Les jobarbilles construisaient des nids à même le sol, en forme de tour. Ils étaient solides et une fois abandonnés, ils pouvaient servir à d'autres oiseaux comme refuge pour les protéger.
Il faut toujours un hiver pour bercer un printemps.
Ces oiseaux partaient l'été, une fois leur mission accomplie, laissant leurs nids à ceux qui en auraient plus besoin qu'eux.
Théodore avait lu tout ce que l'on pouvait lire sur les Roulet-Bouley.
Ils avaient choisi les jobarbilles comme emblème pour leur incroyable mémoire auditive et leur silence. Ces créatures gardaient en elles tout ce qu'elles entendaient et ne le confiaient qu'à leur mort, en un long cri déchirant et inaudible.
Les Roulet-Bouley étaient pareils. Ils avaient gardé des secrets. Ils en avaient été à l'origine. Pour leurs expériences, leurs soifs d'apprendre et de comprendre la magie, le temps, l'espace et tout ce qui n'avait pas encore d'explication, ils avaient sacrifié leur propre sang, leur propre avenir.
Théodore Nott n'avait pas leur altruisme.
Parce que désormais, il voulait vivre sans avoir peur de passé, sans se soucier du futur.
Il voulait vivre dans son présent.
Le Département des Mystères avait toujours été un lieu dans lequel on pouvait trouver un Roulet-Bouley.
Il était leur nid.
Et les Roulet-Boulet étaient les jobarbilles qui l'habitaient à chacun de leurs printemps.
OOO
Théodore était pragmatique et juste, sûrement plus que Susan. Il ne croyait pas en la pureté du sang. Il ne se fiait qu'à la logique, en ce qui était prouvé. Il aimait la raison et la vérité. C'était un sorcier, un homme de sciences, qui ne demandait que la cohérence et n'appelait qu'à la prudence des opinions qui n'étaient qu'appauvries par les sentiments lorsqu'elles émanaient de victimes légitimes, mais en colère.
Susan, elle, n'était faite que de sentiments et d'humanité. Elle pleurait avec les victimes qu'elle défendait. Elle les connaissait toutes. Elle se rendait malade, nuits et jours pour elles. Elle se battait, elle s'investissait, elle se donnait entière. Mais la justice, elle, n'était pas une dame. Elle n'était pas humaine. Elle était comme Théodore, car pour être équitable et objective, il ne fallait avoir aucun affect et s'affranchir de toutes ses émotions. Et pourtant... Comment ignorer la souffrance et rendre justice sans prendre en compte tout ça ?
Eux deux, ils étaient l'équilibre et la balance. Le glaive et le bouclier.
— Pourquoi tiens-tu tant à m'aider ?
Plus que jamais, Théodore Nott avait besoin d'avoir une réponse. N'importe laquelle.
— Je n'en sais rien, articula lentement Susan en regardant droit devant elle.
Sauf peut-être celle-ci.
Ou alors…
Exactement celle-ci.
Elle se pencha, pour ramasser sa plume, qu'elle venait de faire tomber et parce qu'il savait d'avance qu'elle se cognerait la tête contre le coin de la table, ce qu'elle faisait toujours, il y plaça sa main pour l'en protéger.
Lui dire de faire attention n'était visiblement pas suffisant.
Les deux Aurors semblèrent surpris de le voir si attentif envers son avocate. Théodore les ignora.
Justin Finch-Fletcher se tenait droit en face d'eux. Il évitait les yeux gris de Susan et l'ancien Serpentard ne pouvait lui en tenir rigueur.
Théodore connaissait Susan depuis assez longtemps pour savoir que seuls son professionnalisme et son intégrité la retenaient de se jeter sur son ami pour lui demander la raison de tout ceci.
— Très bien. Nous sommes actuellement le treize juillet deux-mille-deux et il est dix heures. La confrontation est de l'initiative de l'accusation, représentée par Maître Smedley. La défense, quant à elle représentée par Maître Bones, a accepté l'audition à huit clôt.
L'Auror cessa de réciter son texte et laissa tomber ses parchemins de lois avant de se positionner entre les deux parties qui se faisaient face, sagement assise de part et d'autre d'une table.
Pendant une éternité, il ne demeura dans cette pièce que le silence, que Théodore, Susan et Justin semblaient se renvoyer continuellement.
Ils savaient que le premier d'entre eux qui prendrait la parole signerait un aveux de faiblesse.
Théodore n'était certainement pas celui qui plierait.
— Il va sans dire, Madame Bones, que votre présence ici est des plus inattendue, pour ne pas dire le mot qui vous fâchera j'en suis certain,… des plus incongrue !
Susan se redressa piquée au vif.
Théodore l'avait imité.
Sa tête se mit à tourner.
Il venait d'un monde où les titres avaient une importance. D'un mot, d'un rang, on accordait et on reconnaissait le statut d'une personne ainsi que son pouvoir, ses droits et ses devoirs sur ceux qui l'entouraient. En refusant d'appeler Susan « Maître », cet homme venait de la provoquer et cherchait à l'humilier.
Il aurait dû fumer avant de se présenter au Bureau des Aurors.
— De toute ma carrière, je n'avais jamais eu l'occasion d'observer autant de vices de procédure concentrés en un seul dossier.
— Veuillez les décliner explicitement, Maître, je vous prie, demanda Susan d'un ton froid.
— Et bien, pour commencer, il y a votre lien très étrange avec Madame Roberts.
— Nous avons rompu tout contact le18 juin dernier, date à laquelle j'ai moi-même informé le Magenmagot de mes entretiens personnels avec Madame Roberts, et dont j'ignorais l'identité et le lien filial avec la victime des faits.
— Sans parler maintenant du fait que vous êtes amie avec le seul témoin ayant porté l'accusation auprès de l'Instance.
— Où voulez-vous en venir, Maître ?
