Chapitre 3 - Celui qui chuchotait à l'oreille des livres
Il plut jusqu'à la toute fin des vacances, une pluie maussade, bruyante, qui ne laissait aucun répit à la nature. Le jardin se retrouva bien vite inondé, ce qui désespéra Delora : son petit potager ne fut plus qu'un tas de gadoue aux feuilles fanées et aux légumes pourrissants.
Je passais mes journées à terminer les devoirs donnés par mes professeurs, Chester sur mes genoux, dans le confort de la bibliothèque, me réjouissant du bruit des gouttes d'eau frappant les carreaux.
J'en profitai également pour faire plus amples connaissances avec Libatius, et mes premières impressions se révélèrent exactes : c'était un incorrigible bavard qui avait, semblait-il, réponse à tout.
« Deux pieds, la culture du géranium dentu se fait en octobre, pas en septembre ! Pfff, crois-tu vraiment que Barnabas était présent lors de l'insurrection des gobelins ? Tu prononces mal ce sortilège, c'est leviôôôsa, pas leviosaaa… »
Même Chester finit par déserter la bibliothèque, agacé par le verbiage incessant du livre.
« Quel matou susceptible ! Dis-moi, où as-tu donc pêché un chat pareil ? »
— C'est un cadeau de ma mère, éludai-je en apposant le point final aux vingt centimètres de parchemin sur les propriétés de la pierre de lune demandées par le professeur Slughorn.
« Cadeau bizarre, si tu veux mon avis. »
— Je n'ai pas souvenir te l'avoir demandé…
Je me bouchai les oreilles pour ne plus à avoir entendre les commentaires incessants de Libatius et relus mon devoir en remuant silencieusement les lèvres. Delora fit irruption dans la bibliothèque au moment où je raturais une virgule qui s'était traîtreusement, glissée dans ma copie.
— As-tu fini ? me demanda-t-elle en déposant sur la table un tas de linge en vrac sentant bon la lessive.
— Oui ! m'exclamai-je, soulagé.
Elle tendit sa main pour lire à son tour mon devoir, tout en fouillant dans les poches de sa longue jupe pour en tirer une paire de lunettes rondes qu'elle posa sur le bout de son nez et prit place sur l'un des larges fauteuils. Je vis ses yeux bondir d'une phrase à l'autre tandis qu'elle prenait connaissance de mon travail, et je profitai du silence pour plier mon linge. Lorsque Delora eut fini sa lecture, elle hocha la tête de satisfaction et me rendit mon parchemin.
— Auras tu besoin d'aide pour ta valise ?
— Non, je vais me débrouiller, déclinai-je.
— Très bien, jeune homme. Lorsque tu auras terminé, rejoins-moi à la cuisine.
J'adorais le dernier soir au manoir : Delora préparait toujours une fête avant mon départ pour Poudlard. Après avoir réussi l'exploit à boucler ma grosse malle, je regagnai en toute hâte la cuisine et passai la fin de l'après-midi à préparer gâteaux et biscuits pour le dîner, bien au chaud près de la cheminée dans laquelle flambait une grosse bûche, la pluie drue tapant sur les fenêtres.
Pour l'occasion, mon oncle accepta de délaisser son précieux Hypérion et mania sa baguette magique pour parer la salle à manger des couleurs de Poufsouffle. Philémon osa faire une petite incursion chez Honeydukes en catimini pour rapporter une quantité effroyable de friandises aux couleurs bariolées, ce qui fit hurler Delora.
Durant le dîner, chacun y alla de sa petite anecdote scolaire, surtout mon oncle qui se laissait toujours aller lorsqu'il abusait de la liqueur des gnomes (qui aurait pu penser qu'il était un élève aussi turbulent ?).
Philémon avait, quant à lui, suivi sa scolarité au Sanctuaire de Circé, sur l'une des nombreuses petites îles secrètes qui bordaient la Grèce : l'école formait les jeune sorciers et sorcières à se spécialiser au pratique de la métamorphose.
