Tiph j'ai bien vu ta review mais j'ai pas pris le temps d'y répondre parce que je suis nulle et que je suis en plein rush travail (as always en fait) en ce moment.

Mais t'es la best des best !

T'es un cœur !


Il avait vingt ans et dans les remords, il se sentait perdu et en désaccord avec lui-même.

Colin Crivey était mort.

Et il ne l'avait pas sauvé.

Théodore y pensait plus que jamais.

Le monde ne se souviendrait de lui que pour ça…

Théodore Putain de Nott.

L'accusé qui était lâchement décédé plutôt que d'affronter son procès.

L'éternel supposé meurtrier de Colin Crivey.

Crivey.

Cri-vey.

Cri.

Vey.

OOO

Hypermnésie. Rêves incontrôlables. Dépression. Incapacité ponctuelle à se situer dans l'espace et le temps. Absences répétées. Pertes d'attention. Folie. Mort.

Hier, Théodore s'était baladé dans un Londres du seizième siècle, lors duquel il avait visité un cirque sorcier. Sa mère l'y avait emmené une fois, lorsqu'il était petit, avant qu'ils ne soient interdits en 1985. Théodore avait deviné que sa mère avait simplement cherché un refuge pour les protéger d'une des colères soudaines de son père. D'une façon ou d'une autre, le jeune fils avait dû contrarier le père en riant trop fort. Alors, la mère l'avait dorloté. Elle avait souvent servi de bouclier et dans les souvenirs de Théodore, les nuages qu'elle peignait autour de ses hématomes étaient beaux et duveteux.

Cette mère était la même personne que cette femme qui avait écrit qu'elle ne voulait pas avoir d'enfant.

Cela faisait sourire Théodore lorsqu'il y pensait…

Il y avait cette mère, aimante et toujours souriante, qui lui montrait des sirènes en train de nager dans leur grand bassin au milieu de la piste du cirque sorcier de Londres, et cette femme, une inventrice, une ingénieure de la magie, qui n'avait jamais eu que le seul souhait de faire disparaître la malédiction des Roulet-Bouley….

— Il faut que nous parlions à Lisa, marmonna Susan Bones.

Elle inspira à l'aide de sa paille le contenu de son verre. Un smoothie à la fraise. Un bruit de succion long et irritant au possible se fit entendre, alors qu'elle cherchait à collecter les dernières gouttes de sa boisson. À travers ses lunettes de soleil en forme d'étoile, Susan leva les yeux vers lui et se mit à rougir.

— Pardon…

Elle tapota sa paille contre son verre et la porta à ses lèvres, la suçotant d'un air rêveur, perdue dans ses pensées. Il grommela, détournant les yeux.

Belle.

— Je doute que l'identité de mon principal accusateur l'enchante, commenta Théodore. Justin Finch-Fletcher est l'un de vos amis proches.

— Oh !

Elle lâcha la paille et Théodore n'aurait su dire s'il aurait souhaité la supplier de la reprendre entre ses lèvres ou de casser cette maudite paille en deux et la jeter le plus loin possible que ses bras le lui permettraient.

Pas bien loin.

— Je parlais… Je parlais de ta maladie.

Théodore fronça les sourcils et termina son thé, le buvant cul-sec.

Il n'avait jamais été de ces personnes qui appréciaient les bains de soleil, où qui aimaient flâner en terrasse. Mais Susan Bones, elle, étaient de ces personnes et le soleil flattait ses taches de rousseurs.

— Lisa a les carnets de ma mère. Elle finira par le découvrir, répondit-il laconiquement.

Susan retira ses lunettes de soleil et Théodore sourit, en découvrant ses yeux gris.

Il préférait ce temps-ci à tous les autres.

— Elle aimerait probablement que cela vienne de toi.

— Certes.

— Nous… Enfin elle ! Elle s'inquiète pour toi !

Théodore fronça les sourcils et passa une main dans ses cheveux. Par Merlin, il faisait bien trop chaud. Il oublia un instant qu'il n'était pas en lieu sûr, qu'il n'était pas à l'abri, dans l'appartement de Lisa ou dans le sien. Il oublia un instant, et commença à retrousser les manches de sa chemise pour découvrir ses bras.

Il s'arrêta net, en sentant Susan se pétrifier en face de lui et faire tous les efforts du monde pour garder ses yeux d'orage sur son visage. Il suspendit son geste et ne découvrit que ses poignets.

Voudras-tu toujours m'aider, lorsque tu sauras que j'ai été marqué ?

— Je me suis renseignée sur les Roulet-Bouley, avoua finalement l'ancienne Poufsouffle.

— La lignée s'est officiellement éteinte après la supposée mort de ma mère, Isaura Roulet-Bouley.

— Les registres magiques que j'ai pu consulter n'ont trouvé aucune trace d'une certaine Etheldreda. J'ai pourtant épluché les listes des inscriptions des élèves de Poudlard, qui figurent dans les archives. Rien. J'ai demandé à ce que l'on me transmette celles des élèves d'Ilvermory et Durmstrang. Elles devraient arriver dans la semaine…

— Tu ne trouveras rien, Susan.

