Chapitre 2 - Celui qui allait sur le Chemin de Traverse
Cher Eugène,
Pardonne-moi si cette lettre t'arrive tardivement : ma famille et moi revenons tout juste de notre voyage en Transylvanie.
Quel pays magnifique!
Les chaînes des Carpates où nous avons séjourné, ses vallées de rivières, ses forêts aux cimes touchant les nuages, ses plaines à l'herbe tendre et baignée de soleil, ses grappes de villages bâties autour de majestueuses églises qui carillonnent chaque heure du jour et, bien entendu, ses châteaux fortifiés, qui s'élèvent sur les flancs des montagnes, encore couvertes par la douce neige d'été...
À bien des égards, les Carpates m'ont rappelé l'Écosse de Poudlard. Je n'avais jamais mis les pieds dans ce pays, baigné de mystères et de merveilles, et, pourtant, je m'y suis senti pleinement chez moi : mon cœur pleure aujourd'hui d'y avoir été arraché. Ma mère m'a dit que je souffrais de la «dorul de acaså», le mal du pays. C'est une maladie courante dans ma famille : elle m'a raconté que dans nos veines coule le fleuve Hármas-Körös, qui charrie des paillettes d'or.
Mais trêves de babillages!
J'ai réceptionné hier la lettre de Poudlard : quelle surprise m'attendait dans l'enveloppe! Figure-toi, cher ami, que le professeur Chourave m'a désigné pour être préfet! J'ai dû relire la lettre plusieurs fois pour en être sûr, étonné par ce choix singulier : moi, préfet? Le monde marche sur la tête!
J'espère que tu te portes bien. Il me tarde de te retrouver sur les bancs de l'école. Je joins à ce hibou un sachet de graine d'Hellébore noire, à planter lors de la prochaine nouvelle lune : tu m'en diras des nouvelles!
Transmets mes amitiés à Chester.
Bien à toi,
Ton ami, Bram.
Préfet ! J'avais oublié que la cinquième année voyait l'élection des nouveaux préfets. J'étais heureux pour Bram : personne ne remplirait mieux ce rôle que lui.
J'ouvris le petit sachet qu'il m'avait envoyé, et y trouvai sept graines racornies. Je les rangeai aussitôt dans ma valise, pressé de les planter dans mon petit jardin privé à Poudlard. Puis, je cherchai parmi mes ouvrages de botanique la page consacrée à l'Hellébore noir. J'y trouvais la description suivante :
Hellébore noir (n. m & f.) : du latin Helleborus Erdély. Plante vénéneuse aux propriétés médicinales, à racines tubéreuses, pouvant vivre plus d'un siècle, à caractère mellifère mais toxique. Ses graines soignent la folie et entre dans la composition de nombreuses potions, mais, ingéré à forte dose, peuvent tuer.
Je levai la tête du grimoire, soudain sceptique.
— Je crois que Bram essaye de m'empoisonner…
— Si tu le dis, marmonna Chester en ouvrant un œil endormi.
On toqua à la porte : Delora passa sa tête dans l'entrebâillement.
— Ton oncle t'attend : vous partez dans dix minutes, m'apprit-elle
Je reposai mon livre de botanique et me levai d'un bond.
— Pas si vite, jeune homme ! s'exclama Delora en me retenant par le bras.
Elle sortit des larges poches de son tablier un petit peigne en écaille et entreprit de dompter ma chevelure hirsute.
— Voilà qui est bien mieux. Allez, file, avant que ton oncle ne se mette à hurler.
Je laissai Chester aux bons soins de Delora et rejoignis les escaliers que je descendis quatre à quatre : le professeur m'attendait dans le hall, le nez à quelques centimètres de sa montre à gousset.
— Pas trop tôt, mon garçon, j'ai failli attendre ! grommela-t-il tandis que le portemanteau m'aidait à enfiler une veste.
