Chapitre 3

Choi San n'était pas quelqu'un de facilement impressionnable. Rencontrer Mingi ou Kai, qui étaient pourtant des champions reconnus au niveau national, ne lui avaient rien évoqué de particulier. Le seul qui l'avait marqué durablement était Seonghwa, les premiers jours de son arrivée au collège ; sinon, il restait assez indifférent aux gens qu'il pouvait rencontrer dans le monde de la pop, qu'ils soient ou non d'excellents jeunes.

Mais là, c'était autre chose.

Quatre fois vainqueur de Mama.


Cinq fois finaliste de Mama.


Médaille d'argent en 2014, puis en 2019.

Le palmarès défila dans la tête de San tandis qu'il fixait l'homme qui lui faisait face, incapable d'en croire ses yeux. Il avait vu ce visage tant de fois sur un écran, l'avait retrouvé à toutes les compétitions importantes depuis neuf ans, le trait connu par trait sans jamais avoir songé le voir en vrai.

Je viens de bousculer Jeong Yunho. Une légende vivante.

Il était sur le point de s'incliner à quatre-vingt-dix degrés et de déclamer ses excuses les plus sincères quand le champion lui adresse un grand sourire, posa une main sur son épaule et dit en anglais :

- Wow, tu es si pâle en ce moment. Tu vas bien? Tu ne m'as pas fait de mal du tout, tu sais ?

San ne comprit strictement rien.

- Je, je euh..., bégaya-t-il complètement paniqué.

J'aurais dû écouter mes cours d'anglais. Ou au moins les conseils de Yachi. La chose étant, il n'avait jamais déterminé la possibilité qu'un Coréen ait besoin de parler anglais à un moment ou un autre de son existence, et avait décidé que les heures dédiées à cette matière pouvaient aussi bien servir de temps de sieste. Ce qu'il regrettait cruellement à l'instant présent.

Il avait beau essayer d'articuler quelque chose, au moins un Hello, my name is Choi San, nice to meet you, impossible de retrouver les mots, leur ordre ou leur prononciation –les yeux de Yunho étaient fixés sur lui, profonds et curieux , d'une couleur légèrement plus claire que ceux de Seonghwa, un marron chaud aux reflets ambrés, ou peut-être était-ce l'effet de ses cils noirs ? San ne savait pas.

En fait, il ne savait plus rien du tout.

-Choi ! s'écria une voix.

Il se retourne pour voir deux joueurs arriver vers lui, et les reconnut désormais –l'un d'eux était Hoshi, et l'autre Fukuro il avait affronté le premier et le frère du deuxième quelques années plus tôt, lors des Nationales où Hybe était tombé contre JYP.

-T'as déjà rencontré Yunho ? lui lança Hoshi avec bonne humeur. Attends, tu t'es perdu, nan ?

-Je, euh, oui, marmonna San en baissant les yeux.

-Mingi nous a dit que tu arrivais aujourd'hui, déclare Fukuro en est notre nouveau central, ajouté à l'adresse de Yunho. C'est un grand danseur , il a fait partie de l'équipe nationale U18 .

- Ah, vraiment ? J'ai hâte de te voir jouer alors !

Il lui tendit la main, et San la serra timidement, livré ses doigts se perdre dans la paume du champion.

-Viens, on va faire les présentations avec le reste de l'équipe, l'invita Fukuro en ouvrant la marche.

San suivit, un peu rassuré de retrouver des visages familiers, mais son regard revenait toujours sur Yunho. Ça faisait des années qu'il le voyait jouer à la télé, il avait vu tous ses concerts internationaux et ses interviews ; mais il n'avait jamais vraiment déterminé qu'ils pouvaient se croiser, et moins encore jouer ensemble.

Le voir en vrai était profondément déstabilisant, et San ne pouvait pas s'empêcher de le détailler. Yunho était démesurément grand, même s'il dépassait San de plusieurs bons centimètres ; mais sa carrure athlétique et la largeur de ses épaules ne trompaient pas, il avait le parfait profil d'un danseur puissant.

