Chapitre 9

Quand le réveil de Yunho sonna, San avait tout sauf envie de quitter le lit.

De une, il avait l'impression qu'il venait à peine de s'endormir. De deux, les draps sentaient vraiment bon, et relevaient sa tête de l'oreiller où elle était plongée lui semblait un effort incommensurable. De trois, il n'était même pas sûr de tenir debout.

Yunho remua un peu, puis éteignit le réveil avant de se redresser. San sentit juste une main dans ses cheveux avant de replonger dans un demi-sommeil, vaguement conscient d'un peu de lumière et du bruit de la douche avant que Yunho ne revienne et ne lui effleure la joue :

-Tu restes ici aujourd'hui ? demanda-t-il tout bas.

-Hmm, répondit San, sa voix à moitié étouffée par la taie d'oreiller.

Yunho dut le prendre pour un oui, car il l'embrassa au coin des lèvres avant de partir à l'entraînement, laissant San profiter encore un peu de son lit et faire la grasse matinée – étant interdit de danse pendant encore deux semaines , même s'il pourrait revenir dès le lundi suivant pour travailler avec les kinés et se préparer à reprendre le rythme dans des conditions optimales.

San somnola donc jusqu'à dix heures, se demandant vaguement si tout ce qui s'était passé cette nuit avait été un rêve –tout s'était enchaîné naturellement, de moins en moins clair au fur et à mesure que le plaisir grimpait, et il gardait de vagues souvenirs étoffés d'impressions vivaces –et quelques images qui ne laissaient pas indifférents s'il y préféraient trop. Il n'en avait pas douté un instant, mais les choses avaient été parfaites du début à la fin.

Ce qui était moins parfait, en revanche, était que le lien commençait de nouveau à se manifester ; les effets des annihilateurs se dissipaient progressivement. Il n'attendit pas d'être complètement soumis aux humeurs de Seonghwa avant de prendre la dernière gélule et de les étouffer de nouveau, et tout ce qui s'amorçait en lui sans lui appartenir se résorba, le résumait une fois de plus en paix avec lui-même.

Si j'avais su, j'aurais fait ça depuis le début , songea San en se levant. Il grimaça légèrement en sollicitant ses membres endoloris, cherchant des yeux ses vêtements dans la chambre avant de renoncer – il n'avait qu'à en emprunter à Yunho pour la journée, son petit-ami ne lui en voulait pas.

Il tituba jusqu'à la salle de bains et se glissa dans la cabine de douche, laisse tomber l'eau fraîche ruisseler sur son corps avec délectation. Les marques de sa captivité avaient presque disparu, ne restaient que de vagues irritations autour de ses poignets, là où la peau se refaisait tout doucement. Son entorse n'était plus si douloureux non plus –il se débrouillait pour marcher sans attelle, et il en avait vu d'autres. L'important était de ne pas trop perdre en condition physique en attendant de reprendre l'entraînement : il restait titulaire des Adlers, même si Hirugami l'avait assuré qu'il pouvait prendre tout le temps dont il avait besoin, psychologiquement et parlant physiquement.

Il se sentait d'excellente humeur, sans aucun lien d'âme sœur pour venir ternir sa satisfaction. Bien sûr, ça ne l'empêchait pas de penser, et il était encore tracé par les messages que lui avait laissés Seonghwa et les informations que Miwa lui avait fournies. San s'en voulait de s'imposer tellement de restrictions en croyant que le lien signifiait quelque chose –ne pas embrasser Yunho, ne pas coucher avec lui, ne pas prendre d'annihilateurs. Toutes ses résolutions sagement tenues depuis des années avaient volé en éclats en douze heures, et honnêtement, il ne s'en portait que mieux. Seonghwa n'avait pas eu tant de scrupules. Il était grand temps qu'ils soient à égalité.

