Chapitre 14

San rentra à Séoul très satisfait de ses essais avec l'ARoma.

Il avait terminé sa deuxième semaine en beauté, et s'il devait être franc avec lui-même, c'était en grande partie grâce au lien et à Seonghwa. Son âme sœur l'avait accompagné de manière remarquable à travers ses dernières nuits en Italie, et chaque soir, il l'avait retrouvée au rendez-vous effaçant ses doutes, son malaise et sa solitude pour les remplacer par sa compagnie subtile mais forte, et surtout sereine.

San s'était d'abord interrogé sur un revirement aussi soudain : peu de temps avant encore, Seonghwa s'était trouvé au bord du gouffre, et San ne se rappelait que trop clairement de ses accents désespérés et suppliants sur son palier mais le lendemain, alors qu'ils échangeaient par messages entre leurs pauses respectives, Seonghwa lui avait confié que les thérapies qu'il suivait étaient diverses, qu'il ne s'agissait pas seulement de Yeosang et d'un psychologue, mais qu'il assistait à différents cours pour gérer son angoisse et gagner en gestion par rapport au lien.

Au fond de lui, San trouvait ça admirable.

Son avion amorçait à peine sa descente qu'il était déjà dévoré d'anticipation –à l'idée de revoir Yunho et ses amis, bien sûr, de retrouver ses coéquipiers habituels et ceux de l'équipe nationale... et, par-dessus tout ça, imminent, attendu avec hâte par toute la sphère des idols, le mariage de Wooyoung.

Yunho l'attendait dans le hall de l'aéroport, incognito derrière ses lunettes de soleil –un immense sourire fendit son visage en reconnaissant San, et San se jeta dans ses bras avec bonheur. Il lui transmit les salutations de plusieurs autres internationaux, puis attendit d'être rentré chez lui et de retrouver Mingi pour déballer toutes les boîtes de chocolats de Tendou, voyant avec plaisir que cette attention faisait naître un sourire sur le visage d'habitude renfermé de son colocataire.

Il n'eut pas le temps de se poser bien longtemps avant de repartir pour l'enterrement de vie de garçon prévu pour Wooyoung. Yeonjun l'avait mis dans la confidence, et ils partaient à quatre avec Bokuto Sakusa, de ce qu'avait compris San, avait fermement refusé de les accompagner en soirée. Bokuto et Kuroo s'étaient arrangés entre eux, ce dernier se chargeait de Ken avec quelques anciens de Neko ; tous les deux pouvant ainsi se tenir au courant des soirées respectives par message.

Du côté de Wooyoung, le plan était simple. Ils partaient de Seoul tous les quatre et ralliaient Itaewon en train (Miya et Bokuto avaient supplié San de prendre sa Jaguar et de les conduire, mais San n'était pas assez fou pour risquer d'embarquer trois idiots sur ses précieux sièges en cuir) ils passaient la soirée là-bas sous l'égide de Yeonjun, dont c'était la région natale et chez qui ils pouvaient dormir ensuite. San ne manqua pas d'envoyer un message à Seonghwa pour le prévenir qu'il y aurait probablement des perturbations dans la soirée, et qu'il lui serait reconnaissant de prendre un peu d'annihilateurs ce à quoi Seonghwa répondit par un selfie –clin d'œil, signe de paix et gélule de dose A entre les dents.

Le début de soirée était plus que décent. Ils se retrouvèrent dans un énorme bar qui proposait plusieurs activités, dont un karaoké, et si Bokuto et Wooyoung se lancèrent immédiatement dans des duos endiablés, San était sur la réserve.

-Oh, Sannie, dit Yeonjun en lui passant un bras autour des épaules. Est-ce que ça n'irait pas mieux après une petite bière ?

De fait, il en fallut trois, et pas mal de provocations de la part de Wooyoung pour que San consente à se lancer. Il jouait d'abord pour gagner, trouvant son amusement dans la compétition, et Miya s'occupait de lui fournir à boire, passant à des choses autrement plus fortes que la bière.

Ce fut à partir de là que les choses commencèrent à partir un peu en vrille –mais qu'espérer d'autre de la part des joueurs des Jackals ?- et il fut décidé qu'ils n'auraient plus le choix de leur chanson, la laissant au bon plaisir de leurs compagnons de soirée.

Yeonjun les surpassait tous de loin –incarnant aussi bien les chansons bouffonnes que les ballades suggestives, accompagnant ses prestations de ses regards caractéristiques, et un groupe de filles commençait à s'agglutiner pour le soutenir. De son côté, San le regardait avec envie, essayant d'ignorer Bokuto et Wooyoung –le champion était en train de manipuler la tête de Woo en lui répétant à quel point il était fier de lui, son disciple, qui se mariait, que le temps passait trop vite, etc.

-Sannie ! s'écria finalement l'autre Choi. Viens voir ce que j'ai choisi pour toi.

San se leva, vacilla un instant puis se dirigea vers Yeonjun pour regarder ce qu'il devrait chanter.

-Hors de question, cracha-t-il aussitôt.

Yeonjun jeta un regard faussement déçu à la borne qui indiquait Britney Spears – 3.

-Je me disais que c'était de circonstances, tenta de plaisanter Yeonjun avant de s'écraser sous le regard de San ; d'accord, d'accord, Sannie, c'était une blague. J'espérais que tu ne connaisses pas les paroles.

San chercha un moment ses mots, à la fois embrouillé par l'alcool et la confusion, mais n'eut pas le temps de répliquer que Wooyoung se jeta de nulle part sur son dos.

-Comment ça ? s'écria-t-il d'un air taquin et éméché. San ah refuse des chansons ? C'est pas du jeu, ça. Je t'en choisis une, et t'as intérêt à la chanter à fond.

-Tout mais pas celle-là, trancha San en croisant les bras.

