmes.

« Je n'arrivais pas à t'appeler, lui annonça sa petite-amie avec des trémolos.

— Je crois que les lignes sont coupées, répondit Darcy. Ou surchargées, c'est la panique en ville. »

Et dans sa tête aussi mais elle préférait ne rien dire, secouée par la vision de la poussière qui avait envahi les bureaux avant de s'effacer. Elle attira Jane à elle pour un baiser, s'imprégnant de la sensation d'être en vie et en compagnie de celle qu'elle aimait. Elles savaient qu'il serait inutile d'essayer de joindre Selvig ou quelqu'un d'autre pour avoir des nouvelles et elles passèrent la nuit sur le canapé, lumières allumées dans la crainte de voir surgir un extraterrestre.

Elles n'apprirent la vérité qu'au bout de plusieurs semaines. Thanos, celui-là même qui avait lancé l'attaque sur New York, avait éliminé la moitié de l'univers d'un claquement de doigts en utilisant les pierres de l'infini. Bien évidemment, Jane et Darcy se rappelaient l'Aether et son incroyable puissance alors elles n'eurent aucun mal à imaginer six gemmes en train de détruire des vies humaines et extraterrestres. Cette information en avait ébranlé plus d'un, plusieurs personnes accusaient les Avengers de ne pas avoir été à la hauteur – Vision possédait l'une des pierres, c'était plus ou moins la faute de l'équipe de super-héros – et d'autres remettaient en question les réactions des gouvernements. Il leur fallait un coupable, à tous, mais personne n'était assez fou pour tenter de partir à la recherche du Titan fou.

Les deux femmes s'estimaient heureuses de ne pas appartenir à la longue liste des disparus. Darcy avait parfois le sentiment d'être égoïste mais, dès qu'elle regardait Jane, elle en oubliait ses remords et s'attachait alors à ce qu'elle possédait. Elle savait que d'autres traversaient des deuils pendant qu'elle profitait de la présence de sa petite-amie mais elle n'allait pas sombrer dans le désespoir simplement parce que son voisin avait perdu sa femme. Bien sûr, les Avengers aussi devaient se remettre de leur échec, Jane avait eu des nouvelles par le biais de Romanoff qui lui avait appris que Stark était parti en compagnie de Potts, que Barton avait disparu dans la nature après avoir perdu toute sa famille – femme et enfants –, que Banner s'était isolé parce qu'il peinait à admettre qu'il n'avait plus de contrôle sur le Hulk, que Rogers aidait à son niveau les personnes endeuillées et que Thor s'était barricadé à la Nouvelle Asgard.

Jane avait longtemps hésité à rejoindre son ancien amant et les derniers rescapés d'Asgard. Elles avaient appris que le dieu du tonnerre se reprochait la mort d'une partie de son peuple, celle de son frère Loki et celle de tous ces gens qui avaient été choisis par le hasard des pierres de l'infini. D'après ce qu'elles savaient, Thor avait failli éliminer Thanos mais le Titan avait eu le dessus avant de claquer des doigts. Darcy comprenait sa culpabilité, cependant elle n'était pas certaine que ce fût une bonne idée de laisser Jane aller le voir alors qu'il broyait du noir. D'un commun accord, elles décidèrent de lui rendre visite une fois qu'il irait mieux.

Elles étaient loin de se douter que ce « mieux » qu'elles attendaient avec impatience ne viendrait pas si vite, et que dès que leur monde serait enfin complet, le dieu quitterait leur planète.

*.*

Darcy faillit lâcher son stylo lorsque, devant elle, un ancien collègue apparut, comme venu du néant. Si elle n'eut aucune réaction excessive, ce ne fut pas le cas de plusieurs autres personnes qui se mirent à crier dans les différentes pièces. Son esprit ne mit pas longtemps à faire le lien entre ces retours inespérés et ceux qui avaient disparu cinq ans auparavant. Elle se jeta sur son téléphone portable, composa le numéro de Jane et exulta en constatant que sa petite-amie n'était pas encore au courant.