— Philémon ne vient pas ? m'enquis-je, ne trouvant nulle part la trace du demi-géant.
— Il effectue les derniers agrandissements sur l'Hypérion, m'apprit mon oncle en plantant sur sa chevelure une casquette en tweed. Vu qu'une certaine personne s'est invitée à mon expédition à la dernière minute...
Du haut des escaliers, Delora toussota bruyamment avant de nous souhaiter une bonne après-midi, tout en caressant mon chat qui avait pris ses aises entre ses bras et ronronnait telle une locomotive.
Nous sortîmes : dehors, l'automobile de mon oncle, une antiquité datant du siècle dernier, nous attendait. Il s'agissait d'un véhicule composé de deux rangées de sièges en cuir sombre que recouvrait un toit en toile posé sur l'armature métallique ; quant à la carrosserie, elle avait été peinte en jaune et noire. Mon oncle y avait apporté beaucoup de modifications : la machine ne fonctionnait qu'à la poussière de fée, mélangée à du miel afin que le pot d'échappement évite l'envoi de particule de poussière multicolore — compliquée à nettoyer — et qui dégageait une bonne odeur de sucre.
Je m'engouffrai à l'avant de la voiture tandis que mon oncle ajustait sur ses yeux une paire de lunettes et enfilait ses gants en peau de dragon. Puis, armé de sa manivelle, il fit tourner le moteur qui toussota avant de pétarader joyeusement. Le professeur prit place derrière le volant et me recommanda de m'accrocher à ma baguette. Il desserra le frein à main et l'automobile bondit en avant. Les grilles s'ouvrirent en grand ; je me penchai à la fenêtre pour faire un signe de la main à Delora et Chester.
Nous traversâmes Biggleswade, suscitant la curiosité de ses habitants, qui reconnurent l'étrange voiture surgie d'une autre époque, et prîmes la route de Londres, vite cernés par les champs de culture.
Mon oncle adorait son automobile et toute sa mécanique ; hélas ! il s'intéressait bien peu aux codes et aux lois qui régentaient la vie des moldus. Il pensait, par exemple, que la priorité lui était acquise à chaque intersection et ne comprenait pas l'utilité des feux tricolores. Autre particularité : la voiture ne dépassait guère les 50 km/h et nous nous fîmes klaxonnés et insultés durant les deux heures que dura le trajet.
Nous arrivâmes enfin à Londres : nous longeâmes Regent's Park et son zoo, passâmes devant les hauts bâtiments renfermant les précieuses collections du British Museum, ignorâmes les quelques panneaux stop disséminés sur la voie, contournâmes Trafalgar Square, et grillâmes la priorité à un bus à impérial qui s'arrêta violemment dans un crissement de pneu.
À l'embranchement de Charing Cross, un puissant sifflement retentit derrière nous.
— Je crois que c'est pour vous, mon oncle, annonçai-je en me dévissant le cou pour regarder au-dehors.
En effet : un policier arriva dans notre direction, la moustache frémissante d'indignation. Mon oncle tourna la manivelle pour descendre la fenêtre, agacé.
— Oui ? dit-il, s'efforçant d'être aimable.
— Bonjour monsieur, le salua l'agent en touchant le bord de sa casquette. Je peux savoir où vous vous rendez ?
— Là où nous sommes censés aller, monsieur. Pourquoi une telle question ?
— Vous n'avez pas mis votre clignotant.
— Bien sûr que si !
— Je peux voir ?
Le professeur tripota une manette sur le côté gauche du volant : une flèche de direction en bois rouge surgit alors sur l'un des côtés de la fenêtre, au-dessus des rétroviseurs. La moustache du policier sursauta d'horreur :
— C'est une plaisanterie ? s'étouffa le gendarme.
— Non, pourquoi ?
— Ce n'est absolument pas règlementaire enfin !