Lorsque mon oncle commença à entamer l'hymne de Poudlard de sa voix de stentor, Delora décréta qu'il était l'heure d'aller se coucher. Philémon agita sa main et les assiettes sales prirent seules la direction de la cuisine pour se poser avec délicatesse dans l'évier.
Je regagnai ma chambre, repu de pâtisserie, traînant des pieds, Chester ronronnant entre mes bras. Le temps de me brosser les dents et de me mettre en pyjama, et Delora vint s'assurer que j'étais au fond de mon lit, mon chat coincé entre les jambes.
— Ne veille pas trop tard, me dit-elle en me voyant avec un livre entre les mains. Une longue journée t'attend demain.
— Promis.
Elle agita sa baguette et une pluie d'étoiles vint s'accrocher au plafond, avant de me souhaiter une bonne nuit et fermer la porte. Enfoui sous mes couvertures, je poursuivis ma lecture du deuxième tome du Seigneur des Anneaux, accroché à chaque mot qui conduisit les Uruk-Hai de Saroumane au pied du gouffre de l'Helm, où le peuple des Rohirrim s'était réfugié.
Je suivais chacun des pas d'Aragorn, qui défendait âprement la citadelle au côté du roi Théoden, quand j'entendis un chuchotement venir de très loin.
Chapitre quatrième – L'orchidée exotique
La réputation de ces fleurs à l'allure de papillons débute durant l'Antiquité pour ses vertus pouet médicinale. L'Orchidée est classifiée pouet-pouet en 1737 par le botaniste Carolus Linné sous le pouet genre Epidendrum (végétaux poussant sur les poueeeeeet arbres).
Dressant l'oreille, je tentai de déduire d'où provenait ses mystérieux pouet.
— Chester, tu as entendu ? soufflai-je.
Seul un ronflement me répondit. Je posai mon livre, me débarrassai de mes couvertures, enfilai mes chaussons qui sommeillaient au pied de mon lit et me levai pour ouvrir la porte.
Ce n'est qu'en 1800 que la pouet ? fleur suscita un certain engouement par les pouet recherches de Darwin (connu également pour ses découvertes pouet-pouet ! curatives du Champignon Péteur au syndrome de la « goutte au nez qui pend »).
Sur la pointe des pieds, je longeai le couloir, le silence à peine perturbé par le ronflement des tableaux suspendus sur les murs ou le chuchotement du gaz des lampes qui projetaient une pâle lumière. Veillant à ne pas faire craquer le bois des marches, je descendis l'escalier.
Il existe près de trente-cinq mille espèces d'orchidées connues pouuuuueeeeet à ce jour. La pouet dernière pouet découverte pouet concerne pouet l'Orchidaceae pouet Nocturnum pouet, dont pouet les pouet pétales pouet ne pouet s'ouvrent pouet que pouet pendant pouet la pouet nuit.
La Bibliothèque.
Je traversai le hall à la hâte pour rejoindre les pouet ! affolés. Je tâtonnai dans l'obscurité avant de trouver l'interrupteur et la lumière m'éblouit un instant. Retenant mon souffle, j'avançai jusqu'aux hautes étagères et collai mon oreille au plus près de la centaine de grimoires pour tenter de discerner d'où provenait ces appels au secours.
La variété la plus pouet rare porte le nom d'Orchidée pouet -pouet Fantôme : l'on dit que cette fleur pouuuuueeeet ne rayonne que sous la lueur pouet blafarde de la lune. pouet.