— Il est évident que votre implication dans cette affaire dépasse le cadre professionnel. Mon client demande à ce que vous vous retiriez de l'affaire. Pour votre propre bien.
— Vous pourrez donc dire à votre client que j'ai toujours été apte à prendre soin de moi-même et que mon propre bien ne concerne que moi.
Théodore ne montra rien.
Mon propre bien ne concerne que moi.
Mais il affecte ceux qui t'aiment, Susan.
Il l'affectait lui.
Théodore avait à coeur le bien-être de Susan.
Théodore se préoccupait d'elle. Tout comme Justin. Il devait s'inquiéter… Théodore le concevait parfaitement.
— Mon client insiste.
Susan cligna des yeux et les redirigea vers Justin, perdant définitivement patience :
— Est-ce ce que tu veux, Justin ?
Il releva les yeux, brillants.
De tristesse, pour Susan.
De colère, contre Théodore.
— Vous n'êtes pas tenu de lui répondre, avança l'avocat en s'adressant au jeune homme.
— Je ne me retirerai pas ce dossier. Théodore Nott a répondu aux nombreux interrogatoires des Aurors, qui ont pour mission d'enquêter à charge et à décharge. Les récents examens faits sur la baguette de Théodore Nott démontrent qu'aucun sortilège impardonnables n'a été lancés.
— Ce qui ne l'aurait jamais empêché d'utiliser la baguette d'autrui…, contra Maître Smedley. Dois-je vous rappeler par ailleurs que le sortilège ayant entraîné le décès de la victime…
— Colin Crivey, l'interrompit Susan. La victime s'appelle Colin Crivey.
Crivey.
Cri-vey.
Cri.
Vey.
— Le décès de Monsieur Crivey a été causé des suites d'un diffindo. S'il a été prouvé que Monsieur Nott n'avait jamais lancé le moindre sortilège impardonnable de sa baguette, celle-ci porte tout de même des traces de puissants maléfices et incantations relevant de la magie noire.
— Toujours lancés à des fins purement académiques et pour lesquels Théodore Nott a toujours démontré un intérêt public et notoire.
Susan rendait coup pour coup.
Le dialogue n'en finissait pas et ne fut rompu que par Justin, qui s'exprima enfin :
— Susan, je t'en prie… Ce n'est qu'un dossier.
Susan se pétrifia, puis serra les bords de la table.
— Ce n'est pas qu'un dossier !
— Mais je l'ai vu Susan ! Je l'ai vu de mes yeux, ce soir-là, penché au-dessus du corps sans vie de Colin ! s'écria Justin.
— Mais l'as-tu vu, oui ou non, lancer ce diffindo ?
L'ancien Poufsouffle resta muet.
— Quand je suis arrivé, Colin était déjà mort.
— Oui ou non ? insista Susan.
— Il y avait une marre de sang !
— Oui ou non, Justin ?
— Tu le crois lui et pas moi ?
— Il n'est pas question de croyance, grommela Susan.
Théodore détestait entendre Susan mentir. Elle le faisait trop bien, depuis trop d'années.
Elle n'avait jamais menti pour lui. Ni même avec lui : elle n'y était jamais parvenue car il détectait trop bien ses mensonges.
— On se connaît depuis nos onze ans. Tu m'as fait visiter Poudlard. Tu as fait tous mes devoirs de botaniques à ma place pendant sept ans. Tu es la première personne à qui j'ai parlé de mon béguin pour Ron Weasley et la première également à m'avoir dit « je t'aime ». Nous sommes amis depuis si longtemps Susan… Je te considère comme ma famille.
— Tu savais. Tu savais que Lisa m'avait demandé de l'aider. Tu savais et tu ne nous as rien dit, lui reprocha-t-elle.
— Lisa s'est entichée de Nott. Et toi… Pour faire plaisir à Lisa, tu irais jusqu'à faire semblant de l'être également ! haussa-t-il également le ton.
Théodore se tourna vers Susan. Elle criait des mots qu'il ne comprenait pas, en un ancien anglais qui ressemblait étrangement à du gaélique.
Qu'elle était belle, avec ses rides aux coins des yeux et ses cheveux striés de gris.
Depuis quand portait-elle des lunettes ? Cela lui allait bien.
Et Justin en face de lui était devenu un bambin arborant une barbe longue et blanche tout en braillant des mots incompréhensibles.
Tout tournait. Vite. Gris. Puis trop de couleurs.
Il ne comprenait rien.
Tout lui échappait et sa tête bourdonnait.
— ASSEZ !
Théodore avait crié.
Il s'était levé et il avait crié.
Juste avant de s'évanouir.
OOO
Théodore se souvenait des chansons que lui chantait sa mère.
Elles étaient douces et naïves.
Comme l'étaient toutes les comptines que l'on chantait aux enfants.
La voix de Lisa lui faisait l'effet de l'une d'elles.
Elle était rassurante, réconfortante, comme une couverture dont il aurait voulu s'envelopper toutes les nuits pour enfin s'endormir paisiblement.
— Il reprend conscience, annonça Susan.
La voix de Susan, elle, était comme les étoiles.
Théodore ouvrit les yeux pour la découvrir, en train de regarder par la fenêtre d'une chambre blanche. Le soleil était radieux. Il tenta de s'asseoir, dans ce tout petit lit qu'il ne connaissait pas et enleva le châle bleu nuit de Lisa, avec lequel on l'avait bordé.
— Merlin, Théodore !
Lisa se jeta dans ses bras et Théodore, qui savait que sa meilleure-amie ne faisait qu'exprimer son inquiétude et sa tendresse envers ce simple geste, se contenta de refermer les siens autour d'elle. Elle posa une main sur son front et fronça les sourcils.
— Tu as encore de la fièvre. Il faut rappeler les médicomages !
