Chapitre 6
Le trajet vers l'hôpital ne prit qu'une dizaine de minutes, mais elles furent amplement suffisantes à Wooyoung pour résumer la situation.
Il ne voulait pas se taire, et San savait que c'était sa façon à lui d'évacuer le stress de la journée. Lui était assis, et les ambulanciers étaient en train de nettoyer ses blessures aux poignets.
-Mingi a téléphoné à la police en rentrant, et à Yunho immédiatement après. Il croyait que c'était ton âme sœur.
Si seulement , songea San, grimaçant légèrement quand le désinfectant piqua ses plaies. Il ne savait toujours pas quoi penser du retour de Seonghwa. Trop de choses se mélangeaient.
-Ils m'ont appelé juste après. Pour moi dire que tu avais disparu, que c'était probablement criminel, et qu'ils avaient besoin de savoir qui était ton âme sœur. Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre que leur dire ? Et te demander intérieurement de m'avoir avoué, même si les cocktails de Yeojun n'y étaient pas pour rien ? J'étais chez moi à Tokyo, j'ai tout de suite filé vers Séoul.
San sourit faiblement.
-Je suis arrivé à midi. Il y avait déjà ta sœur, Mingi et Yun, deux policiers et un spécialiste qui aidait Seonghwa à communiquer à travers le lien. Ils avaient déjà fait deux tentatives. J'étais là pour les suivantes et c'était super impressionnant. Tu les as bien supportées, toi ? Ça avait l'air violent comme truc. Pas du tout comme le lien normal.
-Bof, murmura San.
Les incursions de Seonghwa dans sa tête l'avaient épuisé, c'était sûr. Peut-être même avaient-elles été plus prouvées que la détention elle-même. Le lien ne cessait pas de le tirailler, toujours enfoui dans sa poitrine, palpitant au rythme de son âme sœur.
-Park s'est donné à fond, poursuivit Wooyoung. Il voulait vraiment te retrouver. Il s'est même mis à engueuler le spécialiste pour en faire plus – et pourtant ça ressemblait pas à des parties de plaisir.
San baissa les yeux. Malgré son état, il sentait une joie feinte le parcours, le ranimer en se disant que Seonghwa avait fait ça pour lui, avait fait des efforts pour le sauver, avait dépassé ses limites pour venir à son secours –mais il la refusa, secouant légèrement la tête pour se recentrer sur la réalité des choses.
-C'était pour l'enquête. J'aurais fait pareil. J'aurais pas voulu avoir une mort sur la conscience.
-C'était pas que pour l'enquête, trancha Wooyoung. Il y a plus. Vous êtes liés depuis trop longtemps.
-Ouais, réplique San d'un air vexé. Je suis au courant.
-Je sais que ça te saoule, tempéra le plus jeune. Mais sans le lien, je ne sais pas où tu serais en ce moment.
San espéra que le silence se rétablisse, mais c'était sans compter sur Wooyoung.
-Tu sais, il tient à toi.
Ce fut un nouveau coup au cœur. San, je suis là, je suis avec toi, fais-moi confiance . Les mots résonnaient encore dans sa tête, abstraits mais puissants, ne voulaient pas quitter son esprit. Pourquoi ? Pourquoi était-il revenu ? Pourquoi l'avait-il aidé ? Etait-il sincère ?
-Laisse tomber, Wooyoung, rétorqua-t-il d'un air amer. Je le connais. Tu crois que tu vas comprendre Hyung parce que t'as joué au beach avec lui une aprem ? Ça fait six ans que je suis dans sa tête. Et il tient tellement à moi qu'il n'a jamais voulu parler de notre relation.
-Ah ouais ? répondit Wooyoung un peu froissé. Parce que figure-toi qu'il m'a parlé de ta relation, à moi.
San serra les dents. Il se doutait bien qu'ils aient dû parler, s'ils aient passé toute la journée chez Seonghwa. Peut-être même que Yunho avait évoqué avec lui. Et de quoi ? Ne sais pas le rongeait. Il avait bien senti que Seonghwa en avait vu de toutes les couleurs aujourd'hui, mais ça ne l'aidait pas à savoir ce qui s'était dit.
-Tu me diras plus tard, marmonna-t-il.
Il était trop fatigué et trop perdu pour assumer ce genre de conversation maintenant. Rien que digérer ce qui lui était arrivé, la séquestration, les séquelles physiques, la réhabilitation du lien, toutes les questions qui se soulevaient par rapport à lui, était déjà beaucoup trop. Il voulait juste dormir.
