Chapitre 13

Pour la première fois depuis longtemps, San se sentait bien.

La routine qu'il avait instaurée avec Seonghwa semblait effective, et le lien ne posait plus tant de problèmes. Ils respectaient scrupuleusement leur accord –prenant une pilule B ou C avant de dormir, avisant en journée selon l'intensité du lien. En général, San se contentait de prendre des doses A pour tenir l'entraînement calmement, et laissait le lien s'exprimer en soirée ou si les pauses du midi s'éternisaient un peu son âme sœur avait retrouvé sa stabilité, et même si Seonghwa restait souvent assez intense dans ses humeurs, celles-ci n'étaient dues qu'à des activités superficielles et rien de vraiment sérieux ne minait leur lien.

Dix jours s'étaient écoulés depuis qu'ils s'étaient vus au restaurant. Ils ne s'étaient recontactés que brièvement depuis, seulement par messages –Seonghwa lui avait renouvelé son invitation à assister à une séance de thérapie avec lui, mais San était assez réticent, préférant gérer les choses de son côté les cauchemars avaient tendance à disparaître, d'autant plus qu'il passait quasiment toutes ses nuits avec Yunho, et il avait bon espoir que les choses finissent par se fixer.

Sa relation au lien était bien plus apaisée, également, et il se sentait maître de la situation en alternant les doses selon les besoins il ne sortait que pour se rendre à l'entraînement, le plus souvent se déplaçait en voiture, et n'avait pas laissé au destin l'occasion de le réunir de nouveau physiquement avec son âme sœur.

Les choses avaient donc repris leur cours naturel. L'entraînement des Adlers se faisait un peu plus intense à présent que la saison touchait à sa fin même s'ils étaient assurés d'être sacrés de nouveau champions –surpassant de quelques points les Jackals et rétablissant leur autorité naturelle-, tous les danseurs se préparaient aux événements internationaux qui approchaient, et en particulier la Ligue mondiale. San put enfin reprendre sa place de titulaire lors de leur dernières performances , le retour contre le VC Gawa, qu'ils battirent en trois manches, et la joie de la victoire fut encore agrémentée par les retrouvailles avec Chigaya –qui était proche de s'autoproclamer son meilleur ami, et lui tomba littéralement dans les bras en lui déclamant combien il s'était inquiété avec cette histoire de kidnapping, le tout ponctué par le fou rire d'Hoshi.

Les choses s'étaient également rétablies avec Yunho, et San faisait de son mieux pour garder une totale transparence à propos du lien. Il ne savait pas vraiment s'il était de nouveau en train de le rejeter, attendait de s'y faire, d'être prêt à prendre cette décision avec Seonghwa une fois que tous les deux seraient revenus à des vies bien distinctes et si jamais... si jamais sa relation avec Yunho évoluait encore, ça deviendrait indispensable. San n'avait jamais trop pensé à autre chose que la danse dans sa vie d'adulte, mais il avait vingt-deux ans, et prenait conscience que le reste suivrait également, d'autant que sa génération allait déjà de l'avant : Wooyoung se mariait, Taeyong allait être père.

Son tour viendrait, il le savait, d'autant plus certainement qu'il était dans un couple stable, et la pensée lui avait même déjà échappée devant Félix et Hyunjin, quelques mois plus tôt après la Kcon à Bangkok ; même s'il ne donnait pas l'impression de s'y intéresser outre mesure pour l'instant, fonder une famille lui semblerait nécessaire un jour ou l'autre, d'avoir des enfants, des petits-enfants, peut-être de leur transmettre sa passion comme Kazuyo l'avait fait avec lui, de les emmener au gymnase s'ils le voulaient bien, de leur expliquer pourquoi le plat de curry familial était meilleur avec un œuf.

-San ah. San. CHOI SAN !

San fut tiré de ses contemplations par une voix stridente. Wooyoung était en train de lui agiter une manette devant les yeux.

-C'est ton tour de jouer, crétin ! A moins que tu préfères me laisser la victoire sans même essayer ? provoqua-t-il avec un reniflement arrogant.

-Certainement pas ! s'insurgea San en lui arrachant la manette des mains.

Ils étaient en plein milieu d'une soirée dans leur appartement, qui regroupait un amas assez hétéroclite de joueurs –Mingi et Yunho, naturellement, mais aussi Wooyoung et Ken qui passaient dans la région rendre visite à la famille de ce dernier Hoshi dont l'âme sœur travaillait tard à la clinique vétérinaire Shiki qui avait débarqué dix minutes après que Mingi lui a proposé de prendre part à la soirée, espérant vaincre son ancien aîné à quelque chose et Tsuki qui n'avait rien de mieux à faire et daignait venir sous prétexte d'observer des espèces monocellulaires.

Ils étaient donc huit, répartis stratégiquement en quatre équipes de deux pour se défier sur Mario Kart. Les partenaires étant tirés au sort, San se retrouvait associé à Shiki Hoshi avec Woo pour son plus grand plaisir, Mingi avec Ken et Yunho avec Tsuki.

-Tu fais mal à la console, murmura Ken d'un air de souffrance en voyant Mingi écraser les boutons avec sa détermination et sa force brute habituelles.

San et Wooyoung étaient plus focalisés à pousser leurs karts respectifs hors du circuit qu'à gagner la course en elle-même, et Yunho franchit la ligne d'arrivée sans se départir de son sourire détendu.