Il était touché qu'elle consacre autant de temps à vouloir trouver une solution pour l'aider. Mais il était aussi excédé qu'elle perde ainsi son temps : Théodore avait méticuleusement mené ses propres recherches, sans succès. Susan ne trouverait rien qu'il ne sache pas déjà.

— Je ne t'ai pas demandé de refaire mon arbre généalogique, grommela-t-il. Je sais que ma mère a pris cette identité avant de rencontrer mon père, pour échapper à sa propre famille et aux médicomages qui la croyaient folle, comme le reste des Roulet-Bouley. Elle a simulé sa mort pour échapper à l'internement.

— Mais c'est notre seule piste ! Isaura n'a pas pu prendre un tel pseudonyme sans raison !

— Quand bien même, je ne vois pas en quoi cela affecterait de façon négative ou positive ma situation et ma santé, Susan.

— Théodore…

— Ma mère est morte des suites d'une maladie que notre ancêtre Éloïse Roulet-Bouley nous a transmis. C'est tout, Susan. il n'y a rien d'autre.

— Tu te trompes, affirma-t-elle. Ce n'est pas tout. Ça ne peut pas être « c'est tout » !

La persévérance avait un nom et elle s'appelait Susan Bones.

Elle remit ses lunettes de soleil, comme pour se cacher de Théodore.

— Pourquoi fais-tu tout ça ? Pourquoi est-ce que tu tiens tant à en savoir plus sur elle ?

— Ce n'est pas ce que tu veux ? demanda-t-elle d'une petite voix curieuse.

Il se força à secouer la tête.

— Pourquoi fais-tu tout ça ? répéta-t-il.

Dis-le.

Dis-moi les mots que je veux entendre mais que je ne connais pas encore.

Dis moi que c'est pour moi. Que c'est pour toi.

Elle bafouilla un moment et tenta de camoufler ses joues qui avaient légèrement rougies.

— C'est pour le procès, Théodore.

Son cœur se ratatina, se comprima, subissant une pression qu'il n'avait jamais subie jusqu'à maintenant. Une déception telle, qu'il n'aurait su la décrire encore avec précision.

Évidemment.

C'est pour le procès.

— L'accusation enquête sur toi et ton passé. Le moindre élément qui pourra jouer en ta défaveur sera avancé, et il faut que tu t'y prépares. On t'attaquera non seulement sur les choix de ton père…

— … Qui m'a rarement demandé mon avis ou mon autorisation pour être un Mangemort ! s'exclama-t-il un peu trop fort.

Susan frissonna en entendant ce mot et il le regretta.

— Je ne suis pas responsable des choix de mon père, reprit-il d'un ton moins grave.

— Je le sais bien. Les personnes censées le sauront. Mais la mort de Colin Crivey nous dépasse tous. Il est devenu un symbole, le représentant de toutes les victimes, bien trop jeunes, qui sont mortes ce soir-là, lors de la bataille de Poudlard. Si l'accusation découvre que tu es le descendant d'un Roulet-Bouley, il lui sera très facile de demander à ce que l'on alourdisse ta peine compte tenu de … Des symptômes connus de ta famille. Tu seras considéré comme une personne dangereuse. Tu ne seras pas seulement un prétendu Mangemort. Tu seras un prétendu Mangemort fou, et il n'y a rien de plus effrayant pour les sorciers britanniques d'aujourd'hui, Théodore.

Théodore sortit de sa poche une cigarette qu'il avait roulé le matin-même avec les dernières feuilles séchées qu'il lui restait.

Susan ne le regarda ni avec pitié, ni avec mépris. Elle fronça son petit nez et il décida d'attendre, avant de fumer. Les mains tremblantes et front couvert de sueur, il décida d'attendre…

— Et si la solution… était que tu utilises un retourneur de temps ? Ta mère l'a peut-être laissé à ton attention pour que tu t'en serves… Où était-il, lorsque tu l'as trouvé ?

— Sur son bureau. Dans la tour ouest du Manoir Nott. Mon père n'avait probablement pas connaissance de cette pièce.

— Elle était sûrement une femme avisée et n'aurait jamais laissé un tel objet ainsi, bien en évidence. Elle voulait que tu le retrouves…

— En quoi effectuer un voyage dans le temps me ferait-il aller mieux ? demanda très sérieusement Théodore.

— Je n'en sais rien. Ce n'est qu'une hypothèse. Une simple intuition, si tu préfères…

— Une intuition ? s'agaça-t-il. Je n'ai pas besoin d'une intuition. J'ai besoin d'un remède. J'ai besoin d'une affirmation. J'ai besoin… J'ai besoin de concret et d'une solution.

Susan recula sa chaise et continua de sourire. Elle laissa sur la table de quoi payer son smoothie et commença à partir.

— Par Merlin…, geignit Théodore.

