Chapitre 10

Les premières choses que fit San en rentrant chez lui fut de s'enfiler deux gélules de dose C d'un coup et d'appeler Wooyoung. Il n'avait pas eu le temps depuis l'enquête, mais certains points devaient être réglés, et son nom était trop souvent revenu dans les paroles de Seonghwa pour qu'il n'ait pas joué un rôle dans leur conflit.

-Allô, San ?

Sa voix était énergétique comme à l'accoutumée, mais teintée d'inquiétude. Probablement parce qu'il était très rare que ce soit San qui a pris l'initiative de lui téléphoner.

-Salut, Wooyoung, dit-il lentement. Ça va ?

-Ça va. J'ai fini ma semaine d'entraînement ce midi, j'allais faire un Skype avec Heitor. Et toi ? Comment tu te sens ?

San s'allongea à demi sur le canapé, profitant de l'absence de Mingi pour prendre ses aises. Il mit Wooyoung en haut parleur et posa l'appareil sur sa poitrine, croisant ses bras derrière sa tête.

-Fatigué, répondit-il. Je reprends l'entraînement avec les kinés lundi.

-C'est cool, répondit Wooyoung.

Le silence se rétablit, et San ne savait pas comment amorcer le reste. Wooyoung attendit trois longues secondes de blanc, puis fonça comme à son habitude –et San lui en fut reconnaissant, pour une fois :

-Tu m'appelles pour quelque chose de spécial ?

-Ouais. Woo, tu te souviens, dans l'ambulance, quand je t'ai dit qu'on reparlerait plus tard ?

-Yes of course.

-Je voudrais qu'on en reparle maintenant.

Il inspire pour se donner du courage. Parler de Seonghwa après la scène du matin lui faisait horreur. Débattre du lien en sachant à quoi il avait servit le rendait malade. Mais Wooyoung avait dû dire des choses, et San avait besoin de savoir quoi pour comprendre exactement comment son âme sœur et lui en étaient arrivés à ce point. Seonghwa l'avait mentionné plusieurs fois, et chaque fois pour interroger sa relation avec Yunho.

-D'accord, dit Wooyoung. Tu as revu Seonghwa depuis l'affaire ?

-Oui.

San déglutit. Il ne l'avait revu qu'à deux reprises, mais chaque fois, ça avait été intense, et il avait préféré garder pour lui ce qu'ils s'étaient dit, ne s'attardant pas sur le sujet, même avec Yunho.

Mais Wooyoung était son meilleur ami. S'il ne pouvait pas lui faire confiance, alors il était bon pour recommencer à s'isoler.

-Je l'ai vu chez le spécialiste des âmes sœurs. On devait voir ce qu'on faisait par rapport au lien. Je voulais m'en débarrasser, et lui n'était pas très... enthousiasmé par l'idée. Donc on a dû en discuter, et il a dit un truc qui m'a un peu fait tiquer.

-Tout ce qu'il dit te fait tiquer.

-Il y a peut-être une raison, rétorqua San d'un ton plus sec. Wooyoung, est-ce que tu as dit quelque chose à Park sur Yun et moi ? C'est toi qui lui as dit que c'était platonique, non ?

Wooyoung laissa éviter un léger son d'acquiescement, puis confirma :

-Oui. On a eu l'occasion de parler tous les deux un peu en privé. Tu sais, faut que je te dise, il était clairement en train de faire une crise de jalousie sur Yunho. Seonghwa a toujours été... dramatique, mais là, c'était carrément ridicule. Je l'ai grillé direct. Et il m'a avoué.

-Avoué quoi ? Qu'il était jaloux de Yunho ?

San pousse ses lèvres pour former sa moue habituelle. Si Seonghwa avait ressenti quelque chose comme de la jalousie en voyant Yunho, c'était extrêmement mal placé. Il n'avait aucun droit d'en être jaloux –il avait jeté San sans lui accorder la moindre importance, Yunho l'avait trouvé ensuite, il avait redonné confiance en lui, ils avaient intégré quelque chose choisi ensemble et si Seonghwa y trouva quelque chose à redire, c'était qu'il se comportait en gamin pourri gâté, encore à exiger de San qu'il soit totalement sien, sans aucune considération pour la vie qu'il s'était construite petit à petit en son absence.

-Avoué qu'il avait supposé de sortir avec toi, répondit Wooyoung. Quand il est rentré de Tokyo, si t'avais été célibataire, il aurait tenté sa chance.

Je veux nous donner une chance, je veux apprendre à te connaître. Je suis fait pour faire partie de ta vie, San. Je suis sûr qu'on pourrait être heureux ensemble ! Quand je suis rentré, je voulais... Je voulais t'inviter et te dire pardon et essayer quelque chose... j'arrivais pas à t'oublier moi...


San serra les dents.

-Tu lui as dit quoi exactement ?

Wooyoung hésita, et San sut instantanément qu'il avait raconté des choses dont il n'était pas certain.

-Je... J'ai dit que tu avais eu un peu de sentiments pour lui au lycée.

-Wooyoung-

-Mais San ! s'exclama le plus jeune avant de se faire disputer. C'était juste... clair, non !? La manière dont tu le regardes, dont tu parles de lui tout le temps, tu le suivais même à KQ–sérieusement, je te défie de me regarder dans les yeux et de me dire que t'as jamais craqué sur Seonghwa, au moins à l'époque !

San soupira, ôtant une main de sa nuque pour la poser sur ses yeux. Wooyoung n'avait pas commis de délit. Peut-être qu'à l'époque de Hybe, il avait été trop pris par sa passion et trop incertain de ses émotions pour avoir clairement identifié les sentiments qui le liaient à Seonghwa ; tenté à la fois de les faire mûrir et de les combattre dans la situation d'âmes sœurs complexe où il se trouve à l'époque. Mais rétrospectivement, nier tout intérêt romantique sur Seonghwa serait du mensonge pur et simple. Il y avait eu plus que de la simple admiration pour ses capacités sportives, plus que la connaissance du lien qui les unissait. Alors peut-être que ça n'avait pas été de l'amour à proprement parler ; plutôt un intérêt adolescent, fragile et désillusionné, mais dans tous les cas, ça avait été différent de tout ce que San avait connu.

