Buck regarda le visage d'Athena.

Il avait vu son visage se crisper quand il avait parlé de ses parents, ses poings se serrer quand il avait mentionné l'agression et il pouvait à présent voir dans ses yeux qu'elle avait comprit ce qu'il allait lui raconter. Le genre de récit qu'il allait faire de sa vie.

Bobby de son côté semblait plus blanc que la normale.

– Ce n'est pas... illégal ? souffla-t-il.

– Immoral, c'est sûr, cracha Athena. Pour la légalité, tout dépend de l'état. Mais tout va bien chéri, lâcha-t-elle en lui tendant la main. Tu es en sécurité maintenant. Je ne laisserai plus personne te faire du mal.

– C'est ce qu'il m'a dit aussi, admit-il. Je croyais qu'il m'aimait.

– Quand est-ce que ça a commencé ?

– Je crois qu'il ne supportait pas que je puisse avoir de l'attention pour autre chose que lui. Ça le rendait fou. Il ne voulait pas que je travaille, que je sorte seul, il m'a même interdit de jouer avec le gamin du quartier qui s'ennuyait autant que moi. Puis, il m'a offert un chien. Je l'adorais et il détestait ça. Un jour, il nous a emmené dans les bois, sous couvert de faire une promenade. Il l'a seulement abattu.

– Putain, souffla Eddie s'attirant les regards noirs du couple.

– Continu, Buck, l'encouragea-t-elle.

– Après ce jour, les coups sont devenus plus fréquents et plus brutaux et les raisons de plus en plus obscures mais à chaque fois, il revenait pour s'excuser. J'étais perdu et j'avais du mal à comprendre quoi faire pour éviter une pluie de coups.

– Pendant combien de temps tu as subi ça ? demanda Athena. Combien de temps avant de t'enfuir ?

– Quatre ans.

– Oh Buck, souffla-t-elle.

– Ça va, lâcha-t-il vaillamment. J'ai survécu.

– Tu n'aurais jamais dû vivre une chose pareille, affirma à son tour Bobby. Ce que t'a fait ce monstre, ce n'était pas normal. L'amour ce n'est pas ça, Buck.

– Je sais. Je le sais grâce à Eddie. Mais avant ça, je pensais que c'était normal.

– Pourquoi maintenant ? demanda Athena. Pourquoi après quatre ans ? Qu'est-ce qui a changé ? C'est la mort de ton chien ?

– Ce n'était pas ma première fois, la contredit-il. La première fois que je me suis enfui, c'était juste après la mort de Rox, donc oui je suppose que ça a jouer un rôle pour me faire comprendre quel genre d'homme il était. Il m'avait frappé vraiment fort et j'avais les côtes douloureuses mais il faisait froid, il avait neigé et j'étais parti sur un coup de tête. J'avais nulle part où aller. Et je savais que si je le laissais me retrouver, il me ferait plus de mal encore alors je l'ai appelé et il est venu me chercher. Il ne s'est pas privé de me corriger.

Eddie l'observait attentivement, guettant le moindre signe avant-coureur d'une crise d'angoisse mais sa main toujours prisonnière de la sienne l'aidait beaucoup à rester dans le présent.

– La deuxième fois, c'était à l'hôpital. Deux mois avant, il m'avait retrouvé inconscient dans la salle de bain. J'avais un grave traumatisme crânien et il avait eu peur. Alors, quand je n'ai pas pu me relever après plusieurs côtes cassées il m'a emmené à l'hôpital. J'attendais pour une radio quand mon ami d'enfance est venu vers nous dans une blouse d'hôpital. Il ne semblait pas m'avoir reconnu et Doug m'a laissé le suivre pour mon examen. Mais Tyler m'avait reconnu et il m'a aidé à m'enfuir. Il était censé suivre une cure de désintoxication mais il voulait m'aider et il m'a emmené chez son père à New York. Il était pompier. C'est lui qui m'a convaincu d'entrer à l'académie et Tyler m'a suivi. Il m'a aussi appris à conduire mais je n'ai pas eu le temps de passer mon permis. Il m'a retrouvé.

Buck essuya ses larmes.

Tout le monde était silencieux et semblait attendre qu'il poursuive. Buck prit une longue inspiration tremblante. Replonger dans ses souvenirs était douloureux et effrayant mais Buck savait qu'Eddie ne le laisserait pas s'enfoncer dans son passé.

Il avait confiance en lui, il ne le laisserait pas tomber.

– Tout ce dont je me souviens c'est qu'une minute on riait en se questionnant mutuellement sur nos cours de l'académie et la minute d'après il était là et me frappait en plein visage encore et encore. Je sais que je me suis défendu parce qu'il m'a mis dans un sale état. La douleur était trop forte et j'ai perdu connaissance. Quand on est revenu à la maison, j'étais assez lucide pour qu'il m'annonce que Tyler était mort, qu'il avait fait une overdose. Il l'a tué à cause de moi.

Il étouffa un sanglot et Eddie le prit dans ses bras pour le bercer.

– Non chéri, affirma Athena. Le seul coupable c'est lui et tu en sais assez sur lui pour l'envoyer en prison pour le restant de ses jours.

– Je ne peux pas.

– Pourquoi ?

– Mais parce qu'on est marié. Je n'ai pas le droit de témoigner contre lui.

– On parle d'un meurtre là, s'insurgea-t-elle. Bien sûr que tu as le droit.

Buck se redressa et se força à calmer sa respiration. Eddie ne relâcha pas son étreinte. Buck savait qu'il était inquiet et aussi en colère. Il ne lui avait pas raconté tout ça dans les détails.

– De toute façon, sa parole vaut plus que la mienne, murmura-t-il.

– Mais de quoi tu...

Elle se stoppa quand Bobby posa sa main sur son bras.

– Tu t'es enfui, tu es loin de lui maintenant, murmura-t-il. Tu es en sécurité avec nous. Tu ne le vois peut-être pas mais Athena a sorti ses griffes de mère poule. Elle ne laissera personne t'approcher et Eddie non plus. Tu as une famille maintenant Buck et tu peux nous faire confiance pour empêcher cet homme, qui qu'il soit, de t'approcher.

– Vous ne pourrez rien faire, s'il me retrouve, il me ramènera quoi qu'il en coûte. Il ne reculera devant rien.

– Je t'ai promis que ça n'arriverait pas, lui rappela Eddie.

– Et je ferais en sorte que cette promesse soit tenue, affirma Athena.

– Vous ne comprenez pas...

– Tu dois leur dire Buck, souffla Eddie. Ils ont besoin de savoir. Athena doit savoir si elle veut te protéger efficacement.

Buck savait qu'il avait raison et il acquiesça.

– Je... J'ai essayé de porter plainte une fois. Rox l'avait mordu parce qu'il me frappait et il lui avait donné un coup de pied. Je ne pouvais pas accepter qu'il lui fasse du mal alors j'ai été à la police.

– Il a été interrogé ? demanda Athena.

– Ils m'ont seulement dit de rentrer à la maison, affirma Buck. Et d'être un bon mari.

– