Chapitre 1

« Gén' ! Gén' ! Génésis ! »

Une voix qu'il distinguait vaguement, comme dans un songe, ne cessait de l'appeler.

« SOLDAT 1ère classe Génésis Rhapsodos ! Ouvre les yeux ! »

L'injonction le sortit péniblement de sa torpeur. Un gémissement de douleur s'échappa de ses lèvres tandis qu'avec beaucoup de difficultés, il écarquilla les paupières. Malheureusement, ses yeux frappés par un sort de Cécité quelques heures plus tôt ne purent distinguer quoi que ce soit. Ou peut-être était-ce quelques jours ? Il n'en savait rien…

Retenu prisonnier dans sa minuscule geôle, il avait perdu la notion du temps. Transi de froid, assoiffé, son corps était couvert de contusions et de plaies suintantes, dues aux nombreux coups de fouet qu'il avait reçus durant son agréable séjour au sein de ce paradis touristique qu'était le fort Seiryu, à l'Est de la région du Wutaï. Dire qu'il était au fond du gouffre et à deux doigts de rendre l'âme n'était sans doute pas si exagéré !

La chaîne qui maintenait fermement ses poignets au-dessus de sa tête fut brisée et il sentit tout son poids basculer brutalement vers l'avant. Néanmoins, ce ne fut pas l'inconfort des pavés saillants qui le cueillit mais l'étreinte d'un autre corps dont la chaleur lui apporta un soulagement quasi instantané.

« Tiens bon Gén' ! Je te sors de là ! », tenta de le rassurer celui qui était vraisemblablement venu lui porter secours. Cette voix…ce timbre à la fois profond et mélancolique, il le connaissait. Et cette odeur…Dans un recoin de son esprit, il s'étonna du fait que son odorat, contrairement à sa vue ou à son ouïe, fonctionnait encore à la perfection, et il identifia cette fragrance si particulière, savant mélange de cuir et...de feu. S'obstiner dans l'usage de magie incandescente avait fini par imprégner le trench de cette odeur particulière. Loin de sentir le "cramé" ou le "roussi", il s'agissait plutôt de quelque chose de léger, un peu comme l'odeur qui émanait de l'âtre d'une cheminée. Une senteur agréable, presque rassurante...

« Se…Sephiroth ? C'est toi ? » articula péniblement le SOLDAT.

Sa bouche pâteuse, ses lèvres gercées et sa gorge en feu rendaient l'élocution difficile.

« Oui…»

Dans le mille !

Bon, alors là oui, mais…non ! Bien loin de se sentir apaisé ou soulagé par le fait que son comparse soit venu le tirer d'affaire, se faire secourir telle une damoiselle en détresse par ce dernier ne l'enchantait guère ! Et c'est en grimaçant, non pas de douleur mais de honte, qu'il rétorqua en bredouillant piteusement :

« Tu..n'aurais...pas…pas dû venir…

- Oui, moi aussi ça me fait plaisir de te voir Gén'... » entendit-il son sauveur répliquer tandis qu'il le sentait s'affairer sur les lourdes chaînes de métal qui retenaient ses chevilles prisonnières.

Les guerriers de Wutaï, loin d'être stupides, se doutaient bien qu'on ne retenait pas un SOLDAT captif sans le droguer, le torturer et l'entraver suffisamment. Le tout dans le but de soutirer des renseignements sur l'ennemi. Pas de chance, pour lui ou pour eux, il n'aurait su le dire, mais ils étaient tombés sur la pire tête de pioche de toute la garnison Shinra ! Voilà pourquoi il se retrouvait désormais dans cet état absolument désastreux. D'ailleurs, ses geôliers avaient certainement dû se résigner à ne pas obtenir la moindre bribe d'informations car il ne lui avait plus apporté la moindre goutte d'eau depuis deux jours…

CLAC !

La chaîne venait d'être brisée d'un geste sec.

« Nous ne devons pas traîner, reprit le guerrier. Tu penses que tu peux marcher ?

