Ce fut avec beaucoup de difficulté que la majorité des sorciers s'éveillèrent au petit matin. Le soleil n'était pas encore apparu à l'horizon et l'obscurité que leur offrait leurs paupières semblaient être un cadeau qu'ils voulaient garder.
Cependant, leur sens du devoir se montra plus docile que leur besoin de confort et de sommeil. Tous finirent par s'extirper des draps qui les avaient recouverts durant cette courte nuit.
Aysha, qui n'avait pas fermé l'œil de la nuit, fut la première à arriver devant le bureau d'Albus Dumbledore, quelques minutes en avance. Elle s'appuya contre le mur, occupé à fixer les quelques élèves qui passaient déjà pour aller dans la Grande Salle prendre leur petit-déjeuner. Tous, aussi rares furent-ils, l'ignoraient royalement, trop endormis ou trop occupés par les propos des amis qui les accompagnaient. Elle en profita alors pour laisser ses pensées envahir son esprit.
Depuis son retour à Poudlard, la veille, elle n'avait pas pris le temps de retrouver ses sœurs et avait à peine pu s'entretenir avec April. Les seules personnes avec qui elle avait vraiment pu discuter se trouvaient être Thésée, Albus, Dean et Norbert. De plus, elles savaient que d'autres personnes allaient les accompagner dans leur quête et elle était assez curieuse de les rencontrer.
Ses pensées semblèrent être entendues puisque deux personnes dont elle ignorait l'identité et trop âgées pour être élèves apparurent. Ils marchaient ensemble, mais ne se parlaient pas, leurs visages semblant être totalement vides de toute émotion. La femme avait de courts cheveux bruns et l'air d'un ange déchu, tandis que l'homme, plus petit et corpulent, portait dans ses yeux une douleur intense mélangée à un émerveillement étrange.
Si la femme s'arrêta non loin de la porte, l'homme continua d'avancer, sûrement car il avait repéré Aysha. Il y eut un moment de silence alors qu'il se postait face à elle, avant qu'il ne demande :
— Vous devez être cette Aysha Wilson ?
L'Occlumens se contenta de hocher la tête. Elle le fixait intensément, comme si elle cherchait à lire en lui. Cela semblait le déranger, mais il lui tendit la main en se présentant :
— Je suis Jacob Kowalski.
— Vous devez être un Moldu ?
Son ton était plus sec qu'elle ne l'aurait voulu et elle n'avait pas eu le réflexe de lui rendre sa poigne.
— Vous aussi vous lisez dans les pensées ? l'interrogea le dénommé Jacob, avec un ton triste et une mine assombrie alors qu'il rangeait sa main dans la poche de son manteau.
— Non, lui assura Aysha. On le voit à la manière dont vous vous émerveillez devant tout ce qui est magique. Certaines choses n'ont pas besoin d'être dites pour être comprises. Et excusez-moi pour mon ton sec, je ne voulais pas…
— Ce n'est rien, l'interrompit-il en lui adressant un sourire triste. Les temps sont durs pour tout le monde.
Elle savait, sans pouvoir l'expliquer, que ces mots renfermaient bien des choses, mais elle préféra ne rien dire. Ce n'était pas ses affaires et elle ne le connaissait pas suffisamment pour se mêler de ce qui ne la regardait pas.
Deux autres personnes choisirent ce moment pour apparaître. La plus âgée des deux femmes laissa apparaître un immense sourire lorsqu'elle vit Aysha et s'avança à grand pas pour venir la prendre dans ses bras. Surprise, la jeune femme ne lui rendit pas son étreinte alors qu'elle s'exclamait :
— Aysha !
— Helena… marmonna l'intéressée alors que sa sœur aînée la lâchait.
— Comment vas-tu ? demanda Helena en lui adressant un sourire. Tu as l'air d'aller mieux en tout cas. Cela me fait vraiment plaisir.
— Et toi, tu as l'air d'aller bien, murmura la benjamine avec un léger sourire avant de se tourner vers son autre sœur. Salut, Emy.
La dénommée Emy, ancienne Gryffondor, la regarda, une lueur illuminant ses yeux pendant quelques instants. Cependant, elle ne lui répondit pas et Aysha se détourna. Quatre nouvelles personnes venaient d'arriver à leur tour. Parmi elles, April était perdue dans ses pensées, Dean avait accordé un sourire à Aysha en la voyant et les deux frères Dragonneau discutaient entre eux.