Là, coincé entre le Manuel de psychologie des hippogriffes et un exemplaire des Contes de Crottes de Crapauds se trouvait Flores carnivores du monde. Je tirai vers moi l'ouvrage et le posai sur la table, bien décidé à percer le mystère des pouets. A peine ouvris-je le livre que celui-ci me cria littéralement dessus :
INTRODUCTION A LA FLORE CARNIVORE DU MONDE
SOMMAIRE
CHAPITRE 1 - LA VIGNE VAMPIRE DU NICARAGUA
CHAPITRE 2 – LES PLANTES PIRANHA,
AMIES DES CHAMPIGNONS
CHAPITRE 3 – LE FILET DU DIABLE
Je refermai aussitôt l'ouvrage pour faire taire ce tourbillon de hurlements. Je pris une profonde inspiration avant de recommencer ma lecture, m'imprégnant de chaque mot, de chaque virgule, de chaque phrase.
C'est en 1881 que l'Explorafleur allemand Carl Liche, revenant d'une exploration au Madagascar, conte sa fantabuleuse découverte de l'Arbre mangeur d'hommes. Se présentant sous la forme d'un ananas haut de plus de deux mètres, son tronc est hérissé de longues épines crochetés, couronné d'un ensemble de tentacules et emplis d'un liquide mielleux et empoisonné…
Je soupirai. C'était le plus embêtant avec les ouvrages de vulgarisation : le récit était brut, parsemé de mots techniques. J'avais besoin de description pour entrer parfaitement dans le livre : je sautai quelques paragraphes avant de trouver ce que je cherchais.
Voici ce que le docteur Liche raconte au retour de sa première incursion : « sous la voûte de la canopée, ni soleil, ni lune pour nous guider sur le chemin de terre qui s'efface parfois sous les longues trainées de liane. L'air est moite et dépose sur nos peaux une pellicule de sueur qui attise la convoitise des moustiques qui piquent. Au-dessus de nous, la faune siffle, coasse, bourdonne, hulule et surtout nous espionne : un seul faux pas peut nous conduire au trépas. Aucun des arbres environnants ne fournit la moindre protection rassurante, et il n'est pas rare de se retrouver engluer dans les toiles d'araignées tendues entre deux arbres gigantesques… »
Lorsque j'ouvris les yeux, les étagères, les livres, l'épais tapis couvrant le sol, les décorations murales, toute la bibliothèque avait disparu. Je me trouvais désormais dans une jungle à la végétation luxuriante. La lumière parvenait à peine à passer entre les branches touffues et la moiteur ambiante m'étouffait : j'en vins à regretter d'être parti en expédition livresque en pyjama et en chaussons.
Tout autour de moi, les insectes vrombissaient, les oiseaux piaillaient, les branches grinçaient, dans une cacophonie assourdissante et angoissante. Non loin de moi, quelques Pissenlits fourchus mastiquaient pensivement des mouches qui s'étaient laissé prendre au piège, au côté d'un Filet du diable qui paressait à l'ombre d'un palétuvier à mille dents.
Je pris une profonde inspiration : je me trouvai dans un exemplaire de Flores carnivores du monde, la promenade ne serait pas un parcours de santé. Cependant, je pouvais tout aussi bien rebrousser chemin pour retourner à ma lecture des Deux Tours…
Je soupirai : un appel à l'aide m'avait été lancé, et je ne pouvais décemment me boucher les oreilles et prétendre n'avoir rien entendu. Je m'engageai alors sur le chemin tracé, tous mes sens en alerte, veillant surtout à faire attention où je posais mes chaussons, aussi silencieux qu'une ombre (du moins, l'espérai-je).
Je déplorai l'absence de Chester : la présence de mon chat aurait rendu l'aventure moins solitaire. Sur la route, je croisai une flore à la fois exotique et dangereuse : ici un bégonia vampire, là des lianes étrangleur suspendues aux branches d'un gigantesque baobab…
Pouet pouet !