Il l'imita et la rattrapa dans la rue, courant après elle, malgré ses jambes bien trop maigres et son souffle bien trop court. Elle se retourna ver lui , les yeux brillant et les bras croisés sur sa poitrine :

— Tu es fatigué. Tu es malade. Tu es désagréable. Ne me fais pas me sentir plus misérable en t'excusant pour ton comportement d'hippogriffe mal-léché. Il est légitime et normal. Tu as le droit d'être en pétard, Théodore ! Mais moi, j'ai aussi le droit de ne pas avoir à supporter ça, alors laisse moi tranquille !

— Et tu as aussi le droit de me dire que je ne suis qu'un crétin insensible et pessimiste.

Elle pivota une nouvelle fois et il la suivit sans rien dire, restant à quelques pas derrière elle. Elle martelait le sol de ses pieds et cela le fit sourire. Un main dans la poche et l'autre tenant sa dernière cigarette, il admira sa coiffure faite de tresses nouées les unes aux autres.

En fait, Théodore aurait pu dire l'heure qu'il était rien qu'en regardant la coiffure de Susan.

8h01, parfaite. Chaque mèche était à sa place.

10h00, charmante. Une boucle souple s'était échappée.

12h33, mignonne. Les petits cheveux sur sa nuque étaient devenus plus nombreux.

14h56, décoiffée. À force de passer sa baguette dans ses cheveux…

16h47, chaotique. Des petits cheveux, des mèches folles libres.

18h02, de nouveau parfaite. Susan refaisait sa coiffure avant ses rendez-vous du soir.

Théodore ne l'avait jamais vue après ça…

Il porta le mégot à ses lèvres et après l'avoir allumé, commença à fumer, faisant attention à ce que la fumée n'atteigne jamais Susan. Elle était tendue et marchait de plus en plus vite.

— Je ne te suis pas, l'informa-t-il.

— Je sais. Nous habitons la même rue.

Elle ralentit cependant le pas, jusqu'à ce qu'il arrive à sa hauteur.

— Tu pues l'herbe.

Il ne s'arrêta pas.

— Elle me permet de me concentrer sur ce qui est réel.

Il pointa du doigt un arbre parmi ceux qui bordaient leur rue.

— Cet arbre. Je le vois plus jeune. Je le vois plus vieux. Ses feuilles sont elles oranges ?

Susan secoua la tête.

— Elles sont vertes.

Théodore se raidit.

— Elles sont vertes comme tes yeux, Théodore.

OOO

« Ministère de la Magie — Département des Mystères — Salle du néant

Théodore, es-tu prêt pour vivre une très belle aventure ?

Quelqu'un qui t'aime. »

Théodore jouait nerveusement avec le papier et contempla le billet. Il brillait légèrement, scintillant de paillettes. Le jobarbille dessiné à l'encre violette exécutait son vol de lettres en lettres, de phrase en phrase, sans jamais s'arrêter. Parfois, il semblait fatigué et se lovait contre le prénom de Théodore.

Il ne dormit pas de la nuit, comme à l'accoutumée.

Il en fut soulagé. Lorsqu'il fermait les yeux, il rêvait, et ses rêves n'étaient ni beaux ni légers.

Dès que les premiers rayons du soleil apparurent, avant que six heures du matin ne sonnent, il se prépara et rangea le billet dans la poche interne de sa veste. Il décida de se rendre au Ministère de la Magie, un endroit qu'il aurait pourtant dû continuer d'éviter comme la peste.

Revenir ici le ramenait à tout ce qu'il avait perdu.

Son siège au Magenmagot, qui était suspendu jusqu'à la fin de l'enquête.

Sa vie d'avant, calme et monotone.

Ses rendez-vous avec Lisa, qui venait toujours l'embêter dans son bureau.

Maintenant qu'il y réfléchissait, Théodore n'avait trouvé le courage de revenir ici que pour une seule et unique raison : Susan Bones. La première fois lorsqu'elle lui avait demandé de l'aide, au printemps dernier, en glissant un mot à son attention dans l'un de ses cardigans. La deuxième fois, pour l'entendre déclamer son discours d'intronisation au Magenmagot, avant de l'écouter fièrement tout envoyer balader.

Il n'y avait pas grand monde, si tôt le matin. Les elfes de maisons briquaient le sol rutilant, chassaient la poussière, quelques notes volaient, mais tout était paisible…

Théodore se rendit dans le Département des Mystères, lieu qu'il n'avait jamais visité jusqu'à maintenant. Le niveau neuf du Ministère de la Magie était désert. Il hésita quelques instants, avant de toquer à la porte noire et lisse marquant l'entrée du Département. La porte s'ouvrit et il pénétra dans une salle circulaire. Il dénombra onze autres portes que celle par laquelle il était entré, et qu'il connaissait de nom.

La salle de l'amour. La salle de l'espace. La salle des prophéties. La salle de la mort. La salle du savoir. La salle du temps. La salle de la quintessence. La salle de la vérité. La salle de la douleur. La salle du sang. La salle de la nature.

Mais il n'y avait jamais eu de salle du néant.

— Monsieur Nott ! Je vous attendais ! Mon agenda ne s'était donc pas trompé !

La sorcière avait une voix guillerette qui lui allait comme un gant. Ses cheveux blonds étaient coupés au carré et rebiquaient en épis partout autour de son crâne. Il était compliqué de lui donner un âge…

— Vous êtes… ? l'interrogea Théodore en adoptant la stature digne et froide qu'il avait hérité de son père.