Wooyoung lui sourit d'un air qui n'augurait rien de bon et arrêta le choix sur une chanson d'amour guimauve ; et San poussa un profond soupir pendant que les deux compères s'éloignaient en ricanant. Après tout, il était aussi là pour s'amuser –même s'il s'éloignait en général de ce genre d'activité, comme en témoignait sa passivité lors du Just Dance, c'était la soirée de Wooyoung ; même s'ils avaient eu leurs disputes, c'était son meilleur ami. Alors il repoussa son irritation au fond de sa conscience, derrière l'alcool, et commença à chanter.

Je vais me le faire, songea-t-il néanmoins en voyant Wooyoung le filmer avec un grand sourire.

-Fais un clin d'œil à la caméra, Sannie ! criait Miya.

-Envoie des baisers ! renchérit Bokuto.

Il préféra fixer les paroles d'un air obstiné, mais le mal était déjà fait quand il revint à sa place, et il était à peu près sûr que la moitié du championnat d'idols coréens avait reçu la vidéo. Il lança un regard réprobateur aux trois Jackals morts de rire, et Yeonjun l'attira à côté de lui :

-Allez, Sannie ! Ça ira mieux avec la tequila !

San ne savait pas pourquoi il continuait à remettre son alcoolémie entre les mains de Choi Yeonjun, mais il céda une fois de plus, posant ses verres à shots sur son téléphone où s'accumulaient les messages non lus :

Tsuki : mdr quel talent, quel séducteur

Seonghwa Hyung : j'ai mal d'avance pour Wooyoung

Yunho : Beautiful !

Seonghwa Hyung : doucement avec la boisson, Sannie

Seonghwa Hyung : j'ai dû passer à la dose B

Le clou de l'enterrement de vie de garçon arriva avec les stripteaseurs, le tout sur une scène privée et au milieu de fumée et de paillettes, et San ne se priva pas de profiter du show –ce n'était pas tous les jours qu'il pouvait profiter de voir des corps aussi finement musclés, bien proportionnés, délicieusement dénudés, et San était en train de détailler leurs abdos quand il se rendit compte que si, concrètement, il voyait des coéquipiers nus tous les jours à la douche, en avait même un régulièrement dans son lit, et qu'aucun de ces gars ne tiendrait la comparaison avec Yunho. La seule différence était la mise en scène, et il la regarda songeusement –danse voluptueuse, effeuillage méticuleux, corps couverts d'huile et poses suggestives- pendant que Miya lui mettait un cocktail dans les mains et glissait une paille entre ses lèvres entrouvertes.

Il siffla son cocktail, sortit son téléphone et vit de nouveaux messages de Seonghwa apparaître pile au moment où il le déverrouillait :

Seonghwa Hyung : c'est ce vicieux de Choi Yeonjun qui fait boire mon petit cadet à ce point ?

Seonghwa Hyung : t'as vraiment l'alcool aguicheur

Seonghwa Hyung : je suis au bord de prendre la dose C, sérieusement

San ne les lut même pas, et d'ailleurs, ne se souvint plus de grand-chose à partir de ce moment-là, vaguement conscient du contact de ses doigts contre l'écran de son téléphone et de l'envie d'écrire des messages.

Quand il se réveilla, il était enroulé dans une couverture, et sa tête lui donnait l'impression d'être fendue en deux. Il ouvrit un œil et le visage de Wooyoung lui apparut en gros plan.

-Bah enfin, soupira le plus jeune. On a cru que tu te réveillerais jamais. J'aimerais autant que mon témoin soit un peu plus frais que ça.

Il était déjà levé, et San jeta un œil autour de lui, reconnaissant vaguement l'appartement de Yeonjun ; il avait déjà eu l'occasion d'y passer pour quelques soirées ou quand il avait des camps dans les environs. Il repéra son téléphone et s'en saisit avant de s'étirer et de se lever, rejoignant Wooyoung et Bokuto à table pendant que Miya partait s'habiller. San remarqua que Wooyoung le regardait à la dérobée en essayant de cacher son sourire, et eut un mauvais pressentiment.

-Quoi ? demanda-t-il avec son agressivité habituelle.

-Rien, rien, assura Wooyoung d'un air qui ne convainquit absolument pas le passeur. Park m'a prédit que tu aurais une sale gueule de bois.

Park Seonghwa... Les messages de la veille revinrent à l'esprit de San, et il déverrouilla son téléphone avec la peur de ce qu'il pouvait trouver dedans. En général, il ne prenait pas son portable en soirée, et n'avait jamais vraiment eu l'occasion d'envoyer des messages dans un tel état –mais il avait la certitude qu'il avait voulu en écrire après le show des stripteaseurs. Deux fils de discussion arrivaient en tête. Ceux de Yunho et de Seonghwa.

Il ouvrit celui de Yunho en premier.

yunho : Beautiful !

Yunho : ça va ?

Moi : huile

Moi : faut mettre de l'huile

Yunho : ?

Moi : et un nœud papillon

Moi : lov you comme a like song 3

Moi : envie de toi

Moi : viens

Moi : allume la

Moi : caméra

Yunho : remember to drink water ?

Yunho : Nous verrons ça demain lorsqu'on se verra )

Yunho : 3

San avait à moitié envie de se claquer la tête contre la table, mais s'en abstint. Bon. C'était gênant, mais ça allait, c'était son petit-ami, ce n'était pas la première fois qu'il le voyait ivre.
Seonghwa, en revanche...

Seonghwa Hyung : je suis au bord de prendre la dose C, sérieusement

Moi : non

Seonghwa Hyung : quoi non ?

Moi : on arrête les annihilateurs

Moi : Seohwa Hyung

Moi : t'es ma meilleure âme sœur

Seonghwa Hyung : je ?