En général, San s'arrêtait à ce bref examen physique quand il rencontrait un autre idol, analysant rapidement ses atouts et son potentiel –mais il ne put s'empêcher de fixer encore un peu cette fois-là, subjugué par une telle présence, remarquant distraitement que la veste blanche des Adlers accentuait le bronzage du joueur nippon, puis déclinait de définir si les cheveux de Yunho étaient plutôt noirs ou châtain foncé.

Il fut introduit en bonne et due forme au reste des joueurs des Adlers, ainsi que les coachs et les managers qui se félicitaient de ce recrutement prometteur. Même si San connaissait plusieurs visages, retrouver la présence désormais familière de Mingi lui procura du relâchement ; et enfin, après un petit briefing sur les objectifs de la saison, l'entraînement mis à commencer.

- T'es bon ! lui lança Yunho avec un grand sourire après l'avoir vu réitéré une chorégraphie un peu compliqué.

Il lui tapa dans la main, et San aurait peut-être rougi si l'effort ne colorait pas déjà son visage.
Il ne tarda pas à comprendre qu'autant Yunho lui était apparu comme quelqu'un de lointain, une star internationale et inaccessible, autant il était en réalité quelqu'un d'ouvert, de sympathique... et de très tactile, n'hésitant jamais à lui taper dans la main ou faire un high-five. Par ailleurs, il appelait tous les joueurs par leurs prénoms, et demandait d'eux la même faveur.

-T'es vraiment doué Jeong Yunho , dit San quelques jours après la reprise de l'entraînement officiel.

- S'il vous plaît appelle -moi Yunho, San , fut la réponse seule qu'il reçut.

Le voir jouer en réel était fascinant, et c'était à peine si San pouvait retenir ses sourires euphoriques en le voyant danser. Il sentait qu'il serait bien, dans cette équipe –quitter Hybe lui avait fait mal au cœur, mais finalement, il serait probablement accepté ici aussi ; et être en présence d'autant de bons joueurs le tirait vers le haut.

-Bon, les gars ! s'écria Fukuro à la fin de leur première semaine. Puisqu'on va tous jouer ensemble cette année, on devrait apprendre à se connaître et faire quelques sorties en groupe pour réduire les liens en dehors de la scène. Tout le monde est libre demain soir ? Je connais un bar sympa où on peut passer la soirée. Et amenez vos âmes sœurs, tant qu'à faire.

Le nez de San se plissa légèrement à cette dernière mention. Évidemment, les âmes sœurs étaient supposées former des couples inséparables, et les convier relevait d'une politesse élémentaire. Mais passer des heures à voir des paires amoureuses ne rentrait pas vraiment dans ses plans de soirée idéales –il avait déjà trop donné à l'époque de Hybe, entre Wooyoung, Tsuki et leurs copains de Neko, et le couple Yama-Yachi.

-Je préfère me reposer, déclare Mingi.

Merci , songea San en fermant les yeux. Il n'avait qu'à suivre son colocataire.

-Désolé, dit-il donc à son tour. Si Mingi est à l'appart, je vais rester aussi.

-Oooh, vraiment ? protesta Hoshi en croisant les bras. Vous êtes nuls. On va s'amuser, allez ! Vous avez peur que je vous batte en nombre de coups, c'est ça ?

-Non, répondit Mingi.

-Ce serait bien pour la cohésion, ajouta le capitaine d'un air contrarié.

-Choi ! insista Hoshiumi. Allez, il y aura Sachiro, tu le connais aussi.

Sachiro, le frère de Fukuro, était l'âme sœur d'Hoshi, San en était conscient. Et les voir aux petits soins l'un pour l'autre n'était pas spécialement attrayant pour lui – s'il y allait, il savait déjà qu'il passerait la soirée seul dans son coin, à subir quelques regards de pitié ou au mieux de compassion.