Wooyoung fut séparé de lui quand ils arrivèrent à l'hôpital et il fut emmené pour faire quelques examens, surtout pour vérifier qu'il n'avait pas de commotion cérébrale. Une infirmière lui fit ses pans autour des poignets, un médecin vérifia comment il allaitait ; il préféra le garder pour la nuit, et San reçut donc une chambre et un repas de circonstances.
Son humeur s'était encore un peu plus dégradée – le médecin avait jeté un œil à son entorse et décrété qu'il devrait attendre au moins une semaine avant de reprendre le sport. Ils étaient en février, la fin du championnat se profilait, et même si les Adlers étaient clairement en tête, San déprimait rien qu'à l'idée de ne pas pouvoir toucher une balle avant plusieurs jours. Mais les choses pourraient être pires. Il ne s'en tirait pas trop mal.
Il terminait son repas quand son téléphone se mit à vibrer.
Yun : tu vas bien ?
Yun : où tu es ?
Il a répondu aussitôt, coinçant ses baguettes dans sa bouche le temps de récolter sa réponse :
Moi : ça va, je reste ici ce soir, je vais demander si je peux avoir des visiteurs
Il a parcourut rapidement le reste de ses notifications, des dizaines de messages de gens qui prenaient de ses nouvelles après avoir vu aux infos ce qui s'était passé, des appels manqués à la pelle – mais il n'ouvrit qu'un seul autre fil de discussion, celui de Wooyoung, dont le dernier message datait d'à peine cinq minutes.
Woo : [image]
C'était une photo prise à l'hôpital, dans une salle d'attente où ils étaient tous ensemble. Wooyoung l'avait prise de son téléphone et n'apparaissait pas : elle était centrée sur Mingi, assis en face de lui, les bras croisés, l'air neutre, et Seonghwa qui dormait sur son épaule bouche ouverte. La vision était cocasse, et aurait presque tiré un sourire à San –de toute évidence, Seonghwa était trop épuisé pour tenir le coup ; et il l'avait senti, sa fatigue en écho à la sienne, et le lien plus calme depuis quelques temps.
Park s'est donné à fond.
Il soupira, et profita de la présence de l'infirmière quand elle vint chercher son plateau vide pour demander si ses amis pouvaient monter.
-Cinq personnes maximum, déclare-t-elle, et pas trop longtemps.
A vrai dire, San ne savait même pas s'il avait envie de voir quelqu'un, déchiré entre un déni de solitude et la peur d'être encerclé. Il n'avait pas envie d'entendre Wooyoung dire des choses qu'il n'était pas prêt à assimiler. Le simple fait d'envisager d'être seul face à Seonghwa suffisait à le rendre inquiet, ils ne s'étaient pas vus depuis des années, rien que le savoir si près l'angoissait –autant le laisser dormir, ils devaient donc se confronter de toute façon, ça n'avait pas à être aujourd'hui. Miwa était trop franche, elle lui parlait des parents, du lien, il ne voulait pas. Mingi restait probablement taciturne. En fait, il n'y avait que Yuunho qu'il voulait bien recevoir.
Moi : j'ai droit à seulement 1 seul visiteur
Moi : viens
Moi : chambre 125
Il se laissa retomber contre les oreillers en attendant, et commençait tout juste à somnoler quand on frappa à la porte. Yunho est apparut, en simple T-shirt par une soirée de février, et San se sentit un peu coupable d'avoir toujours sa veste ; il tire un fauteuil pour s'asseoir à côté du lit, San tendit une main, et Yunho la saisit naturellement, remuant les bandages avec une moue inquiète.
-C'est bon, murmura San. Ça va.
Comme tous les autres, Yunho avait l'air éreinté. Il a déjà perdu un être cher, il a dû avoir vraiment peur , songea San en le détaillant d'un air absent. Ils passèrent quelques instants à se regarder en silence, puis Yunho déclara, simplement :
- J'ai enfin rencontré ton âme sœur.
San songea à feindre le sommeil pour échapper à cette discussion. Il avait espéré que Yunho comprenait qu'il n'avait pas envie d'en discuter, pas maintenant –habituellement, Yunho était assez délicat avec lui pour ne pas aborder les sujets sensibles. Mais San savait qu'il devait assumer. Il n'avait jamais révélé de qui il s'agissait à Yunho, ni nom ni photo, et découvrir Seonghwa avait tout de même dû le perturber assez pour qu'il ait besoin d'en parler.