Je m'arrêtai net, cherchant à deviner la provenance de l'appel. Je discernai un frêle pouet ! provenant de ma gauche, mais j'hésitai à quitter le sentier qui me semblait bien plus sécuritaire. Les pouet ! se firent néanmoins plus insistants et, rassemblant mon courage, je me dirigeai vers les cris, regrettant bien vite mon choix : plus j'avançais, et plus la végétation fut hostile à mon égard. Les dizaine d'yeux d'un parterre de rose sanguine me suivit, un géranium dentu me montra les crocs et un bébé mandragore hurla au loin.
Au temps pour la balade bucolique !
Mais, de toute cette végétation bruyante, ce fut un pouet qui eut raison de mes nerfs : pris de panique, mes chaussons-souris prirent seuls la décision de fuir. Mais, comme aucun ne sembla être d'accord sur la direction à prendre, je finis par chuter lourdement au sol dans un méli-mélo de jambes.
Le nez dans la poussière, je grommelai contre ma propre bêtise, regrettant amèrement d'être parti en vadrouille avec des chaussons aussi peureux, quand, relevant la tête, je vis une petite jonquille aussi éclatante qu'un soleil d'été, couinant à quelques centimètres de moi. Nantie de deux yeux globuleux remplis de grosses larmes, elle avait les pieds palmés qui lui permettait d'avancer. Je ne reconnus pas cette variété, aussi m'agenouillai-je pour mieux la contempler : de prime abord, elle ne me semblait pas dangereuse. Je me tins cependant sur mes gardes tout ce qui était petit était certes mignon, mais pouvait aussi être garni d'une rangée de dents ou rempli d'un sac de poison.
La petite fleur trouva le courage de s'approcher de moi pour sentir avec circonspection les plis de mon pyjama avant de bondir d'excitation, m'arrachant un sourire :
— Est-ce toi qui m'a appelé ?
— Pouet pouet ! me fut-il répondu.
— Tu es perdu ?
— Pouet…
— Veux-tu que je t'aide à retrouver ta famille ?
— Pouet ?
— D'accord. Te souviens-tu de l'endroit où tu les as vu la dernière fois ?
La petite jonquille fit mine de réfléchir avant de lancer un pouet ! sonore.
— Alors, montres moi !
Elle s'enfonça dans les hauteurs touffues d'une fougère et je la suivis à distance respectueuse, me fiant à ses pouet-pouet réguliers. Nous nous enfonçâmes ainsi un peu plus dans la jungle, et je craignis bien ne jamais revoir la lumière du jour tant les arbres étaient abondants.
Enfin, nous parvînmes à une clairière au centre duquel clapotait une petite mare. Je m'approchai du rivage et le bout de mes chaussons se risquèrent à renifler la surface ridée de l'eau. Ma petite compagne attira mon attention jusqu'à un parterre de jonc : je notai la présence d'un tas de pétales jaune, pour la plupart froissé et écrasé.
On s'était battu, ici.
— Je suis désolé… murmurai-je.
La jonquille baissa tristement la tête, et ses yeux se noyèrent de nouveau de grosses larmes. Qui avait-elle donc perdu ? Un parent, un frère, une sœur ? Je regrettai de ne pas avoir pris un mouchoir avec moi et essuyai ses sanglots avec la manche de mon pyjama.
— Rien n'est perdu, la rassurai-je. Je suis sûr que ta famille est là, quelque part, à t'attendre.
Je m'agenouillai sur le rivage pour tenter de comprendre qui avait été à l'origine de l'attaque. Je remarquai les nombreuses traces de pas palmé sur le sédiment boueux et m'imaginai sans mal les jonquilles barboter joyeusement dans l'eau. Quelque chose les avait alors attaqués, et la famille avait fui dans le désordre, perdant au passage ma jeune amie. Celle-ci trempa le bout de ses racines palmées et plongea son nez dans la mare pour faire des bulles d'une tristesse affligeante. J'eus de la peine pour elle.
La surface se rida alors : de l'eau surgit un petit démon visqueux aux yeux pâles et aux dents pointues qui s'élança vers la petite jonquille avec un cri de rage. Surpris par la soudaine apparition, j'eus tout juste le temps de prendre la fleur entre mes mains avant qu'elle ne se fasse à son tour dévorer.