-Excuse-moi !? hurla Hoshi en désignant l'écran d'un air dramatique. Depuis quand les vieux gagnent aux jeux vidéo !?

-Tranquille, Kourai, répliqua Yunho avec un sourire et un signe de paix. J'ai joué sur Nintendo 64.

Ken releva les yeux avec intérêt tandis que Wooyoung et San étaient passés au stade physique de l'agression, tenant d'une main la manette pour essayer de se donner des coups de l'autre.

-Distrayant, commenta Tsukishima tandis que Nicolas lui donnait la manette avec une tape dans le dos et un « Allez, Kei ! ».

-Je voulais jouer contre Mingi, se plaignit Shiki en voyant Mingi rendre la manette éprouvée à son partenaire.

San passait une très bonne soirée, tournant à la dose B des annihilateurs pour en profiter pleinement. Etre dans ce genre de rassemblement centré sur autre chose que des couples lui faisait beaucoup de bien –ici, les seules paires étaient formées par Wooyoung et Ken, ainsi que Yunho et lui-même l'ambiance était d'autant plus relâchée que quelques bouteilles de bière vides traînaient ça et là, et les forces en présence se répartissaient assez équitablement entre calmes et chaotiques.

-Je ramène de quoi grignoter, offrit-il en se relevant, voyant que sa course était entre les mains compétitives de Shiki.

Retrouver le calme et l'obscurité de la cuisine lui fit du bien, et il s'adossa un instant à la table avant de se mettre à chercher ce qu'il pouvait proposer à ses invités –autant trouver un peu de nourriture pour éponger la bière, d'autant plus qu'Hoshi et Wooyoung ne contrôlaient déjà plus le volume de leurs voix. Il chercha dans un placard, tomba sur sa réserve personnelle de chips, et se tâtait à les partager quand une voix bien connue résonna :

-Besoin d'aide, mon coeur ?

Yunho était adossé au chambranle de la porte, les bras croisés, aussi à l'aise que s'il vivait ici. Il s'approcha, crochetant négligemment ses doigts dans la poche arrière du jean de San ; et San toucha une de ses mèches de cheveux avec amusement, qui ondulait un peu à cause de la chaleur du salon, la vrillant distraitement entre ses doigts.

-Tu dors ici ? demanda San.

-Si tu veux.

San partait pour deux semaines de voyage en Italie la semaine suivante, profitant du repos entre la fin du Kcon et le début de l'entraînement avec l'équipe Nationale pour aller tester quelques clubs là-bas –et en particulier celui de la capitale, l'ARoma, qui retenait toute son attention et qui l'avait déjà sollicité. Le voyage était assez éprouvant, mais il avait une étape d'une journée à Paris, et Mingi avait intercédé en sa faveur pour que Tendou l'accueille à dormir. San ne devait pas s'attarder là-bas outre mesure, et serait rentré en avril pour le mariage de Wooyoung ; mais ce serait toujours du temps passé loin de Yunho, et il voulait profiter le plus possible de ses derniers jours avec lui avant de prendre l'avion.

-Tu vas me manquer, dit-il sans réfléchir, ses mots découlant de ses pensées.

Le sourire de Yunho n'avait pas encore pris forme qu'il l'embrassait, lentement d'abord, puis de plus en plus passionnément, isolés des autres dans leur petite bulle, du moins jusqu'à ce que la voix de Tsuki ne retentisse :

-Pardon, votre Majesté ? On a faim. J'admire ton investissement à chercher quelque chose à manger, mais je crains que tout le monde ne partage pas ton goût pour les amygdales de Yunho.

San lui lança un regard boudeur, Yunho (qui n'avait sûrement pas tout compris) éclata de rire, et Tsuki se servit lui-même dans les biscuits apéritifs avant de revenir dans le salon.

-Vous avez changé de jeu ? interrogea San d'un air circonspect en voyant le logo Just Dance s'afficher à l'écran.

-On s'est dit qu'il valait mieux que certains dépensent leur énergie, murmura Ken en zyeutant très clairement Wooyoung, Hoshi et Shiki.

San n'avait pas envie de danser, Mingi, Tsuki et Ken non plus visiblement, mais regarder les autres serait probablement assez amusant, et rien que le choix d'une chorégraphie où ils passaient à quatre était déjà un sketch en soi. Finalement, Hoshi eut le dernier mot sur Worth it, la version extrême, et Tsuki posa une main consternée sur ses yeux avant même que ça commence.

San avait envie de sortir son téléphone et de filmer –l'idée d'envoyer la vidéo à Seonghwa lui traversa l'esprit, ça le ferait sûrement rire- mais Ken était déjà sur le coup. Mingi, à côté de lui dans le canapé, fixait les joueurs de son air impassible avant de commenter :

-Shiki a une technique remarquable.

-Tout est dans le déhanché, ironisa Tsuki qui ne revenait toujours pas du choix de la chanson.

Wooyoung et Hoshi semblaient en train de jouer leurs vies, complètement investis dans la chorégraphie, et San eut même l'impression que Kourai était en train de marmonner les paroles en même temps. Yunho, de loin le plus à l'aise en danse, et qui ne refusait jamais de faire étalage de ses talents sensuels, avait juste l'air de vouloir s'amuser plutôt que de viser la compétition ce qui n'était pas le cas de Shiki, lequel jetait un œil à Mingi toutes les dix secondes pour voir s'il le regardait et s'il reconnaissait son talent tout en scandant parfait, parfait, parfait, au rythme de sa performance.