Jusqu'à Yunho.

-J'ai craqué sur Park, je te l'accorde, soupira-t-il. C'était difficile de faire autrement, nan ? Mais précise. Ça n'a pas tenu après son départ. Un crush de collégien, ça ne dure pas six ans. Et encore moins quand tu finis par trouver la bonne personne. T'as dit à Park que j'étais encore intéressé ?

-Je n'ai pas dit ça ! s'exclama Wooyoung. Non, j'ai dit qu'au lycée, peut-être que tu étais intéressé. Mais je n'ai rien dit sur maintenant.

-Alors pourquoi il pense qu'il a ses chances ? Je suis en couple. Il est resté tranquille jusqu'à l'enlèvement parce qu'il le savait. Et d'un coup il apprend que c'est platonique et pense que je lui suis acquis ? C'est toi qui lui apprends ça, Wooyoung, tu lui as dit quoi d'autre ?

-Hm... Je lui ai dit que tu restais avec Yunho pour ne pas être seul hors du système des âmes sœurs.

San se redressa si vite que le téléphone glisse sur son ventre et manqua de tomber :

-Quoi, c'est tout ?

-Quoi ?

-Yun. Tu crois que c'est tout ce qu'il est pour moi ?

Ça expliquerait pourquoi Seonghwa pourrait arriver et prendre la place. Mais non, Wooyoung était son ami, Wooyoung le connaissait, il l'avait vu avec Yunho, il devait bien savoir-

-Je... Franchement, San, j'en sais trop rien. A la soirée chez moi, tu m'as dit que tu couchais pas avec parce que le lien était encore là et que tu voulais attendre de voir si Seonghwa revenait...

-J'ai jamais dit ça ! se révolta San. T'as déduit ça tout seul ! Je couchais pas avec Yunho parce que ça me semblait injuste envers lui. Mais le lien, je l'ai rejeté !

Le silence se rétablit, et il pouvait entendre Wooyoung respirer à l'autre bout du fil.

-Pourquoi tu me l'as pas dit ?

-Je t'ai dit ! Tu l'as juste mal interprété !

-Tu m'as dit que dalle ! réagit Wooyoung. Tu me dis que le lien est encore là et que tu refuses d'aller plus loin avec Yunho ! Je devais comprendre quoi, là ? A part que ce que tu attendais, c'était que Seonghwa revienne et se comporte enfin comme ton âme sœur ?

San pose le téléphone sur la table basse et prend sa tête dans ses mains.

-C'est ce que t'as dit à Seonghwa ? articula-t-il finalement. Que Yunho n'était qu'une occupation secondaire pendant que je l'attendais, que c'était juste un gars gentil avec qui passer le temps ? Que je restais bien sage jusqu'à ce qu'il revienne et me trouve prêt à tout plaquer pour lui ?

L'écran se mit en veille sous les yeux chanteurs de San. La voix de son ami s'éléva de nouveau.

-C'est... C'est pas vraiment ce que je lui ai dit... Mais il a pu le comprendre comme ça, oui... Et puis, je veux dire, je t'ai jamais vu embrasser Yunho, je pensais que c'était plus... quelque chose comme une relation vraiment, purement platonique, sans rien de vraiment sentimental-

-T'es sûr que t'es mon meilleur ami ? répliqua froidement San.

Wooyoung se tut un court instant, et San sut qu'il l'avait blessé. Mais il se sentait trop irrité pour y faire bien attention.

-Oui, dit finalement Wooyoung. Mais je ne peux pas deviner ce que tu ne me dis pas, San.

-Tu peux éviter de partager tes suppositions foireuses, par contre. Ça évitera à Park de se faire des idées fausses.

Il s'en voulut de sonner comme s'il prit sa défense. Mais ça expliquait mieux les chocs successifs de Seonghwa quand ils avaient parlé dans le bureau de Yeosang. Si Wooyoung avait sous-entendu tout ça, normal qu'il soit tombé des nues. San soupira de nouveau, exténué.

-Il s'est passé quelque chose ? demanda finalement Wooyoung. T'as pas l'air bien.

Ce n'était pas la première fois qu'on le faisait remarquer, ces temps-ci. Et en même temps, il ne savait pas comment aller bien dans ces conditions, quand ses sentiments et ses humeurs étaient en roue libre, qu'il vivait sur l'angoisse d'être épié à travers le lien, d'être contrôlé par lui , de regarder sa vie glisser à travers ses doigts sans plus de consistance que des grains de sable.

-Ouais, murmura San. Mais ça va aller mieux.

Il raccroche.

Il savait que Wooyoung s'inquiéterait. Il s'inquiétait déjà. Mais s'il menait son plan à bien, les choses devaient se régler en quelques jours, quelques semaines tout au plus – ça ne dépendrait que de Seonghwa et du temps qu'il pourrait se décider à prendre ses cachets. Ça tiendrait au temps que mettrait San à l'y pousser, à l'épuiser nerveusement jusqu'à ce que lui aussi préfère le néant des annihilateurs et la fin de leur lien.

Désolé, Hyung , pensa-t-il à demi. Tu t'es fait des idées. Elles étaient fausses. Essaie de revenir à la réalité assez vite, maintenant.

Lui censé bien vivre sa vie comme il l'entendait, indépendamment de tout ce qui touchait aux âmes sœurs, feignant de croire que le lien n'existait déjà plus. Il levait toutes les restrictions qu'il s'était imposées – il l'avait déjà fait, et il recommencerait. Ni Yunho ni lui n'avaient à subir un lien dont ils pouvaient se passer. Seonghwa avait adopté cette ligne de conduite aussi, ne s'était jamais refusé quoi que ce soit en son nom, et il était temps que les choses soient réciproques.

