6 juillet

Une amitié lente à mûrir


« Je refuse que quelqu'un ait besoin de moi, déclara Geralt dans le bain que Jaskier lui avait préparé avant qu'ils se rendent à ce mariage à Cintra.

-Et pourtant, répliqua le troubadour, regarde-nous. »

La réaction de Geralt ne fut pas calculée, elle vint directement du cœur. Il sourit, eut un mouvement de tête et lâcha : « Hum ».

« Hum », ça voulait tout et rien dire dans le langage du Sorceleur. Ça s'adaptait aux circonstances, ça confirmait ses émotions du jour, que son entourage avait déjà eu le temps d'appréhender avant qu'il essaye d'échapper à la conversation, ça signifiait, cette fois-là : « Je t'aime bien, Jaskier, même si tu es pénible, et dans le fond, ça ne me dérange pas tant que ça que tu me suives partout quand tu décides que tu en as envie. »

Mais il ne savait pas dire toutes ces choses, encore moins à Jaskier. C'était une relation qu'il leur avait imposée à tous les deux et il ne souhaitait pas s'encombrer d'un barde bavard, à la base. C'était le jeune noble qui l'avait suivi, qui avait décidé que ses aventures feraient de bonnes histoires dont il pourrait s'inspirer, qu'il voulait rendre honneur à sa force et son courage et faire changer les mentalités à son sujet. Et Geralt n'avait pas pu se débarrasser de lui parce que le barde était têtu et collant.

Mais, au fur et à mesure… il s'était mis à apprécier les moments où leurs chemins se croisaient. Jaskier était un compagnon de voyage… agréable. Il était gentil, attentionné, joyeux… un peu trop joyeux… mais il s'intéressait à tout et il n'avait aucun mal à désamorcer des situations parfois tendues. Son moulin à paroles était ininterrompu et ses chansons lui restaient affreusement en tête parfois. Mais avec le barde, il n'était plus seul. Et il avait besoin de ne plus être seul parfois, et plus il passait du temps avec lui, plus ce besoin devenait fort. Il voulait un ami, même s'il s'était persuadé dès le départ que ça ne servirait à rien, puisque personne n'aimerait jamais les Sorceleurs comme lui.

Ils étaient trop considérés comme des bêtes assoiffées de sang, sans morale et sans lois.

Mais Jaskier savait voir à travers tout ça. Parce qu'il était naïf ? Parce qu'il avait une vision poétique du monde ? Parce qu'il croyait sincèrement en l'amitié et qu'il avait vu que le chasseur de monstres et lui pourraient être de très bons amis ? Geralt ne savait pas, mais le troubadour s'était attaché à lui et il s'était attaché au troubadour en retour.

Ce fut pour ça qu'il protégea Jaskier de l'homme qui lui voulait du mal à Cintra. Qu'il inventa une histoire complètement fausse mais qui eut l'avantage de lever tout soupçon et puis de se moquer un peu de lui au passage. Qu'il lui fit un sourire et un regard gentil quand le barde lui reprocha la blague et répondit : « Je t'ai surtout sauvé la vie. Maintenant, essaye de tenir une nuit sans mourir d'un coup de couteau. »

Il aurait bien aimé pouvoir dire davantage à Jaskier, mais il avait du mal. C'était nouveau pour lui et leurs chamailleries incessantes étaient une constante installée entre eux depuis longtemps, depuis le premier jour. Et puis bon, à quoi servirait-il d'être sentimental ? Le barde savait sans doute ce qu'il ressentait… n'est-ce pas ? Puisqu'il passait son temps à répéter tout un tas de choses sur leur amitié, malgré le déni de Geralt qui rétorquait qu'il n'y avait aucun lien d'affection entre eux. Oui, c'était évident, il devait savoir que ses grommellements étaient faux.

Les mois continuèrent de défiler au-dessus de leurs têtes. Geralt ne prétendit pas que le barde et lui n'étaient pas amis à leur rencontre suivante et ne put pas non plus nier ce mot devant Yennefer.

Il se mit sincèrement à avoir peur pour sa vie quand le djinn essaya de le tuer.

Il s'en voulu d'avoir pu lui dire des choses méchantes, alors qu'il savait bien qu'ils se disputaient pour rien.

Il voulut le protéger de Yennefer, qui convoitait visiblement le pouvoir du génie.

Il fut heureux de constater qu'il était guéri, quelques heures après.

Ce prétexte pour aller secourir la magicienne de sa folie lui échappa : « Elle t'a sauvé la vie, Jaskier, je ne la laisserai pas mourir. »

Il était ami avec le troubadour et, même s'il ne se projetait pas si loin dans le futur, il espérait qu'elle durerait toute leur vie.

Elle avait été lente à mûrir, leur amitié, se disait-il à chaque fois que le barde sortait de nulle part pour se joindre à ses voyages, qu'il lui demandait de l'aide ou l'assistait parfois en retour, quand il lui permettait d'apprendre des choses sur lui-même, quand ils dînaient ensemble, quand ils se racontaient leur vie, quand il se laissait entrainer dans des jeux idiots, quand ils avaient peur l'un pour l'autre ou qu'ils se veillaient tard le soir. Elle avait été lente, mais elle en valait la peine.

« D'où est-ce que ça sort, ça ? s'étonna Jaskier quand le Sorceleur, réfléchissant à tout cela, le serra spontanément dans ses bras.

-De nulle part, rétorqua Geralt en s'écartant pour lui tapoter l'épaule. N'oublie pas que je refuse toujours que quelqu'un ait besoin de moi. Alors tu as intérêt à rembourser ta dette à ce seigneur et vite.

-Sauf que je ne suis pas n'importe qui, répliqua le barde avec un sourire en coin, je suis ton meilleur ami.

-Hum, acquiesça le Sorceleur avec un infime mouvement de tête et un sourire. »