Elle se mit à sautiller devant lui et attrapa son bras sans ménagement, sans se soucier du malaise apparent du visiteur.

— Pressons, pressons ! Il est plus que temps de vous familiariser avec ces lieux. L'agent Sallow devrait bientôt vous recevoir. Patientez donc dans la salle du temps ! Mais s'il vous plaît, ne touchez à rien ! Il serait fâcheux qu'il vous arrive quelque chose de regrettable !

Elle le poussa à travers l'une des douze portes et la referma sans ménagement derrière lui. Il se retrouva dans une salle rectangulaire éclairée par une belle lumière dansante et scintillante comme des pierres précieuses. Tout les objets liés au temps y étaient entreposés, comme les horloges ou des Retourneurs de Temps, de ce que Théodore en savait. Une armoire se détruisait et se remettait en place oute seule avant de retomber en mille morceaux et ainsi de suite. Le bruit était infernal et continu. Tout au fond de la salle, il devina une immense cloche de cristal d'où provenait la lumière. Il s'en approcha, fasciné. Un oiseau y naissait, grandissait, vieillissait puis mourrait avant de renaître une nouvelle fois, sortant d'un œuf brillant comme un joyau, à l'infini.

Ce n'était pas un phénix.

Théodore se figea en reconnaissant l'oiseau.

Un jobarbille.

Un jobarbille au plumage émeraude.

L'oiseau le regarda avec intérêt et s'inclina devant lui, presque respectueusement. Théodore était en train de réfléchir à comment réagir, comment interagir face à ce comportement, lorsqu'on l'interrompit :

— Nott, le salua une voix morne et morose. Par ici, je vous prie

Théodore avait une étrange impression. L'atmosphère était devenue dense et pesant, s'abattant sur tout son corps.

— La salle du néant est juste ici.

— La salle du néant n'existe pas.

Comme lassé, le sorcier qui l'accompagnait se contenta de lui désigner une nouvelle porte, qui s'était dessinée, à côté de celle qui menait à la porte de l'espace.

— Ni l'espace ni le temps n'ont la moindre emprise ici. Coincée entre ses huit murs, la salle du néant vous apportera toute la sécurité dont vous avez besoin, Monsieur Nott.

— La salle du néant n'existe pas, répéta Théodore.

Pourtant, l'homme caressa la poignée ronde de la porte tout en le regardant :

— Je pense que cinq minutes vous suffiront. Après tout, il s'agit de votre première visite, de ce que j'en sais.

Théodore ne comprenait rien et il n'aimait pas, ne rien comprendre. S'il avait été dans son état normal, il aurait posé plus d'une centaine de questions et ne se serait jamais plongé dans l'inconnu de cette façon.

Il songea au billet de train, qu'on avait grossièrement fabriqué et qui restait dans sa poche interne.

Théodore, es-tu prêt à vivre une très belle aventure ?

Non. Non il ne l'était pas.

Pourtant on l'y poussa.

L'Auror le jeta dans la salle avant de refermer la porte derrière lui et le cauchemar commença.

OOO

Comme son nom l'indiquait, la salle du néant n'avait ni commencement ni fin.

Elle n'avait pas d'odeur.

Elle n'avait pas de texture.

Elle n'était ni plongée dans le noir ni éclairée.

Elle n'était pas insonorisée ou sonorisée.

Elle était le pire cauchemars de Théodore qui pourtant, depuis l'hiver dernier, aurait volontiers donné n'importe quoi pour ne plus être assailli par tous ces stimulus qui le rendaient malade.

Il se sentit tomber, infiniment. Il hurla.

Une armoire disparaissait et apparaissait continuellement. Une explosion retentissait au loin. Il y avait des bateaux qui voguaient sur des mers agitées. Il y avait un bûcher sur lequel une sorcière riait, le corps chatouillé par les flammes.

Puis tout était calme.

Tout devenait agité.

Il n'y resta pas cinq minutes.

Il y resta bien plus longtemps.

Et pourtant probablement pas aussi longtemps que Théodore le vécu.

Il arrêta de compter les secondes, après avoir atteint un nombre qu'il n'était même pas certain de prononcer convenablement.

Devant ses yeux, le billet qui était pourtant dans sa poche, volait et partait au loin, emporté par un courant d'air. Il se multipliait et se divisait, ils dansaient tous autour de lui en une folle ronde.

Et Théodore se sentait mourir, prenant de grandes goulées d'air comme si elles étaient les dernières.

Ces cinq minutes lui parurent une éternité.

Théodore, es-tu prêt à vivre une très belle aventure ?

Mensonge.

Il n'y avait rien de beau ici.

Et il allait mourir seul.

Il en était convaincu, jusqu'à ce qu'une paire de bras le tire hors de cet enfer. Il resta sur le sol de la salle du temps, à bout de souffle et de force, face à un Agent qui semblait presque se moquer de lui.

— Bien. Très bien. Pile dans les temps. Cinq minutes, comme c'était écrit !

Théodore ne fit aucun commentaire et se releva.