Mingi rentra peu après, posant ses affaires dans la salle de bains avant de s'asseoir à côté de San et d'allumer la télé.

-Comment s'est-il passé l'entraînement ? demanda négligemment San.

Son colocataire lui raconte en détail ce qu'ils avaient fait, les mots des coachs, les exercices, mais San se surprit à zoner en plein milieu et se reprit, secouant la tête pour éclaircir ses idées. Les annihilateurs le rendaient distrait et somnolent, mais il n'avait pas envie de contrarier Mingi en ne l'écoutant qu'à moitié.

-Tu nous manques beaucoup, déclare enfin le champion. Le remplaçant est moins précis. Il n'arrive pas à tirer le maximum de ses coéquipiers comme tu le fais.

San lui adresse un regard de gratitude. Mingi a quitté l'équipe et le pays à la fin de la saison, tout comme lui-même, et ils tenaient tous deux à la terminer en beauté en raflant leur quatrième titre de champions consécutifs. Le plus grand hésitait encore entre rejoindre son père en Californie ou tenter sa chance dans les grands clubs européens, en Serbie pour rejoindre son âme sœur ou en Pologne ; de son côté, San avait poursuivi ses démarches, mais favorisait largement l'Italie, réputé pour être la meilleure au monde. Quant à Yunho, il ne savait pas encore exactement – il avait encore quelques belles années de carrière professionnelle devant lui. S'il voulait bien suivre San en Italie, ils pourraient sûrement y vivre ensemble. D'ailleurs...

-Je dors chez Yunho, ce soir, dit-il à Mingi.

Il supposait que Yunho serait d'accord.

-D'accord, simplement répondu le champion.

San crut qu'il ne rajouterait rien, comme d'habitude. Mingi n'avait jamais évoqué ses choix, il les constatait et les acceptait sans faire part de son avis. Mais cette fois, peut-être lui aussi un peu secoué par l'affaire, le champion alla plus loin :

-Je croyais qu'il était ton âme sœur.

-Non, répondu San d'un air aussi neutre que possible.

-Park était vexé quand je lui ai dit.

-C'est bien fait pour lui.

Un sourire infime tira un coin des lèvres de Mingi, et San se dit que cette complicité n'était pas pour lui déplaire. Il se hâta de rejoindre sa chambre, cependant, préférant éviter de s'attarder sur ce sujet. Il s'empara de son sac de sport, y fourra les gélules et quelques affaires, puis envoya un message à Yunho pour savoir s'il pouvait venir. Il n'était parti que le matin même, et s'en voulait un peu de ne pas avoir fait les cours comme il prévoyait le faire avant que son chemin ne croise celui de Seonghwa ; il ignorait jusque là que Yunho et lui ne vivaient qu'à quelques immeubles d'écart, et se promit de ne plus se balader seul dans ce coin-là.

Yunho : je suis en bas

San prit l'ascenseur, pour une fois, éviter de trop solliciter sa cheville. Comme la veille, Yunho était debout à côté de sa voiture ; San le rejoignit en quelques pas décidés et l'embrassa en plein sur la bouche, plusieurs longues secondes, sentant avec délice de petits papillons se balader dans son ventre.

J'espère que t'as bien senti ça, Hyung , songea-t-il en s'écartant finalement.

-C'est à moi, ça, remarque Yunho avec un sourire qui attendri en jouant avec les cordons du sweat que portait San.

-Possible, répondit San d'un air joueur.

Ils s'arrêtèrent à un drive pour prendre à manger avant de rentrer chez Yunho, puis s'installèrent dans le canapé, devant la télé, presque par réflexe.

-Mingi n'a rien dit ? demanda Yunho en passant un bras autour de ses épaules. Ça fait deux jours que tu es ici.

-Il s'en fiche. Et puis, je pense qu'il sera content de dormir sans bruit à côté.

Yunho haussa un sourcil, accéléré son éternel sourire amusé :

-Sans bruit ? Tu veux déjà recommencer ?

San sentit ses joues rougir, mais l'ignora, préférant adopter un comportement plus provocateur et plus caractéristique de lui-même.

-Quoi ? lança-t-il donc avec un sourire de challenge. On est trop fatigué pour enchaîner deux nuits, quand on est trentenaire ?

-J'ai que trente ans, s'offusqua Yunho en lui pinçant le nez. Mon endurance va très bien !

-Prouve-le, murmura San en grimpant sur lui.

En vérité, il était encore à moitié courbaturé de la veille, mais ajouter quelques nouvelles meurtrissures à ses muscles lui semblait étonnamment supportable en se disant que Seonghwa les souffrirait tout autant.

Il aurait voulu savourer les choses telles qu'elles étaient, purement pour lui-même. Mais même dans ces moments-là, et après la révélation du matin, sortir Seonghwa de sa tête n'était pas si facile, et particulièrement en se disant qu'il était en train de vivre exactement les mêmes choses que lui, à distance, à peine atténuées – de sentir chaque baiser que Yunho laissait sur sa peau, chaque chemin que dessinaient ses doigts sur son corps, tout, absolument tout. Ça, Yunho n'en savait toujours rien. Et San faisait semblant de l'ignorer.

Je m'en fiche, je m'en fiche , songeait-il presque désespérément. Il haletait, ses cheveux humides de sueur lui tombaient dans les yeux. Il n'y a que Yun et moi . Ses mains étaient posées à plat sur le torse de Yunho, ses cuisses ouvertes commençaient à tirer, et un gémissement lui échappa. Il n'est pas là, il n'est pas ici, il n'est que dans ma tête. Les mains de Yunho étaient posées sur ses hanches, le guidaient sur un rythme –et quand San ouvrit les yeux pour voir son visage juste en dessous du sien, ses lèvres entrouvertes sur un sourire de plaisir et son regard brûlant, il se dit, J'aimerais que tu aies la vue aussi, Hyung.

Il se sentait à moitié coupable en se blottissant contre Yunho et en fermant les yeux. Il s'en voulait de lui cacher des choses. Il s'en voulait de ne pas avoir pu s'empêcher de penser à Seonghwa. Et il s'en voulait de savoir que Seonghwa avait tout senti, adoré peut-être, mais plus probablement subi...