- Je vais essayer. »

Soutenant le corps du rouquin, Sephiroth l'aida à se relever. Il tenta de passer le bras de son camarade par-dessus son épaule, mais ses larges pièces d'armures rendaient la position compliquée.

Les membres tremblants, Génésis fit quelques pas laborieux tout en s'appuyant sur son ami.

« Nous ne serons jamais assez rapides de cette façon, protesta Sephiroth. Je vais te porter sur mon dos. Tu peux t'accrocher à mes épaules ? »

L'égo de Génésis en prit un sacré coup. Et dire qu'il avait suivi cet éclaireur pour prouver qu'il pouvait, lui aussi, être un héros ! A présent, voilà que sa survie dépendait de son rival ! Il y avait de quoi être en rage !

« Les autres…les autres SOLDATs ? Le reste…de l'armée, où sont-ils ? » chercha à savoir le pauvre captif.

Pas de réponse.

« Tu...ne me dis pas…que…tu es venu…seul ?

- C'était ça ou je te laissais mourir ici ! La Shinra n'a pas voulu me confier d'hommes pour attaquer le fort ! Pas pour secourir un seul et unique SOLDAT !

- Par…par Gaïa…tu es fou ! »

Allons bon ! Môsieur s'était encore pris d'une crise d'héroïsme aiguë ! Déjà que le nombre de batailles remportées, plus ou moins grâce à lui, et qui avait forgé sa réputation, était colossal, mais voilà que maintenant il se la jouait à attaquer des forts remplis de militaires seul dans l'unique but de secourir un confrère ! La jalousie et la colère qu'il ressentit montèrent encore d'un cran.

« Je me suis déjà débarrassé d'une bonne moitié des soldats du fort ! Si on se dépêche, il ne devrait pas y avoir de souci !

- Ça veut dire…qu'il en reste encore…la moitié ! »

Privé de sa vue et de bon nombre de ses autres facultés, le pauvre Génésis n'eut d'autre choix que de se laisser porter sur le dos de son comparse. À peine se fut-il agrippé qu'il pesta :

« Tes cheveux me chatouillent ! »

Quelle idée aussi de les laisser pousser de la sorte !

« Tu vas pourtant devoir les supporter ! » s'exclama son sauveur qui commençait doucement mais sûrement à regretter d'être venu récupérer le rouquin.

Dans la tête de Génésis, deux avenirs bien distincts apparurent subitement : d'un côté, celui où ils parvenaient à survivre et à quitter le fort, de l'autre celui où il périssaient tous les deux sous les armes de leurs ennemis. Dans le premier cas, il devrait une reconnaissance quasi-éternelle à Sephiroth, ce qui lui donnait tout bonnement la nausée !

Par conséquent, il préférait presque la seconde option ! Celle-ci lui éviterait au moins l'humiliation de devoir reconnaître l'héroïsme de son collègue !

Après quelques dizaines de mètres où il s'était senti ballotté sur le dos du SOLDAT tel un gros sac de sable, les beuglements des gardes les appréhendèrent brusquement :

« Là ! Ils essaient de s'échapper ! Arrêtez-l…AaaRRrggHhh ! »

L'usage du katana rendu impossible en raison de l'encombrant fardeau sur ses épaules, Sephiroth avait choisi d'utiliser la Magie. Génésis avait perçu la chaleur du sort qui avait précédé le cri d'agonie des gardes. Un jour, il faudrait vraiment qu'il se penche sur l'analyse psychologique de son rival pour comprendre ce qui le poussait à systématiquement utiliser Brasier. Pourquoi pas Foudre ou Glacier ? Non ! Toujours Brasier ! Ça en devenait pathologique à ce niveau ! Était-ce de la cruauté refoulée ? Après tout, une bonne électrocution ou un refroidissement instantané était quand même préférable à l'immolation, non ?

Tout à ses réflexions ( après tout que pouvait-il faire d'autre ? ), il entendit les cris des gardes se succéder à mesure que la distance qui les séparait de la sortie du fort diminuait.