A un certain point, ils se mirent tous à changer de place et prendre diverses poses, et Mingi sauva de justesse le bol de chips pendant qu'Hoshi et Shiki commençaient à s'embrouiller pour savoir lequel était trop à gauche. Ils revinrent finalement en ligne pour les mouvements suivants, et San ne savait pas s'il devait mourir de rire ou de honte –tandis qu'une part de son cerveau, en regardant l'écran et la chorégraphie, lui soufflait que Seonghwa se serait sûrement fait un plaisir de danser là-dessus dans la tête de San en tout cas, ça lui allait en merveille.

Cette pensée disparut de son crâne, comme tout ce qui s'y trouvait d'ailleurs, dans un enchaînement d'événements qui se déroula en quelques secondes à peine. Les joueurs se baissaient et se relevaient pour faire émerger des mouvements individuels. Hoshi commença avec une volonté propre à un acteur dramatique. Wooyoung se mit à courir sur place les bras en l'air, et même Ken pouffa de rire. Shiki fit démonstration de ce qui ressemblait à une harangue de la foule, mais qui lui allait très bien. Yunho posa ensuite ses mains sur ses hanches et les fit rouler d'une manière qui décrocha la mâchoire de San ; puis soudain le refrain se déclencha, et Wooyoung, dans un geste du bras en arrière bien trop ample et rapide, et de la main qui tenait la manette, asséna un coup monumental en plein dans la tête de San.

La douleur fut brutale et lancinante, et il vit blanc quelques secondes, projeté au fond du canapé dans une plainte de douleur, ne pouvant qu'entendre les cris paniqués qui surmontaient la musique :

-Oh, non, mince –San ! hurlait Wooyoung.

-San, ça va ? demanda la voix grave de Mingi.

San essaya de secouer la tête, mais il était clairement sonné –la manette avait percuté son front pile entre les deux yeux, et il compressait l'endroit endolori avec ses doigts dans le vain espoir de faire passer son étourdissement.

-Idiot, idiot Woo ! se mit-il néanmoins à crier.

Il entendait Tsuki ricaner et voulut l'insulter aussi, mais n'eut pas le temps qu'un téléphone se mit à sonner, et le silence se rétablit instantanément. San jeta un œil par-dessous ses mains pour voir Yunho sortir son portable, le fixer un instant d'un air déconcerté et s'éloigner pour décrocher –mais tous les autres le suivirent des yeux, la paix soudaine seulement interrompue par les excuses que débitait Wooyoung à voix basse.

-Allô ? Oui, entendirent-ils Yunho dire. Oui, il est là. Non, ça va. Woo l'a frappé en jouant à Just Dance. Non. Comment t'as eu mon numéro ? .

Puis, après une légère pause:

-Pas besoin. Merci. Au revoir.

Il raccrocha, et ce fut Shiki qui posa la question, un peu naïvement :

-C'était qui ?

Yunho jeta négligemment le téléphone dans un fauteuil et se rapprocha de San, essayant de lui faire écarter les mains pour vérifier son front tout en répondant d'une voix basse, un peu trop douce :

-C'était Seonghwa.

San déglutit, ne sachant quels sentiments l'habitaient à ce moment –il avait toujours mal à la tête, l'apparition de Seonghwa au milieu de leur soirée était assez impromptue, et en même temps, savoir que son âme sœur avait senti le choc et s'était immédiatement inquiétée lui donnait un sentiment de reconnaissance. L'ambiance s'était figée autour de lui, et ce fut Hoshi qui la rompit :

-C'est ton âme sœur, non, San ? Il a dû sentir que tu t'étais pris un coup.

Une violente douleur à la tête, comme le soir où les concierges l'avaient frappé. Normal que ça ait réveillé de mauvais souvenirs et une inquiétude démesurée chez Seonghwa. San hocha vaguement la tête, grimaçant un peu quand les doigts de Yunho palpèrent l'endroit où la manette l'avait heurté.

-Il est attentionné, dis donc, persifla Tsuki.

San lui lança un regard de côté. Pas besoin de dire ça devant Yunho.

-Vous gardez encore un peu le lien, du coup ? poursuivit Hoshi.

-C'est temporaire, grommela San.

-Seonghwa n'est pas encore prêt, crut bon d'ajouter Wooyoung.

-Et puis, c'est le lien des âmes sœurs ! s'écria Shiki. Ça reste super puissant. Je savais que Park Seonghwa était un joueur impressionnant, mais apparemment, c'est quelqu'un de bien aussi ! Vous n'êtes pas liés pour rien !

Une vraie chape de plomb tomba sur la pièce, et les autres échangèrent des regards de malaise.

Ce fut à ce moment que Ken se manifesta, dans un désir évident de briser la glace :

-Peut-être qu'on devrait reculer le canapé, si on continue à jouer.

C'était artificiel, mais les autres s'y raccrochèrent pour échapper à la gêne de la situation, et ils se hâtèrent de faire de la place, reculant les meubles pour dégager un meilleur espace.

-Tiens, Mingi, déclara Yunho en lançant sa manette au plus jeune. Joue un peu, je suis fatigué.