— La semaine prochaine, apportez votre Retourneur de temps. Vous effectuerez alors votre premier voyage.

Théodore écarquilla les yeux.

— Comment…

— Ne vous embêtez pas à poser la moindre question. Personne ici ne pourra vous répondre, quand bien même nous le voudrions. Nous sommes tous soumis au sortilège de mutisme. Vous êtes sur la liste des personnes autorisées à disposer d'un Retourneur de temps. Seuls les gardiens de la salle du néant peuvent le décider. C'est écrit ! C'est écrit ici !

— Qui sont ces gardiens de la salle du néant ?

— C'est écrit. C'est écrit ici, dans le registre !

L'agent haussa les épaules.

Tout était toujours aussi flou et Théodore eut la sensation d'émerger d'un long rêve, désagréable et sur le point de s'effacer. Il tituba, comme ivre, jusqu'à la sortie. il ignora le jobarbille qui le regardait avec espoir. Il passa à travers l'armoire qui venait juste de disparaître et sortit sans demander son reste, en tentant de rester digne et fier.

Il traversa les couloirs, se laissa ballotté dans l'ascenseur, et continua sa route dans le hall principale, remontant l'allée des cheminées par lesquelles les employés arrivaient.

— Théodore ?

Il entendit la voix de Susan et l'ignora, comme il ignorait tout, se fermant hermétiquement au reste du monde qui l'agressait et le torturait.

Les voix le piquaient comme mille aiguilles. Les odeurs l'oppressaient comme des cordes enroulées à son corps. Il ne supportait plus ses propres vêtements.

Il sortit du Ministère rapidement, rejoignant les rues de Londres.

En sentant l'air frais sur son visage, il se rappela enfin qu'il était en vie.

Alors il vomit.

Il se laissa tomber à genoux et se mit à vomir en tremblant, le corps secoué de spasmes et le ventre contracté et tordu dans tous les sens.

Il entendit à peine les paroles rassurantes de Susan, qui lui frottait le dos, à moitié accroupie au-dessus. En revanche, il l'écouta distinctement hurler à une personne de passer son chemin.

— Théodore… Parle-moi ! implora-t-elle. Est-ce que quelqu'un t'a fait du mal ?

Il se releva faiblement, rejetant son aide. Il s'appuya contre un mur sur lequel tous les chiens de Londres avaient probablement uriné et il ferma les yeux.

— Je n'ai pas besoin de toi.

Il ouvrit les yeux, pour retrouver les orages de Susan, traversés d'un éclair blessé et triste.

— Est ce que tu penses que je vaux moins que toi ?

Non. Bien sûr que non.

Je vaux autant que toi et tu vaux autant que moi.

— Et toi ?

— Non, Théodore Nott. Je vaux autant que toi et tu vaux autant que moi. Alors ne me repousse pas. Ne rejette pas l'aide d'une am…

Elle ne prononça pas la fin de sa phrase.

Qui de nous deux est le plus lâche ?

Toi. Toi. Toi.

Susan se bat. Susan s'est battue. Toi, tu fuis et tu rejettes. Tu repousses et tu vomis.

Mais tu ne vaux pas moins qu'elle.

Théodore serra les poings.

— Nous ne sommes pas amis Susan.

Non, ça, ils ne l'étaient pas.

— Tu as raison, fit-elle doucement en souriant. Et c'est parce que nous ne sommes pas amis que je vais te raccompagner chez toi et m'assurer que tu auras autre chose dans le ventre que tes herbes nauséabondes avant de m'en aller.

Elle, elle restera.

Il avait honte de se montrer ainsi devant elle, ses chaussures pleines de vomis et son corps tremblant.

Elle s'approcha de lui, presque timidement.

— Est-ce que je peux te toucher ?

L'air dense qui avait peser sur ses épaules depuis qu'il était entré au Département des Mystères se dissipa.

Avec elle, il pouvait dire oui ou non sans qu'elle ne se vexe, sans qu'elle ne lui impose quoique ce soit.

— Est-ce que tu peux me toucher ? demanda-t-il à son tour.

Il avait remarqué. La peur de Susan. Le malaise de Susan. Les angoisses de Susan. Le courage de Susan. La gentillesse de Susan. La carapace de Susan. Le rouge à lèvres de Susan.

Le rouge à lèvres de Susan qui laissait l'empreinte de ses lèvres sur la paille de son verre de smoothie à la fraise.

Les yeux gris de Susan, comme les ciels d'hiver chargés de neige que Théodore aimait.

Il hocha finalement la tête, en constatant qu'elle ne lui répondait pas et lui donna sa permission.

Alors, elle passa l'un de ses bras autour de sa taille et l'invita à s'appuyer sur elle. Sur le moment, se reposer sur son corps le dérangea.

Susan n'est pas une béquille.

Tu dois avancer sans elle. Tu avanceras sans elle.

Il se dégagea de son emprise et marcha tout seul, sortant de la ruelle.

— Il faut que l'on retourne au Ministère pour transplaner, indiqua-t-elle.