San préfère un sweat dans l'armoire de Yunho, puis se posa dans la cuisine le temps de descendre une briquette de lait. A vrai dire, il regrettait un peu d'avoir piqué deux crises la veille, il avait bien conscience qu'il avait été odieux et avait eu des mots extrêmement durs, et que même la nuit qu'ils avaient passé ensemble n'effaçait pas tout. Il ne savait pas s'il pouvait rester une nuit de plus ici – il aurait dû rentrer chez lui avant la fin d'après-midi pour récupérer ses cachets dans sa chambre ; mais aussi profiter d'être interdit d'entrainement pour rendre service à Yunho et faire quelques courses pour lui avant qu'il ne rentre. Il avait remarqué en ouvrant le frigo qu'il commençait à être à cours de réserves, et vu l'heure à laquelle ils avaient dormi,

San descendit donc, cherchant sur son GPS le supermarché le plus proche. Peut-être qu'on devrait emménager ensemble , songea-t-il vaguement ; mais il avait toujours ses projets de carrière à l'étranger et ne savait pas encore si Yunho pourrait le suivre, ce n'était que des idées encore brouillonnées. Il se concentre plutôt à établir une liste de cours mentale, suivant d'un œil le petit chemin qui se dessine sur son téléphone.

-Yo, Sannie.

Il s'arrête net.

Seonghwa était assis sur un muret, juste à côté de lui, jambes croisées, son téléphone dans une main. San le considéra avec stupéfaction – il n'avait pas pu le percevoir, le lien était annihilé par les cachets. Pour la première fois, il n'avait pas ressenti sa présence, et probablement que Seonghwa non plus, à moins qu'il ait pris la dose B comme convenu pour la journée. Dans tous les cas, le voir là rappelé à San tout ce à quoi il n'avait plus envie de repenser, et la colère pointée de nouveau en lui.

Je te détestais parce que... parce que t'étais putain de détestable, déjà !

Les sugar daddy's , ça te parle ? T'es le seul à pas t'en rendre compte, San.

Ce gars t'a rejeté pour se taper des plans cul derrière.

Le lien avait beau être étouffé, ses effets étaient toujours aussi présents –ils se croisaient en pleine ville comme ça parce que c'était dans leur nature d'aller toujours l'un vers l'autre, même inconsciemment, poussés par le destin comme des pions sur un échiquier. San croisa les bras et recula d'un pas, s'empêchant de céder à la présence de Seonghwa :

-Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-il avec agressivité.

-Toi, qu'est-ce que tu fais là ? lui retourna son ainé d'un air tout aussi mordant. J'habite dans cet immeuble, je te signale.

D'accord. Il sauta de son muret pour se tenir face à son cadet et San remarqua qu'il avait l'air malade – il était pâle, les yeux éteints, soulignés par deux marques violettes qui trahissaient des insomnies. Il y avait dans son comportement quelque chose de brusque et d'irrité, et San se serait plutôt attendu à des excuses, au vu de leurs dernières interactions.

-Tu t'es perdu, Sannie ? poursuivit Seonghwa de cet insupportable ton mignard. Oh, laisse-moi deviner. Tu étais probablement chez ce cher Yunho.

La mâchoire de San se durcit. Il n'aimait pas du tout les intonations de Seonghwa, toutes suintantes de mépris –il parlait aussi librement que dans ses messages vocaux, mais ce n'était pas l'alcool qui le rendait aussi direct cette fois, c'était la fatigue . San se demanda un instant si c'était leurs disputes qui l'empêchaient ainsi de dormir avant de se rappeler que son aîné n'avait jamais fait grand cas de lui avant. C'était plus probablement encore une de ses conquêtes qui l'avait épuisée toute la nuit. La pensée ne fit qu'attiser son irritation.

-Tu sais quoi, Hyung ? répondit-il sèchement. Mêle toi de tes affaires. Je pensais avoir été clair là-dessus –chez Hayashi, et quand je t'ai bloqué hier. Tu fais ta vie, je fais la mienne, on prend les annihilateurs encore trois ou quatre ans et ensuite on sera tranquilles.

