Toujours pas de TW...
Drago était parvenu à éviter Potter jusqu'à son départ. Consciencieusement, il s'était préparé une excuse pour quitter chaque pièce en urgence si jamais le Survivant venait à y pénétrer. Ici une pile de linge à ranger, là, un seau d'eau sale à vider…
Quand la porte des appartements claqua, il tendit l'oreille pour vérifier qu'il était bien seul. Il se déplaça sur la pointe des pieds jusqu'à un angle de mur au-delà duquel il jeta un coup d'œil circulaire. La pièce à vivre était vide.
Ses poumons se vidèrent de soulagement. Était-ce une impression, où l'air était-il soudain plus frais, plus léger, plus respirable ?
Il déambula jusqu'au milieu du salon, mais se sentait encore épié, jaugé… Il aurait voulu s'asseoir à nouveau dans le fauteuil, tendre ses mains vers le feu… Il aurait voulu farfouiller dans les tiroirs et les placards, dans le tas de papiers qui surplombait la table basse, afin de trouver une information utile à ramener à son père… Mais tout ça était trop dangereux. Pas aujourd'hui, pas alors qu'on guettait ses moindres erreurs.
Il se dirigea vers la table à manger afin de ranger la vaisselle sale sur son chariot et de faire disparaitre les miettes de pain.
Son estomac gronda à la vue du bol de porridge auquel on avait à peine touché. Il n'avait rien mangé depuis 24 heures… Hors de question de se laisser piéger. Son tour viendrait. Il fit disparaître l'appétissante tentation sous la cloche d'argent et nettoya la table.
Il en était à ramasser à la main les miettes tombées entre les poils du tapis – un balai aurait été inutile sur cette surface, et Malfoy ignorait s'il exista un outil davantage adapté – quand un bruit et un mouvement le firent se redresser en panique. Le chariot magique avait repris vie et se dirigeait vers les portes. Il était donc 10h. Drago se hâta de se relever, de récupérer son propre matériel, et de suivre les trois chariots de l'étage vers le monte-charge. A l'intérieur, il se souvint, paniqué, qu'il lui fallait compléter les documents de Mullan. Il s'en chargea en vitesse, poursuivit difficilement en trébuchant dans son couloir, et acheva juste avant de pénétrer les cuisines. Il rangea son matériel à la hâte, et ressortit avant qu'aucun prisonnier des cuisines n'ait eu le temps de l'interpeler.
Il posa sa main sur la barre de fer rougeoyante qui lui envoya une nouvelle décharge d'électricité statique, l'autorisant ainsi à passer, et rejoignit sa cellule. Il ferma la porte derrière lui et attendit, dans l'expectative. Enfin, la lumière blanche apparut au-dessus du linteau et s'effaça progressivement, et le bruit d'une serrure s'enclenchant se fit entendre
Il était de retour chez lui.
Il rit. Pas un franc éclat de rire, comme la veille, mais plutôt le rire de soulagement que l'on émet alors qu'il n'y a rien de drôle.
Il était chez lui. Il ôta ses bottines, et se permit enfin un plaisir qu'il avait beaucoup trop repoussé. Il se rendit à son petit lavabo qu'il remplit d'eau glaciale, puis il se déshabilla et se lava entièrement. L'écume grise du savon glissait sur sa peau comme une délicieuse caresse parfumée. Il se frotta entre les orteils, derrière les genoux, des endroits de son anatomie qu'il avait oubliés. Il sortit de l'opération frigorifié, et, tout en claquant des dents, se sécha avec la chaussette qu'il avait conservé. Ça avait été une bonne idée de la garder, une excellente idée. Sans elle, il aurait attrapé la mort.
Il en profita pour nettoyer également son caleçon, qu'il suspendit à sécher au-dessus du robinet. Il n'aimait pas comment cet endroit commençait à devenir encombré, entre le savon, le papier toilette, la chaussette, et le linge suspendu, mais il n'avait pas mieux.
Enfin, il se glissa avec délectation dans son lit, complètement nu, et savoura de nouveau la douceur du tissus, le moelleux de l'oreiller. Il fut heureux de ne s'être pas encore lassé de ce plaisir simple, et se félicita pour cette première matinée de travail. Il s'endormit aussitôt.
Drago se réveilla plusieurs heures plus tard, enfin reposé, mais l'estomac hurlant famine. Il enfila sa robe et se leva.