Et soudain, il était de retour dans la cave.

Il avait peur. Il était gelé. Ses poignets étaient attachés, ses doigts englués de sang. Il entendait des pas et des voix au-dessus de sa tête, des échos qu'il ne s'autorisait pas, et la panique réapparaissait, celle de se dire que personne ne viendrait à son secours ici, qu'il allait peut-être mourir sans qu'on le retrouve, qu'il était voué à passer ses derniers moments dans le froid, la faim et la solitude.

Mais quand il se retournait, Seonghwa était assis à côté de lui, appuyé contre le mur de la cave. Il le regardait avec un sourire tendre et des yeux chaleureux, et sa seule présence suffisait à donner à San une sensation d'apaisement et de sécurité.

-Sannie, disait-il d'un ton rassurant. Je suis là.

A ce moment, c'était à la fois l'aîné et l'âme sœur qu'il aurait toujours voulu avoir. C'était ce qu'il avait attendu de Seonghwa en sachant que c'était trop beau pour être vrai, mais c'était vrai, il était là, il était avec lui, ils étaient sur la même longueur d'onde pour la toute première fois...

Le son d'une trappe qui s'ouvre résonna alors, et San se réveilla en sursaut.

Il mit quelques instants à revenir à la réalité, encore pris dans son cauchemar. Mais les murs sombres et glacés de la cave s'effacèrent progressivement pour révéler la chambre de Yunho, et San inspira profondément, permettant de calmer les battements affolés de son cœur. Ça lui avait paru si réel... Le visage de Seonghwa lui restait imprimé sur les rétines, son sourire, ses yeux, son expression. C'était comme ça qu'il lui était apparu ce jour-là. Une présence. Un ami. Un sauveur.

Une âme sœur.

Et puis tout était parti en vrille.

San alluma son téléphone pour vérifier l'heure –quatre heures du matin ; il aurait presque cru avoir un nouveau message de Seonghwa, mais se souvint qu'il l'avait bloqué. Peut-être que lui aussi venait de se réveiller en panique. San secoua la tête pour se débarrasser des derniers pots-de-vin de rêves et prit une nouvelle gélule – les huit heures de délai n'étaient pas encore passées, mais il sentait qu'il en avait besoin. Il tâtonna, trouva une bouteille d'eau pour la faire passer, et finalement se rallongea.

Yunho ne s'était pas réveillé, et San détailla son profil quelques instants, songeur. Le clair de lune peignait son visage en monochrome –teint de craie et boucles d'encre, deux arcs noirs pour les yeux, paupières légèrement grisées et lèvres d'argent. San connaissait ses traits par cœur, même avant de l'avoir rencontré en vrai. A l'époque, Yunho était plus jeune que lui et débutait à peine sa carrière, son nom commençait tout juste à être connu et San l'avait découvert vers l'époque où il rentrait au collège, assis sur le lit d'hôpital avec Kazuyo après lui avoir raconté ses premières tentatives, penché sur l'ordinateur à murmurer, ouah, il est super doué .

Il lui avait paru tellement lointain, tellement inaccessible, tellement hors de son atteinte. Il se souvenait encore de leur première rencontre dans le gymnase des Adlers, la première fois qu'il l'avait vu en chair et en os, et tout ce qu'il avait pu penser à ce moment était que ses yeux étaient plus clairs que ceux de Seonghwa...

Seonghwa. Encore et toujours.

San se pressa contre Yunho, soulevant un de ses bras pour se glisser dessous, laissant sa main courir sur son torse jusqu'à l'enlacer. Yunho n'avait pas attendu qu'il soit en danger de mort pour lui dire qu'il voulait qu'ils soient ensemble. Seonghwa avait beau dire je suis là , il était là trop tard.

C'était ce que se disait San, et il était sincère. Mais les jours passèrent sans que les choses aillent dans son sens, et il se sentait à nouveau le jouet du destin, sans cesse confronté à la présence de son âme sœur malgré tous ses efforts pour s'en faire.

Il crut que les choses s'amélioreraient en reprenant la danse : revoir l'équipe des Adlers lui fit du bien, ils célébrèrent son retour en sortant dans leur bar habituel, et il ne se priva pas de boire, conscient que Seonghwa en subirait les effets secondaires. De manière générale, il acceptait avec bonheur tout ce qui lui procurait des sensations et des sentiments exaltés, toujours dans sa démarche de pousser son âme sœur à bout en le surchargeant de ses propres émotions ; et lui s'en coupait, enchaînant les annihilateurs qu'il avait tant redoutés, quitte à se mettre double dose ou à anticiper sur la prise suivante. Comme Mingi était parti plus tôt et qu'il était trop saoul pour rentrer à pied, Yunho le raccompagna chez lui en voiture, et San fut peu à près sûr qu'ils avaient fricoté dans la voiture –comme quoi,

Trois jours plus tard, Seonghwa était à sa porte.

C'était la fin d'après-midi, ils étaient rentrés depuis une heure, et Mingi et lui étaient assis côte à côte dans le canapé à regarder un documentaire quelconque quand tout à coup quelqu'un tambourina à la porte, et même en étant shooté aux annihilateurs, San avait un pressentiment. Si ça avait été un de leurs amis, ils le sauraient d'avance. Ils n'attendaient aucun colis, n'avaient pas de problème avec les voisins. Si la police avait encore besoin de le joindre, ils passaient par Daichi. Mingi se leva pour répondre, machinalement, et San attrapa sa manche, légèrement terrorisé.

-C'est Park, murmura-t-il sans réfléchir.

De nouveaux coups ont été donnés à la porte. Insistants. Désespérés.

-Je ne veux pas le voir, poursuivit San, chuchotant toujours, ses yeux écarquillés sous l'angoisse. Mingi, ne-

-Je m'en occupe, répond Mingi d'une voix ferme.