« Ils sont là ! s'enthousiasma Darcy. Je ne sais pas d'où ils sortent mais les revoilà !

— Valkyrie m'a dit que Thor était reparti, je crois … je crois que les Avengers ont inversé le processus. »

Tout en essayant de ne pas prêter attention à la pointe de jalousie qui l'avait transpercée en entendant le nom de Valkyrie, Darcy dut reconnaître que le plan des super-héros, quel qu'il fût, avait été un franc succès. Tous ses collègues effacés par le claquement de doigts de Thanos étaient là, un peu perdus, sans savoir qu'ils venaient de franchir un espace-temps de cinq ans.

« Mes capteurs se sont affolés, l'informa Jane. J'étais en train de faire des relevés ailleurs et j'ai vu les données changer brusquement. Comme … »

Comme quand le snap avait eu lieu. Darcy ignorait de quelle manière les Avengers avaient pu corriger l'œuvre du Titan mais elle n'allait sûrement pas s'en plaindre. Elle était sur le point de le faire remarquer à sa petite-amie lorsque cette dernière lui apprit que le phénomène se produisait à nouveau au même instant. Darcy était fascinée de constater à quel point l'univers était étrange : quelque part, sans doute au quartier général des Avengers, des héros avaient utilisé une magie – ou autre chose – pour ramener les disparus et eux, ici, dans ces bureaux des plus simples, ils ne voyaient rien, ne ressentaient aucune différence, et ne pouvaient que rassurer au mieux les gens qui venaient de réapparaître. À croire qu'il n'y avait que dans les films qu'une catastrophe à un point donné faisait miroiter la planète entière.

Darcy prit le chemin de l'appartement lorsqu'elle reçut l'ordre, comme la totalité de ses collègues, de rentrer chez elle. Chacun y allait de son commentaire mais personne ne savait réellement ce qui s'était passé. Elle retrouva les lieux vides, sans grande surprise, et laissa un message vocal à Jane pour l'informer de son retour. Une pointe d'anxiété était encore là, au creux de son ventre, la dévorant à petit feu alors qu'elle se reprochait de faire grand cas d'un détail inutile. Bien sûr que sa petite-amie était en contact avec Valkyrie, Jane n'était pas le genre de femme à tirer un trait définitif sur une relation amoureuse en abandonnant son ex derrière elle. Depuis le claquement de doigts et la disparition de la moitié de l'univers, Jane avait pris des nouvelles de Thor auprès de Valkyrie, consciente de la fragilité du dieu du tonnerre qui se morfondait chaque jour un peu plus.

Ces cinq dernières années, Darcy n'avait jamais eu à douter de la fidélité de sa petite-amie. Elles s'aimaient, parlaient de tout ensemble et ne se cachaient rien – enfin elles avaient chacune leur petit jardin secret mais ce n'était pas une raison de dispute. Pourtant, certains jours, Darcy doutait, non pas de Jane mais d'elle-même. Elle avait l'impression que cette chance allait finir par disparaître, comme si elle n'était pas destinée à passer sa vie aux côtés de la personne qu'elle aimait le plus au monde. Évidemment, ce manque de confiance en elle revenait en force pour la fragiliser dès que ses pensées s'égaraient un peu et elle détestait ce sentiment qui la grignotait.

« Darcy à la Terre. »

Surprise d'entendre la voix de Jane derrière elle, Darcy se retourna. Elle n'avait pas perçu l'ouverture de la porte et elle se sentait comme une enfant prise sur le fait en train d'accumuler des bêtises.

« Tu n'es pas au boulot ? demanda-t-elle sur un ton léger.