Elle bondit du lit qu'elle avait envahi et laissa Susan et Théodore seuls. Elle continua de regarder par la fenêtre. Ses talons avaient été alignés devant l'un des murs.
— Tu es à Sainte-Mangouste, l'informa-t-elle en examinant avec attention les nuages. Tout va bien. Tu es en sécurité. Personne n'arrivait à te faire reprendre conscience alors tu as été transporté d'urgence ici. Cela fait deux jours, que tu dors.
Il ne se sentait pas du tout reposé.
Son corps était lourd, enfoncé dans le matelas. Ils ne faisaient même plus qu'un.
Il ne pouvait pas bouger.
Il ne pouvait pas se concentrer trop longtemps sur un point précis.
Ses yeux le brûlaient et sa gorge était en feu.
Cependant, il distinguait parfaitement la couleur rose fuchsia du haut de Susan. Elle s'était changée.
— Lorsque tu as été pris en charge, on m'a demandé tes antécédents.
Elle se tourna enfin vers lui, se décollant de la fenêtre.
Théodore s'aperçut qu'elle pleurait.
— Tu as une mine atroce.
— Regarde-toi, Nott, siffla-t-elle.
— Ton mascara est en train de couler.
— T'es qu'un imbécile.
Il ne trouva rien à dire. Il y avait une guerre en lui, qui se jouait maintenant et dont personne ne semblait avoir conscience.
Personne à part Susan Bones qui était déterminée à se battre à ses côtés.
— Je n'ai rien dit, reprit-elle. Lorsqu'on m'a demandé tes antécédents, je n'ai rien dit.
Elle n'essuya pas les deux sillons noirs sur ses joues pâles.
Elle le fusilla du regard.
Elle avait eu peur.
— Lisa sait pour Justin. C'est lui qui l'a prévenu que nous devions t'emmener à Sainte-Mangouste.
Théodore ferma les yeux un instant, épuisé.
— Je ne peux pas lui mentir, Théodore. Je ne peux pas faire semblant et la rassurer sur ton état de santé alors que je sais…
Il eut la certitude que ce serait la seule chose qu'elle ne ferait pas pour lui.
Pour la première fois depuis qu'il se savait malade et condamné, Théodore se mit à maudire son destin.
Il était sage, d'après lui, de ne jamais lutter contre la fatalité.
Il était malade.
Mais il existait une solution.
Et plus que tout, il voulait vivre.
Il avait survécu au printemps pour Lisa.
Il voulait vivre pour lui et ce qui l'attendait au prochain été.
Il voulait vivre, non pas pour Lisa, pour son bébé ou pour Susan. Il voulait vivre pour lui. Il voulait vivre, égoïstement, pour savoir ce que l'avenir lui réserverait, pour vivre sa belle aventure qu'on lui avait promis. Il voulait plus de soleil et de premières fois. Il voulait des crêpes au miel. Il voulait le ventre rond de Lisa. Il voulait son siège au Magenmagot. Il voulait dissoudre cette assemblée de vieux mages aux idées rétrogrades.
Tu dois te donner une chance d'être toi, et pas qu'un nom. Tu n'es pas qu'un Serpentard repenti à qui on ne fera jamais confiance, alors que tu as tant encore à prouver, tant à dire et à faire, Théodore.
Théodore avait toujours été quelqu'un de confiant. Il n'avait jamais eu peur de l'avenir avant ce procès, avant de découvrir que sa mère était une Roulet-Bouley…
Que lui était-il arrivé ?
Tu es malade.
Tu es malade dans ta tête et dans ton corps.
Cette réalité le frappa.
On ne lui avait jamais appris à demander de l'aide. Bien au contraire.
Demander de l'aide, c'était pour les faibles, c'était pour ceux qui n'avait jamais l'audace ou l'intelligence de se sortir de situations qu'ils auraient dû éviter.
Théodore prit une grande inspiration avant de faire la chose la plus terrifiante qu'il avait jamais fait jusqu'à maintenant.
— Susan ?
Elle lui sourit à travers ses larmes.
— Oui ?
— Pourrais-tu m'accompagner demain au Département des Mystères ?
Susan se dirigea vers la table de chevet et lança un aguamenti, faisant se remplir un verre qu'elle offrit à Théodore.
Ses ongles de pieds étaient vernis de dix couleurs différentes et il trouva ça ridicule.
Et un peu marrant, aussi…
OOO
Lisa adorait Bonnie Tyler et ne chantait que des chansons de son registre en ce moment.
— On voit bien saturne, ce soir, commenta Théodore.
— Oh !
Elle leva la tête de son invention du moment.
— Tu as raison !
— Sur quoi travailles-tu ? lui demanda-t-il.
— L'alioscript ! se réjouit-elle en se frottant les mains.
Il sourit, un brin amusé. Lisa n'abandonnait jamais une idée.
Elle reposa pourtant sa baguette et s'assit à côté de Théodore, sur son balcon.
— J'aime regarder les étoiles avec toi.
Elle embrassa sa joue et se lova contre lui.
— S'il te plaît, Théodore… Je suis inquiète. Je ne sais pas ce que tu as. Mais guéris…
— Je ferais de mon mieux Lisa.
Comme toujours.
Il avait besoin d'aide.
Et il avait ironiquement besoin de temps.
Cet ingrédient était un remède bien curieux ou un poison plus que fatal.
Mais Théodore en ferait son vaccin.
Il méritait sa guérison.
OOO
If I sing you a love song, let it always be with you
When the others have gone away, let it still be there
Les paroles de la chanson de Lisa lui revenaient.
Elle aimait Bonnie Tyler.
Et toutes ces chansons ringardes qui venaient d'une autre époque.
Lisa était étrange. Pour les sorciers comme pour les moldus… Mais Théodore l'aimait ainsi et il aurait apprécié qu'elle soit également avec lui.