-Seonghwa Hyung, dit San à voix basse. C'était mon aîné au collège. Mon rival au lycée. Il est parti à Tokyo et jouait pour eux jusqu'à l'année dernière.
Il se tut avec l'impression d'avoir tout résumé – tout ce qui touchait au volley, en fait, parce qu'il n'avait jamais eu l'occasion de connaître Seonghwa autrement.
- Je me suis souvent demandé comment était ton âme sœur , avoua finalement Yunho. Mais il ne ressemblait en rien à ce que je l'avais imaginé.
-Tu lui as parlé? demanda San d'une voix froide.
-Oui. Il est quelqu'un de bien. Il est-
-Non, coupa San. Il n'est pas quelqu'un de bien.
Voilà que Yunho aussi s'y mettait aussi, à présent. Seonghwa l'avait retrouvé, certes, il lui avait sauvé la vie. Mais San avait réfléchi et s'était efforcé de trouver une explication rationnelle à cela, en accord avec le comportement habituel de Seonghwa à son attendu. San en était venu à la conclusion que si Seonghwa l'avait aidé, c'était parce qu'il y avait la police pour l'obliger. Parce qu'il savait qu'il gagnerait de la reconnaissance et apparaîtrait comme un héros s'il réussirait. Tout ce qu'il avait fait, c'était moins pour San que pour lui-même.
Ça n'effaçait rien. Ni le collège, ni le rejet, ni les années de silence.
-San, Seonghwa et moi avons parlé de toi et...
-Je veux pas savoir. Tais-toi, Yunho.
Yunho fut sûrement un peu blessé par son ton sec et l'absence de diminutif, mais ne répondit pas, tenant toujours sa main. San détestait se sentir comme ça, si fragile, si vulnérable – et il avait l'impression qu'encore un mot sur Seonghwa achèverait de le briser. Il ne savait pas s'il devait se plaindre de vouloir dormir ou orienter la conversation sur autre chose – il n'avait plus envie de parler, mais ne voulait pas non plus que Yunho s'en aille. Alors il fixe le mur d'en face d'un air boudeur et serra les doigts de Yunho un peu plus fort entre les siens.
Ils restèrent un certain temps ainsi, sans rien dire, se contentant de se tenir la main. Yunho dessinait du pouce de petits cercles sur le dos de la main de San, jouait avec ses doigts, suivait les lignes de sa paume ; un moment, il effleura une coupure sans le vouloir, et San grimaça légèrement.
-Désolé, murmura-t-il.
-C'est rien, répondit San. C'est- euh ?
Il s'interrompt, sentant la couleur monter à ses joues lorsque Yunho porte sa main à sa bouche et dépose un baiser sur l'endroit blessé. Ce n'était pas la première fois que Yunho l'embrassait, loin de là – mais ce genre de situation était inédit, et San demanda d'une voix qui trahissait son embarras :
-Qu-qu'est-ce que tu fais ?
- Un bisou magique , répondit Yunho en souriant. Aide-t-il?
- Oui , marmonna San en rougissant plus profondément.
Et Yunho continua, promenant ses lèvres le long des pansements qui couvraient son poignet. San avait littéralement l'impression de se consumer de l'intérieur – ils avaient beau être toujours collés l'un à l'autre, il y avait toute une autre dimension dans ce geste, quelque chose qui allait au-delà de l'innocence . Et quand Yunho eut terminé, San se décida à en tirer profit jusqu'au bout, et demanda en désignant les marques du bâillon au coin de ses lèvres :
-Ici aussi ?
Il savait qu'il poussait les choses. Mais il avait passé une journée dans l'obscurité complète et avait bien cru y rester. Il avait vu sa vie défiler devant ses yeux, les regrets bien plus nombreux que les remords. Il ne voulait pas passer à côté de son existence. Il n'avait pas envie de perdre du temps à attendre quelque chose qui n'arriverait peut-être jamais, pas envie d'attendre dix ou quinze ans que le lien veille bien se dissiper pour enfin être libre d'avoir un vrai copain, et ce sur tous les plans.
Yunho hésita, et San crut qu'il ne le voulait pas.
Il est en forme.