Il traversa la route, ne se rappelant même pas l'avoir fait lors de l'allée, et s'arrêta à mi-chemin, ses jambes incapables de lui obéir plus longtemps. Susan resta à ses côtés et attendit. Lorsqu'une voiture s'arrêta en pilant devant eux, Théodore grommela et lui adressa son majeur, en marmonnant quelques brèves excuses. Le bolide klaxonna avant de repartir et Susan le regarda, choquée :

— Tu viens de faire un doigt d'honneur à une voiture ?

— Il est normal que je lui présente mes excuses de bloquer ainsi la circulation !

— Des excuses ? bredouilla Susan. Mais Théodore… c'est offensant !

— Lisa m'a dit que …

Il s'arrêta en comprenant.

Susan éclata de rire et il se mit à rire avec elle.

OOO

Il faut toujours un hiver pour bercer un printemps.

« Chaque chose vient en son temps », c'était ce que signifiait la phrase préférée de sa mère.

Mais l'hiver l'avait écrasé. Le printemps lui avait tout enlevé. Et l'été…

L'été n'avait jamais été sa saison préférée.

Et pour la première fois depuis quelques mois, une partie de lui espérait cependant que cela ne serait pas son dernier.

OOO

— Nott.

— Pucey.

Ce dernier le détailla froidement.

— T'as la gueule d'un inferni qu'on aurait transformé quatre fois.

Théodore ne répondit pas, à la plus grande surprise d'Adrian.

Leurs petites joutes verbales étaient pourtant leur seul moyen de communiquer, ce qui avait plus d'une fois rendu Lisa complètement folle.

— Allons… Pas de commentaire sur mon cerveau de strangulot ? Pas de menace à proférer à mon encontre si je laisse la fenêtre ouverte alors que Lisa déteste avoir froid ?

— Nous sommes en été et il fait vingt-huit degrés. Si elle déclare avoir froid, c'est que c'est elle, qui a un cerveau de strangulot.

Adrian et lui avaient évolué dans les mêmes cercles privilégiés. Ils étaient des héritiers, des hommes, nés dans un milieu où les sorciers ne se mélangeaient pas avec ceux qui ne le méritaient pas. Ils avaient joué ensemble. Ils avaient grandi ensemble. Ils étaient d'ancien Serpentard, pétris d'arrogance et d'ambition.

Mais ils étaient si différents…

Adrian était exubérant, et Théodore renfermé.

— J'étais venu voir Lisa.

Adrian abandonna sa posture agressive, qu'il adoptait toujours en présence de Théodore.

— Je me doute bien.

— Elle n'est pas là, constata-t-il.

— Susan avait un rendez-vous important. Elle a demandé à Lisa de l'accompagner.

— Très bien.

Il fit un tour sur lui-même et observa l'appartement. C'était un véritable bazar. Il s'arrêta sur une tasse de café à moitié vide, servie dans le mug de Lisa.

— Elle ne devrait pas boire de café. C'est mauvais pour le fœtus, commenta-t-il.

Adrian écarquilla les yeux et les posa sur la tasse de café. Il fit quelques pas, pour la prendre entre ses mains, et déversa son contenu dans l'évier de la cuisine.

— Merci…

Théodore commença à jouer avec le billet dans sa poche.

Il avait plusieurs fois ressenti le besoin de le toucher ces derniers temps, pour se calmer et s'ancrer dans le réel.

Il sortit le faux billet et le caressa du bout des doigts.

Théodore, es-tu prêt à vivre une très belle aventure ?

Mensonge.

Sa vie n'avait rien d'une belle aventure.

Adrian lui sourit depuis la cuisine. Un sourire irritant, qui signifiait « je sais quelque chose que tu ne sais pas ». Le genre de sourires qui faisait que Théodore n'aimait pas Adrian.

— Une telle couleur pour l'encre, c'est forcément un mot de Susan !

Théodore bougonna.

Ce n'était pas l'écriture de Susan.

Et il la connaissait par cœur, son écriture. Après avoir lu ses conclusions d'avocates, ses discours, les projets de lois qu'elle comptait soumettre, l'écriture de Susan n'avait aucun secret pour lui.

Théodore se souvenait de tout.

Toujours de tout.

D'absolument tout.

— Qu'importe la nature de ta relation avec Susan, que vous ayez dépassé ce stade où vous vous détestez seulement parce que vous ne savez pas comment vous aimer, s'il vous plaît… Ne mêlez pas Lisa à vos histoires, lui demanda Adrian.

— Susan sait aimer. Et moi aussi.

— Je n'ai pas dit que vous ne saviez pas aimer. J'ai dit que vous ne saviez pas comment vous aimer. C'est très différent, lui fit remarquer Adrian.

— Je ne comprends rien à ce que tu dis.

— Bien sûr, Nott. Continue de me prendre pour le dernier des crétins….

Théodore leva les yeux au ciel et caressa le papier du bout des doigts.

Théodore, es-tu prêt à vivre une très belle aventure ?

Il allait bientôt mourir de toute façon.

À quoi bon ?

À quoi bon vouloir chercher à découvrir ce qu'il ressentait pour Susan ?

À quoi bon vouloir percer les mystères de sa mère ?