Un Strangulot !
Les doigts longs et fins du petit être aquatique tentèrent de s'aggriper à mes chevilles, dans l'espoir, sans doute, de m'attirer dans les profondeurs boueuses de la mare : je bondis en arrière pour l'éviter, et ses mains se refermèrent sur le vide. Je cherchai ma baguette magique mais je m'aperçus que je l'avais oublié : quel idiot ! J'avisai alors un rocher non loin et me perchai dessus : la créature, mécontente de voir son repas lui échapper, retourna dans les eaux troubles de l'étang.
Le silence revint dans la clairière, seulement interrompu par quelques pouets apeurés : la jonquille avait trouvé refuge dans le creux de mon cou et ne cessait de trembler de peur.
— Voilà, voilà, c'est fini ! Tu ne risques plus rien. Allons, calme-toi, maintenant…
— Pouet ?
— Promis, il ne viendra plus t'embêter.
Je décidai de poursuivre le chemin, suivant la direction laissée par les maigres indices laissés sur le rivage, encore secoué par l'apparition soudaine du Strangulot. J'avais grande hâte de rendre à sa famille ma petite amie tremblante et regagner la sécurité de mon monde.
Nous nous enfonçâmes ainsi dans la jungle, à l'affût du moindre bruit, pouet inclus. Je marchai longtemps ainsi, pataugeant parfois dans la boue, la sueur collée à mon pyjama, la soif me tiraillant, mais sans oser boire à quelques points d'eau craignant qu'ils ne soient contaminés. Je n'avais plus la notion du temps, qui n'avait aucune emprise dans les livres : je pouvais tout aussi bien être ici depuis une poignée de minutes que plusieurs heures.
A chacun de mes pas, mes chaussons souris couinaient de fatigue, et je décidai de prendre une pause. Un inoffensif baobab me parut être la solution idéale, bien moins moelleux que mon lit, certes, mais sa hauteur me protégerait des éventuelles attaques. Je calai ma petite jonquille dans l'une des poches de mon pyjama avant de me hisser péniblement dans l'arbre, m'écorchant les mains sur ses branches.
Lorsque j'atteignis une hauteur que je jugeai convenable, je me calai contre le tronc avec un soupir. Ma jeune amie se pelotonna contre moi et s'endormit presque aussitôt, fourbue par les mille émotions qui l'avaient tiraillée depuis le début de notre aventure. Je retirai mes chaussons souris qui chicotèrent1 de soulagement : ils étaient dans un tel état ! Tout crotté, la mine fourbue, le pelage crasseux, les moustaches pendants lamentablement…
— Reposez-vous, dis-je en baillant. Un long chemin nous attend encore.
Mes compagnons somnolèrent. Je fis de même : la journée avait été, ma foi, bien longue.
Un barrissement me réveilla en sursaut quelques minutes ou heures plus tard, et je faillis bien basculer par-dessus les branches. Il me fallut de longues secondes pour me rappeler que j'étais parti en vadrouille dans un livre. Mon petit monde ronflotait doucement et je fus bien peiné de les tirer de leurs sommeils afin de reprendre la route, ignorant les cris de protestations de mes chaussons quand je les remis à mes pieds.
J'ignorai tout à fait où nous étions, la faute au livre qui ne contenait aucune carte dans ses appendices, et la route se divisa à une intersection. Je déposai ma jeune amie sur le sol pour avoir son avis. Elle posa son petit nez en trompette sur le sol pour renifler une éventuelle trace : une fois à gauche, une fois à droite… avant de se décider sur le chemin qui descendait.
— Tu es sûre ?
— Pouet !
— Très bien, allons-y alors. Et on ne râle pas en bas !