Pour la première fois, il s'interrogea sur ce manque de nourriture. Avait-on tout simplement oublié qu'il avait besoin de manger ? Ce traitement était-il voulu ? Potter avait-il donné des instructions afin que le prisonnier se voit obligé de supplier pour ne pas mourir de faim ? Si c'était le cas, le Directeur en serait pour ses frais ! Drago préférait la mort aux suppliques ! Combien de temps pouvait-il tenir ? Il se souvenait vaguement qu'il y avait un moyen mnémotechnique avec des « 3 »… Trois jours sans manger, trois minutes sans boire, et trois secondes sans respirer ? Ça ne semblait pas correspondre… Alors trois minutes sans respirer, trois heures sans boire… Non, trois jours sans boire… Et trois semaines sans manger ? Une vague d'horreur le fit hésiter…
Il se rendit à son lavabo et se remplit le ventre d'eau glacée. Ce poids lui donna une fausse impression de satiété.
Il s'installa derrière sa table basse – sa souche – et commença à réfléchir. Il lui fallait trouver un moyen de correspondre avec son père. La solution la plus évidente consistait à transmettre des messages via les cuisines. Mais il y aurait un prix à payer.
Pouvait-il convaincre un prisonnier que Lucius Malfoy le récompenserait a posteriori ? Difficile. Devrait-il se résoudre à se vendre à l'un d'eux ? Possible. Mais d'autres solutions existaient. Il avait maintenant accès aux appartements du Directeur. Aux informations. Il pouvait attendre d'obtenir une exclusivité, comme la date des prochaines fouilles ou du prochain confinement exceptionnel, et échanger l'avertissement contre un service. Envisageable, mais il lui fallait une solution plus sure et rapide. Son chariot comportait des produits recherchés parmi les détenus. Lessive, savon noir, cire… S'il en prélevait chaque jour une infime portion, il aurait de quoi négocier à la fin de la semaine. Encore il faudrait-il subtiliser un contenant à remplir. Aux cuisines ? Chez Potter ?
Drago posa les coudes sur sa table, rassembla ses doigts en clocher, et poursuivit sa réflexion.
Et puis il y avait l'alcool. Un bocal sellé d'alcool à brûler, dont le niveau était soigneusement indiqué de traits gravés dans le verre, et qui ne devait servir que pour les cas d'exception, comme un four particulièrement encrassé ou l'entretien du lustre en cristal… L'alcool était ce qui avait le plus de valeur. Il fallait profiter de l'occasion pour en voler. Il était facile d'en prendre une petite quantité et de compléter le niveau avec de l'eau. Avec l'équivalent d'une fiole d'alcool à brûler, Drago pourrait demander aux détenus des cuisines de jouer les pigeons voyageurs pendant plusieurs mois… Peu probable, en revanche, que son père approuve le troc d'une ressource si précieuse contre une simple promesse de transmettre des messages… Peu probable, également, qu'aucune des détenues femmes l'ayant précédé n'ait pas déjà tenté ce vol alléchant… Là encore, ça sentait le piège. Le bocal contenait probablement un sortilège de cafardage pour prévenir Mullan qu'il avait été ouvert.
Un bruit étouffé commença à se faire entendre. Drago, qui connaissait maintenant les lieux, devina qu'on préparait le repas du soir dans les cuisines. Il compta soigneusement les secondes et les minutes avant l'apparition de la file de chariots enchantés (56 minutes), puis le nombre de chariots à passer devant sa cellule (33 chariots parfaitement identiques), combien de temps ils mettaient avant de repartir dans l'autre sens (2 heures et 8 minutes – Drago crut mourir d'ennui), et enfin, combien de temps avant l'extinction des feux (33 minutes).
Les informations manquaient cruellement d'intérêt. Seul le nombre de chariots offrait une vague confirmation du nombre de gardiens. Mais Drago fut satisfait de la façon dont il avait passé son après-midi. Il se leva, se lava les dents avec le doigt, puis se déshabilla et se coucha.
Harry Potter se tournait et se retournait dans son lit, ne trouvait pas de position confortable pour s'endormir. Il était en outre incommodé par une érection embarrassante qu'il avait bien du mal à soulager.
Il pensait sans arrêt à Malfoy.
Ou plutôt, il ne cessait de penser au travail, aux comptes-rendus, aux rapports, aux études, aux réunions, que pour penser à Malfoy. Et aucune de ces cogitations n'était agréable.