La porte du bureau s'ouvrit à la volée et Albus Dumbledore apparut devant eux, un large sourire sur les lèvres. Il les invita à entrer, avec beaucoup trop d'énergie pour une heure si peu tardive. Son humeur se distinguait de celle des sorciers et du Moldu qui venaient d'entrer dans la pièce, ces derniers laissant durer un silence pesant en s'installant sur les chaises disposées en cercle. Aysha se retrouva ainsi entre Helena et la jeune femme aux courts cheveux bruns qu'elle avait repéré plus tôt.
— Pour commencer, débuta le professeur de métamorphose en venant se placer au milieu du cercle, bonjour à tous. J'espère que vous avez passé une bonne nuit et que vous êtes en forme et prêts à partir en mission.
Personne ne répondit, si ce n'est le silence. Albus laissa apparaître un sourire étrange, comme s'il ne savait pas comment s'y prendre pour leur transmettre un peu d'enthousiasme, alors qu'il avait l'habitude de le faire avec ses élèves. Mais la différence était là : ce n'était pas ses élèves qu'il avait face à lui. Il s'agissait d'adultes qui avaient – pour la plupart – vécu bien des horreurs. Il n'était pas leur professeur, mais l'homme qui les menait droit vers une nouvelle mission, alors que la précédente avait causé des pertes qu'il n'avait pas prévues.
— Je sais que les circonstances ne sont pas les meilleures. Vous avez perdu des personnes qui vous étaient chères. Vous vous êtes perdus vous-mêmes peut-être. Il sera donc difficile pour vous tous de mener à bien cette mission, mais, malheureusement, c'est nécessaire. Une guerre se prépare et nous devons l'empêcher avant qu'elle n'éclate.
Le Legilimens inspira profondément et ferma les yeux. Il savait que chacun de ses mots était important. Il ne pouvait se permettre de dire quelque chose de travers qui pourrait pousser les personnes l'entourant à abandonner la mission. Certains d'entre eux avaient à peine la force d'accepter ce qui allait arriver et il fallait qu'il arrive à les convaincre, d'une manière ou d'une autre, que c'est ce qu'il fallait faire.
Ce ne fut qu'au bout de quelques secondes de silence qu'il reprit :
— Vous le savez sûrement, Grindelwald aurait été vu au Brésil. C'est pour cela que je vous y envoie.
— Et si ce ne sont que des rumeurs ? l'interrompit alors Aysha en levant un sourcil. Il ne se trouve peut-être pas là-bas. Peut-être même que c'est une manière de nous y attirer. Et puis, le Brésil est un vaste pays. Je doute fort que, s'il s'y trouve, nous puissions mettre la main dessus avec comme seule indication qu'il se trouve au Brésil, selon des sources que nous ne savons pas sûres.
— J'apprécie toujours autant ton optimisme, Aysha, répondit Albus Dumbledore en lui adressant un sourire pour lui signifier qu'il ne disait rien de méchant. Cependant, mes sources sont fiables et plus précises, en réalité. Des personnes présentes lors de l'élocution de Gellert Grindelwald auraient été vues à Rio de Janeiro. Or, c'est justement là-bas que l'ami qui vous accueillera habite.
Il marqua de nouveau une pause, fixant l'Occlumens, mais celle-ci se contentait de le regarder, attendant qu'il termine :
— Je ne peux vous accompagner tant que je n'aurais pas détruit le pacte de sang qui me lie à Gellert Grindelwald et qui m'empêche de m'opposer à lui. J'ai déjà de la chance de pouvoir organiser cela sans réaction de la part du pacte, mais si je vous accompagne, je doute que j'en sorte indemne. C'est pour cela que j'ai fait appel à cinq talentueux Aurors que j'ai eu en tant qu'élèves auparavant et à qui j'accorde mon entière confiance.
Il posa son regard sur Thésée qui semblait n'écouter qu'à moitié ce qu'il racontait, plongé dans ses pensées. Le professeur n'y prêta pas attention et reprit :
— Les présentations n'ayant pas été faites pour tout le monde, je vais m'en charger de suite. Porpentina Goldstein, Auror pour le MACUSA et en mission pour retrouver Croyance Bellebosse – officiellement.
Il avait désigné d'un mouvement de la tête la jeune femme à côté de qui Aysha était assise, ce qui lui permit enfin de connaître son nom. Elle ne fit pas réellement attention aux autres présentations, mais Dumbledore continuait :
— Jacob Kowalski, boulanger, mais surtout le Moldu le plus courageux qu'il m'ait été donné de connaître. Norbert Dragonneau, célèbre magizoologiste et auteur de Vie et habitat des animaux fantastiques. Thésée Dragonneau, son frère aîné, à la tête du bureau des Aurors du Ministère de la Magie britannique. Ces derniers étaient autrefois accompagnés de Nicolas Flamel que vous connaissait sûrement en tant qu'alchimiste, mais il est retourné à Paris. Tandis que Yusuf Kama et Nagini resteront ici, à Poudlard.