Aucune lumière ne pourrait jamais trouver Théodore. C'était ce qu'il se disait… Alors, il avait besoin de créer la sienne. Lisa ne pourrait pas toujours l'éclairer.
Le dos de la main de Susan effleura la sienne.
Il peinait à marcher.
Mais Susan était là alors il avançait.
— Madame Bones ! Monsieur Nott ! Ponctuels, comme toujours ! les salua l'Agent Sallow. C'est écrit ici ! C'est écrit ici !
Susan ouvrit la bouche mais la referma rapidement lorsqu'il les fit entrer dans la Salle du temps. Elle hoqueta de surprise, lorsque la porte de la treizième salle se dessina.
— Bien. Une fois dans la salle du néant, vous tournerez l'anneau interne, soit le troisième de votre retourneur de temps très exactement…
L'agent s'arrêta en plein milieu de sa phrase et éplucha un gros registre, qui aurait dû peser le poids d'un hippogriffe si on ne lui avait pas lancé un sort. Les pages se mirent à tourner, provoquant une légère brise qui fit se soulever les cheveux de Susan.
— Deux-cent-vingt-deux fois !
— Pourquoi ? demanda Théodore.
— Parce que c'est écrit.
— Quel est cet endroit ?
— La salle du néant, répondit simplement l'agent.
Il prenait un malin plaisir à répondre aux questions de Théodore tout en ne lui donnant jamais satisfaction.
— Qui m'a envoyé ce message ?
— Un message ? Quel message ? s'impatienta l'agent. Écoutez, Monsieur Nott… Les personnes qui ont le privilèges d'accéder à ce genre d'endroit sont triées sur le volet. Madame Bones et vous-même y avaient accès pour des raisons strictement confidentielles que je ne connais pas moi-même.
Il leur présenta le registre, qui indiquait la page de ce jour.
« Susan Bones et Théodore Nott se présenteront au département des Mystères. Ils y seront reçus à midi. Théodore Nott effectuera son premier voyage dans la salle du néant. Il durera une heure. Madame Bones l'attendra à l'extérieur et cassera l'un des miroirs en cristal de Néathid. »
Susan se mit à rougir furieusement.
— La procédure est simple, termina l'agent en s'adressant à Théodore. Après ça… Vous devriez déjà vous sentir mieux, je suppose !
Il savait pour la maladie des Roulet-Bouley.
Il savait, mais ne pouvait probablement rien dire.
Les Langues-de-plombs étaient des gens qui donnaient froid dans le dos.
— Vous trouverez, après avoir éllapsé dans la salle du néant, des règles qu'il faudra suivre à la lettre. Cela évidemment, pour l'équilibre de ce monde et pour ne pas perturber le cours du temps. Tout ce qui se passera dans cette salle n'est en aucun cas le fruit du hasard. Je crois que vous n'êtes pas s'en savoir que jouer avec ce-dernier peut avoir des conséquences tout à fait désastreuses et néfastes… Vous ne pourrez revenir que lorsque le document aura été signé. Et vous le signerez. Puisque c'est écrit dans mon registre ! Ne vous inquiétez pas : tout ce qui se passe dans la salle du néant n'a de conséquence que pour les voyageurs…. C'est pour ça qu'on l'appelle la salle du néant : elle n'a ni espace ni temps et n'existe que pour ceux qui la visite.
L'agent se frotta les mains, comme s'il avait attendu ce moment toute sa vie et il partit faire un tour, laissant Susan et Théodore seuls, dans une pièce aux mille curiosités.
— Tu avais raison, marmonna-t-il.
— Il va falloir que tu te montres plus précis, cela m'arrive souvent, et toujours en ta présence, tenta-t-elle de plaisanter.
— Je dois me servir du retourneur de temps pour aller mieux, expliqua-t-il enfin.
Susan méritait de savoir.
Il lui avait confié le fardeau de sa maladie à la fin du printemps.
Alors elle devait savoir.
— Je ne comprends rien à ce qui se passe ici, Théodore. Éllapser n'est même pas un verbe qui figure dans le dictionnaire. Les miroirs en cristal de Néathid sont une légende ! Leur existence n'a jamais été prouvé et la plupart des historiens magiques donneraient n'importe quoi pour en voir un alors s'ils savaient que je m'apprête à en casser un …
Théodore fronça les sourcils.
— Tu ne l'as pas encore fait. Tu ne le feras peut-être pas.
Susan lui sourit tout doucement.
— Est-ce que tu as peur ?
Il hocha la tête avant d'avouer la vérité :
— Je suis terrifié. La dernière fois que je suis entré dans cette salle, j'ai cru que j'allais mourir.
Et il savait que la maladie des Roulet-Bouley aurait raison de lui, s'il ne faisait pas ce voyage…
— J'aimerais pouvoir t'accompagner plus loin, confia Susan.
C'était une aventure qu'il devait vivre seul.
Cependant, les vrais aventuriers ne partaient pas sur un coup de tête. Ils se préparaient, anticipaient, connaissaient le terrain.
Théodore, lui, y allait en aveugle.
Une attitude qui lui ressemblait bien peu.
Alors il prit sa main dans la sienne, pour mieux la lâcher le moment venu.
OOO
Règle 1 : La date du voyage ne sera jamais communiquée au voyageur. Aucune prise de rendez-vous ne sera possible. Il viendra quand le moment sera venu, selon sa propre volonté ou les symptômes de la maladie si le voyageur est un Roulet-Boulet.
Règle 2 : Le voyageur ne devra jamais parler de cette salle sous aucun prétexte, tout événement relevant de la force majeure étant automatiquement écarté. Seules les personnes inscrites sur le registre, remis entre les mains de l'Agent Ministériel du temps et de l'espace est apte à connaître le secret et sera soumis au sortilège de Langue-de-plomb.