Moi : j'aimerais bien te voir danser

Moi : avec de l'huile

Moi : tu sais que t'es vraiment

Moi : magnifique

Seonghwa Hyung : ... j'appelle Wooyoung.

Cette fois, San se claqua la tête sur la table.

-Ouais, je me disais aussi, déclara Wooyoung en éclatant de rire.

-Je ne bois pas une goutte à ton mariage, dit-il sans relever son front de la table. Je le jure. C'est promis. Choi se trouvera une autre victime.

-Compte-là-dessus, s'écria Yeonjun en réapparaissant dans la pièce.

San présenta ses excuses à Seonghwa et Yunho dans le train du retour, encore honteux, mais les deux hommes avaient plus l'air d'en rire qu'autre chose. Au fond, ce sur quoi San était le plus mortifié était d'avoir reconnu qu'il était attiré par Seonghwa –par le lien des âmes sœurs, évidemment, qui appelait une proximité physique... Mais aussi simplement parce que Seonghwa était objectivement beau, la pureté de ses traits doublée par la puissance de son charisme et San se rendait compte avec une vague stupéfaction qu'il ne l'avait jamais vu en soirée, ne l'avait jamais vu danser, ne l'avait même jamais vu déshabillé –peut-être une fois au collège pendant un camp, mais c'était si loin, presque absurde alors qu'il s'était déjà retrouvé dans une salle de douche avec quasiment tout son entourage, y compris les trois idiots à côté de lui. Peut-être était-ce cette distance paradoxale, ce mystère qui laissait de la place pour les fantasmes, qui lui rendaient Seonghwa et son corps si fascinants.

Dans tous les cas, l'incident fut clos, quelques jours passèrent encore, et le mariage de Wooyoung arriva enfin.

San se sentait tout drôle en se levant le matin du grand jour. Penser que Jung Wooyoung allait se marier –son meilleur ami, son coéquipier et son rival- était quelque chose qu'il n'avait pas l'impression d'avoir pleinement appréhendé avant ce moment. Mais se marier tôt était monnaie courante. Quand on avait trouvé son âme sœur, quel intérêt y avait-il à attendre ? Rares étaient les couples destinés qui se séparaient. Dès que l'harmonie était trouvée, c'était pour la vie.
S'il avait pu, il aurait passé une main entre ses mèches pour évacuer un peu de stress mais un regard noir de la part de Miwa suffit à l'en dissuader. Elle venait de passer une heure sur ses cheveux, à la fois pour rafraîchir sa coupe et le coiffer pour la cérémonie, et San avait l'impression d'avoir un courant d'air perpétuel sur la nuque.

-Touche pas, dit-elle d'un ton faussement sec. Et toi, Yunho, arrête de gigoter.

Mingi passa dans la cuisine pour prendre du jus d'orange, et elle l'apostropha :

-Je te coiffe aussi, Mingi ?

Mingi n'eut pas le choix de toute façon, et ils y passèrent tous les trois.

-Il y aura plein de paparazzis, dit-elle finalement en rangeant sa trousse de coiffure. Au moins, vous êtes présentables.

Elle rajusta le nœud papillon de Mingi qui la laissa faire avec sa remarquable neutralité, ajusta la pochette de Yunho, et aplatit un épi impromptu dans les cheveux de San avant de les autoriser à partir.

-Dis félicitations de ma part à Wooyoung ! lança-t-elle quand ils se séparèrent.

C'était attendu, mais Wooyoung avait fait les choses en grand. Non seulement sa famille et celle de Ken étaient présentes, mais San reconnut ses amis de collège et de lycée, quelques journalistes, et surtout, surtout, tous ceux que Wooyoung avait pu rencontrer dans le monde du show-business depuis leur première année de lycée. Tous les membres de Hybe, de Neko et des Jackals étaient invités, en plus de tous les jeunes avec qui Wooyoung avait sympathisé au cours des années –et Wooyoung sympathisait très facilement.

- San-ah ! s'écria-t-il quand il le vit.

Il était ravi, souriant jusqu'aux oreilles pour le plus beau jour de sa vie dans un costume d'un gris perle Natsu était à ses côtés, ses boucles rousses cascadant librement sur ses épaules, toute jolie dans une robe assortie à la tenue de son frère. San resta avec lui tout le temps qu'ils attendirent à la mairie, voyant les invités arriver un à un –et le cœur de San rata quelques battements quand il aperçut Seonghwa, même si le lien l'avait prévenu de son arrivée imminente.

Il était sublime, ses cheveux châtains peignés pour l'occasion, dégageant pleinement son visage et ses yeux sombres, lesquels trouvèrent ceux de San avec une rapidité stupéfiante et San sentit, à l'identique du sien, un feint sentiment d'admiration parcourir Seonghwa –apparemment, Miwa avait fait du bon travail. Seonghwa lui adressa un sourire à distance, San répondit d'un signe de tête mais il le suivit des yeux jusqu'à ce que Seonghwa tombe nez à nez avec Mingi et commence instantanément à lui chercher des noises. Il dissimula son sourire tandis que les invités s'asseyaient, et la cérémonie commença lorsque Ken arriva, lumineux dans un costume blanc et flanqué par Kuroo, son propre témoin.

San avait beau essayer de suivre le discours du maire, ses yeux revenaient toujours au reste de l'assemblée à laquelle il faisait face Suga qui pleurait à chaudes larmes, Tanaka et son sourire fier, Yeonjun qui le surprit et lui tira la langue Yunho qui regardait avec son sourire tranquille, Mingi et son expression toujours indéchiffrable, et Seonghwa, une rangée plus loin, qui fixait Tobio plutôt que les mariés et ricana quand celui-ci le remarqua et rougit.