Yunho se leva à demi du fauteuil où il était assis, et ses doigts lâchèrent le poignet de San pour appui prenant sur le matelas –son autre main se situant juste sous le menton de San pour maintenir son visage tandis qu'il embrassait la commissure de ses lèvres, d'un côté puis de l'autre. Ses doigts étaient fermés, ses lèvres tendres et chaudes, sa barbe chatouilla la joue de San, et quand il se reculait en lui lançant un regard proche du défi, San présentait que c'était un moment parfait pour tomber dans les pommes.
Il résista encore un peu, cependant, refoula la fatigue et les chocs émotionnels successifs qui pesaient sur lui, et se souvint d'une phrase en japonais qu'il avait homologuée, qu'il réussit à articuler plutôt décemment en dépit de ses yeux qui se fermaient tout seuls :
- Je suis amoureux de toi.
Nico lui frôla la joue tandis qu'un sourire sincère étirait ses lèvres :
- Je t'aime aussi, répondit-il. Bonne nuit, mon coeur.
San crut que trouver le sommeil serait facile, mais il se trompait. Malgré son épuisement, les images de la journée repassaient encore et encore – la cave, les cordes, les concierges tout près de lui qui parlaient de le tuer. Il avait oscillé entre la résignation de son sort et la révolte de mourir sans avoir rien accompli. Et puis il revoyait Yunho qui l'embrassait presque, et Wooyoung dans l'ambulance, et Seonghwa... Seonghwa qui était réapparu dans sa vie avec une brutalité impossible, Seonghwa qui s'infiltrait dans chacun de ses neurones, chacune de ses cellules, Seonghwa qui le serrait contre lui et qui disait Je suis là, Sannie.
Il sentait que le lien était activé, poussé à un degré qu'ils n'avaient jamais exploré et qui lui paraissait démesurément précis. Il percevait absolument tout – le moment exact où Seonghwa émergea du sommeil, puis un léger sentiment d'horreur que San attribua au fait de s'être réveillé sur Mingi, un peu de gêne, le retour de l'inquiétude. Il a mis déduire le moment où ils sortirent de l'hôpital à la soudaine sensation de froid, il pouvait dire que c'était une nuit venteuse sans même mettre le nez dehors, tout passé par Seonghwa, et c'était absolument effrayant de clarté.
Et si le lien est relancé, c'est que j'ai perdu deux ans à attendre pour rien.
Mais Wooyoung avait raison. Sans lui, il ne savait pas où il serait à cet instant plutôt que dans un lit d'hôpital, au mieux toujours dans cette cave à mourir de faim et de froid, au pire enterré quelque part pendant que tout le monde continuait à le chercher . Il pouvait dire ce qu'il voulait, le lien lui avait sauvé la vie. Et c'était Seonghwa qui l'avait maîtrisé et guidé pour arriver à ce résultat, sans relâche, avec sa détermination habituelle.
Ce n'est pas quelqu'un de bien. Mais sur certains points, c'est quelqu'un d'admirable. Il aurait pu refuser de jouer avec la police, refuser d'exploiter un privilège dont il n'avait jamais voulu. Il aurait pu se désister, laisser l'enquête suivre son cours seule sans intervenir... Mais il ne l'avait pas fait. San n'était pas sûr de ses raisons, mais les résultats étaient là. Nier toute reconnaissance envers Seonghwa tiendrait autant de l'ingratitude que de la mauvaise foi.
Il fut réveillé par l'arrivée de ses parents et de Miwa à dix heures. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas vu sa famille au complet – peut-être parce qu'il avait l'impression qu'elle ne serait jamais vraiment complète depuis que Kazuyo était décédé. Sa mère s'assit dans le fauteuil tandis que son père se comprend juste derrière, Miwa de l'autre côté du lit, et Tobio coupa le sentiment d'être pris au piège.
-Mon chéri, j'ai eu tellement peur, dit sa mère en posant une main sur son bras.
San eut envie de demander pourquoi. Il s'en abstient.
-Heureusement que la police était là, déclarer son père. Ils ont fait du bon boulot.
-Eux et Park Seonghwa, ajouta Miwa.
Un instant de silence pesa sur la pièce, et San sentit que la prise que sa mère avait sur son bras se resserrait légèrement.
-Ce Park, c'est lui ton âme sœur, San ? Pourquoi tu ne nous l'as pas dit ?
-C'est qui, ce garçon ? demanda son père.