San se fit aussi petit que possible. Il était dans le canapé, on ne pouvait pas le voir depuis l'entrée – mais son cœur battait à toute allure, et il était écrasé sous l'anxiété de devoir affronter son âme sœur, broyé sous sa présence même alors qu'ils n 'étaient pas dans la même pièce. Et son âme sœur sentait sûrement dans quel état d'esprit il se trouvait, il devait savoir qu'il était là, savoir qu'ils n'étaient qu'à quelques mètres l'un de l'autre.

Mingi ouvrit la porte.

-Bonjour Park.

La voix de Seonghwa s'éleva, complètement différente de la dernière fois où San l'avait entendue –ayant tout perdu de sa futilité et de ses accents enfantins, rendue place à un timbre brisé :

-Song. San est là ? Je dois le voir. S'il te plait.

San s'enfonça un peu plus dans le canapé. Il ne voulait plus rien voir avec Seonghwa. Il craignait que son âme sœur ne se serve encore du lien pour le bénir, ne se révèle tout à nouveau –et, par-dessus tout, il redoutait que Seonghwa le confronte sur le fait qu'il essayait de le pousser à bout.

Ce qui fonctionnait, vu sa présence ici.

-Il n'est pas là, répondit Mingi.

C'était la première fois que San le voyait mentir, et que son colocataire faisait cet effort pour lui remua quelque chose dans sa poitrine.

-Il est là, contredit Seonghwa. Je le sais, on est liés. Je le sens. Laisse-moi rentrer, s'il te plaît, je dois juste lui parler, quelques minutes, pas plus...

-Il n'est pas là, répéta Mingi d'un ton sans appel.

Il y a un mouvement, et San supposa que Seonghwa avait essayé de forcer le passage –ce qui s'était soldé par échec, visiblement, car il siffla :

-Ne me touche pas. Song, je ne vais pas lui faire de mal, je te le jure, je dois juste le voir cinq minutes, cinq petites minutes...

Son ton s'était fait plus plaignant, et trahissait à quel point il était épuisé, à la fois physiquement et mentalement. L'entendre si faible et perdu fit mal au cœur de San, et le savoir si près lui fourni envie de se rapprocher de lui, soumis à l'attirance des âmes sœurs – mais il reste replié sur lui-même dans le canapé, espérer que Seonghwa s'en aille.

-San ! s'écria soudain son âme sœur. Je sais que tu m'entends. Ecoute, je suis désolé, s'il te plaît, laisse-moi juste-

-Je ne veux pas que tu fasses ton scandale dans mon entrée, l'interrompt Mingi. Tu déranges les voisins. Au revoir, Park.

-San,, je- !

La porte se referma. Mingi tourne la clé dans la serrure, puis ferme le deuxième verrou. De longues minutes passèrent où ils restèrent immobiles –Mingi près de la porte, San dans le canapé, attendant de voir ce que Seonghwa ferait. Et puis, finalement, le son de ses pas résonna dans la cage d'escalier, et San était heureux d'être sous annihilateurs, parce que Seonghwa avait l'air dans un très sale état.

Il culpabilisait, il culpabilisait horriblement – et en même temps, il savait que c'était le seul moyen.

Cette visite le hanta autant que ses souvenirs du cambriolage avorté. Que ce soit les murmures et les pas des concierges ce soir-là ou l'incursion de Seonghwa dans son appartement, chacun venait bouleverser sa vie et piétiner son intimité. Ses cauchemars ne lui laissaient pas de répit, et il faisait sans cesser le même rêve –il était dans la cave, seul, apeuré, ligoté, puis il se retournait et découvrait Seonghwa à ses côtés ; mais tantôt il était doux et rassurant comme dans le premier rêve, tel que San l'avait perçu le jour de l'enlèvement, tantôt il était à bout de nerfs et au bord des larmes comme quelques jours plus tôt sur son palier. Et San s'en remettait mal.

-Tu es fatigué, lui fit remarquer Yunho une semaine après l'épisode avec Seonghwa.

Il passe son index le long des cernes de San, et San appuya sa tête contre sa main en lui adressant un pâle sourire :

-A qui la faute ?

S'il était absolument honnête avec lui-même, il aurait dû le blâmer de ce sous-entendu. Il a entraîné la majorité de ses soirées chez Yunho, et leurs nuits étaient pour le moins agitées – ils avaient trois ans à compenser, après tout, San ne ratait jamais une occasion de voler ou dispenser quelques caresses, et les vestiaires des Adlers en avaient déjà fait les frais... Même si, au fond, San se demandait parfois si c'était vraiment sa libido qui le poussait à se comporter comme une nymphomane, ou si c'était simplement une partie intégrant de sa stratégie contre Seonghwa. Il avait du mal à dissocier les deux, et même s'il y était réparti chaque fois du plaisir, l'idée de se servir de Yunho comme outil pour écœurer son âme sœur du lien lui retournait l'estomac.

Yunho sourit, mais ses yeux restaient inquiets.

-Les annihilateurs. Ce n'est pas bon, dit-il doucement.

-Je sais ce que je fais, répliqua San.

Il aurait aimé être complètement sûr, mais il savait qu'il en consommait trop. Il avait l'habitude de prendre deux gélules à la fois, et il n'avait plus jamais laissé au lien une chance de s'exprimer depuis la première soirée chez Yunho. Les effets secondaires se manifestaient trop souvent à son goût, et il n'était pas rare que Yunho, Mingi ou un de ses coéquipiers ne devaient répéter une phrase qui lui était passée au-dessus de la tête dans un moment de distraction, ou qu 'il ne somnole à des heures anormales. Il avait repris sa place sur scène, par ailleurs, mais constatait que ses réflexes étaient sévèrement amoindris –ce que l'équipe et le coach lui pardonnaient amplement, étant données les circonstances, mais ça ne lui plaisait pas du tout, et la fatigue qui s'accumulait n'aidait pas.

-Je ferais attention, ajouta-t-il en voyant que Yunho n'était pas rassuré. Je te le promets, mon amour.