Tu pourras continuer à vivre comme tu l'as fait jusqu'ici, avec ou sans lien, tu ne faisais pas de différence de toute façon.

-Salut, termina t-il sans le regarder et d'un ton définitif.

Il commençait à s'éloigner, mais avait à peine fait quelques pas que la voix de Seonghwa retenu de nouveau –et elle avait perdu ses accents puérils, déposée place à sa voix sérieuse, plus grave, bordée de sous-entendus, celle qui Révélant qu'il était vraiment.

-Je n'ai pas pris les annihilateurs, San.

San s'arrête de nouveau, ne se retourne pas tout de suite. Quelque chose de glacé et de sinueux faisait son chemin jusqu'à son cœur, la lente réalisation de ce que ça signifiait vraiment – et il sentit une sueur froide recouvrir son dos quand il accepta finalement de faire face à Seonghwa, à sa mâchoire contractée, à ses yeux cernés, à ses prunelles couleur chocolat où luisaient le reproche et l'ivresse d'une nuit sans repos.

Seonghwa ouvrit la bouche, mais San l'attaqua en premier :

-C'était ce qu'on avait dit. Tu les prends, je les prends. Park, on était d'accord !

Il laissa tomber le suffixe. Ses mains tremblaient.

-Je ne les prendrai pas ! s'obstina Seonghwa. San, s'il arrive quelque chose comme l'autre jour, j'ai besoin de savoir si-

-J'ai pas besoin de ton aide ! le coupé San.

Lui ne percevait rien de Seonghwa, même alors qu'ils étaient face à face, mais l'inverse n'était pas vrai, et il était sûr que son âme sœur sentait à quel point il était bouleversé, le bourdonnement dans ses oreilles, les battements irréguliers de son cœur.

Et s'il ne les a pas pris cette nuit...

Comme la veille, la tête lui tournait. Il avait besoin de partir d'ici aussi vite que possible. Hors de question de rester face à Seonghwa après ça. Il fallait qu'il frappe le dernier coup et s'en aille avant que son aîné ait le temps de le blesser.

-Sérieusement, fiche-moi la paix ! s'écria-t-il donc d'une voix où se mêlaient l'indignation et le venin. C'est ma vie privée, t'as rien à faire dans ma tête ! J'ai pas envie de te sentir, j'ai pas envie de te voir, j'ai encore moins envie de t'entendre complètement défoncé en train de pleurnicher au téléphone parce que t'as laissé passer ta chance ! En train de chialer parce que Taeyong t'a plaqué et parce que t'es juste un putain de lâche qui n'a jamais voulu assumer notre privilège ! Tu sais quoi, Hyung ? Tu me connais pas. Et tu fais pitié.

Il coupait tout juste le temps de voir les yeux de son âme sœur s'obscurcir avant d'être poussé dans une ruelle adjacente, hors du passage et loin des yeux indiscrets. Seonghwa le plaqua contre le mur, et San eut une impression de déjà-vu.

Peut-être qu'il va m'embrasser.

San avait cru avoir dépassé sa peur de Seonghwa, mais à cet instant, il se rendait compte que ce n'était pas tout à fait vrai, et que chaque fibre de son corps lui criait danger . Les yeux de son âme sœur brûlaient, seul signe de vie dans son beau visage figé comme une statue de marbre. Et Seonghwa déclara, lentement, détachant bien les mots d'une voix qui avait retrouvé son velours :

-Tu n'as pas de vie privée avec moi, Sannie.

San avait beau ne plus percevoir ses sentiments et ses sensations, il savait très clairement ce qu'était en train de faire Seonghwa. Il ne l'avait que trop fait.

Il lui prouvait qu'il pouvait toujours être pire.

-Demande-moi de te raconter ce que j'ai senti cette nuit, susurra Seonghwa. Vas-y, teste-moi. Oh, je n'avais pas la vue et l'ouïe, je te le concède et je m'en félicite, mais je pense pouvoir restituer ça assez fidèlement.