-Deux âmes sœurs qui se sont trouvées, prononçait l'officiel. Qui évoluent en harmonie de la plus belle des manières possibles, ainsi que cela doit être –lisant l'une dans l'autre tout l'amour et tout l'attachement qu'elles se portent. Ce lien tacite devient aujourd'hui visible aux yeux de tous.

San se demanda ce que le maire disait quand il procédait à des mariages extra-âmes sœurs. Il croisa le regard de Yunho, qui lui adressa un clin d'œil, et décida d'arrêter de regarder le public –décidément, trop d'invités étaient susceptibles de l'embarrasser, et il fit la moue en fixant les mains jointes de Ken et Wooyoung à la place.

La cérémonie se termina finalement sur les vœux des mariés et le baiser tant attendu, sobre et chaste, mais San n'avait jamais vu Wooyoung sourire avec autant d'éclat. Il signa le registre, marcha derrière Wooyoung pour la sortie de la mairie, et finalement ils se dirigèrent vers une grande salle que les mariés avaient louée pour faire la fête toute la nuit.

San avait accepté de conduire le cortège des mariés dans sa Jaguar et il atteignit donc la salle en premier avec Wooyoung, Ken et Kuroo. Tous les autres invités arrivèrent ensuite en même temps, remplissant la salle dans un flot continu et San regardait autour autour de lui dans l'espoir de retrouver Yunho. Il l'aperçut finalement dans un petit groupe où il ne connaissait personne, se demandant si Yunho venait juste de sympathiser avec eux avant de les entendre parler et de comprendre qu'il s'agissait sûrement d'autres ressortissants brésiliens.

-C'est Heitor et sa famille ! s'écria soudain Wooyoung à côté de son oreille. Et à côté, c'est Kato, c'est un ancien de Shira, c'est avec lui que je me suis entraîné au Japon ! Et là, c'est Pedro, c'était mon colocataire, il lit des mangas aussi !

Il courut vers eux pour entamer la conversation, aussi désinvolte que d'habitude même le jour de son mariage, et San le regarda filer. Lui ne comprendrait pas grand-chose de toute façon, et il erra un peu dans la salle avant de tomber sur Sugawara. Son ancien aîné lui mit le grappin dessus, et ils se promenèrent un moment autour de la salle des fêtes, absolument immense, et de la grande terrasse dont elle disposait –clairement, Wooyoung et Ken avaient voulu marquer le coup.

-Alors, Choi ? demanda Suga en lui tenant le bras. Comment tu vas ?

-Ça va, répondit évasivement San. Ça va mieux.

Il ne savait pas vraiment jusqu'où les anciens de Hybe avaient été informés par Wooyoung et Tsuki sur ce qui s'était passé lors des semaines suivant son kidnapping.

-Je suis content pour toi, alors, sourit Suga.

Ils firent quelques pas, puis s'arrêtèrent pour profiter de la vue, et son aîné ajouta :

-Daichi m'a dit, pour Park. Vous avez l'air de mieux vous entendre maintenant.

San hocha la tête. C'était vrai, Seonghwa et lui n'avaient jamais été si proches –mais le lien les suppliait d'être plus proches encore. A ce moment, San savait parfaitement que son âme sœur était à l'intérieur, tout près de lui, qu'il aurait pu être à ses côtés plutôt qu'avec Suga. Mais passer trop de temps avec lui ne serait pas bon non plus. Il devait avoir le contrôle absolu sur le lien –et c'était aussi une des raisons qui le convainquait de rester sobre ce soir-là. S'il finissait aussi amoché qu'à l'enterrement de vie de garçon et qu'il laissait au lien l'occasion de s'exprimer, de faire resurgir des désirs enfouis... Les choses iraient très loin très vite, et il n'y aurait plus de retour en arrière possible.

-Tant mieux, souffla doucement Suga. Vous comptez garder le lien, si ce n'est pas indiscret ?

-Peut-être, répondit San d'un air vague. Pour l'instant, on fait avec. On se met d'accord sur les annihilateurs et jusqu'ici, ça se passe bien.

Il ne savait pas s'il tiendrait leur routine pendant des années encore. Le moment où le lien se dissiperait lui paraissait encore lointain, il était trop tôt pour y penser tant que les choses fonctionnaient, c'était le principal. La situation s'était à nouveau retournée, en un sens –c'était désormais sur Seonghwa que pesait l'obligation d'une relation strictement platonique, où tout contact était prohibé, et à Yunho que revenait le reste tout ce reste que San aurait donné au lien, avant, à l'époque du lycée, sans y penser à deux fois.

Tout le temps que dura le vin d'honneur, il sentit les regards des autres invités sur lui –tous ici le connaissaient, ils étaient nombreux à avoir entendu parler de Seonghwa, et le développement médiatique de l'affaire de l'enlèvement avait fini par révéler leur lien au grand jour. Voir les yeux curieux faire la navette entre Seonghwa, Yunho et lui insupporta rapidement San, et il fut soulagé quand il fut temps de passer à table.

En sa qualité de témoin, il était convié à la table des mariés, et ils étaient huit en tout –Ken et son grand frère, Wooyoung et Natsu, ainsi que leurs témoins et partenaires respectifs San se retrouva donc placé entre Yunho et Tsuki. De son côté, Seonghwa s'était fait affecter à une table regroupant les anciens lycéens de Miyagi, et même s'il restait proche de Hyunjin et Felix, il faisait preuve de ses capacités sociales et de ses talents d'adaptation habituels, et discutait volontiers avec d'autres comme Hyakuzawa ou Koganegawa. En soi, le repas se passa bien pour tout le monde, et Wooyoung alla visiter toutes les autres tables dès son assiette terminée, toujours prévenant de n'oublier personne.