— Comment est-ce que tu sais, si une aventure en vaut la peine ?

Adrian écarquilla les yeux une nouvelle fois.

— Comment est-ce qu'on accepte de faire entrer quelqu'un dans sa vie, alors qu'il nous reste si peu de temps ? Comment est-ce qu'on accepte de la laisser entrer, alors qu'elle repartira forcément un jour ? Comment est-ce qu'on sait que prendre ce risque, nous apportera des bénéfices ? Comment peut-on partir à l'aventure sans savoir ce qui nous attend ?

— C'est la définition même de l'aventure, Nott.

— Alors je ne suis pas faite pour elle.

— T'as beau être l'une des personnes les plus intelligentes de ce monde, tu peux être sacrément débile quand tu le veux… Apprendre à marcher, c'est une aventure. Allez pour pour la première à Poudlard, c'est une aventure. Lancer un sort que tu n'avais jamais lancé, c'est une aventure. Commencer une nouvelle carrière, aller dans un endroit nouveau, rencontrer quelqu'un… Ce sont des aventures. Des aventures, t'en vis tout le temps, Nott. Certaines font plus peur que d'autres, certaines en valent plus la peine mais… Mais tu en retires forcément une expérience.

Il caressa le jobarbille, lové contre son prénom.

— On m'a proposé une aventure et l'avant-goût que j'en ai eu m'a terrifié.

— C'est que cette aventure n'est peut-être pas faite pour toi. Ou que tu as besoin de plus temps.

Du temps.

Il n'en avait pas.

La trotteuse de l'horloge de Lisa le narguait.

— Et pour le reste… les gens qui t'aiment peuvent partir, Théodore. Mais ce n'est pas pour autant qu'ils t'abandonnent. Susan est l'une des personnes les plus loyales que je connaisse.

Siempre fidelis.

Toujours fidèle.

— La devise des Nott, s'amusa Adrian.

— Susan n'est fidèle qu'à ses valeurs.

— Susan t'aime beaucoup.

— Susan ne sait pas aimer moins.

Adrian se mit à sourire.

— C'est vrai…

— Et moi, je ne comprends rien.

— Bien qu'il soit plaisant de t'entendre prononcer ces mots plus d'une fois en l'espace de quelques minutes, je dois te dire qu'ils sont assez irritants.

— J'aime Lisa.

Adrian se figea un instant et serra le rebord du comptoir de la cuisine. Théodore n'en revenait de confier une pensée aussi intime à Pucey…

— J'aime Susan.

Colombe, le chat de Lisa, commença à se frotter aux jambes de Théodore.

Théodore n'avait jamais eu peur d'employer les bons mots, mêmes lorsqu'ils étaient forts d'un sens particulier ou presque sacré.

Théodore aimait Lisa. Théodore aimait Susan.

Il n'avait pas honte de le dire.

— Je les aime toutes les deux aussi fort, mais… différemment et je ne comprends pas.

Adrian sembla se détendre et son corps se relâcha.

— Je pourrais te lister toutes les raisons pour lesquelles j'aime Lisa. Je pourrais tenter de t'expliquer pourquoi j'aime Susan. Je serais capable de te dresser une liste de ses qualités et de ce qui me plaît chez elle, tout comme Lisa et pourtant, cette liste n'aurait pas de sens parce que je pense que tout à une explication, sauf… Sauf tout ce qui me ramène à Susan.

Elle lui faisait voir le monde autrement. Pas comme il voulait le voir ou comme il pensait le voir. Mais comme elle le voyait elle, avec ces nuances de gris et de blanc. Il l'aimait parce qu'elle lui donnait envie d'être une meilleure personne. Parce qu'elle était gentille et pleine d'esprit, parce qu'il aimait rire avec elle. Ses yeux. Ses cheveux. Son sourire. Ses gestes. Son odeur. Ses balbutiements. C'était elle. Simplement et évidemment elle. Il ne l'expliquait pas. C'était effrayant et grisant. C'était nouveau et rassurant.

Il avait envie de Susan.

Envie de discuter avec elle. De la voir. De passer du temps avec elle. De lui servir de cobaye pour ses recettes. De se moquer de ses cardigans si originaux qu'il n'aimait que sur elle.

— Il y a quelque chose, dans ce que je ressens pour elle, que je n'explique pas.

Tout avait sa raison d'être.

Susan était une énigme que Théodore ne voulait pas résoudre. Il l'aimait ainsi. Il l'aimerait autrement aussi, il le savait.

— Tu es amoureux d'elle, crétin.

Tu le savais déjà, au fond.

Et il aura fallu qu'un imbécile tel que Pucey te le dise pour que tu l'assimiles.

— Je ne comprends rien.

Adrian soupira.

— L'amour n'est-il pas censé être plus fort que l'amitié ?

— Non, répondit Adrian. Ce sont deux sentiments qui peuvent être très forts… mais différents.

Théodore se pencha pour caresser Colombre.

— Je pense que toi aussi, tu aimes beaucoup Théodore.

— Je ne sais pas comment aimer autrement, avoua-t-il en souriant.