Il se pencha, tout contre San, et celui-ci eut la sensation de se consumer à ce contact –d'autant plus quand Seonghwa lui murmura au creux de l'oreille :

-Est-ce qu'il t'a murmuré des mots doux tout le long ? En Japonais, peut-être ? Ça devait être tellement romantique .

-Arrête ça, souffla San en tenté de le repousser. Tu délires.

C'était vrai , mais Seonghwa ne pouvait pas le savoir. Il ne voulait pas en entendre plus, il voulait partir, autant pour se soustraire aux paroles de son aîné qu'à cette attraction qui les poussait l'un vers l'autre, à cet inconscient qui désirait Seonghwa autant que sa conscience le haïssait – ces deux pôles qui se combattaient en lui, la répulsion mêlée au besoin de le toucher. Il essaya de prendre de la distance, mais Seonghwa attrapa son poignet, et ses doigts se refermèrent juste sur les marques des liens encore mal cicatrisées.

-Moi je délire ? répéta l'ainé d'un ton velouté. Non, je crois que je sais de quoi je parle. Qu'est-ce qu'il faut que je dise pour que tu me croies ? Combien de temps ont duré vos préliminaires ? Combien de doigts il t'a mis avant de rentrer ? Combien de fois t'as joué, et dans quelles positions ?

Il a senti tout ça.

-Il me semble qu'il a embrassé ta cheville blessée, non ? Et puis il a remonté toute ta jambe. Avec sa langue, bien entendu. C'est bien ça ?

Il l'a senti comme si c'était son propre corps.

-Tes potes ont raison, tu t'es vraiment trouvé le gars parfait .

Il a couché avec Yunho à travers moi.

Son estomac se retourne, le sang se draina de son visage. Seonghwa le regardait au fond des yeux, et il n'arrivait pas à détourner les siens, ne parvint même plus à protester quand des doigts se posèrent sur sa joue, aériens, l'effleurant à peine, et pourtant lui donnant l'impression d 'être électrisé.

-Le problème, Sannie, murmura Seonghwa, c'est que les gars parfaits ne sont pas faits pour toi. Tu n'as jamais aimé le calme. Il te faut du mouvement et des heurts, il faut qu'on te réponde et qu'on te stimule. T'as besoin qu'on te fasse vibrer de toutes les manières possibles. Qu'on s'aime jusqu'à l'obsession, qu'on se dispute jusqu'à se haïr, et qu'on baise comme si c'était le dernier jour.

Il s'approcha, son visage à quelques centimètres de celui de San – il en vit tous les détails, fasciné, incapable de bouger, tétanisé par un lien qu'il ne pourrait jamais combattre totalement.

-Tout ça, c'est nous, chuchota Seonghwa. C'est ce qu'on serait. C'est ce que je peux te donner.

Son souffle passa sur les lèvres de San – il céda presque, mais se reprit et repoussa Seonghwa :

-Tout ce que tu peux me donner, reprit-il d'une voix désabusée. Et cette relation soi-disant unique, tu l'as donnée à combien avant moi ? T'as pas chômé, pendant que j'étais en train d'attendre. Le lien n'était pas rejeté, mais ça ne t'a pas empêché de sauter tout ce qui a été rejeté.

-Oooh, siffla Seonghwa en reculant d'un pas. Soeurette à bavarde, à ce que je vois. Eh bien oui, Sannie, je suis un pauvre débauché qui n'a pas attendu ses vingt-deux ans pour sauter le pas. Alors pourquoi le destin nous a réunis aujourd'hui, tu crois ? Pour que je te donne des conseils ?

Il éclata d'un rire moqueur, outrancier, le même qu'au collège et au lycée.