Règle 3 : Les voyageurs Roulet-Bouley n'ellapseront qu'à l'apparition du premier symptôme ou avant leur vingtième année révolue. Ils pourront se faire accompagner d'un adulte de la famille désigné par le voyageur, à condition que cet adulte figure déjà sur le registre et vive dans le présent de la même boucle temporelle qu'eux.
Règle 4 : Les voyageurs ascendants et descendants ne devront jamais entrer en contact ou se rencontrer dans la salle du néant, et ce, pour leur propre bien et celui de leur avenir.
Théodore signa.
Il comprit à travers les lignes.
Il était sauvé.
Il ne savait pas comment.
Il ne savait pas grâce à qui.
Mais il vivrait.
Il commençait à tourner l'anneau interne de son Retourneur de temps.
Il tombait dans le vide et il avait peur.
Pourtant, il ne s'était jamais senti aussi libre de toute sa vie.
OOO
Cet endroit était étrange.
Il y avait un pare-brise et des essuies-glaces qui allaient de gauche à droite, dans un rythme frénétique et irrégulier. Il y avait une télévision, qui diffusait un programme aux personnages très bruyants, qui se disputaient et se réconciliaient. Théodore avait visionné deux épisodes déjà. Il y avait des diricos. Ils apparaissaient et disparaissaient. Il y avait des vieilles robes de sorcier. Les objets se matérialisaient devant lui et disparaissaient. Ils formaient des piles d'une hauteur vertigineuse et un océan indomptable et animé de curiosités, d'inventions, de bidules et de machins bruyants. Il y avait des emballages de bonbons et de sucreries. Il y en avait orange et marron. Une sorte de gâteau au chocolat, avec du beurre de cacahuète à l'intérieur. Il entendait des chansons d'un autre temps, que personne ne devait avoir encore entendu. Et perdu au milieu d'une pile de trônes richement sculptés, une photographie, tout en nuance de gris. Il y a un petit point noir, un haricot entouré d'une sorte de poche. Il prit le cliché, immobile. Il était d'origine moldu et sur le dos, une date avait été écrite d'une encre violette. Il n'eut pas le temps de bien la déchiffrer car au même moment, la salle se mit à trembler.
Il sursauta lorsque des poings s'abattirent et résonnèrent contre les murs pourtant invisibles de cette salle qui n'avait ni limite ni fin.
— S'il vous plaît ! Aidez-moi ! Je ne sais pas où je suis ! Cette salle n'est pas censé exister ! Un jobarbille en est sorti alors… J'ai pensé que c'était un signe !
Un voile se déchira dans la salle et une vitre en verre se dessina.
Théodore recula de plusieurs pas et lâcha la photographie qu'il tenait encore dans ses mains.
Il se souvenait des yeux noisette de sa mère et de ses boucles noirs. Il s'en souvenait parfaitement.
— J'ai besoin d'aide !
Elle soutenait son gros ventre rond de ses mains et pleurait.
— S'il vous plaît ! Pour mon bébé ! Pour mon bébé …
Elle cessa de porter son abdomen distendu et posa ses paumes sur la vitre.
— Je suis une Roulet-Boulet. Je suis malade. C'est la guerre. Le Seigneur des Ténèbres est plus puissant que jamais. Cette salle… Cette salle pourrait m'aider ! Il faut que je trouve une solution. Il faut que je lève la malédiction. Pour mon bébé ! Pitié ! Pour mon bébé !
Théodore sentit sa langue s'enrouler sur elle-même. Elle semblait même avoir grossit et encombrait sa bouche devenue trop petite.
— Je crois que les voyages dans le temps sont la solution pour contrer la maladie. Nos corps ont été modifiés par les différents voyages et expériences sur le temps d'Éloïse Roulet-Bouley. Ses descendants se sont interdits d'utiliser des Retourneur de temps en pensant que cela ne ferait que décupler leurs maux, mais je pense qu'ils sont la solution ! Cependant… Il me manque un espace, un endroit hors du temps, pour retourner dans le temps sans endommager davantage la structure corporelle des voyageurs et sans compromettre l'avenir ou perturber le cours du temps. Quelle est la solution ! Dites-moi Monsieur ! Quelle est la solution !
Son coeur battait trop fort, trop vite.
Elle tambourina. La vitre se fissura. Mais elle ne céda jamais. Pas même lorsqu'à bout de force, Isaura Roulet-bouley tomba à genoux et continua de l'implorer en sanglotant. Elle frappa la vitre, suivant le rythme des essuies-glace du pare-brise et le sang s'étala sur la surface transparente. Théodore ferma les yeux et se recroquevilla sur lui-même.
C'était un enfer.
Il aurait aimé avoir la force de se rapprocher de cette vitre qui les séparer, délimitant l'espace infranchissable entre eux deux.
Il aurait aimé lui dire qu'il vivait et qu'il vivrait.
Il aurait aimé la rassuré et se laisser bercer contre elle, qui se balançait d'avant en arrière en portant son ventre plus que d'une seule main.
Ses yeux noisette fixèrent Théodore et il se demanda un instant si elle l'avait reconnu.
Cet enfant qu'elle n'avait pas encore eu.
Ce bébé qui n'était pas encore.
Il aurait aimé le faire, mais une autre porte l'aspira et il se retrouva devant Susan, les oreilles bourdonnantes et allongé sur un sol recouvert des morceaux d'un miroir que l'on venait de casser. Elle se pencha au-dessus de lui et resta à ses côtés alors qu'il demeurait recroquevillé et incapable de parler.
Il ne voulait plus jamais revivre une telle chose.
Il comprenait la règle qui disait que les ascendants et les descendants ne devaient pas se rencontrer.
C'était cruel.
C'était horrible.
Susan attendit.
Elle attendit encore, jusqu'à ce que Théodore ouvre les yeux et alors, elle lui demanda :
— Est-ce que tu as déjà vu la mer, Théodore ?