Il s'en voulait d'avoir accepté, sur un coup de tête, de prendre la responsabilité de la gestion de la prison. Cela faisait des semaines qu'il se chamaillait avec Shacklebolt concernant les Détraqueurs. Harry voulait les voir disparaître. Le ministre soutenait qu'on ne pouvait que les chasser et les éloigner, mais que les Relations Internationales Sorcières s'en trouveraient détériorées. Toute une commission d'experts tenait à les voir reprendre leur place à Azkaban. Shacklebolt faisait confiance aux experts…
Harry grimaça et se leva, dans l'optique d'aller prendre un verre d'eau au salon.
Harry Potter avait été tenu, en tant qu'Auror à visiter le pénitencier pour s'assurer que les Détraqueurs n'étaient pas déjà revenus. Cette suggestion – qu'on avait décidément si peu d'emprise sur leurs allées et venues – l'avait révolté, et une dispute épouvantable avait secoué le ministère. Excédé, Shacklebolt avait fini par lui lancer « Et bien tu n'as qu'à t'en occuper, de cette foutue prison ! » Et on en serait venus aux baguettes si Neville et Savage n'étaient pas intervenus.
Quand Harry avait entendu Lucius Malfoy parler avec toute sa morgue et son arrogance, comme s'il était chez lui et recevait une visite désagréable mais intéressante, il avait pété les plombs, et s'était proclamé Directeur. « Je vais m'en occuper, moi, de cette foutue prison ! » s'était-il dit, en comptant passer ses frustrations sur les Mangemorts…
Et puis il y avait eu Malfoy.
Harry remplit un verre d'eau au robinet de la kitchenette.
Harry s'en voulait et se dégoutait de bander à ce souvenir, mais il avait vu Malfoy se faire malmener par ce gardien, ce Waren, et sa première réaction avait était une joie sauvage et malsaine à voir son ancien rival ainsi asservi. A présent, les réactions de son esprit et de son corps l'écœurait tellement…
« Putain… » Il posa ses coudes sur le plan de travail et se prit la tête entre les mains. Il détestait cette personnalité violente, avide de vengeance et de sang, à l'intérieur de lui. Il ne pouvait s'empêcher, parfois, de se demander si une part de Voldemort l'habitait encore, et il en faisait des cauchemars.
Il n'avait pas vraiment prévu de violenter à son tour Drago. Il avait vraiment voulu lui proposer un marché équitable. Un peu de chaleur humaine contre… Ce qu'il voulait.
Mais l'attitude de l'ancien Serpentard, sa manière de le regarder à travers ses paupières à demi closes, sa voix traînante, sa façon de considérer le viol auquel Harry avait assisté comme une banalité indigne d'être mentionnée, tout ça avait de nouveau irrité Harry, qui n'avait pu s'empêcher d'être insultant et violent. Peut-être une part de lui aurait aimé que Malfoy se révolte, refuse. Harry trembla à l'idée de ce qui aurait pu se passer alors. Aurait-il été jusqu'à forcer le détenu ? Il refusait d'y croire, mais…
Il avisa deux tasses posées près de l'évier de granit. Celles dans lesquelles ils avaient bu le thé.
Sa façon de grimacer en goutant le thé, après avoir pourtant avalé sans même un froncement de sourcils toute la semence que Harry lui avait déversé dans la gorge ! Comme si sa tolérance pour les mauvais traitements et l'avilissement était largement supérieure à celle qu'il était capable d'accorder à une foutue infusion ratée !
Harry saisit la tasse qu'avait utilisé Malfoy. Elle était reconnaissable à la petite traînée de sang qui la salissait. Le détenu n'avait pas eu le temps de les laver, et Harry en remercia mentalement Merlin. Il porta la tasse à son nez et se sentit ridicule. Espérait-il encore y déceler une trace de l'haleine du prisonnier ? Il y posa les lèvres, tâchant de recouvrir la trace de sang… C'était le baiser indirect le plus pitoyable qui n'ait jamais existé.
Il resta longtemps ainsi, dans la cuisine, la bouche effleurant la porcelaine…
Savourez bien ce passage dans la tête de Harry, parce qu'on ne va pas y revenir souvent ^^'
Au moins, vous savez maintenant qu'il n'est pas uniquement un salaud… Ce qui n'excuse pas vraiment son comportement…
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