-C'est l'âge, commenta Hoshi avec un sourire provocateur.

-You're the one with white hair, Kourai.

Mingi se leva et s'aligna avec les autres, même s'il n'avait pas l'air spécialement ravi, et Yunho prit sa place à côté de San. San le considéra d'un air inquiet, bien conscient qu'il mentait et n'était pas fatigué du tout, il n'avait juste plus envie de jouer –et ça ne lui ressemblait pas.

Alors était ce le fait que Seonghwa ait appelé qui l'affectait ? Que Shiki ait dit si crûment une vérité que personne n'avait envie d'entendre ? Yunho avait beau continuer à sourire, surtout devant les mouvements raides et mécaniques de Mingi à mille lieues d'être à l'aise, San n'était pas dupe et cela continua tout le reste de la soirée, jusqu'à ce que tout le monde soit rentré et qu'ils soient allongés côte à côte dans le lit de San.

-Ça va ? demanda maladroitement San en lui touchant le bras.

-Oui, répondit Yunho en se tournant légèrement vers lui. Et toi ?

San haussa les épaules dans la semi-luminosité de la pièce.

-Wooyoung m'a à moitié assommé, dit-il d'une voix qu'il essayait de rendre légère, sans succès. Ce crétin...

Il attendit une seconde avant d'ajouter :

-Sûrement que ça irait mieux avec un bisou magique.

Yunho laissa échapper un son amusé avant de se rapprocher, réduisant enfin la distance entre eux avant de poser ses lèvres sur le front de San, comme il avait pris l'habitude de faire depuis bientôt trois ans. Il n'ajouta rien pendant un long moment, et San commençait juste à s'endormir quand il l'entendit murmurer :

-I'll miss you.

-La semaine prochaine ? demanda San d'un air ensommeillé.

Yunho le serra un peu plus fort contre lui.

-When you leave, répondit-il simplement.

San eut l'impression qu'il ne parlait pas que de l'Italie, mais ne sut que répondre, et il se fondit davantage dans l'étreinte.

Comme son avion ne décollait que le lundi, il avait encore le week-end pour profiter de la compagnie de Yunho ; et naturellement, le samedi soir, Yunho proposa de passer la soirée dehors. San aurait accepté avec plaisir en temps normal, mais il contrôlait ses sorties avec soin, bien conscient que le lien des âmes sœurs était toujours aussi présent et qu'en se baladant en ville, il avait toutes les chances du monde de croiser Seonghwa.

Yunho interpréta parfaitement son hésitation, parce qu'il demanda calmement :

-Tu penses qu'on verra Seonghwa?

-J'espère pas, soupira San. Mais ça risque d'arriver.

Une idée lui vint soudainement en tête, et il agrippa la manche de Yunho avec une petite lumière dans les yeux :

-Je sais. Fais-moi des suçons ou quelque chose. Comme ça, même si on croise Seonghwa Hyung, il verra que je suis déjà à toi.

Yunho éclata de rire puis ses doigts se posèrent sur la joue de San, et son sourire joyeux prit un tour plus tendre :

-Oh, mon coeur. Tu es libre. Pas à moi.

San fronça légèrement les sourcils. Il se souvenait pourtant distinctement du premier soir où ils avaient failli s'embrasser, quand Yunho lui avait murmuré I'm all yours, et quand ils s'étaient embrassés pour de vrai, quand San lui avait posé cet ultimatum pour réveiller sa possessivité, que Yunho l'avait empêché de partir–qu'en était-il de cette liberté alors ? Elle était illusoire de toute façon, le lien existait pour l'entraver et la meilleure façon de reprendre ce libre-arbitre était justement de s'attacher à quelqu'un d'autre.

-Fais-le quand même, réclama-t-il.

-Tu pars en Italie lundi. Ca pourrait être prejudicial.

Il avait raison, mais ça n'empêcha pas San de soupirer et en même temps, il concevait bien que c'était assez immature de sa part de quémander les marques physiques d'une relation alors que son couple avec Yunho était établi depuis des années... et que Seonghwa en était parfaitement conscient.

Ils sortirent, et San fit de son mieux pour se rendre dans une partie de la ville éloignée de là où vivait son âme sœur, même s'il savait bien que fuir ne servait à rien. Et en effet, aussitôt étaient-ils installés que Jongho, Hongjoong et Seonghwa apparurent à la table d'à côté.

-Encore vous ! s'écria Hongjoong en riant. Juste à côté de chez nous, en plus !

-Bonsoir, Hongjoong Hyung, Jongho Hyung, Seonghwa Hyung, salua poliment San en espérant rétablir la distance nécessaire.

-Hello, Sannie, Yunho, répondit Seonghwa.

Il avait l'air de bonne humeur, encore en meilleure forme que la dernière fois au restaurant : la thérapie lui faisait visiblement du bien, et San n'avait pas à se plaindre de ses humeurs, même en prenant des doses plus faibles d'annihilateurs.

-Comment va ta tête, Sannie ? embraya Seonghwa en souriant largement. Wooyoung ne t'a pas trop amoché ? Ça t'apprendra à avoir changé ta frange. Elle aurait pu amortir.

-Tu devrais compter les conneries que tu dis par minute, Hyung. Ça fera un score plus élevé que tes sélections en équipe nationale.