OOO
Si on avait dit à Théodore Nott qu'un jour, il tomberait amoureux de Susan Bones, il aurait probablement sourit de façon très sarcastique. Les femmes comme Susan Bones ne s'intéressaient pas aux hommes comme Théodore Nott. Elles étaient trop généreuses, trop solaires, trop honnêtes, pour lui, qui était si égoïste, si lugubre et si manipulateur.
On n'aurait pas pu faire plus Poufsouffle que Susan. Avec ses cardigans de toutes les couleurs, le thé qu'elle buvait à profusion, ses chaussettes dépareillées, sa collection de fleurs séchées, de bougies parfumées, ses coiffures si travaillées et savamment tressées, sa bienveillance et sa douceur…
On n'aurait également pu difficilement faire plus Serpentard que Théodore. Avec son mutisme habituelle, sa froideur et son air digne rehaussé par un port de tête constamment altier, ses vêtements toujours impeccables, ses sourires sarcastiques et sa malice, ses regards d'acier froid et dur, son amertume et la sécheresse de ses moues nonchalantes désabusées par le monde.
Elle n'était pas niaise et il n'était pas intimidant. Contrairement à ce que pouvaient penser ceux qui ne les connaissaient pas.
Et on n'aurait jamais pu faire plus complémentaire que la justicière et l'exécuteur de lois.
Susan rendait fou Théodore, à être si gentille avec tout le monde. Elle volait au secours des uns et des autres et ça le rendait malade. Elle avait l'air si fatigué, si fragile elle aussi… Et puis, personne ne pouvait aimer tout le monde. Pourtant, Susan donnait cette impression. Cette impression niaise que chacun méritait une chance, que chacun pouvait mériter d'être aimé. Susan se serait divisée en mille pour faire plaisir à ses amis et ça… Ça rendait Théodore absolument fou. Elle n'était pas naturelle. Elle donnait son amour en espérant en recevoir à son tour. Susan donnait car on lui avait trop arraché. Elle donnait parce qu'elle pensait que plus elle donnait, moins ils partiraient.
Théodore, lui, il donnait rien parce qu'il avait peur de perdre.
Avec Susan, il apprenait à offrir et avec lui, elle apprenait à garder.
Dehors, le soleil brillait et il faisait chaud.
Théodore laissait sa chemise se gonfler par la brise marine et écouter les rires des enfants qui jouaient dans le sable.
Susan marchait dans l'eau, laissant les dix couleurs différentes de ses doigts de pied briller à travers la mer.
Elle sentait la crème solaire et la glace à la fraise qu'elle avait encore aux bords des lèvres.
Un. Deux. Trois.
Susan, arrête de te triturer les doigts.
Quatre. Cinq. Six.
Susan, tes lèvres sont pleines de fraise.
Elle donna un grand coup de pied dans l'eau et l'aspergea, alors qu'il transpirait.
Les yeux noisettes de sa mère et ses paroles croassantes, meurtries et désespérées le poursuivaient.
Susan s'arrêta en constatant que Théodore n'était pas d'humeur à s'amuser. Elle continua de marcher à ses côtés.
Les mouettes. Les vagues. Les enfants. Les cerfs-volants.
Théodore aurait voulu comprendre l'origine et le sens de l'expression tomber amoureux. Parce que, lorsqu'il était avec Susan Bones il n'avait pas le sentiment de tomber.
Il flottait dans un océan calme. Si calme, qu'il était sa maison et son refuge.
— Je pensais que tu te fichais de mourir parce que tu voulais fuir tes responsabilités, marmonna Susan. Parce que tu avais peur de montrer aux autres qui tu es. Mais maintenant… Je pense que tu as simplement peur de découvrir qui tu es vraiment.
Elle avait raison.
— Je ne suis pas courageux, affirma-t-il. Mais je ne fuirai pas.
Il avait envie de se connaître et de s'aimer autant que les autres pouvait l'aimer lorsqu'il était lui.
Même s'il ne savait pas encore ce que cela signifiait, d'être lui.
OOO
Avec l'été qui battait son plein, le Ministère de la Magie était désert, la plupart des sorciers profitant de vacances amplement méritée. Cela rappelait à Théodore comme cet endroit lui manquait et ces moments simples, qu'il partageait avec Susan, dans son bureau, à refaire le monde et à débattre, le rendaient heureux.
Théodore était dans le bureau de Susan, et l'éventait de temps en temps, avec son propre dossier, d'où quelques rapports, témoignages et enquêtes s'échappaient parfois. Il les rattrapait en souriant.
Il n'avait fumé que deux fois aujourd'hui et il avait retrouvé l'appétit.
Il ne parvenait toujours pas à dormir convenablement, mais au moins, son reflet était moins cadavérique.
Susan avait pris la décision de s'éloigner de Justin, malgré toute la peine que cela lui causait. Elle aurait souhaité parler avec lui, et lui expliquer la situation… Mais il était compliqué d'expliquer ce qu'elle-même ne savait pas. Théodore en lui avait jamais raconté son histoire.
Ils étaient devenus proches. Assez pour rire et sourire ensemble, pour être eux, vraiment eux, simplement eux et naturellement eux lorsqu'ils étaient ensemble. Ils s'étaient vus dans leurs pires moments, ne s'étaient jamais rejetés et savaient les parts de noirceur et de lumière qui les habitaient. Ils avaient appris à se connaître. Il avait deviné qu'elle avait peur de la solitude, qu'elle ne dormait pas très bien, que la guerre l'avait marquée elle aussi, que certains hommes lui avaient fait du mal, qu'elle avait connu tant de violences de leur part, qu'elle se méfiait de tous. Sauf de lui, disait-elle en riant, parce qu'elle était persuadée qu'il ne la toucherait jamais, qu'il ne la désirerait pas. Parce que l'idée ne lui traversait même pas l'esprit. Elle n'imaginait pas un seul instant que Théodore puisse la trouver jolie, alors même qu'il la trouvait réellement belle, avec ses yeux orageux et son sourire doux. Alors même qu'il mourrait d'envie de fondre en elle et de lui montrer comme elle avait tort, de penser qu'il ne la trouvait pas désirable.