— Non, j'ai … j'ai préféré revenir. Tous ces gens qui apparaissent, à qui il faut dire ce qu'il s'est passé, ça fait beaucoup. Je ne sais pas comment annoncer à certains collègues que leur famille a avancé sans eux. »

Darcy acquiesça sans un mot, comprenant parfaitement ce que sa petite-amie voulait dire. Pendant les cinq dernières années, plusieurs personnes s'étaient attachées à l'idée qu'elles finiraient par revoir les disparus, que la science ou la magie trouveraient une solution, que le monde entier reprendrait sa course comme si rien ne s'était produit. Mais d'autres, plus terre à terre, avaient abandonné tout espoir et avaient doucement – mais sûrement – posé les pierres de nouveaux édifices en rencontrant d'autres gens. Ce revirement de situation n'allait sans doute pas faire que des heureux.

« Je t'aime, souffla Darcy en venant serrer Jane dans ses bras. »

Elles s'embrassèrent, longuement, passionnément, conscientes l'une et l'autre d'avoir survécu à un événement des plus terribles. Ce soir-là, Darcy décida de passer à la vitesse supérieure et de faire en sorte de trouver un appartement plus grand ou une maison dans leurs moyens. Elles avaient eu une chance inouïe en n'étant pas touchées par le claquement de doigts de Thanos et elle craignait de recevoir un retour de bâton bien trop violent.

« Je crois que ça me manque un peu, l'époque où le Shield débarquait pour voler nos travaux. »

Darcy avait lâché son commentaire sans arrière-pensée, ses doigts errant le long du bras nu de Jane. Elle ne parlait évidemment pas d'un Thor dépossédé de ses pouvoirs qui avait fait irruption dans leurs vies de manière assez brusque mais plutôt de l'adrénaline qui s'était emparée d'elles à plusieurs reprises. Elles avaient vu surgir un monstre de métal au Nouveau-Mexique, puis il y avait aussi eu l'Aether – Darcy en faisait encore des cauchemars, paniquée qu'elle était lorsqu'elle avait cru que Jane ne reviendrait pas parce qu'elle avait disparu du plan terrestre – et l'attaque des elfes noirs à Londres. Tant d'événements irréalistes qui les avaient maintenues dans un état d'éveil permanent avec la peur au ventre. Pourtant, ce n'était rien en comparaison de ce que le snap représentait désormais.

« Coulson avait confisqué tous mes appareils, bougonna Jane avant de se rendre compte de ce qu'elle venait de dire. »

Phil Coulson, l'un des premiers agents du Shield qu'elles avaient rencontré. Il était mort pendant la bataille de New York, en héros, comme tant d'autres. Darcy s'empressa de faire oublier tout cela à sa compagne, effaçant les échos du passé par des bribes d'avenir. Elle en avait assez de tous ces deuils, de toutes ces catastrophes qui s'abattaient sur leur planète comme si la Terre était le seul point dans l'univers. Elle voulait vivre sans craindre le lendemain, aimer avec une bienheureuse passion et, pour cela, il lui fallait éteindre les braises du désespoir.

Les jours qui suivirent, elles apprirent, comme le monde entier, la mort de Natasha Romanoff et de Tony Stark, tous les deux pour sauver leur univers. Dans le même temps, Steve Rogers légua son bouclier à Sam Wilson, le Faucon, et Thor décida de partir à l'aventure loin de leur planète. C'était une nouvelle page qui s'écrivait, l'une de celles qui n'auraient plus jamais les premiers Avengers au creux des lignes.

*.*

Un crayon à la bouche, Darcy était en train de regarder une vidéo, bien que son attention diminuât de plus en plus. Elle retint un soupir de lassitude, nota rapidement quelques informations sur sa feuille puis jeta un coup d'œil à sa montre. Elle n'avait pas avancé dans son travail, l'esprit focalisé sur ce qu'elle s'apprêtait à faire, le cœur battant à tout rompre. Dans la poche de son manteau, une bague patientait dans un écrin, comme une nouvelle promesse qui pesait dans sa conscience. Darcy était une fille logique avec un brin de fantaisie et d'humour mais elle était effrayée à l'idée de faire sa demande à Jane. Leur relation était sérieuse, ce n'était pas juste une expérience qu'elles avaient voulu essayer, et elle considérait que le moment était bien choisi pour tourner une autre page. Après tout, elles avaient emménagé dans une nouvelle maison, avec un jardin immense, et Darcy avait même réussi à faire céder Jane pour avoir un chien.