Il remercia intérieurement Miya pour lui avoir servi à entraîner sa verve, et savoura l'expression outrée de Seonghwa –sentant un zeste d'indignation amusée au fond du lien.

-Ouuuuh, commenta Hongjoong.

-Dur, renchérit Jongho.

-Vous êtes âmes sœurs ? leur demanda Yunho par politesse –la question d'usage.

-Alors, oui, déclara Hongjoong en bombant le torse. Tout a commencé au lycée, où on s'est retrouvés dans la même équipe de danse –et celle de Seonghwa, soit dit en passant-, et un jour dans la salle de club cet idiot de Jongho s'est demandé si j'étais chatouilleux. Pour sa plus grande surprise...

-Quelle dose ? demanda soudain la voix basse de Seonghwa.

San se retourna. Il était juste à côté de lui, assis sur la banquette où il était installé, et beaucoup trop près. Des fourmis couraient dans les doigts de San, et il n'arrivait pas à détacher ses yeux de Seonghwa, de son visage régulier et anguleux, de ses yeux larges et profonds, se demandant ce qu'il lui ferait en premier si seulement ils avaient le droit.

Il s'asséna une gifle mentale. Seonghwa sourit.

-B, dit-il d'un ton ferme mais tout aussi bas. Et toi ?

-A.

-Et toi, Yunho ? s'enquit la voix de Hongjoong en même temps. La première rencontre ?

San comme Seonghwa se turent instantanément. La question était frontale et indélicate, typique de Hongjoong, et même si San avait déjà eu quelques informations, ça restait extrêmement rare que Yunho évoque sa vie au Japon. Mais celui-ci répondit d'un air neutre, comme si ça ne le dérangeait pas :

-Comment j'ai rencontré mon âme soeur? C'était une fille qui vivait pas loin. Je m'entrainais à l'extérieur pour de la street dance et elle passait par là. Je l'ai accidentellement cogné. La chute m'a fait moins mal que la gifle qu'elle m'a donné après.

-Encore un idiot de danse, murmura Jongho, mais Yunho n'avait pas terminé :

-Mais si tu me demandes comment j'ai rencontré mon petit ami, je marchais dans les couloirs qui menait au studio de danse quand un mec mignon m'a bousculé. Je n'ai jamais vu quelqu'un devenir aussi blanc aussi rapidement.

-Ooh, c'est vrai, Sannie ? demanda Seonghwa en posant son menton dans sa main. C'est comme ça que ça s'est passé ?

San sonda rapidement le lien, mais la jalousie semblait sous contrôle pour le moment, à son grand soulagement, et il s'autorisa à répondre :

-Quoi ? Je cherchais les vestiaires. Je ne pensais pas tomber sur Jeong Yunho au milieu du couloir !

Le répéter lui procurait le même enthousiasme incrédule qu'au moment de leur rencontre, et se dire que le même homme était désormais son petit-ami ne cesserait jamais de le fasciner.

L'humeur de Seonghwa s'était légèrement ternie, mais ça restait négligeable.

-Tu ne t'étais pas renseigné sur l'équipe avant de candidater ? interrogea Hongjoong d'un air stupéfait.

-Bah...

-L'idiot de danse ultime, soupira Jongho.

La conversation se poursuivit plaisamment, et ils restèrent sur la même table, formant contre toute-attente un seul et même groupe. Seonghwa était toujours à côté de San, Yunho en face d'eux et encadré par les deux inséparables. Le drame de l'overdose semblait à des années-lumière tandis qu'ils recevaient leurs boissons.

-J'essayais de me faire pousser la moustache, commentait Jongho. Mais ça ne ressemble à rien. Je voulais avoir l'air un peu plus âgé –là où je travaille, ça aide...

-Je comprends, répondit Yunho en passant une main le long de sa barbe d'un air d'expert. Je l'ai laissée pour l'équipe nationale. Quand j'avais dix-huit ans, au Japon.

-Ça en impose toujours, les gars barbus ! renchérit Hongjoong. Il y en avait un dans votre équipe de Hybe, non, San? Le champion ?

-Ah, Azumane Hyung ? Ouais. Pareil, il voulait avoir l'air viril.

-C'était raté, souffla Seonghwa en descendant son verre. Et donc Yunho, si on te met une barbe, tu prends combien d'années ?

Yunho lui lança un grand sourire solaire :

-J'aurai l'air toujours plus jeune que toi, Seonghwa !

Seonghwa lui adressa le même sourire, si possible encore plus éclatant:

-Je serais curieux de voir ça, Yunnie !

Ah, ça y est, songea San en terminant sa boisson. Ça faisait un certain temps qu'il se demandait à partir de quand Seonghwa trouverait un diminutif pour Yunho, se doutant fort que sa réputation ne tiendrait pas longtemps face au plaisir qu'avait Seonghwa à assigner à chacun un petit nom. Il l'avait peut-être simplement repris de Miwa, ceci dit, et Yunho n'avait pas l'air embêté le moins du monde.

-Attention, dit aimablement Hongjoong en posant une main sur l'épaule de Yunho. Dans deux minutes, il va te demander de dire « Yunho Yunho Yunnie ».

-... Quoi ?

-Bref, coupa Seonghwa. Sannie, tu seras le témoin de Wooyoung, non ? Il en a pris d'autres ? Le binoclard ou monsieur rafraîchissant, peut-être ?