Pour lui, l'amour n'avait jamais été qu'un fantôme. Peu de gens l'avaient vu, mais tout le monde en parlait.
Lui, il n'était jamais tombé amoureux avant elle. Il ne pensait même pas en être capable et lorsqu'il avait compris qu'une journée sans voir les yeux gris de Susan posés sur lui était une journée oubliable et presque détestable, il avait maintenant la sensation qu'une armée entière de fantômes lui était passée au travers.
Il voulait le lui dire.
Mais là aussi, sa langue semblait doubler de volume et l'étouffer.
— Tout va bien, Théodore ? demanda-t-elle.
Il mourrait de chaud, dans sa chemise.
Il n'eut même pas le temps de réfléchir.
Pour la première fois de sa vie, il fit quelque chose de spontanée et se laissa aller, oubliant un instant qui il était et qui elle était.
Il remonta les manches de sa chemise jusqu'à ses avants-bras à présent découvert et Susan la pile de manuels juridiques qu'elle faisait léviter jusqu'à maintenant s'écroula dans un grand fracas.
Ses gris fixèrent la marque des ténèbres et il rebaissa ses manches, le corps tremblant.
Le temps se suspendit, comme distendu, mis sur pause.
Il s'avança vers elle, et elle recula.
Elle ne leva pas sa baguette. Elle se contenta de le regarder durement et de partir en courant en claquant la porte de son bureau.
Il la rattrapa, lui qui ne courrait jamais, encore moins après qui que ce soit.
Et c'était déjà la deuxième fois qu'il lui courrait après.
Il entra dans l'ascenseur avant que les portes ne se referment, et ce-dernier s'arrêta un étage plus bas, s'ouvrant sur Lisa qui venait déjeuner avec Susan.
— Laisse moi !
Théodore frotta son bras droit.
— J'ai le droit de m'expliquer !
— J'ai le droit de refuser de t'écouter ! s'écria-t-elle.
En entendant ses deux amis se hurler dessus, Lisa qui n'avait jamais été très douée pour lire une situation ou même suivre les disputes autrefois quotidiennes de Théodore et Susan, lança un sort sur l'ascenseur pour le renvoyer loin, au moins jusqu'à ce qu'ils se parlent vraiment, et règlent leur désaccord. Il était hors de question de repartir sur les querelles d'antan…
Il passèrent plusieurs minutes, brinquebalés dans l'ascenseur, à mourir de chaud dans un espace si petit et confiné.
— Tu es l'un d'eux…, souffla-t-elle tout doucement comme si elle n'y croyait pas.
— Non, chuchota-t-il.
Il n'avait jamais été un Mangemort. Il n'avait rien été. Ni gentil, ni méchant. Ni perdu, ni convaincu. Théodore était un éternel indécis en quête de vérité et il n'en connaissait qu'une seule : Susan. Susan la justicière, qui pesait le bon et le mauvais en tous.
— Est-ce que Lisa sait ?
Théodore hocha la tête. Il attendit le verdict d'une Bones, comme tant d'autres avant lui.
— Elle est la seule.
La seule avec toi, articula-t-il presque silencieusement.
Susan laissa échapper un cri indigné pour un soupir contrit.
— Évidemment que Susan sait…
Il avait abaissé la manche de sa chemise avant de courir après Susan. Il trembla, de la remonter pour lui montrer ce dont il avait le plus honte.
Regarde-moi tel que je suis.
Susan hoqueta une nouvelle fois.
— Elle est incomplète, commenta-t-elle.
— Je voudrais pouvoir te dire que je me suis battu pour ne pas être marqué, que je n'en voulais pas, que je l'ai rejetée, que j'étais trop jeune pour comprendre, mais ce serait mentir. Ou peut-être pas tout à fait… La vérité, c'est que je n'ai jamais été une bonne personne. Je ne savais rien. Strictement rien. Je doutais de tout. Je m'étais renseigné sur les moldus, sur les théories du sang et de sa pureté, sur tout ce qu'on m'avait appris, ce qu'on avait érigé comme des vérités absolues. Je doutais. Je n'étais sûr de rien, mais je me laissais porté par la vague, parce que c'était plus simple, parce que c'était ce qu'on attendait de moi. J'aurais pu tout envoyer valser si seulement j'avais eu la certitude d'avoir raison.
— Alors pourquoi ta marque n'est-elle pas complète ?
— Le Seigneur des Ténèbres est subitement parti, sans que je ne sache pourquoi. Il n'a jamais terminé son sort.
Théodore Nott. le Mangemort qui n'en était pas un.
— Mais je l'aurais porté si ce jour-là il était resté. Je ne suis pas courageux. Je ne suis pas comme toi. Je ne crois en rien. J'ai besoin d'être convaincu de tout. Même des choses qui te paraissent évidentes, comme le fait que la pureté du sang n'existe pas, que les moldus ne valent pas moins que nous… On m'a toujours appris le contraire.
Théodore Nott, ce passionné de vérité.
Susan se laissa glisser contre la porte de l'ascenseur, fatiguée et elle resta muette.
Sa sentence était le silence.
— Je ne mérite pas le pardon. Je ne ressens même pas le besoin d'être pardonné. Je voulais juste que tu saches qui je suis, chuchota Théodore avant de l'imiter et de rester à ses côtés. Je n'ai jamais fuis cette responsabilité ci. Seulement celle de ma propre vie.
OOO
Lisa fit irruption dans l'appartement de Théodore le lundi suivant, alors qu'il était en train de fumer pour tenter d'apaiser un mal de crâne.