Elle reprit contact avec la réalité en réalisant que les images montraient un groupe de héros en train de figer une créature géante. Elle n'était pas tout à fait au point avec l'émergence de nouveaux justiciers depuis le retour des snapés et elle se demanda si elle regardait un montage ou bien une situation réelle. Peu pressée d'obtenir une réponse, elle se déconnecta de son ordinateur, jeta un œil à la pendule et décida d'elle-même qu'elle avait assez travaillé pour la journée. Darcy salua à peine ses collègues avant de quitter les lieux, la gorge toujours nouée par son appréhension. Et si Jane refusait, que ferait-elle ?

Elle tenta d'oublier sa crainte et récupéra sa voiture avant de rentrer chez elles. Si les bâtiments avaient repris du poil de la bête après le snap, certains endroits étaient encore dans un état désastreux, comme si les gens qui y vivaient autrefois n'avaient pas eu à cœur d'y retourner. Darcy savait à quel point la situation était encore tendue à travers le monde, des familles étaient déchirées entre le passé et le présent, de nombreuses personnes suivaient des thérapies parce qu'elles avaient l'impression de ne pas appartenir à ce temps. Revenir après cinq ans sans même se rendre compte que les années avaient filé n'était simple pour personne, aussi bien pour les snapés que pour ceux qui avaient survécu au claquement de doigts de Thanos.

Ce n'était pas pour rien si Darcy et Jane avaient choisi une maison un peu à l'écart de la ville. Certes, c'était plus loin de leur travail que l'appartement qu'elles avaient eu jusque-là mais elles aimaient ce changement qui symbolisait tant pour elles. Darcy ne voulait pas tellement chambouler leurs habitudes, elle avait juste envie de lier plus officiellement leurs vies.

« Je suis rentrée ! lâcha-t-elle en franchissant la porte. »

Elle fut accueillie par la silhouette vive de Loptr, leur berger allemand, qui ne se lassait pas de leur montrer tout l'amour qu'il avait pour elles. Darcy prit le temps de lui faire des câlins en souriant, vaincue par la joie qu'il communiquait bien malgré lui. Elle s'empressa ensuite de chercher Jane et perdit son enthousiasme dès qu'elle aperçut les traces de larmes sur ses joues ainsi que ses yeux rouges.

« Jane ? Tu … tu vas bien ?

— Je suis malade, Darcy, souffla sa petite-amie en retenant difficilement quelques sanglots. »

Une pierre sembla tomber dans l'estomac de Darcy. Cela faisait déjà plusieurs mois que Jane ne se sentait pas bien, elle avait consulté un médecin qui lui avait conseillé du repos mais sa fatigue ne cessait de croître et il lui arrivait parfois de s'endormir en plein travail. Darcy s'était inquiétée, bien plus que la principale concernée, mais à chaque fois, Jane lui répétait qu'elle prendrait des vacances et qu'ensuite, elle reviendrait plus pimpante.

« J'ai un cancer, reprit l'astrophysicienne en baissant les yeux. Il est … il est au stade quatre, c'est le dernier. »

Un pas, un seul, et Darcy serra sa compagne contre elle, comme si elle pouvait l'avaler tout entière par ce simple geste. Jane avait perdu sa mère à cause de cette maladie, et voilà qu'elle subissait le même sort.

« Qu'est-ce que le médecin propose ? demanda Darcy sans briser leur étreinte.

— De la chimiothérapie. Il faut … il faut que j'en fasse régulièrement mais … »

Mais cela ne serait pas suffisant pour une guérison, elles le savaient toutes les deux. Darcy recula, passa ses mains sur les joues de Jane et planta son regard dans le sien. Elle lui affirma qu'elle serait pour elle, pour l'aider à traverser toutes les épreuves, pour lui tenir la main quand elle en aurait besoin, pour veiller sur son sommeil si la fatigue devenait trop grande, pour hurler contre le monde entier en raison de cette injustice. Un mince sourire étira les lèvres de Jane, triste et amer, et Darcy le fit disparaître d'un baiser en cachant sa propre peine.

