4 juillet
Faire un choix difficile
Geralt regarda Jaskier qui se trouvait d'un côté et Ciri de l'autre, pareillement en mauvaise posture.
Il devrait avoir l'habitude que des gens armés, des mercenaires, des rois, des princes bâtards, s'en prennent à sa fille et essayent de la tuer pour toujours la même raison. Que son ami se fasse prendre en otage aussi, ça lui arrivait de temps en temps. Cependant, jamais le chasseur de monstres n'arriverait à se faire à ces sentiments d'hostilité et de colère qui le prenaient à l'attention de ces gens qui se permettaient de leur faire du mal.
Mais il n'avait pas le temps de réfléchir à ça maintenant. Il devait choisir, Jaskier ou Ciri ? Quelque part, ça lui paraissait absurde de s'accorder la réflexion. Ciri était une enfant et c'était sa fille, c'était évident qu'il devait la faire passer en premier. Mais… le Sorceleur ne parvenait toujours pas à lancer ce sort sur celui qui détenait son enfant miracle, le tuant et la libérant, mais laissant à l'autre tout le loisir d'occire son ami.
Il n'avait plus que quelques instants pour choisir mais il était incapable de se décider.
Jaskier et Ciri le regardaient toujours de leurs prunelles bleues. Ils étaient morts de trouilles tous les deux et ça lui faisait encore plus de mal de constater à quel point ils se ressemblaient dans la peur. Mais, soudain, le barde se redressa. Il devait avoir vu quelque chose dans son regard… il devait avoir compris. Un sourire triste et résigné fleurit sur ses lèvres. Il effectua un tour de bras qui le débarrassa temporairement des bras de son ravisseur et se jeta dans le vide derrière lui.
Geralt avait bien conscience, dans la partie instinctive de son esprit, qu'il ne pouvait pas laisser son ami avoir fait ça pour rien. Alors, il décocha son sort en direction de l'agresseur de Ciri, qui mourut en une seconde. Après quoi, il tua celui qui avait osé causer la mort de Jaskier en lui imposant ce choix et, seulement à ce moment-là, il laissa son visage exprimer ce qu'il ressentait.
« Jaskier ! Jaskier ! gémit-il de sa voix profonde en avançant, d'une démarche chancelante, vers le ravin qui venait d'engloutir son ami. »
Ciri, qui respirait d'une façon erratique, mit quelques secondes de plus avant de réussir à se relever pour courir se blottir contre lui. Le Sorceleur la sentit à peine, en dépit de combien il l'aimait; son cerveau était incapable d'accepter, incapable d'admettre que Jaskier venait de mourir pour lui éviter de devoir faire un choix horrible.
Il avait toujours su le barde courageux, malgré tout ce qu'il pouvait en dire, mais il n'avait jamais envisagé qu'il puisse renoncer à sa vie pour lui, pour les gens qui comptaient dans son cœur. Jaskier n'y avait pas réfléchi à deux fois, il l'avait bien vu. Sans doute qu'il avait conscience que le courage lui ferait défaut si jamais il y pensait trop, il avait préféré sauter tout de suite pour lui permettre de conserver son enfant en vie.
C'était insupportable.
« Geralt, je suis désolée pour ton ami, renifla Ciri en relevant sa petite tête blonde vers lui. Ce qu'il a fait… il l'a fait pour moi…
-Pour nous, rectifia Geralt, la gorge nouée. Mais ne t'inquiète pas. Je vais… Je vais arranger ça… »
Déjà, son cerveau passait en revue toutes les magies, potions, rituels et cérémonies de résurrection qu'il connaissait. Oui, il savait bien que c'était dangereux, voire carrément interdit, mais il ne pouvait pas laisser cette injustice en l'état. Jaskier ne méritait pas de mourir, c'était un homme bon et doux, gentil, naïf et aidant et c'était son ami.
C'était son seul ami.
Il ne pouvait pas laisser sa route, dans ce monde, continuer de se tracer sans lui.
« Qu'est-ce… qu'est-ce que tu vas faire ? s'inquiéta son enfant miracle, qui avait bien des raisons de concevoir que toutes ces magies étaient dangereuses.
-Rien qui me séparera des êtres qui me sont chers, je te le promets, la rassura Geralt. »
Après tout, s'il devait aller au secours de Jaskier, comme il l'avait fait bien des fois auparavant mais de façon de plus en plus extrême, ce n'était pas pour l'abandonner seul sur la route ensuite. Il en ferait des ballades toutes plus larmoyantes les unes que les autres et le Sorceleur n'avait pas envie de les entendre jusqu'au royaume des morts. Il préférait encore être vivant, à ses côtés et écouter des chansons grandiloquentes, niaises, mais apaisantes comme le soleil.