Nous nous enfonçâmes donc dans les méandres de la forêt hostile. Lorsque, un peu plus loin, nous rencontrâmes un troupeau de jeune Mandragore beuglant de toute la force de leurs petits poumons, je pris soin de boucher mes oreilles et de les contourner prudemment.
Au bout d'un certain temps, j'en vins à me demander si nous n'étions pas perdus pour de bon.
— Je crois que nous n'avons pas pris le bon embranchement, marmonnai-je.
— Pouet pouet.
— Je suis désolé, mais j'ai comme l'impression que nous tournons en rond. Cela fait des heures que nous marchons et j'ignore tout à fait où nous sommes.
— Pouet ?
— Bien sûr que si, je te fais confiance. Mais il n'empêche que nous sommes perdus.
— Pouet !
— D'accord, d'accord ! Je te suis !
Je posai ma jeune amie sur le sol et elle fila aussitôt entre les hautes herbes. Avait-elle trouvé la trace de sa famille ?
— Attends-moi, haletai-je, m'efforçant de la suivre dans les hauts fourrés.
Trop tard hélas ! Je la perdis de vue.
— Où es-tu ? Pouet moi pour que je te retrouve !
Seul le silence me répondit. Je lâchai une bordée de jurons qui aurait bien fait rougir de honte Delora avant de me décider de poursuivre vaillamment mon chemin.
Contaminés par ma propre angoisse, mes chaussons-souris couinèrent à qui mieux-mieux à chacun de mes pas.
— Vous avez fini de chicaner vous deux ? m'énervai-je. On ne va pas y arriver si personne n'y met du SIIIEEEEEN ! ARGH !
Je tombai la tête la première dans un ravin, les cailloux m'égratignant les mains et le visage dans ma chute. Heureusement – ou pas – un parterre d'orties chatouilleuses amorti ma chute, me causant par la mettre occasion d'innombrables démangeaisons :
— Aïe aïe aïe ! Hi hi hi ! Ça pique ! Ça chatouille ! Arrêtez, ah ah !
Elles essayèrent bien de me retenir, mais je réussis à me dégager, le corps me grattant à telle point que les larmes me montèrent aux yeux.
Splendide ! Et pas la moindre goutte de Murlap ou de feuille de rhubarbe à porter de main pour me soulager ces maudites irritations !
Ne surtout pas se gratter, ne surtout pas se gratter…
Je serrai les dents de douleur et essayai de songer à autre chose… Où se trouvait ma petite jonquille par exemple ? Avait-elle trouvé sa famille ? J'étais à la fois inquiet et très vexé de son abandon.
— Petite jonquille, où es-tu ?
Mais aucun pouet ne me parvint… Je fis quelques pas encore, à l'affût du moindre pétale jaune mais abandonnai bien vite : ma petite jonquille avait bel et bien disparu. Je soupirai : peut-être était-il temps de rentrer à la maison ? J'étais épuisé, couvert de boue et de poussière, et les démangeaisons me rendaient fou.
Pourtant, mes chaussons refusèrent de faire le moindre pas et glapirent de terreur : baissant les yeux, je vis quelque chose se faufiler entre mes pieds. Large comme mon bras, de couleur marron, ma première pensée fut qu'il s'agissait d'un serpent.
Pourtant ce serpent-là avait la texture rugueuse de l'écorce, recouvert de lichens et de mousses, et tordu par endroit. Curieux, je suivis le chemin emprunté par l'étrange reptile qui regagna le couvert d'un gigantesque végétal : levant les yeux, je manquai de hurler en constatant que je faisais face à la plus mortelle des plantes.
Une tige aussi épaisse qu'un tronc d'arbre, une tête végétale mauve dont les pétales violets cachait en vérité une série de dent pointus et une langue fourchue…
Une Dione du crépuscule !
Elle claqua plusieurs fois sa puissante mâchoire florale dans les airs, mécontente de ma venue sur son territoire. Ces horribles choses avaient un odorat très développé et elle ne tarda pas à m'agresser, frappant le sol de sa grosse tête violacée.
