Les doyennes du Bien et du Mal étaient assises dans l'ancien bureau du Grand Maître situé dans la tour. Clarissa Dovey notait les devoirs de ses étudiants. Du moins, elle essayait de le faire. En réalité, elle était concentrée sur Dame Lesso, allongée sur l'un des canapés colorés de la place.

Dame Lesso, ou pour certaine personne – qui, en vérité, n'était que Clarissa elle-même – Leonora, lisait un livre sur les nouvelles découvertes de potions, tout en tenait un verre de liquide ambré. Clarissa ne savait pas ce que c'était, mais elle supposait qu'il y avait au moins une légère quantité d'alcool à l'intérieur. Le manteau gris de la Jamais a été jeté sur le dossier du canapé. Sa cravate noir était lâche et son gilet déboutonné.

Voir la sorcière normalement habillée si parfaitement, à l'épingle près, avoir l'air si détendue fit sourire Clarissa. Elle était belle comme ça. Oh, bien sûr, sa Leonora avait toujours l'air parfaite, peu importe ce qu'elle portait. Mais, une Leonora détendue était une vue exceptionnelle. Si la Toujours avait eu un quelconque don en peinture, elle aurait adoré peindre sa partenaire. Mais hélas, elle devra se contenter de mémoriser son apparence...

« Qu'est-ce que tu regardes, Princesse ? »

Clarissa n'a absolument pas tressailli quand elle a été surprise en pleine réflexion.

« J'admirais juste la vue. » Elle a répondu, souriant doucement en voyant un léger rougissement sur le visage de Leonora. Encore un côté de Leonora que seule Clarissa pouvait voir. Troublée. Et c'était facile pour la doyenne de troubler son homologue.

« Je... hum... je... » Leonora semblait chercher quelque chose du regard. « Je me demandais si tu aurais vu ma cane ? J'aimerai alors chercher un autre livre dans ma chambre, pour continuer d'examiner certains éléments de potions. »

« Oui, elle est à côté de la porte. Tu ne m'as vu la prendre quand elle est tombée tout à l'heure ? »

« Non, je n'avais pas remarqué. »

« Est-ce que... tu veux que je te l'apporte ? »

« Non. Je peux marcher par moi-même. » Leonora a marmonné avant de se lever, s'appuyant lourdement sur le canapé et favorisant sensiblement sa jambe droite.

« Est-ce que tu es sûre ? » a demandé Clarissa, maintenant légèrement inquiète. Elle n'était pas sûre que Leonora avait besoin de sa canne. Elle avait toujours pensé qu'il s'agissait d'un accessoire et elle ne pouvait pas se souvenir d'un moment où elle ne pouvait pas marcher sans. Après tout, elle l'avait vu marcher sans sa canne plusieurs fois, l'utilisant plutôt pour souligner sa gestuelle.

« J'en suis sûre. » Leonora a répondu instantanément avant de se tenir droite, époussetant sa chemise pour qu'elle soit impeccable.

Elle a fait deux pas avant que sa jambe ne cède sous son poids, manquant de tomber. Heureusement, la doyenne s'est rattrapée sur le canapé.

Clarissa s'est levée afin de pouvoir la rattraper immédiatement. Elle a choisi de donner quelques secondes à Leonora pour reprendre contenance. Elle a pris la canne par elle-même avant de la lui tendre, souriant doucement.

Leonora l'a regardé, fronçant toujours les sourcils, mais a pris la canne en la remerciant de façon presque inaudible.

« Alors, tu en as vraiment besoin ? Pour marcher ? » a demandé Clarissa, inclinant la tête légèrement pour la regarder dans les yeux.

« N'est-ce pas évident maintenant, Dove ? » a sifflé Leonora, ne se relevant pas.

« J'ai toujours pensé que c'était un accessoire. Je n'ai jamais réalisé que tu étais dépendante de cette canne... je t'avais déjà vu marcher sans alors... »

Leonora a soupiré, se redressant avant de se rassoir sur le canapé, les bras croisés. « Je peux marcher sans de temps en temps, mais j'en ai effectivement besoin, plus que je ne voudrais l'admettre. Ça m'a demandé beaucoup d'entraînement de faire en sorte que les gens n'y voient qu'un accessoire. Mais parfois, je ne peux pas penser à me lever sans elle. Marcher devient difficile, au mieux, et insupportable, au pire. » Puis, dans un murmure, elle a ajouté. « Pathétique, vraiment. »

« N'importe quoi ! » Clarissa s'est assise à ses côtés avant d'ouvrir les bras, l'invitant en silence. Leonora a levé les yeux au ciel pour la convenance mais a tout de même posé sa tête sur les genoux de la doyenne du bien, déplaçant ses jambes sur le canapé avec une grimace de douleur. Clarissa essayait de ne pas montrer à quel point cela l'inquiétait. Pour que la doyenne du Mal montre une émotion si clairement, surtout sa douleur, c'est qu'une personne normale trouverait ça insupportable. « Est-ce que je peux te demander ce qu'il s'est passé ? »

« Je préférerais de pas en parler pour le moment, Princesse. »

« Tout va bien. » a murmuré Clarissa. Elle donnerait à sa partenaire tout le temps dont elle avait besoin. Lui mettre la pression pour obtenir une information ne ferait que la pousser à se taire davantage.

Soudainement, Clarissa s'est souvenue de ce qui l'avait dérangé depuis un moment maintenant. « Oh, ma chère... c'est ce qui s'est passé pendant notre discussion dans la librairie pendant toute cette histoire... » Elle a fait un grand geste avec ses mains.

« L'histoire avec Rafal ? Oui. C'était ça. »

« Oh, ma chérie, je suis vraiment désolée mon amour. Je ne t'aurais jamais amené dans cette librairie si j'avais su... Les escaliers ont dû être horrible, surtout avec tes talons ! Pourquoi tu ne m'as rien dit ? »

« Parce que je suis la doyenne du Mal et que c'est une stupide faiblesse. Et je ne suis pas faible. » Leonora a sifflé en détachant chaque mot.

« Bien sûr que tu n'es pas faible. Mais tu aurais pu me le dire. Nous sommes ensemble depuis des décennies maintenant, et je ne l'ai jamais su. Pourquoi tu ne me l'as pas dit ? »

Leonora n'a rien dit. À la place, elle a tourné son visage à l'opposé des yeux perçants de Clarissa. Mais c'était la réponse dont elle avait besoin.

« Oh. Oh ma chère, non. Peu importe ce qu'il a dit à ce sujet, ce n'est pas une mauvaise chose. Tu as prouvé à quel point tu étais capable de grande chose malgré ça. » Sa voix était douce, empathique. Elle s'est rapprochée de la rousse en caressant ses cheveux de sa main droite. De l'autre, elle a caressé la joue de Leonora en tournant sa tête dans sa direction pour qu'elle puisse la regarder dans les yeux. Elle l'a doucement embrassée. « S'il te plaît, ne me cache plus ce genre de chose. Peu importe ce qu'il a dit, ce n'est pas vrai. Avoir besoin d'aide n'est pas une mauvaise chose. Et ça ne te rend pas faible, d'accord ? Je te le promets. »

Leonora était toujours silencieuse, mais elle souriait à présent. Elle a agrippé le devant de la robe de Clarissa et l'a entraîné dans un autre baiser.