Elle brandissait les carnets d'Isaura Roulet-Bouley et pleurait.
— TU VAS MOURIR ? TU VAS MOURIR ? C'EST ÇA ? TU VAS MOURIR ET TU NE M'AS RIEN DIT ?
Il reçut la tornade, ce nouvel orage incontrôlable qu'était Lisa lorsqu'elle était en colère. Elle désigna des phrase, les pointant du doigt, furieusement.
Susan n'avait pas trahi le secret de Théodore.
Ce qui fit germer une pointe d'espoir dans son coeur.
Susan, si elle s'était su incapable de lui pardonner, aurait confié le secret de Théodore à Lisa, pour ne pas le laisser seul face à sa malédiction.
Mais elle ne l'avait pas fait, ce qui signifiait logiquement, qu'elle ne comptait pas pleinement disparaître de sa vie et qu'elle avait sûrement besoin de temps.
Lisa avait fini par le lire, ce fameux secret.
— POURQUOI TU NE M'AS RIEN DIT ?
Sa voix s'éteignit, prise d'un sanglot et il prit l'initiative de leur étreinte, parce que lui même en avait envie et besoin et qu'il ne s'en cachait pas.
— Je suis désolé, murmura-t-il contre ses cheveux.
Les larmes de Lisa mouillèrent son cou et elle le serra contre elle, le corps secoué de sanglots.
— Tu ne peux pas mourir… Tu ne peux pas !
Théodore eut la certitude que Lisa l'aurait ramené elle-même des enfers par la peau des fesses s'il venait à la quitter.
— Je ne vais pas mourir.
Lisa serra contre son coeur l'un des carnets d'Isaura Roulet-Bouley tout en continuant de pleurer.
— Théodore… Est-ce que tu as la maladie des Roulet-Boulet dont parle ta mère ?
Il lui raconta tout.
Il lui parla de ses symptômes. De ses hallucinations. De ces choses qu'il voyait. Il lui parla de Susan.
Il s'attendit à ce que sa langue se mette à gonfler lorsqu'il commença à parler de la salle du temps. Mais il n'en fut rien. Alors, il continua. Il évoqua la salle du néant et il comprit.
Lisa Turpin était sur le registre de l'Agent Ministériel du temps et de l'espace.
Il ne savait pas pourquoi, il ne savait pas comment.
Mais il s'en moquait.
Lorsqu'il eut terminé son récit, Lisa pleurait toujours, plus calmement cependant.
— Depuis quand sais-tu que tu es malade ?
Il humecta ses lèvres.
— Depuis l'hiver dernier.
Lisa prit ses mains dans les siennes et caressa ses doigts, osseux et maigres.
— Je serai toujours là pour toi. Tu le sais, n'est-ce pas ?
Il opina et déglutit.
— J'étais perdu. Je le suis toujours. Lire que ma mère ne voulait pas de moi, qu'elle ne m'aimait pas… Je croyais… Je croyais qu'elle ne m'aimait pas.
Lisa soupira et se blottit dans ses bras.
— Ce n'est pas ce qu'elle écrit, Théodore.
Il nicha sa tête dans le creux de son cou et pleura à son tour.
Il savait que sa mère ne l'avait pas désiré. Il s'était imaginé que son père avait finalement trouvé une solution pour la forcer, trouvé un stratagème pour l'obliger à donner la vie…
Il avait bien vu que sa mère l'aimait.
Elle s'était arrachée la peau sur une vitre qu'elle avait cogné durant des heures, en l'implorant de sauvé la vie de son bébé, la propre vie de Théodore.
— Vraiment ? demanda-t-il.
Il avait besoin de l'entendre. Il avait besoin que quelqu'un le lui confirme.
— Elle a… appris. Elle t'a aimé et elle a cherché une solution alors qu'elle était persuadée qu'il était sûrement trop tard pour elle. Je n'ai pas encore lu les derniers carnets, mais cela ne m'étonne pas qu'elle ait fini par trouver une solution pour vous sauver tous les deux…
— Elle m'aimait…, murmura-t-il.
Lisa resserra son étreinte et il écouta son coeur battre contre le sien.
— De quoi te souviens-tu ? Parle-moi d'elle…
— Elle avait des yeux noisette, dit-il.
Il lui parla des berceuses. De son châle bleu nuit. De ses excentricités. De ses maux de tête. De sa gentillesse et de son rire.
Lisa cessa de pleurer et se mit à sourire.
Elle sortit de la poche de son jean une photographie, que Théodore reconnut.
Un petit haricot noir dans une poche plus claire.
Elle caressa précieusement le papier du bout des doigts, avec un amour immense, qui chavira le coeur de Théodore.
— Il y a un examen moldu, qui permet de photographier l'intérieur d'un ventre. On appelle ça une échographie et … Voilà. C'est mon bébé… Je voulais que tu en aies un exemplaire alors je l'ai dupliqué.
Il la prit du bout des doigts, précieusement et Lisa la lui reprit. Elle s'empara d'un stylo, perdu dans son sac qu'elle tenait en bandoulière et inscrivit la date de l'échographie au dos du cliché.
Théodore se figea, en reconnaissant l'encre violette. Lisa lui redonna et il caressa les lettres
— Lisa… À qui est ce stylo ?
— À Susan…, répondit-elle.
Théodore resta interdit.
De nouveau, il ne comprenait plus rien.
Mais le prénom de Susan résonnait en écho dans sa tête.
— Lisa ?
Elle posa ses deux mains sur ses joues avec une douceur infinie. Elle colla son front au sien et Théodore ressentit la paix et la quiétude.
— Oui ?
— Je suis amoureux de Susan.
Elle dit rien pendant un long moment, avant de rompre le silence.
— Il faut vraiment que tu commences à meubler ton appartement Théodore !