-Oh, Seonghwa Hyung va te donner des conseils, pour le coup ! s'écria-t-il d'une voix affreusement hypocrite. Profite bien, San, tu as attendu ce moment toute ta vie. Tu veux que je t'apprenne à sucer ? C'était pas encore tout à fait au point hier, non ? Normal, c'était la première. En revanche, Yunho s'en tire plus que bien, ça se voit qu'il a été marié avant –même si ce n'était que des sensations fantômes, ça faisait un bail qu'on ne m'avait pas aussi bien préparé, j'ai adoré .

La gifle partit toute seule.

Seonghwa porta une main à sa joue, là où commençaient déjà à se dessiner les marques de doigts rouge vif, puis tourna lentement la tête. Des larmes de rage roulaient sur les joues de San.

-San..., commença Seonghwa d'une voix qui avait perdu ses accents moqueurs.

-T'es ignoble, hoqueta le plus jeune sans le laisser poursuivre. Je te déteste. Je déteste ce lien. Pourquoi tu m'as sauvé si c'est pour me faire ça après ? Pourquoi tu reviens tout gâcher ? Je ne veux plus de toi, Park. S'il te plaît, je voudrais juste que tu comprennes ça.

Son âme était sœur complètement immobile. Tout amusement, toute cruauté, toute colère avait déserté ses traits. Ses yeux étaient vides.

-Je ne veux plus de ce lien, continua San d'une voix épuisée. Je n'en peux plus. Je voudrais juste qu'il disparaisse. Qu'il se brise, là, maintenant, et me laisse vivre en paix.

Il adresse un dernier regard de mépris à Seonghwa et partit, se dégageant d'un geste sec quand celui-ci voulut le retenir. Même s'il aurait pu le rattraper sans peine, son âme sœur ne le poursuivit pas. Ils n'avaient plus rien à se dire de toute façon.

Le lien était un piège. Il n'y avait aucun moyen de s'en sortir. San n'avait aucun choix, ne pouvait que subir sans pouvoir se rebeller contre son destin – l'abstinence ne fonctionnait pas, la consommation posait tout autant de problèmes. Il a vu flou en remontant chez Yunho.

Tu n'as pas de vie privée avec moi, Sannie.

Il avait à peine refermé la porte qu'il se laissait glisser au sol. Seonghwa avait tout senti, absolument tout, chaque caresse, chaque baiser, chaque appréhension et chaque pic de plaisir. San se sentait humilié. Souillé. Violé.

S'il le pouvait, il aurait ouvert sa poitrine de ses ongles pour arracher le lien à mains nues.
Il prit de longues minutes pour se calmer. Il fallait qu'il trouve quelque chose choisi. Quelque chose pour en finir avec tout ça. Il aurait pu appeler Yunho ou Miwa –mais de quelle aide auraient-ils été dans cette situation ? Il se souvint soudain que Yeosang lui avait donné sa carte ; c'était un spécialiste, il devait savoir, il devait déjà avoir été confronté à des cas pareils, à des situations où le lien était utilisé comme arme plutôt que comme outil, comme clé de chant affectif, comme moyen pour blesser l'autre là où il aurait dû les aider à se comprendre.

Il s'empara de son portefeuille, retrouvant la carte puis composant le numéro avec des doigts tremblants, et Yeosang répondit après quelques tonalités :

-Oui ?

-Allô, dit immédiatement San. C'est Choi San. J'ai besoin de votre aide.

-Je vous écoute.

Pendant un moment, San ne sut pas par où commencer.

Je n'ai pas pris les annihilateurs. Tu n'as pas de vie privée avec moi. J'ai adoré.

-Je..., commença-t-il finalement d'une voix incertaine, je voudrais savoir si je peux forcer mon âme sœur à prendre des annihilateurs.

-Hmm..., réfléchit tout haut le spécialiste en analysant la situation. Mr Park ne les prend donc pas ?

-Non... Il ne les a pas pris et...

Il mâchouilla se lèvre inférieure.

-Et c'est très gênant, lâcha-t-il finalement. J'ai pas envie qu'il sente absolument tout ce que je vis.

-Le plus simple reste d'en discuter avec lui, Mr Choi.