San ne savait pas s'il était amusé ou désespéré que Seonghwa ne se limite qu'à l'utilisation de surnoms ou de prénoms pour catégoriser les gens de son entourage-

-Jung Wooyoung et Kodzuken sont très mignons ensemble, déclara Yunho au même moment.

... Et visiblement, Yunho et lui partageaient plus de points communs qu'ils ne voulaient bien se l'avouer.

Tout le temps qu'ils passèrent ensemble fut étonnamment plaisant, entretenu par les plaisanteries de Hongjoong et Jongho et préservé par la tranquillité du lien et voir Seonghwa si serein faisait chaud au cœur de San, lui qui avait tant culpabilisé de l'avoir blessé, de l'avoir entendu, vu et senti au plus bas. Sa présence ne manquait pas de le faire frémir, cependant –et plus d'une fois leurs yeux s'accrochèrent plusieurs longues secondes, plusieurs fois le lien se manifesta assez lors d'une blague ou d'une référence pour qu'ils échangent un léger sourire où commençait à percer la complicité.

Ils évoquèrent la rivalité entre Hybe et KQ, Seonghwa montra à Yunho la photo sur laquelle San avait dû s'incliner devant lui pour des conseils, visiblement toujours soigneusement conservée au grand dam de San ; puis les anciens de KQ partirent dans un concert de lamentations au sujet de Mingi et de Shira, ce qui amusa beaucoup l'idole japonaise. Finalement, Yunho finit par jeter un œil à sa montre et demanda tranquillement :

-Ca va être l'heure mon coeur, on y va ?

-Il a dit quoi ? murmura peu discrètement Hongjoong à Seonghwa.

-Il parle japonais, attardé, chuchota Jongho en réponse.

-On va y aller, trancha et traduisit San.

-Déjà ? fit mine de s'étonner Seonghwa.

San se leva. La déception se peignait dans le lien et sur le visage de son âme sœur –qui fronçait les sourcils et poussait sa lèvre inférieure en avant comme un enfant contrarié.

-On a réservé une table au restaurant, précisa San avant d'ajouter : d'ailleurs, Seonghwa Hyung. Je pars deux semaines en Italie à partir de lundi. Ne t'étonne pas si le lien se distend un peu.

Parler du lien aussi ouvertement avec son âme sœur devant Yunho, Hongjoong et Jongho le mettait mal à l'aise, mais il ne faisait qu'énoncer une vérité après tout, et chacun d'entre eux était conscient de cela. Evoquer leur connexion n'était ni mentir ni tromper.

-En Italie !? répéta Seonghwa en ouvrant grand la bouche. La chance ! Vous partez en lune de miel ?

-Non, je vais faire des essais dans l'ARoma.

-Oh.

Il eut l'air un peu pris au dépourvu. Le lien se mit à picoter.

-Tu... envisages de quitter la Corée, alors ?

-C'est presque sûr, ouais. Comme tu l'as fait, non ? crut-il bon d'ajouter.

Seonghwa tiqua un peu, mais reprit rapidement sa façade enjouée :

-Mais l'Italie, San ! C'est la grande classe ! Je n'y suis jamais allé, mais ça vend du rêve –la nourriture, la mode, les monuments, tout ! Tout le monde s'attendait à ce que je parte là-bas, tu sais ? J'ai l'air fait pour ce pays !

-On a tous perdu deux mille wons le jour où il a dit qu'il partait au Japon, soupira Jongho. Enfin. Bonne soirée, les garçons.

-« Les garçons » ? T'es leur père, ou quoi ?

San leur accorda un petit sourire et leur souhaita bonne soirée également puis il prit la main de Yunho et l'entraîna vers la sortie du bar. Il se retourna une fois avant de franchir la porte, cependant, retrouvant immédiatement les yeux de Seonghwa dans la foule, rivés sur lui, tous les deux sentant ce léger déchirement caractéristique de deux âmes sœurs qui s'éloignent.

Même s'il s'était trouvé parfaitement enjoué tout le temps qu'ils étaient dans le bar, Yunho avait l'air un peu éteint tandis qu'ils marchaient côte à côte, et de nouveau, San cherchait les causes sans vouloir les trouver. Est-ce qu'il culpabilisait encore de séparer un couple d'âmes sœurs ?

Est-ce que voir Seonghwa le mettait mal à l'aise ? Est-ce que c'était le fait de mentionner sa propre âme sœur qui lui rappelait des souvenirs douloureux ? Dans tous les cas, San se colla contre lui, le bousculant légèrement d'un air joueur.

-Le mec mignon me bouscule à nouveau sourit Yunho.

-Comme si j'étais désolé de tomber sur un mec sexy, répliqua San.

Les pommettes de Yunho se colorèrent aussitôt, et San ne put retenir un sourire victorieux. Réussir à l'embarrasser était assez rare pour que ce soit gratifiant, et il espérait du même coup replacer la soirée sous de meilleurs auspices. Le dîner se passa bien, et ils évitèrent soigneusement de reparler du bar, d'âmes sœurs ou du départ en Italie mais malgré ses efforts, San n'arrivait pas à défaire cette tension qui pesait entre eux, infime mais perceptible, quelque chose en plus qui les empêchait tous deux de profiter pleinement. Une gêne qui planait sur leur table, un non-dit qui ne s'exprimait que dans leurs regards.