San pinça les lèvres. Ses parents ne savaient pas qui étaient Seonghwa. Ils n'en avaient aucune idée. Ils n'avaient jamais entendu parler de lui.
Kazuyo savait, lui , songea San. Parce que c'est lui qui m'a élevé, pas eux.
Il ne répondit pas, et sa mère relança donc :
-Et cet homme japonais, là ? C'est qui pour toi, du coup ? Si ce n'est pas ton âme sœur...
Kazuyo savait aussi qui est Yunho. On a regardé ses premiers lives officiels ensemble. Il aurait probablement été ravi de le rencontrer.
-Yun est le compagnon de San depuis bientôt trois ans, maman, intervint Miwa avant que son frère ne puisse répondre.
-Mais ce Park, reprit son père, c'est toi qui l'as rejeté, San ? Pourquoi ?
San lança un regard de détresse à Miwa, n'ayant toujours rien articulé depuis que cette visite pénible avait commencé. Sa sœur semble saisir le message.
-Ecoutez, dit-elle en rajustant quelques mèches dans les cheveux de son frère, je crois qu'on devrait laisser San se reposer, il en a besoin. Je vous explique sur la route.
-Je t'appelle dans la semaine, déclaration sa mère en se pertinente.
San hocha vaguement la tête et les regards disparaissent avec ralentissement. Ses parents ne le connaissaient pas. Il ne leur avait jamais présenté Yunho, parce qu'il se doutait que ses parents remettraient en cause une relation hors âmes sœurs –il leur en parlait, l'incluait dans le peu de quotidien qu'il partageait avec eux, mais ça n' allait pas plus longe. Miwa était beaucoup plus renseigné là-dessus, en revanche, et les avait déjà reçus à manger plusieurs fois.
Il attendit donc l'heure de sa sortie d'hôpital en solitaire. Tsuki et Suga lui passèrent un coup de fil pour prendre de ses nouvelles, mais il fut assez peu bavard, à moitié distrait par tout ce qui émanait du lien –Seonghwa s'était réveillé, avait pris son petit-déjeuner, mais quelque chose de choisi troublé persistait, et San se demanda s'il avait fait de mauvais rêves. Finalement, Mingi est arrivé à l'hôpital avec un sac d'affaires propres pour San et le reconduisit chez eux, presque plus familier aux yeux de San que sa propre famille il retrouve son appartement avec un relâchement teinté de mauvais souvenirs.
-On installera un verrou supplémentaire, déclara Mingi en le voyant un peu nerveux.
San acquiesça. Il peut se rendre le reste de la journée et réfléchir un peu à tout ce qui lui arrive, mais l'enquête n'était pas terminée, et il doit se rendre au commissariat en fin d'après-midi pour faire sa déclaration. Il n'avait franchement pas envie, tout ce qui était administratif lui était étranger, mais il n'avait pas le choix ; Daichi vint le chercher en personne, puisque San était ressorti de l'hôpital avec une attelle à la cheville et ne pouvait plus conduire.
-Tu sais, dit-il en roulant à travers Sendai, il n'y avait pas de honte à nous dire que Park était ton âme sœur. Tu nous as toujours caché, à Hybe. Mais tu penses vraiment qu'on t'aurait traité différemment ?
San se contenta de hausser les épaules.
-Dans tous les cas, on est toujours là pour toi, peu importe si le lycée est fini, ajouta Sawamura. Tu fais partie de la famille.
San fut soulagé qu'il resta avec lui à travers la procédure, mais il avait quand même hâte de rentrer ; cependant, à peine s'apprêtait-il à quitter le commissariat qu'un homme qu'il n'avait jamais vu, à l'air avenant, se plaça sur son chemin :
-Mr Choi ? Désolé, je devais vous intercepter ! Je m'appelle Kang Yeosang. Je suis un spécialiste du lien des âmes sœurs, et c'est moi qui étais présent hier aux côtés de Mr Park pour l'aider à vous retrouver. Si ça ne vous dérange pas, on pourrait peut-être discuter dans mon bureau... ?
San soupira, conscient qu'il n'avait pas vraiment le choix, d'autant plus quand Daichi le poussa un peu d'une main dans le dos. Il suivit Yeosang, qui disposait d'une vaste pièce pour lui seul, doté d'un bureau et de deux chaises, ainsi que de ce qui ressemblait à un petit salon avec un canapé et quelques fauteuils autour d'une table basse. Une grande bibliothèque remplie tout un pan de mur, alignée avec des étagères remplies de classeurs et de divers dossiers.