Ce ne fut qu'à la tombée de la nuit, alors que Jane dormait profondément contre elle, que les pensées de Darcy devinrent agitées. Elle cogitait beaucoup trop depuis l'annonce de sa petite-amie, elle avait l'impression que son cerveau était en surchauffe et qu'il allait s'éteindre à cause de ce trop plein d'émotions. La bague qu'elle avait mis tant de temps à choisir reposait encore dans son écrin, dans la poche de son manteau. Elle n'avait pas eu le cœur à faire sa demande alors que Jane était au plus mal – même si elle avait conscience de la rapidité avec laquelle sa compagne allait rebondir pour montrer à l'univers que ce n'était pas une maladie qui l'empêcherait de travailler et de rester la même.

Pour la première fois depuis bien longtemps, Darcy aurait aimé pouvoir contacter Thor. Il était un dieu, il avait sans doute des connaissances assez vastes pour sauver Jane de cette maladie qui rongeait son corps. Après l'avoir rencontré, au Nouveau-Mexique, elle avait dévoré de nombreux récits sur la mythologie nordique – tout en sachant que ces fameux mythes étaient à prendre avec des pincettes puisque plusieurs récits sortaient de l'imagination des mortels. Elle connaissait certaines légendes sur les pommes d'Idunn et l'immortalité qu'elles offraient aux dieux ainsi que des rumeurs sur le marteau du fils d'Odin. Peut-être était-elle idiote d'avoir foi en tout cela mais une partie d'elle, celle qui ne souhaitait qu'un avenir serein avec Jane, rêvait encore à un miracle.

*.*

« Je dois y aller, je suis désolée.

— Depuis quand tout ça te regarde, Jane ? s'enquit Darcy avec une pointe d'irritation. Tu n'es pas vraiment une déesse, ce que veut faire ce gars est violent, c'est vrai, mais toi … Tu risquerais ta vie en partant ! »

Darcy avait le sentiment que tout se bousculait face à elle. En quelques jours, les événements avaient été chamboulés, brisant leur quotidien jusqu'au point de non-retour. Jane et elle avaient fait le chemin jusqu'à la Nouvelle Asgard où subsistaient les morceaux de Mjöllnir, le marteau de Thor détruit par Hela, la sœur du dieu du tonnerre et première fille d'Odin. À l'approche de Jane, les fragments s'étaient réunis et elle avait alors développé des pouvoirs ainsi qu'une résistance particulièrement surprenante, gonflant son organisme à la manière d'un super-sérum ; son corps fatigué par la maladie et la chimiothérapie avait perdu sa pâleur pour revêtir la puissance d'une déesse.

« Jane, si tu utilises encore le pouvoir de Mew-Mew … »

Elle n'avait pas besoin de terminer sa phrase, le reste était suffisamment explicite. Mjöllnir lui offrait un certain pouvoir et une force surhumaine mais il puisait aussi dans ses réserves et si Jane continuait ainsi, elle finirait par succomber. Darcy ne tenait pas à jouer les égoïstes, elle avait conscience de ce qui se tramait au-dehors avec Gorr qui désirait éliminer tous les dieux, cependant elle refusait d'assister au sacrifice de sa petite-amie.

« Je reviendrai, assura Jane. J'ai échappé à Malekith, ça ne peut pas être pire. »

Malgré son air léger, il y avait une ombre dans ses yeux. Darcy protesta, parce que ce Gorr qui tuait les dieux était bien plus à craindre que l'elfe noir, parce que sa lame avait blessé Valkyrie alors que la dirigeante de la Nouvelle Asgard savait sa battre. Elle aurait pu opposer plein d'autres raisons mais l'expression de Jane la dissuada de continuer. Sa compagne avait pris sa décision, il était désormais inutile de parlementer avec elle. Alors que Jane s'apprêtait à partir, Darcy la retint d'une main posée sur son poignet, plongeant l'autre dans la poche de son manteau.