— Oui, j'ai cru comprendre qu'il fallait mettre des bidules électriques qui clignotent un peu partout. Mais convenez que c'est d'un laid ! Et puis, l'ancien système me convient mieux. Je peux y aller maintenant ?
— Sûrement pas ! s'écria le policier.
Il fourra son nez dans le véhicule pour inspecter son contenu et faillit bien s'évanouir.
— Comment, vous n'avez pas de ceinture de sécurité ?
— Cela m'empêche de respirer, marmonna mon oncle.
Le moldu prit une profonde inspiration et demanda au professeur de bien vouloir lui donner les papiers du véhicule.
— C'est ridicule, marmonna mon oncle en fouillant dans la boîte à gants.
Il n'avait, à proprement parler, pas le permis, et l'automobile n'était ni immatriculée ni même habilitée à rouler. Il avait cependant une technique imparable lorsque ce genre d'enquiquinement arrivait : le papier magique.
Il s'agissait d'un vulgaire carton blanc, vierge de toute inscription : il montrait ce que le lecteur voulait voir. Ce subterfuge avait tiré le professeur de bien des situations épineuses avec les autorités moldus, et cette fois-ci n'échappa pas à la règle — ou presque.
— Vous êtes content ?
Les papiers furent rendus, mais l'agent sortit quand même son carnet de contraventions pour non-respect des normes de circulation. La colère empourpra les joues de mon oncle. Profitant que l'agent relève le numéro d'immatriculation à l'avant du véhicule, le professeur se tourna vers moi et me pria de fermer les yeux et de me boucher les oreilles.
— Mais !
— Je vais faire quelque chose de pas légal du tout et je représente une autorité parentale, il vaut mieux que tu ne vois pas ça. Allez, zou !
Je n'en fis rien, évidemment, et vis mon oncle sortir sa baguette magique :
— Oubliettes!
Le sortilège d'amnésie frappa de plein fouet le policier, qui eut un bref moment d'égarement. Mon oncle en profita pour dissimuler sa baguette.
— Tout va bien, mon cher monsieur ? s'enquit-il, feignant l'inquiétude. Vous m'avez causé une belle frayeur à traverser la route de la sorte !
— Hein, quoi ? Oui, oui, je vais très bien…
— Je peux y aller ?
— Oui… circulez… allez, circulez !
Mon oncle remonta sa fenêtre et nous repartîmes.
— Vraiment, ces moldus ! ricana-t-il.
Nous trouvâmes une place non loin de Charing Cross, dans une ruelle adjacente, loin de la circulation intempestive des automobiles et des autobus. Je sortis le premier, les deux pieds dans une flaque d'eau. Le professeur s'assura qu'aucun moldu ne traînait dans les parages puis sortit sa baguette magique. Il tapota deux fois le capot tout en marmonnant un sortilège de réduction : le tacot fut pris d'un frisson et se mit à rapetisser, jusqu'à prendre la taille d'un jouet pour enfant. Mon oncle se baissa pour le récupérer et le rangea avec soin dans l'une de ses poches.
— Allons-y ! s'exclama-t-il en repoussant ses lunettes sur son front.
Il y avait du monde sur le trottoir, qui se bousculait pour rejoindre le métro. Je sentis sur mon épaule la main de mon oncle ; sans doute craignait-il de me perdre dans la marée de moldus qui nous engloutissait. Nous arrivâmes devant les portes du Chaudron Baveur et je poussai les deux battants, un immense sourire aux lèvres.
Le pub sorcier était un univers étrange, où la magie prospérait dans chaque recoin de la salle, de la théière qui versait seule son délicat breuvage dans les tasses qui la suivait partout au feu perpétuel qui brûlait dans la cheminée, jusqu'aux groupes de sorciers vêtus de longues robes aux étoffes bigarrées, et discutant avec véhémence de la taxe exorbitante imposée par le ministère de la Magie sur l'envoi des Beuglantes par hiboux.