-Asseyez-vous, je vous en prie, sourit Yeosang.
San prit place sur un des sièges.
-J'aimerais discuter avec vous du lien des âmes sœurs. J'ai pu en parler hier avec Mr Park à quelques reprises, mais j'aimerais que vous me confirmiez sa version et qu'on commence à réfléchir ensemble sur la suite.
-D'accord, répondit San d'un air neutre.
Peut-être que cet homme pourrait répondre à ses questions, et dans le meilleur des cas lui proposant des solutions – peut-être qu'il existait une méthode miracle pour rompre le lien ? Quelque chose qui pourrait l'y aider à voir plus clair ?
-Pour l'instant, j'aimerais juste que vous me parliez de votre histoire d'âmes sœurs. Nous aurons l'occasion de se rencontrer avec Mr Park pour pouvoir réfléchir tous ensemble là-dessus...
Revoir Seonghwa. San savait que ça allait arriver, la situation du lien n'était pas tenable, il continuait de tout sentir avec une acuité dérangeante, et savait que c'était réciproque ne le mettait pas vraiment à l'aise. Il avait l'impression que Seonghwa était perpétuellement avec lui, sa présence occupant chacune des choses qu'il ressentait – et comment vivre normalement dans ces conditions ? Même les âmes sœurs classiques ne devaient pas subir ça. Il préféra le taire pour l'instant, sachant que ça viendrait sur le tapis, et obtempéra à la requête d'Hayashi.
-J'ai découvert que Seonghwa Hyung était mon âme sœur au début de ma première année de lycée. Il a deux ans de plus que moi, et on était dans le même collège et dans le même club de danse. On ne s'est jamais entendus. Il a découvert le lien avant moi, mais ne m'en a pas parlé et m'a juste dit de m'éloigner. Quand je l'ai découvert à mon tour, il m'a rejeté. Purement et simplement. Il avait un copain, c'était sa raison – mais ils ont rompu quelques mois plus tard, et il n'est pas revenu vers moi. Il est parti à Tokyo, je suis resté en Corée, et on a continué nos vies comme ça pendant cinq ans.
-Vous dites que vous ne vous entendez pas, relève Yeosang. Mr Park fait la même remarque. Mais finalement, nous étions arrivés à la conclusion que ce n'était pas... si vrai que ça.
San fit la moue et esquiva son regard :
-Je ne le hais pas. Je l'admire en tant qu'idol, il m'a toujours inspiré, et ça reste mon âme sœur, on est liés. Hyung est quelqu'un de... quelqu'un qui est...
Il chercha ses mots, mais ne les trouva pas. Fascinant ? Magnifique ? Séduisant, attirant, magnétique ? Ils lui passèrent tous par la tête, mais il ne sut commenter les dire.
-D'intéressant, fini-il par trouver. Mais je ne l'ai jamais apprécié en tant que personne. Il est trop futile. Il se moque tout le temps de moi, il me rabaisse, il me déteste. Je n'arrive pas à comprendre ce qui lui passe par la tête. On ne se connaît pas vraiment..., et honnêtement, je n'ai pas envie de le connaître.
-Est-ce que vous avez déjà eu l'occasion de discuter avec lui ? demande très calmement le spécialiste.
-Non.
-Je pense que ça deviendra nécessaire.
San croisa les bras d'un air peu convaincu.
-Ce n'est pas obligé d'arrivé, sourit Yeosang pour le rassurer. Comme vous dites, vous avez mené jusqu'ici des vies bien distinctes sans avoir besoin l'un de l'autre. Mais alors, pourquoi avoir conservé le privilège ?
-Je l'ai gardé pendant tout le lycée et même un peu au-delà, ouais, concéda San. Ma conception des âmes sœurs était peut-être faussée, mais je pensais que d'une manière ou d'une autre, on pourrait toujours finir ensemble. Que c'était fait pour être ainsi, qu'il s'en rendrait compte, qu'il m'inviterait à boire un verre, j'en sais rien. Mais quatre ans, c'est long. Et puis j'ai rencontré quelqu'un. Donc j'ai commencé à renier le lien il y'a deux ans, et je l'ai senti se dissiper petit à petit, mais...