-Je pensais qu'on était d'accord. Il a acheté les annihilateurs devant moi, mais il ne les utilise pas et... Et on un peu de mal à communiquer.

C'était un euphémisme. San ne se souvenait pas qu'ils aient eu une interaction sans chercher qui doive le plus mal à l'autre, qui serait le plus bénissant, qui toucherait le point le plus sensible. La seule accalmie de leur relation avait été le jour de l'enlèvement – ils avaient été si proches, si fusionnels, ils s'étaient même enlacés. Il y avait des choses positives entre eux, San le savait, il y avait du bon. Même s'il l'avait nié en bloc devant Yunho, San voulait croire que Seonghwa pouvait être quelqu'un de bien, il voulait se convaincre que son âme sœur était capable d'être celle qu'il avait sentie à travers le lien ce jour-là, celle qui lui disait je suis avec toi . Mais comment atteindre ce genre de relation s'ils n'arrivaient pas à faire la paix ? Et comment faire la paix dans ces conditions ?

-Les annihilateurs sont la seule alternative, j'en suis désolé, répond Yeosang après un instant de silence. Vu l'état du lien, ça ne doit pas être facile pour Mr Park de tout endurer. Il finira probablement par céder. Je sais bien que ce n'est pas facile à ignorer...

-Je croyais que les choses seraient résolues, murmura San en remontant ses genoux contre sa poitrine. Que ça irait, maintenant. Mais c'est pire .

-Est-ce que vous voudriez qu'on prenne un autre rendez-vous ensemble, avec Mr Park, et qu'on discute de ça tous les trois ?

San hésita. Mais revoir Seonghwa était hors de question. Pas après ça. Il ne répondit pas, et Yeosang embraya :

-Ecoutez, laissez un peu de temps à Mr Park. Vous avez dû renouer le contact très brutalement, tout a été bouleversé en moins d'une journée, et vous avez tous les deux dû subir une situation très éprouvée. C'est normal que vous soyez perturbés, et lui autant que vous. S'il s'accroche encore au lien par réflexe après ce qui s'est passé, c'est qu'il a peur qu'un nouveau drame se produise. C'est qu'il a peur de vous perdre.

San voulut objecter, mais Yeosang ne lui laissa pas la parole :

-J'étais avec lui toute la journée qu'ont duré les recherches. J'ai bien vu que cette histoire s'est profondément remise en question des choix qu'il avait cru faire. Je ne plaide ni d'un côté ni de l'autre, Mr Choi, je ne fais que mon métier, mais... le seul conseil que je peux vous donner, c'est d'essayer de parler avec lui. Et de lui laisser le temps d'assimiler tout ça.

San n'était pas convaincu. Cette journée d'enlèvement avait laissé des séquelles sur eux deux, c'était sûr. Que ce soit dans la réalisation de leur lien, dans cette toute-puissance qui les avait tous les deux éblouis, ou dans le fait que Seonghwa cherche à le surprotéger et envahisse sa vie privée. Mais son âme sœur ne pouvait pas se permettre de revenir du jour au lendemain sans au moins lui laisser le temps de l'accepter. Il ne pouvait pas débouler dans sa vie comme si de rien n'était et exige de San qu'il laisse tout tomber pour partir avec lui, qu'il oublie tout le mal qu'il lui avait fait, qu'il oublie Yunho. Il ne pouvait pas se servir du lien pour lui faire du chantage en dévoilant tous les détails de sa vie intime.

-Merci du conseil, dit-il d'une voix un peu fraîche. Je vous rappellerai au besoin. Au revoir.

Il raccrocha, et laissa sa tête heurter le panneau sans délicatesse.

Il se sentait mal. Il se sentait tellement, tellement mal. Trop de choses se passaient d'un coup – l'enlèvement, le retour de Seonghwa, ses doutes, la fin de sa relation platonique, la scène du matin même. Il devait à la fois assumer les séquelles psychologiques de ce qui s'était passé, gérer le problème du lien, et accepter d'être totalement impuissant face à ça, sans même la danse pour lui permettre de se défouler.