Je traversai la salle, suivi de mon oncle, mon attention à l'affût de quelques connaissances de Poudlard. Il n'en fut rien, hélas, mais le professeur eut le malheur de trouver un collègue de la Société des Explomigrateurs et des Aventuriers : il serra avec effusion la main du Docteur Albert Reed, qui revenait, semblait-il, de son explomigration au Moyen-Orient : par-dessus deux énormes sourcils blancs, le bonhomme portait un fez en laine rouge et son visage buriné était marqué par le soleil.
— Comment était l'Égypte, mon ami ? s'enquit mon oncle, avide d'obtenir les premières nouvelles.
— Maudite ! plaisanta le docteur. Mon équipe et moi avons trouvé les anciens vestiges de la cité des morts. Nous y avons déniché une momie embaumée vivante que nous avons réveillée par accident… N'ayez crainte, j'ai su déjouer la terrible malédiction dont il nous a affublés ! Je présenterai mon rapport la semaine prochaine devant la commission : viendrez-vous ?
— Je ne manquerais ça pour rien au monde, lui assura mon oncle.
Le docteur se rengorgea de fierté, et sembla s'apercevoir de ma présence.
— Est-ce déjà la rentrée scolaire ? s'étonna-t-il. Par Merlin, j'ai perdu la notion du temps !
— Oui. Ce jeune homme rentre à Poudlard pour sa cinquième année.
— Ah ! Et quelles sont tes prédispositions, mon garçon ?
Je n'aimais pas le ton mielleux qu'il employait, me reléguant au même titre qu'un enfant laissé sans surveillance chez Honeydukes.
— J'aime assez les potions et la botanique, marmonnai-je.
— Un futur alchimiste, voyez-vous cela ! rugit l'autre, comme si je venais de proférer une excellente plaisanterie. Eh bien, mon garçon, je te souhaite une bonne chance pour tes BUSE ! J'espère que tu feras honneur à ta maison ! Non, ne me dis rien, laisse-moi deviner, je suis plutôt bon à ça : je parie que tu es à Serdaigle !
J'ouvris la bouche pour le contredire, mais le professeur fut plus rapide :
— Pourquoi Serdaigle ? Eugène aurait eu tout à fait sa place à Serpentard ! s'exclama-t-il.
— Certes, certes, mon bon ami… Tant que ce n'est pas Poufsouffle, ah ah !
Quel fat et grossier personnage ! Mes joues me chauffèrent désagréablement, vexé d'être ainsi moqué. Mon oncle posa une main sur mon épaule pour m'inciter au calme.
— Mon neveu est à Poufsouffle, l'informa-t-il froidement. Maintenant, veuillez m'excuser, cher collègue, mais nous devons y aller.
— Je, je… bredouilla l'autre.
Trop tard, nous étions déjà partis.
Mon oncle ne desserra pas une seule fois les lèvres tandis qu'il tapotait les briques enchantées du bout de sa baguette, nous ouvrant ainsi le passage secret du Chemin de Traverse.
Il avait toujours eu en horreur ces préjugés sur les maisons de Poudlard.
Tous les Forsythe avaient fait leur scolarité à Serdaigle : il était presque assuré que je suive leurs pas. Mais, lorsque le Choixpeau magique avait été posé sur ma tête lors de la cérémonie de répartition en première année, j'avais aussitôt émis le souhait d'aller à Poufsouffle. « Vraiment ? » s'était étonné le chapeau à mon oreille. « Pourtant, Serdaigle te mènera bien au-delà de la sagesse et de la patience… ». J'avais tenu bon, et il avait accédé à ma requête pour m'envoyer dans la maison jaune et noir.
Je ne sus jamais si mon oncle avait été déçu par ce choix. Je me souvins cependant du courrier reçu quelques jours plus tard : « Poufsouffle est une excellente maison ! », avait-il écrit. « Je suis sûr qu'ils gagneront la coupe des quatre maisons cette année ».