L'ouverture de bal fut aussi belle que touchante –tout le monde connaissait assez Ken pour savoir qu'il était timide et avait horreur d'attirer l'attention, et pourtant il semblait mettre de tout ça de côté à cet instant, alors que les jeunes mariés valsaient tendrement sur la piste vide sous les regards émus. San se demanda ce qu'ils ressentaient, si le lien des âmes sœur leur permettait d'anticiper leurs pas, de rester en rythme, s'ils avaient laissé une part à leur instinct naturel, ou s'ils avaient répété sans répit pour parvenir à un tel effet d'harmonie.

A ce moment d'amour succéda le début de la soirée proprement dite, et les excités de service se précipitèrent sur la piste avec leur entrain habituel –Wooyoung toujours prêt, Bokuto, Hoshi, Nishinoya, Inuoka, Lev pour ne citer qu'eux, mais Meian, Ukai, Heitor et toute une foule d'autres à peine plus réservés s'orientait déjà vers le centre de la salle. Les yeux de Yunho se mirent à briller, et San avait à peine articulé un « vas-y » qu'il bondissait joyeusement vers la foule San resta donc seul à la table des mariés jusqu'à ce que Yeonjun se laissa tomber sur le siège déserté, une bouteille de vin à la main, et passe un bras autour des épaules de San, ses lèvres étirées sur un sourire aussi affable que rusé.

-Pas une goutte ? demanda Yeonjun.

-Pas une goutte, confirma San.

Yeonjun soupira, splendide lui aussi dans un costume rouge sombre qui rappelait la couleur d'Inarizaki, ses cheveux fraîchement refaits en blond et coiffés avec soin.

-T'es sûr, je ne te sers pas, Sannie ?

-J'ai dit non, Choi.

Son coéquipier de l'équipe nationale affecta de bouder :

-Oh, allez ! Et puis, on commence à se connaître, tu pourrais m'appeler par mon prénom !

Il lui adressa son sourire signature, et San soupira.

-Yeonjun, j'ai dit pas d'alcool pour moi ce soir.

-Mais qu'entend-je !? s'exclama alors une nouvelle voix, et le lien tressaillit.

Seonghwa apparut, rival d'élégance face à Yeonjun dans son costume trois pièces.

-Mon adorable cadet qui commence à appeler les gens par leur prénom ?

Il adressa un sourire éblouissant à San et s'assit de l'autre côté, finissant son verre pour le relever aussitôt vers l'autre Choi :

-Je veux bien à boire, moi, Yeonjun, déclara-t-il d'une voix suave.

-Je ne crois pas t'avoir donné l'autorisation, à toi.

Seonghwa l'ignora, et se contenta de sourire d'un air appréciateur tandis que son verre se remplissait.

-Alors, Sannie, reprit-il en ignorant superbement Yeonjun. On est sage, ce soir ?

San le connaissait assez, même sans lien, pour savoir où il voulait en venir –et il sentit l'embarras grimper en se souvenant des messages qu'il avait envoyés à l'enterrement de vie de garçon de Wooyoung, sa confession ouverte à Seonghwa, le je te trouve vraiment magnifique échappé des tréfonds de sa conscience. De toute façon, Seonghwa devait bien savoir qu'il était attirant, il avait collectionné les plans cul après tout –mais San avait espéré qu'il l'épargne avec ça.

-Pas toi, visiblement, contra-t-il donc en désignant le verre déjà à moitié vide.

-Clairement pas, ajouta Yeonjun en le remplissant de nouveau jusqu'à ras bord.

Il adressa un clin d'œil à San au passage, et San soupira –éloigner ces deux-là l'un de l'autre était un incontournable, et il les écouta se chamailler un bon moment avant que Yunho ne réapparaisse il voulait simplement déposer sa veste parce qu'il avait trop chaud, et la confia à San –lui accordant un bisou en prime, mais San supposa que c'était plutôt pour mettre les deux autres mal à l'aise. Seonghwa replongea dans son verre et Yeonjun s'en servit un à la hâte tandis que Yunho, prêt à repartir, s'arrêtait dans son geste d'un air intéressé en les voyant boire, puis prenait sa propre coupe pour la tendre vers Yeonjun Choi:

-Je peux ? J'ai soif.

-Bien entendu, acquiesça Yeonjun avant de la remplir une première fois, puis une deuxième.

San lui lança un regard entendu, mais Yeonjun semblait savoir ce qu'il faisait. Au contraire de Yunho et de Seonghwa, parce que même San savait qu'il ne fallait pas boire si vite.

-Déjà fatigué, Yun ? lança Seonghwa.

-Pas du tout, Seonghwa, répliqua Yunho. Et toi ? Sur ta chaise ?

Seonghwa haussa les sourcils et prit une pose dramatique :

-C'est provisoire ! Je peux danser toute la nuit s'il le faut !

-Oh, vraiment ?

Un sourire joueur prit place sur les lèvres de Seonghwa, et ses yeux se posèrent brièvement sur San avant de remonter sur le visage de Yunho :

-C'est un défi ?

San voulut les interrompre et dire que pas du tout, mais Yunho s'appuya sur ses épaules pour se pencher vers Seonghwa en retour :

-Peut-être.

Yeonjun laissa échapper un sifflement, et San voulut prendre sa tête dans ses mains tandis que Seonghwa se levait et ôtait sa veste à son tour, faisant délibérément traîner le processus en longueur pour finalement la jeter sur les genoux de San.

-Alors réglons ça à la loyale, Yun, et voyons qui craque en premier.

Ils partirent tous les deux vers la piste, et San secoua la tête d'un air incrédule, leurs vestes sur les bras.

-Des gamins, soupira Yeonjun. Je ne sais pas si je t'envie ou si je te plains, Sannie.

San ne savait pas non plus.