Par ailleurs, sa cécité le faisait se concentrer sur des choses particulièrement étranges :

Sous ses paumes nouées autour de la clavicule irrémédiablement dénudée, il sentit les battements de cœur de plus en plus erratiques du jeune homme. C'était quoi, cette manie de ne jamais porter le pull de leur uniforme ? Était-ce dû à un petit côté provocateur du genre : " Vous avez vu ?! Mon cœur est à portée de vos balles ! Allez-y ! Essayez de l'atteindre pour voir ! "

Pffff ! Quel frimeur !

Et ces cheveux qui le chatouillaient de partout l'agaçaient ! N'ayant pas eu la chance de garder sa veste durant les petites séances de coups de fouet de son séjour, il était par conséquent à demi-nu et pouvait sentir la capillarité surabondante de son ami. Dans des circonstances moins dramatiques, il aurait sans aucun doute adoré y plonger les doigts.

Ah tient, ses cheveux aussi avaient fini par s'imprégner de l'odeur de feu de cheminée !

Mettant ses drôles d'élucubrations sur le fait qu'il allait peut-être, en fin de compte, rendre l'âme, Génésis se dit qu'après tout, ça ne serait pas une mort si désagréable ! S'imaginer rendre son dernier soupir dans les bras du jeune héros, comme dans sa pièce de théâtre préférée, avait un petit quelque chose de terriblement poétique…

Contempler une dernière fois ce magnifique visage, ce regard si particulier…ah non, zut ! C'est vrai, il était aveugle ! Et pas de collyre à l'horizon ! Pfff ! La vie n'était décidément pas marrante !

Soudain, le brusque à-coup de sa drôle de monture improvisée le surprit :

« Seph' ? Qu'est-ce…qu'il y a ?

- J'ai une idée. »

Ah. Était-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Il devina le jeune homme faire volte-face, puis, après une poignée de secondes seulement, il se sentit glisser au sol pour être adossé à un mur aux aspérités fort désagréable pour son pauvre dos mutilé.

« Je vais revenir te chercher. Attends-moi !

- Comme si j'avais l'choix ! », lança-t-il, bougon, avant d'entendre les pas du SOLDAT disparaître.

" Pourvu qu'il ne m'oublie pas. ", songea-t-il, tout en priant pour qu'il ne l'ait pas abandonné dans un recoin trop à découvert.

Une demie-minute plus tard, des tirs de mitraillettes résonnèrent à une centaine de mètres, accompagné des cris des fantassins, affolés :

« Là-bas ! Il se dirige vers le hangar ! Dépêchez-vous ! »

D'autres rafales de tirs. Une pause. Encore des tirs et des cris :

« Plus vite ! Plus vite ! »

Quelques secondes encore, puis…

BOUM !

Une première puissante détonation résonna.

BOUM ! BOUM !

Deux autres explosions qui précédèrent un :

« C'est trop tard ! Abandonnez le fort ! Grouillez-vous ! »

Écarquillant les yeux, Génésis comprit. Le stock de poudre. Ce…ce fou avait mis le feu au stock de poudre !

Des pas précipités s'approchèrent et la voix de Sephiroth s'écria :

« Il faut déguerpir tout de suite ! Accroche-toi, je vais sauter ! »

Le héros récupéra son précieux fardeau sur le dos et, d'un puissant bond, il franchit la grande muraille du fort.

À peine eurent-ils atterris de l'autre côté qu'une gigantesque explosion retentit dans un vacarme assourdissant, suivie d'une onde de choc qui les projeta violemment à plus d'une centaine de mètres. Génésis s'étala dans la boue et roula douloureusement. Ses oreilles bourdonnaient mais, bien que sonné, il ne perdit pas connaissance. Aussi appela-t-il son ami en se redressant immédiatement sur ses avant-bras :

« Seph' ? »

Un bref silence.

« Sephiroth ?