Je parvins à éviter son attaque en me jetant sur le côté avec un cri. La Dione exsuda alors son poison nocif qu'elle cachait dans un sac sous le gosier. Les vapeurs me troublèrent l'esprit. La nausée me monta à la gorge et je vis double. Pourquoi avais-je oublié d'amener ma baguette magique ? Quel crétin ! Je m'essayai aux sortilèges informulés, mais autant lui chanter les tubes de Celestina Moldubec dans ses lianes. L'une d'elles, que j'avais eu la bêtise de prendre pour un serpent quelques instants plus tôt, s'enroula insidieusement autour de ma jambe. J'essayai de me dégager de son emprise, mais le poison ralentissait chacun de mes gestes.
— Silencio… non, ce n'est pas ça… Confundo ! Ah non, c'est moi qui suis confus…, barmodai-je d'une boix âteuse.
…le Dione me soulèvâmes juste au-dessus tête… perdre lunettes glissèrent sur nez et ouvre graaaand sa douche... bouche… mouche pour ma manger tout cru tout cru…
POUET POUET !
Venant de partout, une centaine de jonquilles chargèrent la Dione dans des tonitruants poueeeets ! guerriers, et s'attaquèrent à sa tige et ses lianes, mordant, griffant, rongeant, molestant. La Dione glapit de douleur et finit par me lâcher. Vite vite, je trouvai refuge dans le couvert des arbres, hors de portée de la fleur cannibale qui pansait ses blessures à coup de langue comme un animal blessé, gémissant et glapissant. La vingtaine de petites jonquilles me pressèrent de les suivre plus loin encore, cavalant autour de mes jambes au risque que je les piétine, jusqu'à une clairière tranquille où coulait un charmant petit ruisseau au pied d'un palétuvier endormi.
Je me débarbouillai le visage et les mains, tremblant de tous mes membres, me frottais les yeux pour enlever les dernières traces du poison toxique et retirai mes chaussons-souris qui avait bien souffert de l'aventure
— Je suis désolé ! lançai-je en les voyant s'éloigner de moi, clopin-clopant.
Les petites jonquilles s'étaient rassemblées tout autour de moi, à la fois curieuses et inquiètes. L'une d'elle me rendit mes lunettes que je chaussai aussitôt, prenant soin de ne faire aucun geste brusque pour ne pas l'effrayer. Ma petite jonquille se détacha alors des autres et vint chercher ma main pour une caresse.
— J'ai bien cru que tu m'avais abandonné, murmurai-je en lui chatouillant ses pétales.
— Pouet ?
— Je suis content de savoir que tu as retrouvé ta famille.
— Pouet !
— Promets-moi de faire très attention à toi et de ne plus t'éloigner, d'accord ?
— Pouet…
Je me relevai, les jambes percluses de douleurs. Mais, à part quelques bosses et égratignures, je n'avais pas de blessures sérieuses : quel exploit !
Il était temps de regagner mon lit. Je saluai ma petite jonquille qui retint à grande peine ses larmes et alla se cacher dans le giron de ses parents. Je ramassai mes chaussons qui grommelèrent et fis un signe d'adieu au parterre de jonquilles qui m'entourait.
Je m'imaginai la bibliothèque, ses décorations murales, l'épais tapis couvrant le sol, les livres, les étagères… Tout autour de moi, les mille bruits de la forêt se turent et, lorsque je rouvris les yeux, je poussai un soupir de soulagement.
J'étais à la maison.
Note de bas de page :
1. Si toi aussi tu viens d'apprendre qu'une souris ne couinait pas mais chicotait, lève la main.
Le mot de la fin :
J'espère que vous avez apprécié la lecture de ce chapitre ! N'oubliez pas vos affaires scolaires et votre billet de train samedi prochain : il est grand temps de rejoindre Poudlard...
A très bientôt!
Citrouille