Norbert savait que si Nagini restait ici, c'était uniquement à cause de sa malédiction. En effet, si, chaque nuit, dans son sommeil, elle devait se transformer en serpent, et que, plus les jours passeraient, plus elle se retrouverait sous la forme de serpent sans le contrôler, il ne serait pas évident pour le groupe de sorciers, accompagné de Jacob, de gérer leur mission en plus de cela.
— J'ai ainsi fait appel aux sœurs Wilson, Helena, Emy et Aysha, à Dean Hupfull et à April Will, tous cinq Aurors au Ministère de la Magie. Je connais pour beaucoup vos capacités, continua Dumbledore, et je suis certain que vous vous débrouillerez merveilleusement bien. L'ami qui vous accueillera au port, vous logera tous dans son immense demeure. Oui, tous. Il vous aidera, bien évidemment. Je lui fais confiance et j'ose espérer qu'il en sera de même pour vous.
Jacob ne put masquer un bâillement, ce qui fit sourire Tina. Norbert, la regardant, sentit son cœur bondir alors qu'il voyait pour la première fois depuis des jours ce sourire qu'il chérissait plus qu'il ne voudrait l'admettre. Dumbledore, quant à lui, l'ignora et reprit :
— Il vous faut partir de suite, si vous ne voulez pas voir le bâteau partir sans vous. J'ai donné à Thésée toutes les informations et tout ce dont vous avez besoin pour vous rendre au port de Rio de Janeiro. Je vous souhaite donc une bonne mission.
Tout le monde se leva et quitta la pièce en saluant le professeur. Ils se donnèrent rendez-vous dans le hall et se dépêchèrent d'aller récupérer leurs valises qu'ils avaient préparé préalablement – ou tout simplement non vidées. Ils se retrouvèrent donc rapidement et se dépêchèrent de sortir du château et de son enceinte afin de pouvoir transplaner.
Norbert se retrouva bientôt à moitié sonné après avoir heurté le mur d'une rue déserte. Il reprenait ses esprits alors que Thésée avait dû rattraper Aysha qui s'était pris les pieds dans un seau qui traînait sans raison.
— Toujours aussi maladroite, s'amusa-t-il.
— Désolée, se contenta de répondre en se dégageant.
Après avoir retrouvé ses esprits, le magizoologiste se retourna afin de voir où étaient leurs camarades et repéra bien vite Tina qui tenait par le bras Jacob, étourdi par le voyage. Lorsqu'il croisa le regard de la jeune femme, il baissa immédiatement la tête, ce qui ne passa pas inaperçu. Aysha eut un semblant de rire.
Norbert se baissa pour attraper sa valise qui était tombée à terre à l'atterrissage et rejoignit ses amis américains, suivi de près par son ancienne camarade de classe et son frère. Sans la regarder, il demanda à Tina :
— Où sont les autres ?
— Ils ont atterri là-bas, leur indiqua-t-elle d'un mouvement de la tête sans lâcher du regard l'excentrique sorcier, ce qui, là encore, n'échappa pas à l'Occlumens.
— Dans la rue en face ? demanda-t-elle, essayant de leur faire comprendre que la jeune femme avait passé plus de temps à regarder son ami qu'à réfléchir à ce qu'elle indiquait.
— Euh… oui… balbutia-t-elle en détournant le regard.
— Allons les rejoindre, dans ce cas.
Sans un mot de plus, ils se dirigèrent vers la rue en question où ils trouvèrent, en effet, leurs camarades.
Dans un commun accord, ils ajustèrent leur tenue afin de paraître le plus moldus possible et se dirigèrent vers le port qui se trouvait à peine quelques mètres plus loin. Les Moldus étaient assez nombreux et quelques-uns d'entre eux fixaient avec étonnement le groupe qui, malgré leurs efforts, ne passait pas totalement inaperçu. Cependant, ils arrivèrent sur le bateau sans trop de problèmes, après avoir passé la douane.
Assis sur un banc, regardant pensivement les terres s'éloigner, Norbert ne put s'empêcher de se souvenir de la dernière fois qu'il avait eu si mal en quittant un pays de cette manière : lorsqu'il retournait en Angleterre après son séjour en Amérique. Mais, aujourd'hui, la douleur était différente. Il n'avait pas l'impression de laisser une part de lui sur le port, mais il sentait qu'il quittait quelque chose, sans parvenir à mettre le doigt dessus afin de le nommer.