- Je suis là… »

Bizarre, il n'accourait pas pour le ramasser le reprendre sur son dos.

Pris d'un doute, le rouquin se traîna piteusement jusqu'à la voix de son comparse. Hésitant, il tâtonna à la recherche de son corps, qu'il trouva…avec un petit quelque chose en plus :

« Seph'…tu…es blessé…

- Un morceau de métal…ça n'est pas grave…

- Pas grave ? »

Le morceau en question, d'après ce qu'il pouvait se figurer en s'aidant de son sens du toucher, faisait une dizaine de centimètres de long, sur plusieurs centimètres de large, et perforait de part en part le flanc droit, soit le foie et le rein, du SOLDAT.

« Tu as Soin ?

- Non. Et ni toi ni moi…n'aurions eu assez de force pour faire…encore appel à la magie…

- Tu veux dire que…

- J'ai utilisé…toute l'énergie qu'il me restait…pour faire brûler le hangar…

- Pourquoi as-tu fait ça ? C'était stupide !

- Avec une explosion pareille…j'ai dû finir de détruire le fort…la Shinra va certainement…envoyer des hélicoptères…d'ici quelques heures…

- Et qui te dit qu'on tiendra jusque là ?

- On tiendra… », assura-t-il.

Était-il réellement confiant, ou était-ce de l'auto-persuasion ?

« Moui…si on ne se refait pas chopper d'ici là !

- Les rares…soldats qui restent…vont probablement...s'enfuir… »

Sephiroth hachait ses mots. Haletait. Ça n'était pas normal. Un mauvais pressentiment saisit le roux et il parcourut le reste du corps à la recherche d'autres blessures. Une substance poisseuse et le trench perforé de plusieurs trous au niveau du thorax lui permirent de mieux comprendre :

« Tu t'es pris aussi des balles ?!

- Oui…un fort entier à moi tout seul…j'avais vu un peu large…je n'ai pas été assez rapide...pour éviter les dernières balles… »

Sans vraiment s'en rendre compte, sa paume ensanglantée glissa de la plaie jusqu'au visage.

« Qu'est-ce que…tu fais ? interrogea Sephiroth.

- Je m'assure que tu continues de respirer ! »

Un fugace sourire étira les lèvres sous ses doigts.

Depuis qu'ils s'étaient retrouvés à l'extérieur, la pluie de cette fin de saison n'avait cessé de ruisseler un seul instant. Foutue mousson ! Trempés jusqu'aux os, couverts de boue et de sang, le tableau du jeune Héros et de son acolyte n'était pas beau à voir. Une chance que les journalistes de Midgard ne se trimballent jamais sur le terrain !

Le dit-héros, sentant sa température corporelle chuter de manière inquiétante et comprenant qu'il valait mieux qu'il ne s'endorme pas, adressa dans un souffle :

« Parle-moi…

- Tu veux que j'te parle ? reprit Génésis.

- Oui…

- Et de quoi veux-tu que je te parle ?

- Récite…Loveless…»

Ah oui ! Ça, il devrait pouvoir le faire ! Sans réfléchir, il récita machinalement le second acte de la pièce :

« Il n'y a pas de haine, seulement de la joie, car la déesse te protège, héros de l'aurore…guérisseur des mondes. Des rêves de lendemain hantent l'âme blessée. Tout honneur est perdu, Les ailes sont arrachées, la fin est proche… »

Progressivement, le souffle sur son pouce, qu'il tenait toujours près des lèvres de son ami, se raréfiait :

« Seph' ? Sephiroth ! »

Inquiet, il laissa de côté tout élan lyrique et réitéra :

« Sephiroth ! Si c'est une blague que tu me fais, elle n'est pas drôle du tout ! »

Toujours aucune réponse.

