3 juillet
Demande de pardon
Geralt n'avait pas trop su comment demander pardon à Jaskier pour tout ce qu'il lui avait fait.
Il avait, après tout, laissé les années s'écouler entre eux. Il n'avait jamais essayé de le revoir après l'avoir laissé, « abandonné », au sommet de cette montagne. Pourtant, il s'était senti mal et coupable à l'instant même où les mots injustes avaient franchi le seuil de ses lèvres.
Ça l'exaspérait d'autant plus que le barde n'avait rien fait, ce jour-là, pour mériter son courroux.
Le Jaskier qu'il connaissait aurait bien fini par placer un ou deux mots de trop au milieu de Yennefer et de lui, parce qu'il était trop bavard, ce qui aurait fini par conduire à la réaction de rejet de la sorcière qu'on avait bien vue.
Sauf que son ami n'avait rien dit du tout, pas un seul mot depuis le début de cet entretien avec le dragon. Il s'était tenu coi, compatissant, attentif, et il était vraiment innocent comme la neige dans cette histoire. Ce n'était pas lui qui avait révélé que l'attirance quasi-mystique entre Yennefer et lui était due au vœu que Geralt avait formulé au djinn pour la sauver. Dégoûtant la jeune femme, qui était partie en affirmant son souhait de ne plus jamais le revoir.
Sauf que c'était bien Jaskier qui était responsable de cette rencontre entre la magicienne et lui. S'il ne s'était pas bêtement mis en danger avec le premier don du djinn, en agaçant le Sorceleur qui avait impulsivement demandé à avoir la paix… donnant naissance à une tumeur sanglante dans sa gorge qui avait failli le tuer… requérant l'aide d'une sorcière pour le sauver… Oui, quelque part, son ami était un peu à l'origine de la douleur que Geralt ressentait à ce moment-là et il avait besoin de quelqu'un à faire payer…
Il lui avait dit des choses rancunières, méchantes et infondées et Jaskier était parti, toujours sans dire le moindre mot. Le Sorceleur s'en était abominablement voulu, tout de suite, mais le mal était fait et il n'était certes pas homme à avouer humblement ses sentiments.
Il avait laissé son seul attentif, expansif, curieux et bavard ami s'en aller et il était demeuré seul…
Ils ne s'étaient pas revus pendant des années.
Il n'était pas sûr de savoir comment se comporter avec lui lorsqu'il le rencontra de nouveau, dans cette cellule miteuse dont il était venu le sortir. Jaskier avait changé. Il avait vieilli mais sa voix était toujours la même et sa façon de couper absurdement certaines de ses phrases aussi.
Geralt ne parvint pas à faire semblant d'être détaché et arrogant lorsqu'il pénétra dans cette prison. Jaskier lui avait tellement manqué, c'était fou, il n'aurait jamais cru ça possible, tellement il avait enfoui leur amitié sous des couches épaisses d'autres souvenirs. Il n'avait pas trop pensé à lui, il avait Ciri, mais maintenant qu'il était là, les moments qu'ils avaient partagés des années auparavant revenaient par vagues.
Leur relation était si différente en ce temps-là. Le Sorceleur s'acharnait à dire, encore et encore, que le barde n'était pas son ami et Jaskier, lui, sachant très bien qu'ils l'étaient, continuait de venir le voir pour lui raconter sa vie. Leur amitié était plus légère, finalement, à cette époque, malgré les grommellements constants de Geralt qui était fatigué parfois de ce parasite. Il se contentait de vagabonder par les chemins et le barde lui courait après, sans arrêter de parler. Alors qu'aujourd'hui, dans cette cellule, son ami était beaucoup plus sérieux. Lui, il était beaucoup plus désespéré et il ne pouvait pas s'empêcher de le regarder avec ses yeux jaunes anormaux, suppliants.
Ce ne fut pas d'une quelconque utilité. Le barde gardait obstinément le regard baissé sur le sol, contrarié et toujours blessé par ce conflit d'il y avait des années. Mais, heureusement pour les nerfs du Sorceleur, il ne tint pas longtemps. Son regard bleu cilla et il secoua la tête, mâchoire serrée, avant de s'avancer pour le serrer dans ses bras.
Geralt referma son étreinte autour de lui, très fort. Il était tellement soulagé. Il avait bien cru que son ami ne lui pardonnerait jamais et pourtant, il semblait que l'amitié qu'il avait tant décriée était toujours là.
« Tu m'as manqué toi aussi, dit-il sincèrement, comme il l'avait peu dit dans sa vie. »
Pour autant, il ne parvint toujours pas à présenter des excuses.
C'était un fait qui ne changerait pas. Geralt de Riv n'était pas homme à avouer trop humblement ses sentiments.
Et puis…
« Ça arrive à tout le monde de paniquer et d'agir bêtement quand on se sent acculé, plaça Jaskier, parlant prétendument de Yennefer, mais pas uniquement. On dit aussi des choses qu'on regrette. C'est normal entre amis. Et on se pardonne. »
Ah, soupira le Sorceleur. Ainsi, son ami y tenait vraiment, à ses excuses… Il ne pensait pas le barde rancunier, mais c'était vrai, il avait dû lui faire beaucoup de mal.
« Là, c'est différent, objecta Geralt avant d'ajouter d'une voix plus douce : Et je te demande pardon.
-Il faut toujours que tu tombes dans le mélo, feignit de se plaindre Jaskier après un court silence. »
Il se mit à imiter sa voix pour se moquer. Le chasseur de monstres l'enjoignit de la fermer. Mais il était heureux. Tout allait bien de nouveau entre eux, après toutes ces années.