« Je gardais ça pour un meilleur moment mais … je crois que je ne peux plus attendre. »

Elle vit l'instant précis où Jane comprit ce qu'elle voulait faire. Ses doigts se mirent à trembler mais elle inspira un bon coup avant d'ouvrir l'écrin où reposait la bague.

« Jane Foster, accepterais-tu de devenir ma femme ? »

Il y eut un long silence, si profond que Darcy sentit son cœur se serrer. Qu'avait-elle cru au juste ? Que Jane lui dirait « oui » sans réfléchir ? Que cette évidence en serait une aussi pour sa petite-amie ?

« Pardon, je n'aurais pas dû … commença-t-elle avant d'être interrompue.

— J'accepte, murmura sa compagne. »

Surprise et enfin soulagée, Darcy ne put que réagir par un rire qui lui redonna un peu d'espoir. Elle passa la bague au doigt de sa petite-amie puis l'embrassa avec passion, regrettant amèrement de ne pas avoir le temps de fêter plus dignement leurs fiançailles. Jane recula finalement, lui promit de revenir et saisit Mjöllnir avant de disparaître. Darcy, désormais seule dans la chambre d'hôpital de sa fiancée, choisit d'aller trouver de la compagnie ailleurs, incapable de patienter avec ses pensées qui se paraient de sombres nuages.

Tout en essayant de ne pas songer à Jane et aux risques qu'elle encourait, Darcy chemina vers la Nouvelle Asgard. Valkyrie avait déjà quitté son lit pour reprendre les rênes de son royaume et elle débattait avec Sif sur le meilleur moyen de protéger les jeunes générations une fois que les enfants des Ases seraient de retour. Peu sûre d'elle, Darcy s'approcha et fut rapidement repérée par Valkyrie qui lui fit signe de les rejoindre. Elle leur expliqua ce que Jane avait décidé de faire et lut, dans les yeux de la guerrière, que ce n'était vraiment pas une bonne idée de la part de sa fiancée.

« Elle a dit qu'elle reviendrait, lâcha Darcy en retenant ses larmes. »

Mais quelque part au fond d'elle, elle avait l'intime conviction que plus rien ne serait comme avant – et pas à cause du cancer.

« Tout va bien se passer, assura Sif avec un aplomb différent du sien et de celui de Valkyrie. »

Darcy avait failli oublier que la déesse connaissait Jane. D'après ce que sa petite-amie lui avait dit, il y avait eu une certaine tension entre elles le jour où Thor était venu chercher Jane sur Terre pour l'amener sur Asgard, à la suite de la découverte de l'Aether. Sif aimait le dieu du tonnerre depuis des siècles mais n'avait jamais réussi à lui avouer ses sentiments et elle avait dû admettre qu'une simple mortelle suffisait au bonheur de celui qui ne partagerait jamais sa vie.

« Jane n'est pas en porcelaine, poursuivit la déesse.

— Mais elle est malade, fit sombrement remarquer Darcy. Et nous ne sommes pas comme vous, les dieux. Une bouchée de pomme ne nous rend pas immortels.

— Elle a fait son choix, à toi de l'accepter, répliqua Valkyrie avec une certaine compassion. »

La guerrière lui tendit une bouteille, son remède universel contre toutes les mauvaises pensées. Valkyrie lui apprit qu'elle avait perdu sa petite-amie à l'époque où l'ensemble des Valkyrie combattait contre Hela, la première née d'Odin ; celle qu'elle aimait s'était sacrifiée pour la protéger.

« Je vous plains, marmonna Darcy en plissant les paupières. Autant de temps à pleurer quelqu'un … Enfin, c'est l'ennui de l'immortalité.