« Sephiroth ! Je t'interdis de mourir ! Tu m'entends ! Tu es le SOLDAT de 1ère classe Sephiroth ! Le Grand Héros ! L'idole de tout le monde ! Tu ne peux pas mourir ! Si tu meurs, le Président, Heidegger, Lazard…même Angeal ! Ils vont tous me passer un savon ! Tu entends ! SEPHIROTH ! »

Non, il n'entendait plus, et pour la première fois de sa vie, Génésis était terrifié. La gorge nouée, se forçant à ravaler ses larmes, il posa sa tête sur le torse de son compagnon d'arme. Là, il se concentra sur les battements de cœur. Faibles, mais bien présents. Se tenant immobile, l'oreille attentive, il ferma les yeux. Petit à petit, la petite mélodie du rythme cardiaque le plongea dans un état semi-léthargique. La dernière chose qu'il entendit avant de sombrer à son tour fut le vrombissement des pals de l'hélicoptère qui se rapprochait…

Treize jours plus tôt :

« S'il te plaît, décroche… », implora le jeune SOLDAT, PHS dans une main, sabre dans l'autre. Seul, debout au beau milieu du vaste champ de bataille où quelques flamboyants restes de magie de feu crépitaient encore ici et là, les cadavres des monstres dont il s'était débarrassé gisaient tout autour de lui.

Agacé par l'absence de réponse de son ami, il raccrocha et rangea l'appareil dans sa poche intérieure. Dire que c'était mauvais signe était un euphémisme.

Un guet-apens. Un stupide guet-apens ! Bon sang ! Pourquoi le rouquin ne l'avait-il pas écouté et avait voulu qu'ils se séparent ? Son instinct lui avait pourtant dit qu'il s'agissait d'un piège ! Pourquoi Génésis n'en faisait-il toujours qu'à sa tête ? Parce que c'était une tête de mule doublée d'un triple imbécile qui nourrissait à son égard une sorte de complexe d'infériorité qui le poussait toujours à vouloir prouver qu'il était son égal sur le terrain ! Tsss !

Et maintenant ? S'il en jugeait correctement, l'éclaireur à la poursuite duquel ce dernier s'était lancé, s'était éclipsé vers l'Est. Donc vers la forteresse Wutaïenne. Cet idiot s'était aventuré seul vers une forteresse bourrée de soldats de Wutaï. Est-ce qu'il lui arrivait parfois de réfléchir aux conséquences de ses actes ?! Et le fait qu'il n'ai pas répondu à son téléphone prouvait que, soit ce crétin l'avait égaré dans sa course, ce qui était malheureusement fort peu probable…soit….

Sephiroth étouffa un juron. Que faire ? Rejoindre leur camp de base. Prévenir le quartier général, et attendre que celui-ci daigne lui envoyer des renforts. Angeal avait été blessé lors d'une précédente mission et rapatrié sur Junon quelques jours auparavant, par conséquent, impossible de demander au meilleur ami de l'autre tête brûlée de venir lui prêter main forte. Il n'y avait plus qu'à espérer que la Shinra accepte de lui confier des troupes pour prendre d'assaut le fort ennemi.

Résigné, poussant un soupir à fendre l'âme, le jeune homme fit volte-face en direction du camp.

Trois amis partent en bataille

Le premier est fait prisonnier

Le second part voyager

Celui qui reste devient un héros

Après avoir parcouru près d'une vingtaine de kilomètres, le ciel, qui s'était fait menaçant jusqu'alors, finit par laisser éclater l'orage. C'est sous cette pluie battante qu'il aperçut tout à coup une silhouette, au loin. Vu l'endroit, il y avait peu de chance pour qu'il s'agisse d'un simple voyageur. Depuis quelques années, le continent, ravagé par la guerre, n'était plus franchement propice au tourisme.

À mesure qu'il s'approchait, il distingua l'arme démesurée que l'individu portait dans son dos, cela le conforta dans l'idée qu'il devait s'agir d'un soldat ou d'un mercenaire. Doté d'une stature et d'une corpulence supérieure à la sienne, l'énergumène portait un long trench sombre et une capuche dissimulait la moitié de son visage. Lorsqu'une poignée de mètres seulement finirent par les séparer, l'homme encapuchonné l'interpella d'une puissante voix rauque :

« Eh ! T'es du SOLDAT toi, pas vrai ?