Il déposa les vestes sur la chaise voisine avec soin tandis que Yeonjun partait vers d'autres tablées assoiffées, puis se servit un verre d'eau en dépit d'autre chose, préférant ne pas trop regarder ce qui se passait sur la piste –et de toute façon, la foule était trop compacte, il n'était pas sûr d'arriver à retrouver son âme sœur et son petit-ami là-dedans. Même si les danseurs semblaient sensiblement plus excités depuis qu'ils avaient commencé leur petit duel.

-Tout le monde t'a abandonné, le roi ?

Tsuki reprit sa place à côté de San, un léger sourire de coin sur les lèvres.

-Et toi ? répliqua San. Où est Kuroo ?

-Je crois qu'il essaie d'escroquer quelques invités. De mon côté, j'étais allé m'asseoir un peu à la table de Hybe.

San n'y était pas encore allé –il avait déjà vu tous les membres de l'équipe et avait discuté avec eux, mais ne voyait pas le besoin de passer davantage de temps avec ses anciens coéquipiers.

-Les prochains à se marier seront Yama et Yachi, cet automne, déclara Tsuki en tournant légèrement sa chaise vers San. Ensuite, ça se jouera entre toi et moi.

-C'est pas un concours.

-Oh, c'est toi qui dis ça ? Depuis quand est-ce que tu ne tournes plus tout ce que tu fais en compétition ?

Tsuki releva légèrement ses lunettes, son sourire de coin toujours aussi insupportable à San.

-Ou peut-être, poursuivit Kei en se penchant un peu, que tu n'as pas encore choisi l'heureux élu.

L'irritation grimpa en flèche chez San, et il lui retourna un regard hostile. Même s'ils étaient amis et aimaient beaucoup se taquiner mutuellement, il n'oubliait pas la petite remarque de Tsuki lors de la soirée où Seonghwa avait appelé chez lui –et même s'il savait que Kei était un des seuls à avoir une vue globale de la situation où il était, ce genre de réflexion était davantage passée pour un coup bas que comme quelque chose que lui dirait un proche.

-Va te faire foutre, rétorqua donc San en ajustant le volume de sa voix.

Tsuki resta silencieux un long moment, et San s'occupa sur son téléphone sans plus se préoccuper de lui.

-Tu sais, reprit finalement Kei, c'est normal d'hésiter.

-Je n'hésite pas.

San éteignit son portable et se cala dans le fond de sa chaise en croisant les bras. Ses yeux se portèrent sur les danseurs Wooyoung avait ajouté des musiques japonaise à sa playlist de mariage, et San se dit vaguement que Yunho devait beaucoup s'amuser. Il plaignait presque Seonghwa de s'être lancé là-dedans.

-C'est la veste de Park là, non ? relança encore Kei.

San le fixa.

-Crache ce que t'as à dire, Tsuki, soupira-t-il.

Tsukki grimaça. Etre direct n'était pas dans ses modes d'expression habituels, il préférait sous-entendre, mais San en avait assez de son petit manège.

-Park. C'est ton âme sœur et je m'en doutais bien avant les autres.

-Bravo, répondit San d'un air blasé.

-Je serais curieux de savoir pourquoi vous n'avez pas coupé le lien alors qu'il t'a abandonné ici cinq ans pour partir au Japon. Pourquoi tu le laisses revenir dans ta vie alors que tu as déjà quelqu'un. Pourquoi tu as mis un point d'honneur à faire la paix avec lui alors que tu devrais juste le renvoyer par le premier avion venu. Tu vas me dire que c'est par gratitude –moi, je vais te dire que c'est parce que tu as des sentiments pour lui et que tu en as toujours eus, âmes sœurs ou pas.

La moue de San s'accentua.

-Ecoute, le roi, je te connais. Peut-être qu'on ne s'entend pas toujours, mais je te connais, d'accord ? Et je vois bien qui gravite autour de toi. Tu veux que je crache ce que j'ai à dire ? Voilà : Park et Jeong sont tous les deux amoureux de toi. Tu le sais. Tu le sais parfaitement. Et tu les laisses tous les deux près de toi. C'est pour ça que je te dis que c'est normal d'hésiter.

San aurait voulu balayer tout ce que disait Tsuki d'une simple phrase bien sentie, mais il savait très bien qu'il ne pouvait pas. C'était la vérité. Il avait beau avoir combattu de toutes ses forces le retour de Seonghwa dans son existence, il avait beau avoir tenté de renier le lien... Il avait tout de même fini par l'accepter. Ce que lui avait dit Seonghwa des semaines avant sur le fait d'être une part de sa vie s'était réalisé –San lui avait accordé cette place.

Il ne faisait pas que l'accepter, il l'appréciait même. Dire qu'il n'avait pas aimé le temps passé avec Seonghwa depuis son overdose serait mentir. San se souvint du restaurant, de leur discussion étonnamment harmonieuse et fluide, de la manière dont ils se comprenaient sans avoir besoin de parler. Il se souvint de ses soirées en Italie, tellement intimes alors qu'ils étaient à des milliers de kilomètres l'un de l'autre, plus fusionnelles que toutes les relations qu'il pourrait jamais avoir avec Yunho.

Il sentait que c'était frustrant, que le destin pesait lourdement sur eux et les guidait inconsciemment qu'il facilitait immensément leur relation grâce au lien, les tirait l'un vers l'autre, et ce serait tellement simple de se laisser aller...

Mais d'un autre côté, il y avait Yunho. Yunho qui n'était pas son âme sœur, mais qui était tout aussi cher aux yeux de San, qui était dans sa vie depuis quatre ans –c'était lui le premier qui avait su percer la carapace qu'avait érigée San autour de lui, le premier qui pouvait comprendre son sentiment de solitude, le premier qui avait comblé ses manques affectifs, le premier à qui il se soit aussi attaché. San l'aimait, le désirait, l'admirait et lui était d'une loyauté sans failles et penser que le lien pourrait détruire une telle relation lui faisait profondément mal.