Hélas ! les blaireaux ne furent pas en tête du classement, mais Poufsouffle devint la maison de mon cœur.
La vue de la longue rue commerciale me rendit le sourire. Toutes ces couleurs, toutes ces odeurs ! J'avais hâte de me plonger tout entier dans le capharnaüm du Chemin de Traverse, pour tout voir, tout entendre. Hélas, mon oncle n'était pas d'humeur : son esprit cartésien n'aimait pas les longues flâneries, et il m'incita à avancer plus vite. Insidieusement cependant, tout nous rappelait que notre monde était en guerre : les affiches prêchant la vigilance constante placarder sur chaque mur du chemin, les quelques boutiques fermées jusqu'à nouvel ordre, les grandes planches en bois en lieu et place des vitrines d'habitude si colorées, la méfiance peinte sur chaque visage que je rencontrais…
J'avais beau fermer les yeux et les oreilles, prétendre que tout était normal, me désintéresser de l'actualité, me sentir en sécurité derrière les hautes grilles de Biggleswade, la vérité me frappa en plein fouet pour me rappeler que nous vivions une époque troublée.
Mon oncle m'entraîna jusqu'à la librairie Fleury et Bott. Les quelques élèves de Poudlard présents se pressaient entre les rayonnages pour acquérir les derniers ouvrages recommandés par les professeurs, sous l'œil vigilant de leurs parents qui gardaient leurs baguettes magiques à porter de main. Mon oncle me laissa me rendre seul au premier étage tandis qu'il s'affairait vers les étagères en bois croulant de guides touristiques. Je jetai un coup d'œil à ma liste et me dirigeai jusqu'au rayon dédié aux potions.
Autour de moi, les livres chuchotaient, m'appelaient, me suppliaient de les emporter avec eux, et il me fut particulièrement difficile de les ignorer.
Il ne restait plus que deux ouvrages du Manuel avancé des potions, et je pris le premier que je vis.
« Non, pas lui! C'est un pignouf, il ne sait pas distinguer une potion de sommeil à une goutte du mort-vivant. Moi, je te mènerais vers la gloire des potionnistes. Je te montrerais comment ensorceler l'esprit et piéger les sens, comment mettre la renommée en bouteille, distiller la gloire et même paralyser… la mort. »
Je fronçai les sourcils : il me semblait avoir déjà entendu ce discours quelque part… Je haussai les épaules et fis mine de partir avec l'exemplaire neuf, quand la voix reprit, suppliante.
« Prends-moi plutôt! Par pitié, je m'ennuie comme un boursouf mort ici… »
J'hésitai. Puis, avec un soupir, je reposai l'ouvrage que je tenais entre les mains pour prendre l'autre, qui poussa aussitôt un cri de joie. Je remarquai alors qu'il était abîmé : les dorures de sa couverture n'avaient pas été correctement imprimées, les bords étaient émoussés et quelques pages étaient cornées.
« Longue histoire. Mais je te promets encore avoir tout mon savoir. Tu pourras compter sur moi en potion. Alors? »
Je calai l'ouvrage sous mon bras, ignorant ses nouveaux cris de joie.
« Tu ne le regretteras pas! Toi et moi allons devenir les meilleurs amis du monde! »
Je quittai le rayon des potions — regrettant déjà mon choix en l'entendant insulter les autres livres qui restaient, eux, prisonniers des étagères de cette librairie défraîchie, pourrie et qui sentait le moisi, (selon ses termes) — quand je percutai sans le vouloir le garçon venant en contresens. Ses livres tombèrent avec fracas sur le sol, et j'en entendis plusieurs grommeler de douleur.
— Pardon, marmonna-t-il en se baissant pour ramasser ses grimoires.
Je reconnus aussitôt la voix de Chatterjee Kapoor.