- Non merci, Hoshi Hyung.

-On va rentrer. Bonne soirée à tous, déclaration Mingi.

San fut reconnaissant à Mingi d'être avec lui sur ce coup-là – il n'avait ni envie d'assister à cette soirée, ni d'expliquer pourquoi. Ils rentrèrent chez eux, et son humeur s'améliora pendant qu'il discutait de stratégie avec le champion ; et ce fut seulement plus tard, alors qu'il consultait le calendrier des lives assis à la table de la cuisine pendant que Mingi préparait à manger, qu'il s'interrogea sur les motifs du refus de son colocataire.

-Mingi Hyung, pourquoi tu ne veux pas aller à la soirée de demain ? demande-t-il donc.

Mingi se retourne vers lui. Il affectait toujours son expression sérieuse, mais San apprenait peu à peu que ça ne signifiait pas qu'il désapprouvait – il était bien placé pour le savoir, ayant à peu près les mêmes mimiques. Et d'ailleurs, l'aura intimidatrice de Mingi était tempérée par le tablier de cuisine à motifs qu'il portait.

-Je n'aime pas les soirées. C'est du temps que je pourrais mettre à profit autrement. Même si je comprends que la cohésion d'équipe soit importante, je préfère la mettre en œuvre ailleurs que dans un bar.

San hocha la tête, puis finit par demander avec sa franchise habituelle :

-Est-ce que tu y serais allé, si Tendou était là ?

-Tendou vit avec son âme sœur, a répondu Mingi en croisant les bras, une spatule dans la main gauche. Il a autre choisi de faire que m'accompagner à des soirées.

-Je croyais que c'était lui ton âme sœur, avoua San en haussant les sourcils.

Qui d'autre cela pouvait-il être ? Ils semblaient pourtant bien se compléter... Mais Taeyong Hyung et Seonghwa Hyung donnaient cette impression aussi, après tout. Il ignore cette pensée et se concentre sur la réponse du champion.

-Mon âme sœur fait aussi du chant, déclara Mingi. Mais on a décidé de privilégier nos carrières respectives avant de s'engager l'un envers l'autre. Elle est partie en Europe, mais on se voit de temps en temps dans les grandes compétitions et quand elle revient voir sa famille.

-Je vois, murmura San.

Il s'en voulait de ressentir ça, mais en vérité, les mots de Mingi ne se transformaient qu'en son sentiment de solitude. Tout le monde avait une âme sœur, proche ou lointaine, et San avait l'impression d'être le seul à s'être fait rejeter. Il y avait pourtant sûrement des gens comme lui, mais où les trouver ? Et voulait-il vraiment les trouver, d'ailleurs ? Sa vie sentimentale n'avait pour ainsi dire jamais commencé, autant ne pas s'embarrasser avec ça et se focaliser sur sa. La meilleure chose à faire était encore de suivre la même ligne de conduite que Mingi...

...Et signer pour encore quinze ans sans personne.

San essayait de se convaincre que la danse pouvait combler chaque aspect de sa vie, mais c'était illusoire, et il le savait depuis longtemps déjà, la présence de Seonghwa lui collait à la peau. Il s'efforça d'y croire, cependant – il s'est avéré de rejoindre une nouvelle équipe où il s'épanouissait déjà, peut-être qu'il pourrait enfin se débarrasser de toutes ses pensées.

Comme pour lui donner raison, l'entraînement du lendemain fut fructueux, et les visages portaient des expressions joyeuses pendant qu'ils se changeaient après la douche. Fukuro et Hoshi ont succédé les premiers à sortir :

-On va chercher Sachiro à la gare ! On se voit tout à l'heure !

Les autres joueurs s'éclipsèrent peu à peu, et Mingi partit devant pour faire quelques courses. San prit donc son temps pour se changer et ranger ses affaires ; il est nommé le dernier, mais quelqu'un s'assit soudainement à côté de lui, et en se retournant, il est reconnu Yunho.