Toute son énergie s'accumulait négativement et le poussait à bout – il ne pouvait pas se dépenser, il ne pouvait pas s'échapper et penser à autre chose, il était voué à juste ruminer tout ce qui lui arrivait entre quatre murs. Il se sentait encore mal à l'aise depuis l'histoire avec les concierges, ne pouvait pas s'empêcher de jeter des regards nerveux aux portes en se demandant si elles étaient bien fermées – il avait du mal à s'endormir, chaque fois continuait par les mêmes cauchemars, et quand il se réveillait, il craignait presque d'entendre du bruit venir d'une autre pièce, des pas, des murmures comme ce jour là.

Et Seonghwa... Il ne savait même plus quoi en penser. Le lien était bien présent, San reconnaissait son utilité et sa puissance, mais n'avait pas de remords à le renier. Il s'était dit qu'il pouvait gâcher sa vie, et c'était exactement ce qui se passait –Seonghwa avait joué les voyeurs pour son premier baiser et sa première fois, avait tout suivi à distance... Et comment dire ça à Yunho ? Comment dire qu'ils n'étaient pas que deux cette nuit, qu'un intrus s'était glissé entre eux, qu'il avait eu sa part des choses à travers San ? C'était fou. C'était profondément malsain.

Mais Yeosang avait raison. Seonghwa finirait par craquer et prendrait les annihilateurs. Il avait beau avoir joué les provocateurs, San n'avait pas eu besoin de leur connexion pour voir qu'il n'était pas bien, qu'il avait subi la nuit plus qu'il n'en avait profité. Et s'il sentait absolument tout du lien, il arriverait très vite à ses limites psychologiques.

En soi, San avait deux choix. Il pouvait refuser tout contact physique avec Yunho, conscient que Seonghwa sentirait leurs moindres manifestations d'affection –ça, c'était s'il n'arrivait pas à faire abstraction du lien. Ça ménagerait Seonghwa, mais Yunho en souffrirait probablement ; et lui... lui serait déchiré entre revenir à des contraintes plus sévères encore sur son couple, ou savoir qu'il n'était jamais seul même dans son intimité.

Ou il pouvait faire l'inverse. Ce serait tout aussi déchirant, mais ça affecterait moins Yunho –et ça pousserait sûrement Seonghwa à se reporter sur les annihilateurs. Tout ce qu'il fallait était que San puisse agir en oubliant que quelqu'un d'autre habitait son esprit et ses sens. Ce ne serait pas facile de se dire que tout ce que Yunho lui travaillait, Seonghwa le sentirait comme s'il était à sa place. Il avait l'impression de se faire tromper tout en serviteur de réceptacle, c'était dérangeant, c'était glauque, et c'était la triste réalité des âmes sœurs, celle qu'il n'avait jamais ressenti et qu'il aurait dû voulu ne jamais découvrir.

Seonghwa voulait jouer ? Très bien. San rentrerait dans son jeu et lui ferait regretter.

Après tout, entre nous, c'est toujours moi qui gagne, Hyung , songea-t-il en se demandant vaguement si son aîné pouvait l'entendre penser. Sportivement ou sentimentalement, je réussis tout ce que tu n'arrives pas à atteindre. Même la gifle que tu n'as jamais réussi à me donner t'est revenu en pleine tronche.

Il s'inspire profondément pour graver cette résolution en lui. Seonghwa n'avait que ce qu'il méritait, après tout. Tant que lui supposait ses annihilateurs et restait imperméable à tout ce qui venait de son âme sœur, il pouvait aisément feindre d'être aveugle au fait que ce n'était pas réciproque.

Il adorait ça ? San lui en donnerait pour son argent.

Il s'est avéré leur télépathie distrayante ? San l'en dégusterait.

Et maintenant, Hyung, voyons voir combien de temps tu vas tenir.