Chapitre 2 :
Le Nom
L'Assistant de Vie Scolaire arriva au collège quelques jours plus tard. Il lui fallut plusieurs minutes pour repérer les cheveux bleus ou verts ou quelle est donc cette couleur du petit garçon dont il avait la charge... et pour cause, ce dernier s'était affublé d'un chapeau. Étrange gamin.
Sans surprise, il le trouva seul et adossé contre un mur sous le préau. C'était le premier enfant dont il s'occupait alors il n'avait pas encore la lassitude des années mais il était quand même major de sa promotion et très impliqué. Ce garçon était sourd et intelligent... avoir des amis ne serait pas une tâche aisée.
L'enseignant fit un geste de la main alors l'Assistant s'approcha pour marcher à ses côtés pendant qu'ils accompagnaient les élèves à leur premier cours du matin. Ils entrèrent dans un immense chahut, les chaises raclèrent un moment avant que les regards se tournent vers l'Assistant. Quelques chuchotements demandèrent qui c'était alors il monta sur l'estrade pour se présenter.
"Je m'appelle Carl Karl, vous pouvez m'appeler Carl ou Monsieur Karl et pas le Stagiaire car je ne suis pas Stagiaire mais Assistant." expliqua-t-il. "Je suis l'Auxiliaire de Vie Scolaire, autrement dit l'AVS de votre camarade qui s'appelle..."
Le plus gros défaut d'Heinz Doofenshmirtz était sans hésitation sa voix criarde qui rendait le moindre mot sortant de sa bouche très peu supportable... son autre défaut étant bien évidemment sa capacité naturelle aux monologues, l'un n'allait décidément pas avec l'autre. Il avait toujours tendance à détourner ses yeux, souvent vers la gauche et c'est pour ça qu'il fixa l'oreille de son camarade pendant l'introduction de son AVS. Il n'avait pas essayé de l'approcher depuis qu'ils avaient échangé trop de mots d'un côté et quelques gestes de l'autre. Pourtant, il s'asseyait toujours à sa droite pour suivre les cours. Il aimait bien cette présence silencieuse mais constante... ça le rassurait.
Heinz ouvrit son petit carnet de croquis, il n'avait aucun mal à trouver la dernière page car les premières feuilles étaient tellement gorgées d'encres qu'elles gondolaient ce qui faisait un contraste énorme avec les pages lisses pas encore utilisées. Il trouva l'alphabet en langue des signes qu'il avait recopié sur la page de gauche puis son texte d'introduction qu'il avait noté à droite. Il glissa timidement son carnet sur la table de son camarade et attendit patiemment sa réaction.
...
Bonjour.
Je m'appelle Heinz Doofenshmirtz, mes ennemis m'appellent DOOF car ça signifie "idiot" et je n'ai pas d'ami donc je ne sais pas comment ils pourraient me surnommer. Malgré moi, j'aime les monologues et ça ne peut pas coller entre nous car tu ne pourras jamais les entendre, ces merveilleux monologues... Cependant, j'aimerai essayer si tu en as envie. Ça sera compliqué au début car je ne connais pas la langue des signes. Veux-tu essayer, toi aussi ?
Heinz Doofenshmirtz.
PS : Comment tu t'appelle ?
...
Après sa lecture, le garçon qui n'avait pas retiré son chapeau pour le cours tira un stylo de sa trousse et approcha la mine du carnet mais Heinz lâcha un glapissement avant de poser ses deux mains l'une contre l'autre comme une barrière... déjà qu'il avait du mal à l'idée de MONTRER le contenu de son carnet mais pour ce qui était de laisser n'importe qui y toucher, non. Ça, c'était hors de question !
Il sentit la mine froide toucher l'intérieur de sa paume et son camarade esquissa un sourire amusé avant d'enfoncer légèrement son stylo dans la main d'Heinz qui ne savait pas s'il s'agissait plutôt d'une pratique amicale ou d'une forme de moquerie. Gêné, il détourna ses yeux et se retrouva à nouveau enclin à écouter la présentation de Carl ou alors Karl (il ne savait plus) qui touchait à sa fin.
"... et donc si vous avez des questions au sujet de la surdité ou comment mieux communiquer avec votre camarade, vous pouvez venir me voir entre les cours. Je ne resterai pas avec lui en permanence pour le respect de sa vie privée. J'espère que vous aurez..."
Comme on tirait sa manche, Heinz se tourna une nouvelle fois vers son étrange camarade qui avait arrêté de jouer à écrire des choses sur sa main. Il vérifia ce qu'il avait bien pu marquer et lut "PERRY". Était-ce son prénom ?
Heinz consulta frénétiquement ses dessins : il y avait le P une sorte de bec de canard qu'on formait en tirant l'indexe et le majeur puis en refermant les autres doigts comme pour tenir un crayon, le E qui était un repli de tous les doigts avec le poing relevé en l'air comme pour faire une révolution ou donner un coup, le R qui était un signe de promesse mais celle qu'on fait en gardant un secret et enfin le Y qu'on formait en levant l'indexe et le pouce tout en baissant les autre doigts pour dessiner une sorte de Y tordu avec la main. Ce qui donnait un canard combattif sur qui on peut toujours compter mais qui garde un secret... et un Y.
Après l'avoir lut, il essaya de reproduire maladroitement les gestes sous le regard ébahis de Perry. La surprise se transforma en amusement quand il corrigea le P que son camarade avait appris sur un dessin statique mais qu'il fallait accompagner d'un mouvement circulaire vers le bas et pareil pour son Y, d'ailleurs. Cette fois-ci, il fallait lentement baisser la main sans rajouter de mouvement avec le poignet.
Heinz vit ensuite Perry agiter très vite ses propres mains... si vite qu'il était incapable de regarder son carnet pour déchiffrer au fur et à mesure mais il devina ce qu'il essayait d'épeler : ça n'était pas un mot courant mais un nom propre vraiment très très long qui commençait par les lettres HEI- sans doute qu'il finissait par nzdoofenshmirtz. Beaucoup trop long.
Heinz ouvrit son cahier de cours car il ne voulait pas gâcher l'équilibre graphique de son carnet et il écrivit rapidement dans la marge à côté de la date et de son nom.
...
Tu peux m'appeler Doof.
...
Perry toucha son carnet encore ouvert sur sa page de présentation "mes ennemis m'appellent DOOF" alors Heinz rajouta une proposition dans sa marge.
...
Peut-être que mes non-ennemis aussi m'appellent DOOF ? Et puis si c'est toi alors ce mot deviendra agréable.
...
Perry leva son indexe puis il forma un pond avec son majeur, l'annulaire et l'auriculaire avant de bouger légèrement son pouce pour faire une sorte de reflet... D. Ensuite, il ferma simplement l'ensemble de ses doigts pour former un O avant de passer au F en posant son pouce sur l'indexe en levant les trois autres doigts pour conclure. D. O. O. F... Doof.
Doof déroula sa trousse à dessin difficilement acquise par l'un de ses petits-boulots de l'été pour prendre l'un de ses liners préférés. Il était waterproof, à l'encre de chine et d'une épaisseur de 0.8 millimètres. Chaque détail a son importance dans la vie... il tira lentement la main étrangement chaude de Perry vers lui et écrivit 4 lettres avant de poser sa propre main à côté pour comparer.
PERRY était écrit sur la main de Doof.
DOOF était écrit sur la main de Perry.
Ils se lavèrent timidement les mains avant le repas du midi, non sans se soucier de garder cette marque le plus longtemps possible... l'un avec le prénom de l'autre.
- Fin du 2ème chapitre -
...à suivre...
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