- Possible. Et toi, qui es-tu ?

- Glen. Glen Reiner. J'étais dans " l'Équipe spéciale de recherche au sol ". J'étais, comme qui dirait, un collègue !

- Tu étais ?

- Ouais. J'ai, comme qui dirait, eu des p'tits différents avec la Shinra. Maintenant j'bosse pour Wutaï. J'suis un héros !

- Dans ce cas...ça fait de toi un ennemi. »

Dans sa main droite, il généra une boule de feu qui grossit à vue d'œil. Son opposant avait déjà empoigné sa hache, équipée de Matérias.

Le sort de Brasier parvenu à son paroxysme fit office d'ouverture pour les hostilités.

L'ennemi ne se laissa pas décontenancé et évita le tir d'un bond rapide sur le côté. La sphère flamboyante percuta une volée d'arbres qui, malgré la pluie, s'embrasèrent instantanément. Ce Glen ne perdit pas une seconde et contre-attaqua en plaçant une série fulgurante de coups de hache exécutés avec une précision mortelle. Coups que Sephiroth évita sans mal, ce qui ne manqua pas d'étonner son adversaire :

« Wow ! Eh ! Mais ça n'serait pas toi celui dont tout l'monde parle ? Le jeune Héros ? »

L'acier de Masamune et le métal du tranchant de la hache s'entrechoquèrent en crissant bruyamment.

« Le SOLDAT Sephiroth c'est ça ?

- Et si c'est le cas ? »

Le visage se tordit d'un large rictus.

« Eh ! Eh ! Eh ! Ça veut dire que j'vais enfin pouvoir me donner à fond ! »

Un autre crissement de lames. Sephiroth venait de parer un autre coup en bloquant la hache de son sabre et en amortissant le choc à l'aide de son bracelet métallique. Cet ancien militaire de la Shinra n'était visiblement pas mauvais.

« Et j'suis certain que les gars de Wutaï vont m'acclamer comme des bêtes quand j'vais leur ramener ta jolie p'tite gueule que j'aurais décapitée ! »

Un pic de glace acéré failli percuter le SOLDAT mais il activa un Bouclier juste à temps. Suivi par une nouvelle attaque frontale qui manqua de lui faire perdre l'équilibre. L'adversaire avait l'avantage sur sa taille et son poids…

« Deux SOLDATs dans la même journée ! Ça va être la fête au camp ce soir !

- Deux ?

- Ouais ! Z'ont choppé un de tes p'tits copain c'matin ! T'attend pas à l'revoir en bon état ! Si tu l'revois un jour Ah ! Ah ! Ah ! »

L'éclat de rire sinistre ainsi que le coup qu'il n'avait pas réussi à esquiver sans sacrifier une minuscule mèche de cheveux argentés furent les petites gouttes d'eau qui firent déborder le vase. D'un self-contrôle exemplaire, il s'énervait rarement. Mais cet individu avait su taper là où il ne fallait pas. Il voulait se "donner à fond", avait-il dit. Oui, excellente idée, il n'allait pas être déçu…

Jusqu'ici, Sephiroth s'était contenté d'être sur une position défensive. Changement de tactique :

Un gigantesque coup de katana, que l'ennemi para in extrémis et qui le fit reculer sur plusieurs mètres, trancha sans vergogne tous les pauvres troncs déjà calcinés aux alentours. Suivi d'un autre coup. Puis encore un autre. Et un autre…Le sol se zébra progressivement de profondes crevasses qu'il devenait périlleux d'éviter.

Son adversaire, qui s'était pourtant targué de pouvoir le vaincre, devint blême et comprit la fatale erreur de jugement qu'il avait faite.