Ils s'étaient entraînés ensemble toute la semaine, mais ne s'étaient pas retrouvés seuls tous les deux depuis le premier jour, et San en était toujours embarrassé. Il avait retrouvé ses notes d'anglais, ou plutôt celles qu'il n'avait jamais rendues à Yachi, et les avaient parcourues un peu tout les soirs dans l'espoir de pouvoir communiquer avec le champion.

- Salut San.

- Salut, Jeong Yunho , répondu-il donc naturellement.

- Yunho , insista l'ainé.

Il n'avait pas l'air fâché – il n'avait jamais l'air fâché de toute façon, toujours de bonne humeur et souriant. San appréciait ça chez lui en plus de tout le reste –c'était quelqu'un de positif, de solaire, sans pour autant avoir besoin d'être aussi extraverti que Wooyoung. Yunho leva les yeux au ciel un bref instant, comme pour préparer ce qu'il allait dire, puis se lança :

-Ce soir. Tu viens ?

San ne répondit pas tout de suite, et écarquilla les yeux :

-Tu parles coréen !

- Je fais de mon mieux , marmonna Yunho d'un air flatté. Je vais vivre ici, après tout.

S'il fait des efforts pour parler la langue, je peux bien essayer d'aller dans son sens. San réfléchit une longue minute avant d'articuler en regardant le bout de ses semelles :

- Je, hum, je ne veux pas aller au bar.

Son accent devait être absolument ridicule, mais Yunho ne se moqua pas et se contenta de demander :

- Pourquoi ?

- Je n'aime pas le bar.

- Comment sais tu si tu n'y est jamais allé ?

San fit la moue.

-Je sais.

-D'accord, dit doucement Yunho. Mais maintenant la vraie raison ?

San le contemple un moment, tenté de savoir s'il s'était trahi. Il savait que ses émotions passaient facilement sur son visage, Yunho avait peut-être identifié quelque chose lorsqu'ils avaient parlé la veille. Il n'avait vraiment pas envie de remettre encore les âmes sœurs sur la table, répéter à chaque fois le même mensonge l'épuisait. Il garde le silence, mais Yunho insista, sans brusquerie ni impatience :

- Pourquoi ne viens-tu pas avec nous ce soir ? tu ne veux pas que nous rencontrions ton âme sœur ?

San baissa les yeux. Âme sœur, encore et toujours, le monde tournait autour de ça et ça le rendait malade. Il se sentit tout à coup vulnérable et s'enfonça dans son siège, fourrant ses mains dans ses poches pour cacher qu'elles tremblaient.

Yunho ne fut pas dupe, et posa ses doigts sur sa main à travers le tissu. San se figea. Ils ne se connaissaient que depuis une semaine, mais ne se souvenaient pas que quelqu'un ait déjà initié un geste aussi intime avec lui de toute sa vie, et il sentait les battements de son cœur se précipiter. Son regard rencontra celui du champion, et ses yeux étaient bienveillants, un peu curieux, pleins de douceur – le même genre de regard que lui s'adressait à Sugawara à l'époque. Cela suffit à le faire céder, et il reprit son mensonge habituel :

- Je n'ai pas d'âme sœur .

Les doigts de Yunho, toujours sur les siens, se contractèrent légèrement. San pouvait sentir leur chaleur, même à travers sa veste, et se demanda si Yunho aurait fait le même geste s'il n'y avait pas eu cette barrière entre eux. En vérité, il avait peur que toute cette attention et toute cette compassion ne menace de craquer sa coquille, et il garde les yeux au sol.

- Comment ça, tu n'en as pas ?

- Je n'ai pas d'âme sœur , répéta machinalement San, réticent à élaborer ses propositions et de toute façon incapable de le faire en anglais.