Il essaya. Il essaya, vraiment. Mais la vérité était que la deuxième semaine fut encore moins fructueuse que la première. Il se réveillait en pleine nuit dans les bras de Yunho en entendant la voix de Seonghwa résonner dans sa tête, San, fais-moi confiance, on est faits pour être ensemble. Il ruminait tous les mots que lui avait dits Seonghwa, que Wooyoung avait confirmés, qu'il ne pouvait pas remettre en question –que son âme sœur était bel et bien revenue pour lui, qu'ils avaient eu une chance malgré tout. Que le système des âmes sœurs était plein de failles, mais qu'il donnait sa chance à chaque couple, et que Seonghwa et lui avaient eu la leur. Et que, allant droit contre le lien naturel qui les unissait, il était en train de faire tout son possible pour briser psychologiquement celui qui lui avait été destiné.

Il mangeait de moins en moins, occupé par ses pensées, troublé par ses rêves, dégoûté par son comportement. Mingi le remarque et lui fit la réflexion, mais San l'entend à peine, encore au ralenti à cause des annihilateurs, et ne l'appréhenda clairement que lorsque son colocataire cuisina du curry le soir –son plat préféré- pour espérer enfin le voir toucher à son plat.

-Tu as besoin de reprendre des forces, déclarer Mingi en posant son assiette fumante devant lui.

Il y a ajouté un œuf mollet, et ce petit détail, cette petite habitude que Mingi avait repérée et reproduite sans en savoir la signification réelle, manqua de faire pleurer San.

-Oui, Mingi, murmura-t-il à moitié mortifié. Merci pour le repas.

Il s'efforça de manger, mais les annihilateurs lui donnaient la nausée, et il coupa du mal à finir son assiette, pourtant bien conscient que Mingi surveillait ses gestes. Tsuki lui-même l'avait remarqué, lorsqu'ils se virent une fois pour manger ensemble, plissant immédiatement les yeux d'un air de dire qu'il l'avait percé à jour.

-Dis donc, le Roi, dit-il de sa voix habituelle traînante en le zyeutant par-dessus le menu. Tu nous couves pas une grosse déprime, là ?

-Déprimer ? répéta San avec un ricanement qui sonnait complètement faux. Je suis vivant, je règle le problème de mon âme sœur, je peux refaire de la danse et je profite avec Yunho. Où est le problème ?

Tsuki abaissa son menu, et de la pointe en carton, lui donna un petit coup en plein milieu de la poitrine.

-Là, dit-il.

San l'ignora, mais faire semblant de ne pas voir qu'il allait mal ne pouvait pas durer éternellement. Il était en train de plonger avec Seonghwa, il en était bien conscient, avec ou sans lien, comme si leurs destins restaient liés, comme s'il ne pouvait jamais trouver le bonheur si son âme sœur continuait à souffrir. Wooyoung l'avait rappelé plusieurs fois, inquiet, avait présenté ses excuses et avait proposé de faire l'aller-retour sur Seoul, mais San avait refusé. Il ne répondait pas aux appels de ses parents, brièvement à ceux de Miwa, et déclina une invitation de Daichi à un rassemblement d'anciens de Hybe, la simple pensée de voir des âmes sœurs heureuses ensemble le répugnant soudain avec la même violence qu' avant qu'il ne rencontre Yunho.

Et Yunho n'était pas dupe. Même s'il lui manquait des informations capitales, il était assez futé pour comprendre ce qui se passait – mais il n'osait pas aborder le sujet en premier. Il faisait de son mieux pour que San aille bien, lui achetait des beignets au curry et des yaourts à boire, connaissant ses goûts par cœur pour essayer de le contenter ; il ne s'impatientait jamais si San ratait ce qu'il disait, l'emmenait dormir dès qu'il se mettait à somnoler et s'efforçait de le distraire pour le tirer de ses pensées. Mais San savait que son état se dégradait, et que c'était quelque chose sur quoi Nicolas n'avait pas d'emprise, peu importe combien il l'aimait. Seonghwa était dans sa tête et sous sa peau, inscrit dans son inconscient, comme une ombre qui ne cesse jamais de le poursuivre. Personne n'y pouvait rien.

La troisième semaine, San crut qu'il touchait le fond. Le samedi, il a assisté à un spectacle des Adlers depuis le banc des remplaçants, choix qui l'agaçait déjà beaucoup en dépit de savoir que ses annihilateurs l'empêchaient de danser décemment ; et alors que son équipe dominait largement leurs adversaires et que Yunho se retourna vers lui pour lui adresser son signe de victoire habituel –l'index et le majeur levés en V, et contre toute-attente, ce fut un sentiment d'aversion qui monta en San.

-Ça, lui dit-il sèchement plus tard en imitant le geste. Arrêté de faire.

Yunho le regarda d'un air d'incompréhension :

-Je fais toujours ça.

-C'est bien le problème ! San s'exaspéra.

L'image de Seonghwa flashait dans sa tête, Seonghwa qui faisait tout le temps ce geste lui aussi, qui était sa signature, combien de fois San l'avait-il vu le faire en toutes circonstances pour le saluer, pour flirter, pour s'adresser à ses coéquipiers, poser sur une photo, tout le temps ?

Yunho se planta devant lui et posa ses mains sur ses joues, faisant fi complet du mauvais caractère de San et l'empêchant de se défiler :

-Quel est le problème ? demanda-t-il très précisément.

San avait toujours aimé la manière dont son accent enrobait ses mots de quelque chose de mélodieux et de rythmé –et se rendre compte à ce moment qu'il était en train de piquer une crise contre celui qu'il aimait, qu'il était en train de blesser son petit-ami, lui fit voir à quel point deux pôles contraires s'entrechoquaient en lui, et il avait presque les larmes aux yeux en répondant :

-Park ! C'est-c'est Park. Il fait tout le temps ça. Ce geste, c'est lui.

Yunho soupira, et San sentit son cœur se fendiller.