Ils sortirent du restaurant et firent quelques pas tous les deux, longeant une rue étroite éclairée par les néons multicolores et quelques lampions perdus entre les enseignes lumineuses, les trottoirs bordés de commerces en ébullition où se mêlaient la musique et les voix. San leva les yeux vers les étoiles pour détendre l'atmosphère, il voulut faire un commentaire sur combien elles étaient visibles ce soir-là, mais à peine avait-il ouvert la bouche que Yunho l'embrassait.

Le monde sombra dans un flou indifférent –les passants, la rumeur environnante, les lumières que San apercevait même sous ses paupières fermées, tout s'effaça. Yunho avait une main sur sa taille, l'autre sur sa nuque, et ses doigts brûlaient dans la soirée d'hiver. Le baiser était passionné et se fit rapidement profond –il ressemblait à leur premier, à leur premier vrai, avide et en même temps contrôlé où la tendresse de l'expérience avait remplacé la fougue initiale, mais bordé d'autre chose, comme ce jour-là, empreint d'une once de besoin, de quelque chose tenant du désespoir.

Et comme alors, c'était une parole muette pour dire, je ne veux pas te perdre.

Ils étaient toujours en plein milieu de la rue, mais quand ils s'écartèrent, San ne voyait rien d'autre que le visage de Yunho –ses cheveux qui lui tombaient à moitié dans les yeux parce qu'il avait passé ses doigts dedans, ses pupilles noires pleinement dilatées, cerclées d'ambre, ses lèvres entrouvertes et puis finalement sa voix, chaude et mélodieuse, à peine audible au milieu de l'agitation mais que San entendit avec une clarté parfaite :

-Pourquoi est ce que je t'aime autant, Choi San?

Son sourire avait l'air triste, et San n'avait pas la réponse à cette question.

Il avait mal au cœur en quittant la Corée le lundi. Mingi lui avait confié quelques paquets à remettre à Tendou en le priant de le saluer pour lui et de transmettre des nouvelles, et San le remercia à nouveau d'avoir arrangé son étape le vol fut paisible, il profita de la place dont il disposait en première classe pour dormir de tout son saoul, habitué aux longs voyages en avion. Tendou l'accueillit à l'aéroport avec bonne humeur, reconnaissable à ses cheveux vifs même coupés ras il lui fit la bise, et San se figea de confusion.

-C'est la coutume, déclara Satori avec bonne humeur. Ils le font aussi, en Italie, alors autant t'habituer tout de suite !

San passa la soirée à manger des chocolats maison (Tendou lui promit de ne pas le dénoncer à Mingi), et était somme toute d'assez bonne humeur en retournant à l'aéroport le lendemain. Satori le chargea de quelques boîtes supplémentaires à partager avec Mingi, les Adlers et qui bon lui semblerait, puis lui adressa ses encouragements et un dernier signe de main tandis que San repartait vers Rome.

Les premiers jours se passèrent plutôt bien : les danseurs étaient tous excellents, San en retrouvait certains avec qui il avait sympathisé lors d'événements mondiaux, et il prenait sa place sur la scène au milieu de tout ce talent et d'une complicité déjà naissante. Les différents joueurs qu'il fréquentait, déjà dans l'équipe ou non, le convièrent à une soirée dès la fin du premier entraînement, et ils commencèrent d'ores et déjà à créer des liens... En particulier quand ses nouveaux coéquipiers lui demandèrent si c'était bien lui le copain de Jeong Yunho –de Yun, puisque la majorité d'entre eux le connaissaient depuis des années, et la discussion s'axa autour de lui.

San donnait tout dans l'entraînement et tombait d'épuisement dès qu'il rejoignait sa chambre d'hôtel. Il aurait bien voulu garder le même rythme, composé de danse, de repas et de sommeil mais, en dehors des quelques sorties avec l'équipe, il disposait aussi de beaucoup de temps libre, et il ne savait comment le combler.

Il avait une télé dans sa chambre, mais regarder les programmes n'était pas pareil sans la présence familière de Mingi à ses côtés, qui ne manquait jamais de faire un commentaire d'une voix neutre sur ce qu'ils regardaient, fut-ce un documentaire ou de la téléréalité. Appeler Yunho ou ses amis restés en Corée demeurait plutôt compromis –il était déjà tard là-bas quand lui sortait tout juste de l'entraînement, il passait la majorité de ses soirées seul. Tout ce qu'il avait pour lui rappeler ses proches était le foulard aux couleurs du Japon que lui avait offert Yunho à Tokyo, qu'il conservait précieusement et qui l'accompagnait chaque fois qu'ils étaient séparés.

Le malaise lié à la solitude grandissait alors que son séjour se prolongeait, et au bout de dix jours, il n'attendait qu'une chose, reprendre l'avion en sens inverse. C'était la même peine qu'au lycée d'être livré à lui-même –et être si loin de son foyer n'arrangeait rien, il ne connaissait rien ici, en Italie, ni les coutumes, ni la nourriture, ni même la langue.