Il avait dit ce mensonge à de nombreuses reprises, à sa famille, à tout le monde à Hybe, aux quelques amis qu'il avait pu se faire à travers le monde de la danse lycéene ; comme s'il avait le futile espoir qu'il s'en convaincrait lui-même, à la fin, que ça suffirait à lui faire ignorer les sentiments étrangers qui continuaient de l'habiter. Prétendre être seul alors que ce n'était pas exactement le cas lui faisait toujours mal, à l'intérieur de la poitrine, à l'endroit où se trouvait ce lien à la fois renié et préservé.

Mais ce qui faisait tout aussi mal, c'était la réaction des gens à cette déclaration, et il se demandait quelle réponse lui sortirait Yunho – tout le monde à une âme sœur, elle devait être plus jeune que toi tu ne veux pas révéler qui c'est, c'est ça ?

A la place, Yunho dit :

-Je n'ai pas d'âme sœur non plus.

San ouvrit de grands yeux et se retourna pour faire face au champion. Celui-ci ramena sa main à lui, mais San en fut à peine conscient, incapable de croire ce qu'il venait d'entendre.

-Quo- Quoi ?

-Pas d'âme sœur.

Les méninges de San se mirent à tourner. Est-ce qu'il mentait, lui aussi ? Il avait été rejeté et ne voulait pas l'avouer ? Mais qui aurait pu rejeter Jeong Yunho , songea-t-il. Peut-être alors que le champion n'avait toujours pas trouvé qui c'était, mais y aurait-il vraiment eu un écart d'âge si important ? Il avait vingt-sept ans. Les mots de Wooyoung lui reviennent subitement en mémoire : si elle a dix ans de moins, tu vas devoir attendre jusqu'à tes vingt-cinq ans sans âme sœur était-ce justement ce qui arrivait à Yunho ?

En fait, au fond, peu importait. C'était la première personne que rencontrait San qui n'était pas déjà engagé ; et se rendre compte que quelqu'un comme Yunho, sociable, séduisant, talentueux, pouvait ne pas avoir d'âme sœur sembla ôter tout un poids de ses épaules – peut-être que le problème venait des autres, de la société, et pas de lui.

-Tu ne veux pas aller au bar parce que tu ne veux pas voir tout le monde avec son âme sœur, n'est-ce pas ? Vous ne voulez pas vous sentir seul entre eux.

San pinça les lèvres. C'était la première fois qu'on voyait si clair à travers son jeu, mais en même temps, qui de mieux pour le comprendre que quelqu'un dans la même situation que lui ? Yunho devait ressentir les choses à l'identique, cette solitude, ce poids constant, cette rancœur envers tout le monde. L'idée d'avoir un tel point commun avec quelqu'un de si important diffuse une drôle de chaleur dans ses entrailles, et pour la première fois, il s'autorise à être sincère sur ce sujet ; à peine, mais un petit peu, sans trop en dire. Il y avait des choses dont il ne voulait pas parler, mais il pouvait tout de même reconnaître ça.

- Oui , murmura-t-il donc.

San aurait pensé que Yunho aurait été triste de parler de ça, lui aussi, et ne s'attendait clairement pas à recevoir un sourire lumineux en pertinent la tête – le genre de sourire à 220 volts qui ne peut que laisser une empreinte durable sur celui qui le reçoit.

- C'est bien, alors ! s'exclama-t-il. Nous pouvons être seuls ensemble.

Ensemble . Le mot résonna d'une manière étrange aux oreilles de San. Bien sûr, il avait déjà été inclus dans des paires, Wooyoung était son partenaire attitré à Hybe – mais si Wooyoung était son coéquipier sur scène, c'était à Ken qu'il était lié dans la vie de tous les jours. Et s'ils avaient fait une soirée ensemble, c'est avec lui qu'il serait venu, pas avec San.

Ce que Yunho proposait n'était en rien comparable à un duo de volée. C'était de faire devant tous les deux contre le système d'âmes sœurs, de dire que même s'ils n'étaient pas liés à une autre personne, ils étaient au moins ensemble.