Après quelques minutes où il fit bravement face à ce démon déchaîné, Glen ne parvint pas à esquiver le dernier coup et c'est un hurlement tonitruant qui sortit de sa gorge lorsque son bras fut tranché au niveau du coude. Plus de hache. Plus de combat. Posant un genou à terre, il abdiqua.

La pointe de Masamune en suspens devant sa gorge, Sephiroth réclama :

« Le SOLDAT de ce matin, où a-t-il été emmené ?

- Le Fort…Seiryu…à l'Est… »

Le sabre se retira.

« Tu m'tues pas ?

- Tu es désarmé. »

Le guerrier-démon lui tourna le dos dans l'intention de le laisser là. Privé de son bras, l'homme préférait encore mourir ! De son bras gauche il attrapa maladroitement la hache restée au sol et s'apprêtait à porter un coup dans le dos. Il se doutait qu'il ne serait pas assez rapide. En une fraction de seconde, Masamune lui transperça le cœur et c'est ainsi que périt Glen Reiner.

Si Sephiroth avait dû expliquer la raison pour laquelle il avait assiégé le fort seul ce jour-là, il n'aurait su que dire. Il était conscient du danger, conscient des risques. Conscient que, même pour lui, prendre d'assaut une place militaire pleine à craquer était une mauvaise idée.

Mais ce qu'il savait également, c'est qu'il ne reverrait jamais son ami vivant, s'il n'intervenait pas.

Après ce combat, il avait attendu plusieurs jours, essayant de convaincre ses supérieurs de lui confier des troupes. Le refus avait été catégorique. Hors de question de prendre le risque d'une hécatombe pour un seul et unique SOLDAT, fusse un 1ère classe. Après tout, des guerriers d'élite, il y en avait d'autres !

Pour éviter de se confronter une énième fois à la demande de leur Héros, ses supérieurs l'avaient envoyé sur une autre mission. Cette dernière lui avait pris encore quelques jours de plus.

Après douze jours d'attente, sentant l'espoir que son ami réussisse à s'enfuir par ses propres moyens le quitter, il avait pris sa décision.

Le treizième jour, il était parti seul en direction du fort. Il devait concentrer toutes ses forces et attaquer avec rapidité. Les forts de Wutaï étaient tous plus ou moins bâtis selon une architecture commune, aussi n'eut-il aucun mal à se repérer et à trouver les geôles, dans les souterrains.

Une bonne vingtaine de portes dans un long corridor, dont une seule était close.

Quand il avait posé les yeux sur son camarade, son sang n'avait fait qu'un tour.

Attaché, à demi-nu, le torse ensanglanté, l'état dans lequel il avait retrouvé le SOLDAT était préoccupant.

Mu par son instinct, il s'était agenouillé et avait essayé d'appeler son nom pour lui faire reprendre connaissance :

« Genesis ? Gen' ! Gen' ! Et merde ! »

Sephiroth ne jurait qu'occasionnellement, mais retrouvé son ami inconscient l'avait fait paniquer. Et s' il était arrivé trop tard ? Il s'était emparé de la fiole d'Elixir qu'il avait emmenée avec lui, l'avait débouchée et l'avait portée à la bouche du rouquin. Inconscient, ne pouvant déglutir, le liquide était ressorti par la commissure des lèvres.

Bon, dans ce cas, pas le choix :

Sans trop réfléchir à ce qu'il était en train de faire, Il avait porté la fiole à ses propres lèvres et avait déversé le contenu dans sa bouche, sans l'avaler. Puis, résolu, il s'était penché sur son ami et avait collé sa bouche à la sienne, laissant la potion s'écouler dans le gosier du roux. Il n'avait quitté ses lèvres que lorsqu'il fut sûr et certain qu'il avait bel et bien avalé tout le liquide curatif.

Avec soulagement, il avait vu son ami reprendre conscience tout doucement. Une drôle de réflexion l'avait alors percutée : cette andouille de Genesis venait de l'obliger à lui céder son premier baiser !

Fin du chapitre

Un grand merci à ma béta que j'adore, Eve Senseï :)