Même s'il avait beaucoup voyagé à l'étranger avec leurs groupes, pour les concerts, pour la Ligue mondiale, pour la Coupe du monde, il s'était chaque fois trouvé avec son équipe et des joueurs qu'il connaissait. Il avait espéré un moment que Mingi fasse ses essais en même temps en Europe, ils auraient au moins été sur le même fuseau horaire quant à Yunho, c'était à peine s'il avait besoin de passer des tests, tous les clubs auraient voulu revendiquer son nom. Et lui était seul pour la première fois, pour sa carrière individuelle, sans coéquipier, sans agent, perdu dans Rome. Il aurait voulu quelqu'un avec lui, n'importe qui de familier –même Yeonjun aurait fait l'affaire.

San avait donc essayé de repousser l'heure de rentrer à l'hôtel en se promenant dans la ville, prenant quelques photos pour les envoyer à ses contacts. Il rentra dans sa chambre vers vingt heures, et voir les quatre murs se refermer sur lui lui procura une sensation de dégoût. Il se hâta de se doucher et de se changer pour la nuit, espérant réussir à dormir ce soir-là même son sommeil était compromis depuis les dernières nuits, et ça ne lui plaisait pas du tout, la fatigue s'accumulait et risquait de le gêner dans son jeu. Il se sécha, enfila un short et un T-shirt pour la nuit, et se rendit compte en récupérant son téléphone qu'il avait de nouveaux messages.

Seonghwa Hyung : Qu'est-ce qui se passe ?

Seonghwa Hyung : Il est trois heures passées et je te sens trop pour dormir

Seonghwa Hyung : Tu as mangé trop de pâtes ou bu trop de vin rouge ?

Un demi-sourire tira les lèvres de San. Par sûreté, il avait préféré consommer des annihilateurs B pour les entraînements, histoire de ne se focaliser que sur le jeu ; mais la dernière prise remontait à quelques heures, et il pourrait bientôt ressentir Seonghwa, l'acuité du lien un peu atténuée à cause de la distance qui les séparait, mais encore bien présente.

Seonghwa devait donc bien sentir le problème, mais il attendait que San le formule de lui-même. Il hésita. Il avait Yunho pour s'épancher, il avait Wooyoung, Mingi, Miwa –mais à cette heure-ci, seul Seonghwa était réveillé, et il se raccrocha à lui, à lui qui était resté au pays, à cette part de son passé, de son présent, à cette part de lui-même alors il répondit.

Moi : je me sens seul ici

Seonghwa Hyung : Tu as le mal du pays ?

Moi : un peu

Il n'avait pas encore posé ce nom dessus, parce que ressentir ça ne lui était encore jamais arrivé mais il se doutait que c'était quelque chose dans ce genre-là.

Seonghwa Hyung : Est-ce qu'on garde le lien cette nuit ?

San se rendit soudainement compte qu'ils étaient dans la configuration qu'ils avaient évoquée au restaurant –celle où il passerait une nuit seul, loin de Yunho et de Mingi ; et où, pour se rassurer tous les deux, Seonghwa et lui conserveraient le lien dans son entièreté. San l'avait parfois laissé s'exprimer depuis qu'il était à Rome, mais chaque fois, c'était sur les plages de sommeil de Seonghwa, et il était en conséquence assez peu perméable.

Il sentit que les annihilateurs commençaient à se dissiper, et se dit que c'était le moment ou jamais.

Moi : oui

Il se glissa dans son lit et brancha son téléphone, parcourant rapidement ses autres notifications –des likes sur son compte Instagram, les derniers messages de Yunho deux heures plus tôt,quelques alertes sans importance. Un nouveau message apparut.

Seonghwa Hyung : concentre-toi sur le lien, Sannie

Il obéit sans y penser à deux fois, comme si Seonghwa avait encore cette emprise d'aîné sur lui posant le téléphone à côté de lui, allongé sur le dos, les yeux fermés, essayant de sentir le point d'ancrage du lien en lui –niché dans sa poitrine, tout contre son cœur et palpitant au même rythme. Il se laissa porter par lui, régulant sa respiration pour essayer de se détendre.

Il sentait Seonghwa, il sentait son calme, une sérénité inattendue dans un tempérament si angoissé, à peine froissée par les circonstances quotidiennes. Il laissa le lien s'harmoniser, se calqua sur lui ses pensées se firent distantes, insignifiantes presque, tandis que leur connexion prenait de l'importance, qu'il laissait son âme sœur lui donner un peu de réconfort, un peu d'apaisement.

Il avait l'impression que Seonghwa et lui étaient proches, à ce moment. Il pouvait presque l'imaginer en face de lui, dans la même position, portant la même expression, comme des reflets l'un de l'autre, comme une seule et même âme scindée en deux et qui se réunirait toujours, peu importe le temps et la distance, tant que l'un et l'autre répondaient à l'écho.

Loin, loin dans sa mémoire, avant Seonghwa, avant Yunho, avant tout, San avait le souvenir d'une phrase que lui avait dite Hyunjin un jour au collège, une phrase qui l'avait hantée des années et qui, peut-être, s'était rappelée à lui avec le sentiment d'exil.

Tu seras toujours un roi solitaire.

Mais non, songea San alors qu'il dérivait vers le sommeil, complètement détendu, l'esprit en paix, enveloppé par le lien comme dans une étreinte. La présence de Seonghwa était partout, sur lui, en lui, ses sentiments indiscernables des siens, fusionnels à nouveau, fusionnels comme ils devaient l'être.

Je n'ai jamais été seul.


On a toujours été à deux.