Il y avait quelque chose en Susan, qui en appelait une autre en Théodore. Elles se répondaient et se comprenaient.

— Ton problème Nott, c'est que t'es perfectionniste. Tu veux le meilleur et être le meilleur. Mais ce n'est pas possible… T'as des failles. T'es humain, comme le commun des mortels. Susan a le même défaut que toi. C'est pour ça, que je disais que vous ne savez comment vous aimer. Vous ne serez jamais parfaits. Alors n'attendez pas de l'être pour être heureux.

Théodore le regarda sérieusement un instant.

Pour recevoir les conseils de séduction d'Adrian Pucey, c'était qu'il était tombé bien bas…

— Dis à Lisa que je suis passé.

Il ne s'embarrassa pas d'un « s'il te plaît ».

Ils n'en étaient pas encore au stade des civilités.

— Et jette tout le café avant qu'elle ne revienne. C'est vraiment mauvais pour le fœtus, ajouta-t-il.

— Si Lisa a décidé de boire du café, rien ne l'en empêchera…, plaisanta Adrian.

Théodore opina, imaginant sans peine Lisa n'en faire qu'à sa tête.

— Il faudra que tu prennes bien soin d'elle et du fœtus, fit Théodore d'un ton solennel.

— Oh, tu seras sûrement là pour m'assister dans cette tache, sur ça, je te fais confiance, Nott.

Théodore fut surpris de cette nouvelle complicité entre lui et Adrian, qui ne s'étaient jamais appréciés.

— Et s'il te plaît… Arrête d'appeler ça un fœtus… C'est étrange !

— Il n'en est qu'au stade embryonnaire ? Je croyais pourtant que Lisa était entrée dans son deuxième trimestre de grossesse.

Adrian cilla devant le sérieux de la question de Théodore.

— Non, c'est…

Adrian soupira et pinça les lèvres.

— Tu peux dire « le bébé », tu sais ?

Non.

Non, surtout pas.

Il ne pouvait pas.

Un bébé avait un nez, une bouche, des yeux, un rire. On le prenait dans ses bras et il grandissait.

Théodore ne verrait jamais tout ça.

Un fœtus…

Ce ne serait qu'un fœtus et il devait le rester.

Car cela faisait trop mal. Bien trop mal, d'imaginer un petit être que Théodore aurait été capable d'aimer si for et qu'il se retenait déjà d'aimer, tout en sachant qu'il ne le connaîtrait jamais.

Théodore arrêta de caresser Colombe et s'en alla en direction de la porte. Avant de partir, il s'adressa une dernière fois à Adrian :

— Je ne t'ai pas félicité pour… le bébé. Alors… Mes félicitations. Je vous souhaite beaucoup de bonheur.

Il ferma la porte sans attendre la réponse d'Adrian.

OOO

La lumière de la fenêtre d'en face était allumée. Théodore tira un peu plus sur les rideaux et jeta un coup d'œil discret. Il distingua son corps. Il s'adossa un instant contre le mur et soupira lourdement.

Je suis ridicule.

Il se décida après quelques secondes à recommencer et resta plus longtemps, posté devant sa fenêtre. Elle portait un pyjama et avait attaché ses cheveux ni châtain, ni blond, ni roux en un immense chignon qui trônait au-dessus de sa tête. L'orage avait dû la réveiller.

Et lui, il tremblait de peur. Il n'aimait pas le tonnerre. Il n'aimait pas les éclairs. Il ne supportait pas cette pluie si violente qui frappait ses carreaux. Il y avait trop de bruits. Trop de bruits forts et assourdissants. Il ouvrit sa fenêtre pour laisser la pluie entrer. Sans obstacle contre lequel se fracasser, il supposait que chanson chaotique prendrait fin.

Il inspira un grand coup et compta les secondes.

Cela était pire.

L'odeur du béton de la rue d'en bas, chauffé par le soleil, sentait fort. L'herbe sèche. La rouille. Il fût assailli et glissa sur le sol.

C'était désormais son dos que la pluie frappait.

Il n'entendit pas la porte, que l'on toquait avec douceur. Il ne vit pas non plus tout de suite Susan

Susan, qui appelait son prénom avec tant de douceur que Théodore n'eut d'autres choix que de relever la tête pour rassurer son inquiétude.

Le gris des yeux de Susan avait un goût de pêche. La pêche était douce comme du taffetas. Le taffetas était sucré comme les crêpes au miel que Susan préparait. Les crêpes au miel avait le son que faisaient les vagues lorsqu'elles s'échouaient sur la grève.

Elle s'assit à ses côtés, dans la flaque d'eau que les pluies diluviennes en train de se déverser sur eux avait formé sur le parquet.

Ils tournaient le dos au mauvais temps, et Théodore aimait cette image.

— Il serait peut-être temps que tu meubles convenablement cet appartement, Théodore.

— Je voulais commencer par installer un bassin d'intérieur.

Il n'entendit pas le dernier éclair, lorsque Susan éclata de rire.

Théodore n'entendit pas la pluie s'arrêter, lorsqu'il comprit et admit définitivement qu'il en était éperdument amoureux.