— Immortelle ou non, le problème est le même. Le chagrin reste, pour les unes comme pour les autres. »

Afin d'alléger l'ambiance, Sif proposa à Darcy de visiter la Nouvelle Asgard. La scientifique se garda bien de lui dire qu'elle avait déjà eu l'occasion d'en faire le tour le jour où Jane et elle étaient venues pour la première fois. Elle laissa la déesse l'entraîner dans les rues et lui raconter des anecdotes de ce qu'elle avait vécu sur Asgard en compagnie de Thor et de leurs amis. Un brin de mélancolie passa dans le regard de Sif lorsqu'elle évoqua les trois guerriers mais elle reprit sa route comme si de rien n'était. Darcy l'écoutait pour ne plus penser à Jane, elle riait à ses blagues, s'émerveillait des descriptions des autres mondes et comprenait à demi-mots l'attraction que Valkyrie semblait exercer sur Sif.

À la nuit tombée, elle somnola sur le canapé de Valkyrie qui veillait encore et se perdit dans un monde de rêves, se raccrochant aux souvenirs de ses jeux avec Loptr – elle ne remercierait jamais assez Selvig d'avoir accepté de garder leur chien pendant qu'elles étaient occupées. Peut-être aurait-elle dû rester endormie pour toujours, cela lui aurait épargné le plus dur des réveils et l'instant le plus douloureux de son existence.

*.*

Une odeur de pluie planait dans l'air, rappelant que l'automne avait doucement pris la place de l'été. D'humeur joyeuse, Darcy s'étirait sur le perron de la maison, un sourire aux lèvres, les bras écartés au-dessus de sa tête avec une envie de crier au monde son bonheur. Elle salua d'un geste de la main un couple de voisins qui passait par là puis inspira à pleins poumons. À côté d'elle, sagement allongé sur une marche de l'escalier extérieur, Loptr guettait les promeneurs, la tête posée sur ses pattes.

« Darcy, tu comptes les feuilles ? résonna la voix de Jane en provenance de l'intérieur de la maison.

— Non, les papillons, chérie ! se moqua-t-elle avant de rentrer, Loptr sur les talons. »

Encore en chemise de nuit, Jane l'attendait, accoudée au plan de travail de la cuisine, les yeux pétillant de malice. Darcy s'avança vers elle et lui vola un baiser, glissant sa main droite dans ses cheveux en s'imprégnant de la douceur de ses lèvres. Ses doigts libres glissèrent vers la hanche de sa femme, la rapprochant d'elle pour mieux la sentir contre son corps.

« Je t'aime, souffla Darcy après avoir rompu le baiser. Si tu savais comme je t'aime.

— Je l'espère bien, je suis ta femme quand même. »

Jane reprit leur baiser et l'entraîna vers leur chambre avec un air mutin. Loptr, couché dans son panier, les regarda s'éloigner sans bouger d'un iota. Elles franchirent le seuil de la pièce en s'embrassant, accrochées l'une à l'autre comme si le monde pouvait exploser d'un instant à l'autre. Darcy s'imprégna de la tendresse que lui offrait sa femme tout en songeant qu'elles avaient une chance inouïe. Elles avaient survécu à Thor, à Loki, à Malekith, au claquement de doigts de Thanos et même à Gorr, ce chasseur de dieu. Et Jane allait mieux, son cancer était en rémission, elle reprenait des couleurs et de la force chaque jour qui passait, profitant de la seconde chance qu'elle avait eue.

L'espace d'un court moment, tout sembla se dissiper autour de Darcy mais, un clin d'œil plus tard, rien ne paraissait avoir changé. Peut-être était-ce les conséquences d'une nuit trop courte dans les bras de sa femme – leur lune de miel avait occupé une majorité de leur temps.

« Lewis, vous m'entendez ? »

Darcy se figea, ses lèvres posées sur la courbe de l'épaule de Jane. Elle crut un instant avoir rêvé et tenta d'oublier la voix masculine qui crépitait dans son oreille. Lorsque son nom de famille retentit une fois de plus, elle recula d'un pas, étonnée et anxieuse.