Il était l'un des Poursuiveurs de l'équipe de Poufsouffle. Charismatique, doué avec un Souafle en main, il était adulé par toute l'école. Je ne le connaissais pas personnellement : il était en sixième année à Poudlard et je ne m'intéressai pas particulièrement au Quidditch, mais son talent ne passait pas inaperçu.
Je me baissai pour l'aider à ramasser ses grimoires, dont beaucoup traitaient sur les sortilèges. Je lui rendis sa pile, soudain gauche et timide. Il me remercia tout en me dévisageant d'un air intrigué.
— Eugène Witty… me présentai-je, rougissant presque.
— Ravi de faire ta connaissance, Eugène Witty.
Sa voix était profonde et chaude. Il avait rejeté les boucles de sa chevelure noire en arrière et ses yeux vert brillaient Je remarquai alors l'écusson brillant à sa poitrine et je ne pus m'empêcher de m'exclamer :
— Tu as été promu capitaine de l'équipe ? Toutes mes félicitations !
— Je te remercie, dit-il avec un sourire.
Je parlais en tête à tête avec Chatterjee Kappoor ! J'étais sûr que Finnley O'Mahonny, l'un de mes meilleurs amis, serait jaloux lorsque je lui raconterais ma rencontre : il l'adulait.
Un silence inconfortable s'ensuivit et je me rendis compte que je bloquai le passage au nouveau capitaine des Poufsouffles. Je sentis mes joues me chauffer désagréablement et m'écartai, lui souhaitant la bonne journée d'une voix si minuscule que même les botrucs ne m'auraient pas entendu. Je rejoignis les caisses pour payer mes achats, honteux de ma conduite peu glorieuse.
« Nom d'un cul-de-lampe! Ce n'est pas seulement en potion que tu vas avoir besoin de mon aide! »
« Oh, la ferme ! », grognai-je, tout en posant brutalement mes achats sur le comptoir, ignorant les couinements.
« Aïe. »
Le libraire m'accorda un gentil sourire avant d'alléger mon porte-monnaie de quelques Gallions. Puis, il me tendit le sac en papier et je sortis de la boutique.
— Mais qu'est-ce qui t'a autant retardé ? s'exclama mon oncle qui m'attendais dehors, ouvrant et fermant nerveusement le clapet de sa montre.
« UN GARÇON! »
Mais qu'est-ce qui m'avait pris de prendre ce manuel en particulier ? Mon bon cœur me perdrait un jour prochain… Heureusement que mon oncle ne savait pas entendre les livres ! Pour ne plus à avoir à supporter les moqueries de ce maudit bouquin, je m'arrangeai pour le fourrer tout au fond du sac et n'entendis plus que des « mph, mph! » pathétiques.
oOo
Notre prochain arrêt fut dédié à l'apothicairerie.
Je me tins devant la porte quelques instants pour admirer la devanture que j'aimais tant : son ossature en bois couleur ébène encadrait une large vitre qui laissait entrer la lumière du soleil. La porte était surmontée d'un fronton triangulaire, sur laquelle avait été gravée en lettre d'or l'inscription : le Cinquième Élément. Je grimaçai en constatant la présence d'une affiche de prévention contre d'éventuelles attaques de Mangemorts, collé récemment sur la vitrine.
— Allons, ne traîne pas ! m'exhorta le professeur.
Une puissante odeur d'épices me chatouilla le nez. Quelques clients gambadaient dans le magasin et le propriétaire discutait avec une sorcière sur le coût exorbitant des yeux de tritons ; il me vit alors et m'octroya un clin d'œil malicieux.
Mon oncle se tenait en retrait, mains nouées derrière le dos, jetant des regards de dégoût aux nombreux tonneaux, bocaux et pots qui contenaient racines de mandragores, épines de porc-épic, poudre de pieuvre, crochets de serpents, yeux de scarabée et cœur de crapauds séchés.