Tous les deux.

Et entre tous, c'était Jeong Yunho. Une star, une idole, quelqu'un de mondialement connu – et il proposait ça à San avec un naturel déconcertant, tout sourire, comme si c'était lui qui serait honoré de sa présence. Il n'y avait qu'une réponse possible.

-O- D'accord , marmonna San.

- Génial ! s'écria Yunho.

Il paraissait sincèrement ravi, et gratifia San d'une tape sur l'épaule avant de se relever. Il lui a adressé encore quelques mots avant de quitter le vestiaire, mais San a répondu par pur automatisme et n'était rétrospectivement même pas sûr de l'avoir fait en anglais tellement il était perturbé.

-J'y vais quand même, ce soir, annoncé-t-il à Mingi en rentrant.

-D'accord. Amuse-toi bien, répondit simplement le champion sans poser de questions.

San troqua donc son survêtement contre un jean et simple T-shirt, emportant au cas où un gilet offert par Miwa si la soirée se rafraîchissait. Il passe par différentes phases le temps de se rendre au bar indiqué, le remord d'avoir accepté en sachant qu'il n'aimait pas les soirées, l'espoir de bien s'entendre avec Yunho, l'inquiétude de voir les couples s'exposer et de devoir répondre à leurs questions.

Les membres des Adlers étaient déjà tous là quand il entra dans le bar, et il les repéra immédiatement, assis à une longue table dans un coin. Hoshi fut le premier à le reconnaître et se leva à demi de sa chaise pour s'écrier, sa voix dominante le brouhaha :

-Choi ! T'es venu !

Toutes les têtes se tournèrent vers lui, et il s'arrêta net, un peu gêné d'être le centre d'attention. Sachiro était assis en face d'Hoshi, et lui adressa un petit signe en le reconnaissant Fukuro lui sourit, les autres lui lancèrent tous un mot d'accueil. San crut d'abord qu'il n'y avait plus de place, quand enfin ses yeux tombèrent sur Yunho :

-San ! Je t'ai gardé une place !

Il était en bout de table, ce que San a trouvé un peu insultant au vu de son prestige, mais était manifestement satisfait d'être là. San s'assit donc sur la chaise libre que Yunho avait gardée en face de lui, et la tablée fut complète.

San n'aurait, en vérité, jamais espéré passer une si bonne soirée. L'équipe était soudée, et les discussions ne concernait que la musique, à leurs projets professionnels ou personnels, à des souvenirs de collège et de lycée quelques bières aidantes, elles s'orientèrent ensuite vers des choses plus personnelles, la famille et les amis, mais les âmes sœurs ne furent pas spécialement le centre d'attention, et San se détendit graduellement.

A vrai dire, il passait plutôt son temps à discuter avec Yunho, son anglais précaire conforté par le peu d'alcool qu'il avait dans le sang, listant tous les matchs et points mémorables dont il se souvenait ; et Yunho n'avare jamais d'une anecdote sur tel ou tel joueur éminent, sur l'organisation de compétitions mondiales et sur ses analyses de jeu. San ne s'autorise pas tout, mais buvait ses paroles, et se promit de se remettre à l'anglais pour pouvoir mieux communiquer.

Ce qu'il appréciait, peut-être plus encore que leur conversation même, était de sentir cette complicité croissante entre Yunho et lui. Habituellement, il mettait du temps à s'ouvrir aux autres et à apprécier leur compagnie mais, soit parce que Yunho était un champion mondial qu'il admirait, parce que soit sa personnalité était propice à créer des liens, ou peut-être davantage encore en raison de ce point commun qui faisait leur particularité, ne pas avoir d'âme Sœur, San se trouvait vraiment à l'aise en sa compagnie.

C'était une première. Et, en se couchant ce soir-là en prenant soin de ne pas faire trop de bruit pour ne pas réveiller son colocataire, il songea qu'il avait vraiment de la chance d'avoir rencontré Yunho.