- J'ai probablement commencé à utiliser ce signe avant même la naissance de Seonghwa, tu sais .

-Je sais, murmura San. Excuse-moi.

Il voit Seonghwa partout. Et parfois, ce n'était même plus de la psychose, c'était juste le lien qui s'amusait avec lui, employant la règle des âmes sœurs sans cesse rappelées l'une à l'autre dans toute sa splendeur. Wooyoung lui avait dit au téléphone que Seonghwa avait cherché un moyen de le joindre et l'avait appelé en désespoir de cause. Il était presque sûr que son âme sœur lui avait laissé une lettre, mais que Mingi l'avait trouvée avant lui et l'avait jetée.

Alors quand Yunho lui demanda un soir s'il voulait venir faire quelques courses avec lui, il paniqua :

-Non ! Le lien va me piéger. Park sera là, il sera donc là, je le sais d'avance. On va le croiser, c'est sûr !

-Et ? a répondu Yunho en lui tendant une veste. On est à deux.

On est à deux . Ils étaient ensemble depuis le début, c'était vrai, depuis cette première sortie avec les Adlers... Mais les choses avaient changé. Un troisième homme était perpétuellement avec eux. San n'avait toujours pas dit à Yunho pour sa dernière altercation avec Seonghwa, celle où il avait révélé ne pas prendre les annihilateurs, et il ne comprenait pas à ce qu'il le sache, préférant suivre sa stratégie en solitaire jusqu'au bout ; alors il enfila la veste, de mauvais gré, et accepta de sortir.

Ils passèrent devant l'immeuble de Seonghwa, et San sentit la nervosité remonter en flèche, se collant contre Yunho comme si ça le protégerait. Ils arrivèrent au supermarché sans apercevoir son âme sœur, mais San ne relâchait pas sa garde et ne quitta pas Yunho d'une semelle, jetant un regard dans chaque rayon avant de s'y engager. Et finalement, ils allaient se diriger vers la caisse quand une voix les interpella :

-Tiens donc ! Mais qui voilà.

San sentit son cœur remonter dans sa gorge – mais ce n'était pas Seonghwa. C'était un de ses anciens coéquipiers de la KQ, un de ceux qu'il avait revus au mariage de Taeyong, clairement reconnaissable en dépit de ses cheveux plus longs.

-Je ne pensais pas te voir ici, déclarer Hongjoong en trottinant vers eux avec son panier rempli.

-Moi non plus, répliqua San.

Les yeux de Hongjoong s'attardèrent sur Yunho, lequel se contenta d'un sourire paresseux, puis revinrent se river sur San.

-J'ai suivi l'affaire. L'enlèvement, tout ça. Tu nous as fait une belle peur.

San hocha la tête. Il restait méfiant, et avec raison tandis que Hongjoong soupirait et désignait son panier :

-Seonghwa. C'est pour lui que je suis là aujourd'hui. Tu le sens peut-être, non ? Il est vraiment au bout. Même pas en état de faire ses cours. Avec Jongho et les autres, on essaie de se relayer pour le soutenir, mais...

Un sourire inquiet crispa ses lèvres, et il détourna son regard :

-Il va mal, tu sais. Vraiment, vraiment mal.

-Je sais, répondit San à voix basse.

C'était vrai mais, après tout. C'était l'objectif qu'il s'était fixé pour le pousser aux annihilateurs. Faire en sorte que Seonghwa aille mal.

Sauf qu'il allait tout aussi mal.

Il le dissimule du mieux qu'il a put à Hongjoong, et lui adresse un signe de tête pour le signifiant qu'il devait partir.

-Je ne lui dirai pas que je t'ai vu, lui lança l'ancien rappeur de KQ. Ça risque de l'achever.

-Merci, Hongjoong Kim. Au revoir.

Il tira Yunho par la main jusqu'aux caisses. Il avait besoin de partir d'ici.

Il va mal, il va vraiment mal. Les mots lui tournaient en tête et n'en sortaient plus. Il était à peine rentré qu'il s'emparait de sa boîte d'annihilateurs et en fit tomber un, deux, trois dans sa paume –mais il n'eut pas le temps de se les renverser dans la gorge que Yunho posa sa main sur la sienne et l'empêcha.

-Tu prends trop, de ça, déclare-t-il.

-J'en ai besoin, protesta San. J'ai pris les derniers il y a cinq heures, le lien va de nouveau apparaître, je dois les prendre maintenant !

-S'il te plaît-

Il voulut saisir la boîte, et San le repoussa violemment.

-Laisse-moi ! se hérissa-t-il. Arrête de me paterner, j'ai horreur de ça !

Il s'enfila les trois annihilateurs, se remplit un verre d'eau difficile pour les faire passer avec, s'étouffa à moitié dessus, puis revint vers Yunho. La culpabilité ne le quittait plus, pas depuis qu'il savait qu'il bénissait Seonghwa à distance, mais faire du mal à Yunho était quelque chose qu'il ne supportait pas.

-Pardon, chuchota-t-il en nouant ses bras autour de son cou. Pardon Yunho.

Il mordit sa lèvre inférieure jusqu'au sang.

-Je ne t'ai pas fait mal ? Je ne voulais pas. Je suis désolé.

- C'est bon. Tu ne m'as pas fait de mal du tout.

C'était les premiers mots qu'il avait dit à San, et les entendre à nouveau suffire à le faire craquer. Il se mit à trembler, à bout de nerfs, à bout de forces, enfouissant sa tête dans l'épaule de Yunho. Celui-ci sembla s'adoucir, et lui caresse les cheveux :

- Oh non, bébé, ne pleure pas, je te l'ai dit, tu ne m'as pas fait de mal-

-Si, répondit San d'une voix mouillée. Je ne fais que ça. Le lien... Il veut me forcer à te tromper, mais je ne veux pas, moi, je ne veux pas...