Lorsque l'apothicaire en eut terminé avec sa cliente, il se dirigea vers nous avec un grand sourire. Il avait un visage lunaire, des yeux marron pétillants de malice, une paire de lunettes qui changeaient de couleur selon son humeur, et un embonpoint rassurant qui perçait sous son tricot. Petit, il m'avait fait croire que ses cheveux avaient opéré une retraite stratégique sur ses joues et son menton pour expliquer sa calvitie soudaine.
— Bonjour père, marmonna mon oncle qui refusa de toucher ses mains visqueuses qui lui furent présentées.
— Allons, Algie, ne joue pas les effarouchés, il ne s'agit que d'un liquide de conservation, ricana mon grand-père en s'essuyant les doigts sur un large mouchoir. Nom d'un hippogriffe, Eugène, tu as encore bien grandi : encore un peu et tu dépasseras bientôt ton oncle. Embrasse donc ton Papili !
Il me serra fort dans ses bras à m'en casser les côtes, puis demanda de mes nouvelles : ne m'ennuyai-je pas trop dans le grand manoir de mon oncle ? M'étais-je au moins un peu amusé ?
— Et toi, grand dadais, dit-il en se tournant vers son fils, pour quand est prévu le départ ?
— Je vous l'ai déjà dit, père, en octobre, soupira ledit grand dadais.
— Bah, lança Papili avec un gros rire, tu pars si souvent aux quatre coins de monde que j'ai arrêté de te suivre sur une carte !
La pique blessa mon oncle, dont les oreilles prirent une délicate teinte cramoisie. Un troupeau d'hippogriffes passa en trombe dans la boutique, et Papili changea de conversation en me donnant une claque dans le dos.
— Bien entendu, mon petit-fils sera le bienvenu à la boutique pour les fêtes de Noël ! s'exclama-t-il.
Je lui retournai son sourire. Passé les prochaines vacances ici étaient synonyme de veille tardive, de pâtisseries à outrance et de longues promenades dans les rues moldues de Londres.
— Voilà qui est réglé ! Bon, que te faut-il mon garçon ?
Je lui confiai ma liste, qu'il déchiffra à travers ses lunettes aux teintes jaunes, marmonnant pour lui-même. « Je reviens!» lança-t-il avant d'arpenter sa boutique, piochant dans les tonneaux, triant les bocaux, choisissant les pots. Mon oncle passa le temps en tripotant une fiole remplie d'ailes de fées à un Gallion la paire : « quelle arnaque!», marmonna-t-il en secouant la tête.
Papili revint, tenant à bout de bras un sac contenant mes ingrédients pour les cours de potion.
— Je t'ai rajouté un pot à onguent anti-brûlure, c'est de ma composition : tu m'en diras des nouvelles.
Je le remerciai vivement. Et, comme le monde commençait à affluer dans la boutique, il nous fallut le quitter.
— A bientôt Eugène ! Je t'enverrais Thibou pour avoir de tes nouvelles quand tu seras à Poudlard !
Profitant du fait que mon oncle eut le regard tourné ailleurs, il me chuchota à l'oreille la promesse que nous irions voir mon père le jour de Noël. Mon ventre se tordit à cette pensée, mais je hochai la tête. Puis, il serra la main de son fils — qui l'accepta cette fois-ci — et ils échangèrent cet étrange rituel des hommes de la famille Forsythe : chacun donna un baisemain sur la chevalière de l'autre. J'en ignorais la signification, mais elle me gênait et fascinait tout à la fois.
oOo
Après être passés chez Ollivander pour le contrôle annuel de ma baguette magique et un arrêt chez Madame Guipure pour un sortilège d'agrandissement sur mes robes de sorciers, nous nous arrêtâmes à l'agence de voyage Globus Mundi, sur les hauteurs du chemin de Traverse, juste derrière la banque de Gringotts.