« Tu as entendu ? demanda-t-elle à Jane.

— Entendu quoi ? Tout va bien ? »

Les doigts de sa femme vinrent enserrer les siens. Darcy essaya de sourire mais n'y parvint pas, un nœud au creux de l'estomac.

« Lewis, sortez de là ! Vous aviez raison, c'est Maximoff ! »

Maximoff. Wanda Maximoff, la jeune femme qui était une Avenger, celle aux pouvoirs extraordinaires, celle qui avait perdu ses parents, son frère jumeau et l'homme qu'elle aimait. Quel était le rapport entre elle et Wanda ? Les paroles reprirent, insistantes, l'intimant de quitter au plus vite la ville de Westview. Darcy n'y comprenait rien, elle s'était établie là avec Jane parce qu'elles avaient envie de démarrer une nouvelle vie ailleurs, cela n'avait aucun lien avec Maximoff.

« Le Sword vient d'envoyer des secours, nous allons vous récupérer. »

Il y eut comme une explosion à l'extérieur de la maison et Darcy se précipita à la fenêtre. Elle y vit Wanda avec sa magie qui serpentait autour de ses mains, ainsi que deux Vision, dont l'un était blanc comme la neige alors que l'autre gardait cette apparence que Darcy lui connaissait. D'un geste brusque, elle referma les rideaux avant de tenter de maîtriser les tremblements de ses doigts, sans remarquer que les murs de sa maison ondulaient. Petit à petit, la décoration s'estompa, ce qui lui fit craindre le pire.

« Darcy … »

En regardant Jane, elle nota la légère lueur rougeâtre qui l'entourait. Comme si quelqu'un venait d'appuyer sur un bouton, ses pensées s'éclairèrent et Darcy poussa un gémissement plaintif. Rien n'était réel, elle avait juste été touchée par le sortilège de Wanda et elle avait plongé tête la première dans ce rêve éveillé qui lui paraissait bien meilleur que la réalité. Un sanglot franchit ses lèvres lorsque Jane s'effaça devant ses yeux, disparaissant pour rendre à ce monde une vérité que Darcy avait maintenue à distance ; celle qu'elle aimait reposait dans un cimetière. Loptr aboya avant de se changer en un objet qui appartenait à ce nouveau décor, rappelant à la scientifique que son chien était chez elle – dans son vrai chez elle, cet appartement qu'elle avait acheté après la mort de Jane pour ne plus supporter leur maison.

« Lewis ? »

Jimmy Woo passa la porte d'entrée et posa une main sur son épaule pour la sortir de son état hébété. Elle lutta un moment contre lui parce qu'elle refusait de quitter ce lieu qui lui avait offert, l'espace d'un instant, cette vie qu'elle espérait tant. Puis elle finit par rendre les armes et suivit Woo au-dehors, là où la ville de Westview avait perdu cet aspect qui était encore le sien quelques minutes plus tôt.

« Est-ce que ça va aller ? s'enquit Woo avec une certaine hésitation.

— Bien sûr, répondit Darcy du tac au tac. Vous avez eu Maximoff ?

— Elle vient de disparaître, je ne sais pas où. Mais au moins, tout le monde va retrouver sa vie. »

Un sourire triste se peignit sur le visage de Darcy alors qu'elle songeait qu'elle était sûrement la seule à ne pas être heureuse de retourner dans une réalité où le deuil était son quotidien. Lorsque Woo lui proposa de la raccompagner chez elle, elle refusa d'un vague geste de la main, pressée d'être à nouveau seule pour pleurer avec ses souvenirs. Sur sa bouche, le baiser fantôme de Jane ravivait sa douleur et elle posa ses doigts sur ses lèvres. Tant de chemin avait été parcouru entre Jane et elle, mais la route s'était brisée si brusquement, ne laissant à Darcy qu'un avenir tronqué qu'elle ne voulait plus vivre.