-Je n'hésite pas, répéta San, et même lui entendit la tristesse dans sa voix. C'est juste que je ne sais pas quoi faire.

Quelles voies avait-il ? Quitter Yunho ? Inconcevable, il ne pourrait jamais. Eloigner Seonghwa ? C'était trop difficile, le lien était trop tenace et il ne s'en sentait même plus l'envie. Alors quoi ? Impossible de les concilier romantiquement, mais impossible de vivre sans eux –alors San se raccrochait au fragile équilibre qu'il avait trouvé, une harmonie platonique avec Seonghwa, une relation de couple entière et assumée avec Yunho.

Mais les choses étaient en constante évolution. Chaque nouvelle rencontre avec Seonghwa, chaque nouvelle utilisation du lien faisait un peu plus pencher la balance –et il combattait ça, il ne voulait pas céder, il ne voulait pas donner raison au lien et tomber amoureux de Seonghwa, mais... mais est-ce que ce n'était pas déjà trop tard, est-ce qu'il n'avait pas toujours aimé son aîné au fond de lui, comme le soutenait Tsuki, comme le soutenait Wooyoung, comme, même, le lui avait soutenu Yunho, enfouissant ses sentiments sous les couches successives de colère et de rancœur ?

-Je n'en sais rien, répéta-t-il en rencontrant les yeux verts de Tsuki. Je ne sais pas ce que je dois faire.

Peut-être cela sonnait-il comme un appel à l'aide, car Kei sembla réfléchir un instant avant de dire, retrouvant sa subtilité :

-Pose-toi les bonnes questions. Est-ce que Yunho peut vivre sans toi ?

San abaissa son regard sur ses mains. Yunho partageait déjà son temps entre deux pays, entre Corée et Japon ; il avait une famille, il avait son fils qui l'attendait là-bas. Il avait surmonté la perte de son âme sœur avec force et courage, avait reconstruit sa vie en demeurant toujours aussi positif et solaire, n'avait rien perdu ou plutôt tout retrouvé de sa joie de vivre.

-Je pense, répondit-il avec difficulté. Je pense qu'il y arriverait, oui.

Mais moi... ?

-Et, reprit Tsuki d'une voix si possible encore plus douce, est-ce que Park peut vivre sans toi ?

San ferma les yeux. La réponse s'imposait, naturelle, indubitable.

-Plus maintenant, murmura-t-il.

Tsuki hocha calmement la tête, et le silence se rétablit autour de cette simple constatation.

-Regarde-les, reprit Kei d'un air amusé –peut-être ressentait-il le besoin de détendre à nouveau l'atmosphère.

San leva les yeux vers la piste, et aperçut finalement les deux hommes qu'il cherchait sans trop de difficulté au vu de leur prestation. Ils étaient au milieu des autres danseurs, lesquels étaient moins intéressés par la musique que par leur petite battle, et San comprenait amplement qu'ils soient hypnotisés par le show. Pour lui qui ne savait pas danser et avait l'impression d'être raide comme un piquet sur une piste, voir ces deux hommes –chacun avec autant de confiance et de charisme- déployer tous leurs talents corporels de la manière la plus sensuelle possible était... pour le moins distrayant. La couleur monta aux joues de San, mais il n'arrivait pas à détourner les yeux.

-On dirait des animaux qui font leur parade nuptiale, ricana Tsuki.

Le dessert fut sonné une bonne heure plus tard, et aucun d'entre eux n'avait encore lâché prise Yunho reprit sa place haletant, ôtant son gilet en plus de la veste et desserrant le nœud de sa cravate pour défaire les premiers boutons de sa chemise.

-Miwa te tuerait si elle voyait tes cheveux, commenta San.

Yunho repoussa les boucles brunes qui lui tombaient dans les yeux d'un geste impatient, mais elles se replacèrent à l'identique et il se contenta d'en sourire.

-Alors, qui a gagné ? interrogea Kuroo d'un air intéressé.

-Encore personne ! répondit Yunho qui semblait aux anges.

San se retourna discrètement pour apercevoir Seonghwa s'éventer avec ses mains, les joues d'un rouge vif. Les annihilateurs commençaient à perdre leur effet avec le temps, et San pouvait sentir que lui aussi était d'excellente humeur, se sentant stimulé en dépit de mourir de chaud. Wooyoung avait l'air de bien s'être dépensé aussi, tandis que Ken avait fini par se réfugier dans un coin avec Akaashi dès qu'il ne s'était plus senti obligé de danser.

Une part de gâteau et deux services de vin plus tard –Yunho, dans sa grande générosité, s'était porté volontaire pour boire les verres de San, lequel tournait toujours à l'eau-, les invités, et en particulier deux d'entre eux, étaient de nouveaux prêts à danser jusqu'au bout de la nuit. Mais quand la musique s'éleva à nouveau, elle était lente, tendre, et il devint évident que c'était l'heure des slows. Wooyoung et Ken se levèrent, logiquement les premiers sur la piste, et les autres couples suivirent, Yama et Yachi, Suga et Daichi, Hoshi et Hirugami ; même Tsuki céda quand Kuroo lui adressa un sourire complice.

Les doigts de Yunho touchèrent ceux de San, presque timidement sous la table, et San saisit sa main. Il pouvait au moins lui consentir ça, et ils se dirigèrent à leur tour vers le centre de la salle avant de s'enlacer. Ce n'était pas leur premier, mais San trouvait toujours ça un peu impressionnant et indiscret d'être si proches en public et à la vue de tous il mit ce sentiment de côté, cependant, et noua ses bras autour du cou de Yunho tandis que celui-ci posait ses mains sur sa taille.