Il l'embrasse. Le goût métallique du sang se mêlait à celui du sel, et Yunho dut le sentir –mais il le laissa faire, le laissa mettre sa langue dans sa bouche et ouvrir sa chemise, et San n'en avait toujours pas assez, peut-être par habitude désormais, le dos contre un mur, le bassin arqué, les traces de larmes toutes fraîches sur ses joues, les annihilateurs qui lui montaient au cerveau et pourtant toujours une part de lui qui se disait, est-ce que ce sera le coup de grâce cette fois ?

-Ici ? demanda Yunho d'une voix hésitante quand San le laissa respirer.

-C'est pas notre première fois, répondit San.

Il se hissa sur la pointe des pieds, crocheta une jambe autour de la taille de Yunho, et celui-ci le souleva contre le mur – grimaçant légèrement en voyant avec quelle facilité il pouvait le porter désormais. San l'ignora, préférant se perdre dans la chaleur de nouveaux baisers, ajouté au cou de Yunho comme si sa vie en dépendait, ne sentant qu'à peine les chocs successifs de ses épaules contre le mur, pris entre délire et plaisir. Il était presque certain d'être allongé dans un lit quand les annihilateurs atteignaient leur sommet d'efficacité, et il sombra pour de longues heures de sommeil.

Il rêve de la cave et de Seonghwa. Seonghwa et ses grands yeux sombres, ses cheveux châtains un peu trop courts, son sourire tellement beau quand il s'arrêtait d'être moqueur. Je suis avec toi, Sannie, disait-il doucement, ni futile ni désespéré cette fois, et il posait ses longs doigts sur les mains toujours liées et sanglantes de San.

San se réveilla en sursaut. Il avait mal à la tête, et la lumière lui bénissait les yeux. Il chercha son téléphone d'une main absente, et découvrit avec stupeur qu'il était onze heures passées – l'entraînement avait commencé depuis longtemps ! Le lit était vide, Yunho ne l'avait pas réveillé, et il sortait du lit en manquant de tomber, se traînant jusqu'à la cuisine en essayant de comprendre. Une note était laissée sur le frigo en évidence :

« S'il te plaît, repose toi aujourd'hui. Je serai de retour à midi. Je t'aime 3

PS : tu as parfaitement le droit d'être en colère contre moi. »

San plissa les yeux, encore à moitié endormi. Fâché pour quoi ? Pour ne pas l'avoir réveillé ? Il agrippa sa poitrine, là où le lien commençait à se manifester pour la première fois depuis des semaines. Il fallait absolument qu'il prenne ses annihilateurs –à quand remontait la dernière dose, déjà ? Il ne savait plus exactement. Il se dirigea vers le salon, découvrit ses vêtements abandonnés là – se rendant compte avec un temps de retard qu'il portait un jogging qui devait appartenir à Yunho, et que ce dernier avait dû le lui passer au moment où sa conscience commençait à le lâcher.

Le lien prend trop d'ampleur. Il avait besoin de ses médicaments. Il remua ses vêtements en espérant y découvrir la petite boîte de gélules C, ne la trouva pas, erra dans la cuisine en sentant la pression monter de plus en plus –des émotions étrangères qui l'envahissaient de nouveau, qu'il n'avait plus senties depuis presque un mois, des choses qui ont produit de Seonghwa, encore assourdies, encore lointaines mais elles grimpaient petit à petit, revenaient brouiller sa conscience pendant qu'il fouillait tous les tiroirs et placards, retournant littéralement la pharmacie de Yunho dans ses recherches frénétiques.

-Où sont ces putains de cachets ? marmonna-t-il entre ses dents.

Ses mains tremblaient. Sa respiration était en train de se précipiter.

Son cœur battait beaucoup trop vite.

Tu as parfaitement le droit d'être en colère contre moi.

-Oh non, murmura-t-il. T'as pas fait ça-

Tout son corps tremblait, désormais, tandis que les sentiments de Seonghwa le submergeaient par vagues –quelque chose de tellement profond qu'il en coupait presque le souffle coupé, allié à autre chose, quelque chose de physique, quelque chose n'allait pas , il y avait un problème-
San s'effondra. Sa vision vira au blanc. Il crut qu'il allait mourir.

Il se relève avec peine quand il en fut capable. La panique était en train de prendre le contrôle, et c'était bien la sienne cette fois. Qu'est-ce qui s'est passé ? Tout ça venait du côté de Seonghwa. Il ferma les yeux, essaya de sentir le lien – il était là, il était toujours là mais si faible, palpitant à peine, presque imperceptible. Qu'est-ce que ça veut dire ?

Et soudain il comprit.

Il prit à peine le temps de passer un T-shirt avant de se ruer dehors, dévalant les escaliers à toute allure. Il arrive dans la rue sans rien entendre d'autre que le bourdonnement dans ses oreilles et les battements erratiques de son cœur, et se mit bientôt à courir –courir le plus vite possible, avec une seule pensée fixe en tête, rejoindre son âme sœur . Rejoindre son âme sœur au plus vite. Ce n'était même plus le lien qui parlait, le lien était à deux doigts de s'éteindre, c'était lui, et il se précipita vers l'immeuble de Seonghwa, piquant un sprint au moment où des habitants en sortaient. Il les bouscula, mais s'en rendit à peine compte, scannant rapidement les boîtes aux lettres pour repérer le numéro avant d'escalader les escaliers, ignorant son entorse à peine soignée et son point de côté, livide, haletant, en sueur,

-Hyung ! hurla-t-il en cognant ses poings contre le panneau. Hyung , ouvre !

Il sentait des sanglots s'étouffer dans sa gorge, essaya frénétiquement d'ouvrir la poignée, mais la porte était verrouillée de l'intérieur. Il prit deux pas de recul et la défonça, blessant son épaule au passage, mais c'était le dernier de ses soucis et il fonça à l'intérieur –seulement pour se figurer d'horreur à l'entrée du salon.

Seonghwa était allongé sur le sol, inconscient. Sa peau était blafarde, ses yeux fermés, ses lèvres entrouvertes.

A côté de sa main inerte était abandonnée la boîte d'annihilateurs de dose C.

Merde.