Mais . San fit une pause, humecta ses lèvres et demanda finalement pour avoir la confirmation à ses craintes :
-Mais depuis hier, il s'est réactivé. On m'a dit qu'il fallait quatre ans pour défaire un lien. J'étais arrivé à deux. Le compte à rebours est tombé à zéro, n'est-ce pas ?
Yeosang le regarde une seconde d'un air grave avant d'opiner d'un bref signe de tête.
-Oui. Pour le bien de l'enquête, vous avez dû l'accepter et Mr Park également, ce qui l'a activé. Autrement dit, il vous faudra quatre années supplémentaires, un peu moins peut-être, si vous comptez de nouveau vous en défaire. Et c'est de ça dont j'aimerais discuter avec Mr Park et vous dans les jours qui viennent.
-Discuter de quoi ? l'interrompit presque San. Je ne veux pas de ce lien. Il a été utile, mais c'était une situation exceptionnelle. C'est hors de question que je passe quatre ans à sentir absolument tout ce qui se passe du côté de Seonghwa Hyung. C'est invivable.
-Merci pour cet avis franc, sourit le spécialiste. Je reçois Mr Park demain matin. Demain après-midi, nous pourrons peut-être tenir cette réunion tous les trois pour déterminer le meilleur moyen d'action, quelque chose qui vous convienne à tous les deux.
-Et ce serait quoi ?
-Nous verrons en temps et en heure.
San se cala dans le fond de sa chaise d'un air boudeur.
-Revenons au lien, je vous prie. Pourquoi avoir choisi ce moment pour le renier ? Etait-ce un choix symbolique ? Certains arrivent à concierge lien et relation extra-âme sœur.
Comme Seonghwa et Taeyong, à l'époque. Mais ça n'a pas duré. San eut envie de toucher sa poitrine, juste à l'endroit où se trouvait le lien désormais hypersensible. Il se souvenait de la sensation déplaisante qui ne voulait pas le lâcher quand il était avec Yunho, la douleur déchirante du soir où ils avaient failli avoir leur premier baiser.
-Il me faisait mal. D'abord, je croyais que c'était Seonghwa Hyung qui n'allait pas bien, mais j'avais l'impression que c'était... le lien lui-même qui désapprouvait.
A cela, Yeosang parut songeur et prit quelques notes. San le contemple, sentant le malaise grandir en lui – et un peu d'inquiétude venue de Seonghwa en réaction, comme en miroir, comme si leurs émotions se réfléchissaient de l'un à l'autre à l'infini. Il se sentait mal, Seonghwa s'inquiétait. Et San s'apaisa pour lui signifiant que tout allait bien, comme un véritable dialogue intérieur.
- Le lien est vivant, déclare le spécialiste en se penchant en avant, posant son menton sur ses mains jointes pour contempler San. Il repose deux personnes, mais existe en tant que tel, par et pour lui-même. On peut l'exploiter, on peut le développer, le rejeter, le faire disparaître... Mais c'est bien davantage qu'un simple outil. Vous avez dû l'entendre hier, il parle, il s'exprime. Mr Park m'a dit qu'il avait servi de communication entre vous, que des mots avaient pris forme.
San, fais-moi confiance. Je suis là. Je suis avec toi. Où es-tu, Sannie ? Tout cela n'était donc que l'expression de leur lien – mais Seonghwa avait-il tout de même eu l'intention de lui dire ces mots ?
-Il dépend des deux personnes qu'il repose, mais existent essentiellement pour les rapprocher, ensuite Yeosang. C'est seulement quand les deux âmes sœurs l'acceptent qu'elles peuvent vraiment se sentir l'une et l'autre –ce que vous expérimentez en ce moment, il me semble. Avant ça, c'est-à-dire tout ce que vous avez connu avant hier, la personne est davantage sensible au lien en lui-même qu'à la personne concernée vous me suivez ? C'est un instinct. C'est un cas rare, mais il est donc complètement possible qu'un lien vienne entraver tout ce qui lui paraît... menaçant. Une relation romantique en dehors d'une âme sœur, par exemple.
-Mais ça, c'était avant, réagit San. C'est ce que vous avez dit. Et maintenant ?
-Maintenant, vous êtes en symbiose, si je puis dire, avec Mr Park. Le lien a évolué. Ce n'est plus votre rapport au lien, c'est votre rapport à Mr Park à travers lui qui importe. En l'occurrence, il devrait être moins sensible.