La clochette bondit à notre entrée. C'était dans cette boutique violette et or, ornée de grandes cartes du monde et d'une mappemonde qui tournait sur elle-même, que l'on pouvait acquérir les tickets et les horaires pas du tout fiables du Magicobus, louer des balais, réserver des Express pour New York, commander un Portoloin ou planifier une visite des écoles magiques.
L'endroit était calme, avec la fin des vacances qui se profilaient et la reprise du travail. Mon oncle tapota la sonnette du comptoir, et il ne fallut guère attendre avant qu'une jeune sorcière au joli sourire ne vienne à notre rencontre, vêtue d'une robe parme qui jurait avec sa chevelure rousse.
— Bienvenue à Globus Mundi ! Que puis-je à votre service ?
Le professeur lui indiqua vouloir se rendre au Brésil dans les prochaines semaines, et ils passèrent l'heure suivante à définir le meilleur moyen de s'y rendre. Les laissant à leur conversation somme toute ennuyante, je fis le tour de l'agence, attiré surtout par la mappemonde. Dans le calme du moment, il fallut pourtant que ce maudit livre vienne me casser les oreilles.
« Au secours quelqu'un, j'étouffe! »
Je sortis le Manuel avancé des potions, et il prit une profonde inspiration.
« Ah, merci! C'est très serré là-dedans, tu ne peux pas savoir. Ce n'était pas très livresque de ta part de faire ça, d'ailleurs! Très bien, où en étions-nous? Ah oui! Un nouveau lecteur. Voyons, laisse-moi t'étudier… Mmh, je sens qu'on va bien s'entendre toi et moi! Je m'appelle Libatius, et toi? C'est quoi ton petit nom, deux pieds? »
— Deux pieds ?
« Je te parle de ces deux machins qui te servent à avancer dans la vie, et dont je suis totalement dépourvu. Alors? »
— Eugène.
« Mmmh… Il faudra l'inscrire sur la couverture, je ne retiendrais jamais. Eugène. Euuuuuugèèèèène. Non, c'est décidément trop bizarre à dire. Eu. Gène. »
— Je peux tout aussi bien te ramener là d'où tu viens, marmonnai-je.
« Euuuuuu… je suis ravi de faire ta connaissance, mon ami! Ensemble, nous allons partir à la conquête du monde! »
— Je sais, tu me l'as déjà dit.
« Avant de commencer notre longue et fructueuse collaboration, il y a quelques règles que nous devons établir. Il est absolument interdit de déchirer, lacérer, tordre, plier, abîmer, dégrader, souiller, tacher, jeter, laisser tomber ou détériorer ma couverture ou mes pages. Je te donne l'autorisation d'inscrire quelques notes, mais seulement au crayon à papier, et pas de gribouillis. Pas de gomme non plus, je suis chatouilleux. Et je refuse d'être rangé au fond d'un sac, c'est compris? Des questions? »
— J'ai changé d'avis, je te ramène à la librairie.
« Ah ah, hilarant. Acheter, c'est acheter, me reposer, c'est se parjurer. »
Je mis fin à la conversation : mon oncle revint vers moi, détenteur de trois billets pour Rio de Janeiro par diligence. Je fronçai les sourcils : pourquoi ne pas prendre l'Hypérion pour rejoindre l'Amérique du Sud ?
Mon oncle me regarda avec un soupir :
— Et abîmer l'Hypérion pour une telle traversée ? Nom d'une gargouille, Eugène, ce que tu peux poser des questions bêtes parfois !
« Ouais, c'est pas faux… »
Le mot de la fin :
Bonjour à tous !
J'avais prévu de poster ce chapitre samedi prochain, mais j'ai eu tellement de si gentil retour que je n'ai pas pu m'empêcher de le poster aujourd'hui, en guise de remerciement !
J'espère que cette petite sortie sur le Chemin de Traverse vous a plu et que vous avez bien tous vos achats avec vous !
A très bientôt pour le chapitre 3 !
Citrouille