Il aperçut les autres couples évoluer sur la piste –Wooyoung et Ken front contre front et yeux dans les yeux Akaashi et Bokuto qui se souriaient avec tendresse Suga et Daichi qui s'embrassaient, indifférents au reste. San sourit légèrement en voyant Seonghwa danser avec Natsu et lui adresser un clin d'œil taquin, même s'il sentait un peu d'envie au fond du lien. Il s'autorisa à passer le reste du slow focalisé sur son partenaire, et la lumière tamisée des projecteurs qui se reflétait dans les yeux de Yunho lui rappelait leur première étreinte.

La musique se termina, et une jeune femme que San reconnut comme l'épouse d'Heitor tapota l'épaule de Yunho avec un air d'admiration.

-Voudrais tu danser avec moi? demanda-t-elle. Si ton copain est d'accord.

-Je peux, San? demanda Yunho.

San le laissa faire –après tout, il n'avait aucune raison d'être jaloux. Comme il ne comptait pas en danser d'autre, il s'orienta vers sa table pour reprendre sa place et éventuellement se resservir du gâteau il était sur le chemin du buffet quand quelqu'un le bouscula, et le lien se manifesta.

Seonghwa apparut dans son champ de vision et lui adressa un petit sourire éméché.

-J'essaie de m'enfuir, dit-il d'un air de confidence. Song me regardait, je crois qu'il voulait mon deuxième slow...

-Vraiment ? demanda San en haussant un sourcil. Je ne savais pas que Mingi aimait danser.

-Moi non plus, pouffa Seonghwa. Wooyoung m'a montré les vidéos du Just Dance et c'était pas fameux...

Une petite lumière s'alluma dans ses yeux, et son sourire était celui d'un enfant qui cherche à amadouer, mélange d'insolence et d'angélisme :

-Oh, Sannie... Si on dansait à deux, Song ne pourrait plus rien faire !

Il posa une main sur son épaule pour renforcer sa demande, et le temps sembla se figer autour d'eux.

La musique, la foule, les projecteurs, il n'y avait plus rien. San n'avait plus conscience que de ces doigts, longs, fins et fermes, crispés sur le tissu de son costume –et même à travers les deux couches de vêtements, il avait l'impression de les sentir tièdes. Le contact avait beau être indirect, le lien s'y raccrocha immédiatement, l'amplifia, le gonfla de tout un désir qui n'était pas que de son ressort et soudain San avait envie de toucher Seonghwa en retour, d'accepter le slow comme prétexte, et alors, alors où poserait-il ses mains ? Des pensées en pagaille traversèrent la tête de San, ses doigts s'agitèrent tout seuls, avides de plus, mourant d'envie de se poser sur Seonghwa, sur son épaule, dans la courbe de sa taille, au creux de ses reins peut-être, et chaque nouvelle pensée faisait battre son cœur un peu plus vite.

Il rencontra les yeux de Seonghwa, intenses comme toujours, rendus francs et brûlants par l'alcool, leur couleur déjà chaude presque insoutenable désormais apercevant vaguement que ses cheveux étaient défaits, tombant sur son front en mèches éparses comme au temps du lycée, comme à cette époque où leur lien s'était révélé que ses joues étaient rouges, et cette couleur illuminait son visage, lui rendait les carnations fraîches et figées d'un tableau, et en même temps trahissait la vie qui coulait en lui, ce corps fait d'une chair que San voulait tellement saisir...

-San, murmura Seonghwa.

San eut l'impression que sa voix l'enveloppait, résonnait dans ses oreilles et dans tout son corps.

-San, répéta Seonghwa, et il était tellement, tellement près. S'il te plaît, danse avec moi.

Lui aussi ressentait ça, San le savait, il le sentait comme dans un miroir et comme dans un miroir, comme en réflexion, il tendit la main pour rendre le geste réciproque.

Ses phalanges effleurèrent la chemise de Seonghwa, le tissu d'un blanc presque transparent à force d'avoir dansé, chaude et humide comme devait l'être sa peau dessous, et fine, si fine, presque négligeable tandis que ses doigts s'en imprégnaient, tremblant presque à force de résister au lien et en même temps complètement maîtrisé par lui, le souffle court, les pupilles dilatées, l'esprit perdu dans leur connexion fusionnelle, dans l'impression d'être entier, d'être lui et d'être plus que lui, d'être une moitié et à cet instant un tout.

-Oui, dit-il comme en transe. Oui.

Ses doigts resserrèrent doucement leur prise, s'enfonçant légèrement dans la chair ferme du bras de Seonghwa ; San sentit le dessin de ses muscles dessous, et un frisson courut le long de son dos. Il n'arrivait pas à rompre le charme, à détourner son regard des yeux de Seonghwa, plongé si loin dans leurs orbes qu'il était prêt à s'y noyer, et pourtant sentant avec une acuité électrisante les doigts de Seonghwa parcourir son corps, longer son bras et son flanc avant de se poser sur sa taille, confiants comme s'ils étaient faits pour s'ancrer là, comme si son corps portait des empreintes que seul son âme sœur pouvait suivre et combler.

San leva son autre main, toujours incertain d'où la poser –la nuque de Seonghwa lui paraissait une bonne option, là où il aurait pu sentir sous ses doigts le rythme de son pouls mais celle de Seonghwa intercepta le mouvement et la saisit au vol, pourtant sans jamais le quitter du regard, comme s'il avait anticipé son geste.

Quand il serra légèrement ses doigts entre les siens, San eut l'impression que Seonghwa avait son cœur entre ses mains.

Prends-le, songea-t-il inconsciemment, ses pensées guidées par le lien –Tooru les entendait peut-être.

Prends tout, songea-t-il quand ses propres doigts serrèrent ceux de Seonghwa en retour, tendrement.

Parce que c'est ainsi que ça doit être.

Ils commencèrent à danser.