C'est vrai , se rendit compte San. Yunho et lui avaient été très proches à l'hôpital la veille – et aucune douleur, aucun malaise n'était survenu pour gâcher leur moment. Cela signifiait-il qu'ils pouvaient enfin avancer, aller plus loin dans cette relation, accomplir tout ce qu'ils n'avaient jamais pu faire à présent que le lien ne s'y opposerait plus ? Mais le lien était encore là à travers Seonghwa. Et San n'avait aucune envie que Seonghwa sache ce qui se passerait entre Yunho et lui.
Yeosang laissa passer un instant de silence, écrivant quelques phrases sur ses feuilles, puis considéra finalement San :
-Qu'est-ce que vous ressentez venant de Mr Park, actuellement ?
San n'eut même pas à se concentrer pour répondre :
-Il est chez lui, il se repose. Il va bien, mais il est encore un peu perturbé par les événements d'hier. Je sens de l'inquiétude et des doutes, des choses qui l'empêchent de se détendre, mais il essaie de se distraire –et vu les alternances d'humeurs futiles entre compétition, amusement et rage, je dirais qu'il joue à la console.
-Je vais être sincère avec vous, déclarez le spécialiste. Le lien n'a pas été rétabli de manière naturelle hier, il a dû se développer très fort et en très peu de temps dans des circonstances aussi traumatisantes pour vous que pour Mr Park. Un couple d'âmes sœurs traditionnel, qui aurait appris à se connaître et à s'aimer avec le temps et qui aurait fait grandir leur lien avec leur affection réciproque, est absolument incapable d'être aussi précis dans leurs ressentis l'un de l 'autre. Ce qui unit Mr Park et vous est un lien d'une puissance bien supérieure à cela.
-Super, répondit San d'un ton acerbe.
-Il y a bien sûr les sensations, les sentiments, jusqu'aux moindres humeurs que vous pouvez percevoir. C'est déjà beaucoup, et je comprends tout à fait que vous souhaitiez y mettre un terme. Mais je dois aussi vous éviter que les choses ne restent pas à un stade psychologique. Le lien ne concerne pas seulement une union psychique, il appelle aussi une proximité physique. Vous avez peut-être dû la sentir hier si vous avez pensé en sa présence-
San n'écoute pas le reste, les yeux dans le vague. Il a raison. Quand j'ai vu Seonghwa Hyung, on ne s'est pas posé de questions et on s'est enlacés.
J'avais besoin d'être près de lui. Contre lui.
Un frisson lui remonta tout le long du dos, et il se pencha en avant, s'agrippant aux bords du bureau pour fixer Yeosang avec intensité :
-Non ! Je ne veux pas de ça. Commencer à réfléchir à commenter sur casse ce lien, parce que c'est hors de question –j'ai un copain, c'est quelqu'un de bien, quelqu'un de meilleur que Seonghwa Hyung, c'est...
Il n'arriva plus à parler, ne sachant comment exprimer ce qui le traversait. Il ne savait pas pourquoi ni d'où elle venait, mais une peur irrationnelle grimpait en lui, celle de tromper Yunho sans le vouloir en étant irrésistiblement fourni par Seonghwa, celle de se pince à sa destinée en brisant dans le processus tout ce qu' il avait construit pendant des années sur la tendresse et le respect mutuel –tout ça pour se jeter dans une dépendance mentale et physique avec un autre, complètement contrôlé par le lien et sans aucune volonté propre.
Le lien le piqua – Seonghwa s'inquiétait à nouveau en le sentant si tendu, et il inspira profondément pour se calmer.
-Nous verrons toutes les solutions demain après-midi, ne vous en faites pas, l'assura Yeosang. Mais comme je l'ai fait avec vous, j'aimerais d'abord en discuter en privé avec Mr Park pour apporter son avis personnel sur la question.
San hocha la tête, presque avec désespoir. Il fallait que ça s'arrête avant de dégénérer. Tout savoir de l'humeur de Seonghwa était une chose, être poussé par des forces surnaturelles à se jeter dans ses bras en était une autre.
L'entretien se termina, Daichi lui promit qu'il viendrait le chercher le lendemain pour son nouveau rendez-vous, et San ne put qu'attendre impatiemment que la journée se termine pour y arriver –et trouver une solution acceptable pour mettre un terme à cette connexion.
Le lien lui avait sauvé la vie.
Il pouvait tout aussi bien la gâcher.