Encore dans ses pensées, il ne remarqua pas tout de suite que son frère l'avait rejoint et s'était assis à côté de lui, la mine toujours aussi sombre.
— Qu'est-ce que cela te fait de revoir, Aysha, après tout ce temps ? demanda soudainement Thésée, ce qui fit réagir son benjamin.
Il parut surpris par la question et mit du temps à répondre. Il se tourna alors vers son aîné et murmura :
— Je ne sais pas. À vrai dire, je crois que j'avais besoin de la revoir. Elle me manquait, même si je n'arrivais pas à l'admettre. Elle m'a fait souffrir, c'est vrai. Mais c'était involontaire, et je l'ai aussi fait souffrir en retour. En l'ignorant, parce que j'avais peur de… je ne sais pas. Je crois que je m'en veux plus à moi-même qu'à elle.
Quelques secondes de silence laissèrent le brouhaha des personnes les entourant parvenir jusqu'à eux. Le magizoologiste le rompit cependant rapidement, puisqu'il se retourna vers son frère pour lui demander :
— Et toi ?
— Moi ? C'était ton amie. Je ne la connaissais pas autant que toi.
— C'est un mensonge.
Un sourire triste se dessina sur les lèvres de Thésée alors qu'il admettait silencieusement que son frère avait raison. Il était vrai qu'ils se connaissaient bien. Non pas parce qu'ils avaient passé beaucoup de temps ensemble, mais parce qu'il y avait quelque chose. Quelque chose qui faisait qu'ils se comprenaient sans beaucoup d'efforts.
— Je suis heureux de la revoir, finit par murmurer Thésée. Et moi aussi, je m'en veux. Parce que nous avons réduit à néant tous ses efforts pour qu'elle accepte de se regarder comme, nous, nous la regardions. Elle a mal agi, mais nous aussi. Et elle est la seule à avoir tenté de réparer ses erreurs. Parce que nous étions trop occupés à vivre nos vies heureuses pendant qu'elle plongeait dans un gouffre sans fond.
— Nos vies heureuses ? répéta Norbert en baissant la tête.
Thésée ne trouva rien à répondre et attrapa la main de son frère en signe de soutien. Il avait conscience qu'il s'agissait d'un mensonge pour Norbert, qui avait passé sa scolarité à être exclu par les autres et les premières années de l'âge adulte à ne se faire comprendre par personne. Il était différent, et c'était un problème pour les autres.
Thésée était lui aussi en faute. Il avait lui-même tenté de le faire ressembler un peu plus aux autres. Mais il avait fini par comprendre que son frère ne serait jamais comme tout le monde. Et heureusement. Parce que toute sa richesse était dans sa différence et il l'aimait pour cela. Il l'avait compris trop tard.
— Tu sais, Thésée, reprit Norbert en relevant la tête vers son interlocuteur, il m'arrive de me demander comment aurait été la vie si nous n'avions pas fait les mêmes choix.
— Personne ne le saura, répondit simplement le chef du bureau des Aurors. L'histoire aurait pu être différente. Notre histoire aurait pu ne pas du tout être la même. Mais nous ne pouvons pas le savoir. Même si nous voulions réparer des erreurs, nous ne pourrions pas effacer tout ce que nous avons fait de mal. Et puis, nous nous construisons sur nos réussites, mais davantage sur nos échecs. Peut-être que si tu n'avais jamais été renvoyé de Poudlard, tu n'aurais jamais rencontré ta chère Tina Goldstein ?
Les joues de Norbert s'empourprèrent et Thésée passa une main dans les cheveux de son benjamin, un sourire amusé sur les lèvres.
— Tu n'es pas discret, p'tit frère. Il est facile de remarquer que tu es totalement épris de cette Auror américaine.
Le magizoologiste s'enfonça dans le banc, voulant disparaître. Il se sentait à la fois gêné, mais aussi libéré. Comme si, le fait qu'il sache que son frère était en courant de cela le débarrassait d'un poids dont il ignorait l'existence.
Thésée laissa alors son regard se perdre dans la foule, le cœur serré. Il était heureux pour son frère, mais cela lui rappelait aussi ce qu'il avait vécu et aurait pu vivre avec Leta Lestrange. Sa mort était trop récente. Chacune de ses pensées lui était toujours destinée. Et c'était sûrement là où le problème se posait. Le retour d'Aysha Wilson dans leur vie rendait la récente mort de Leta encore plus douloureuse.
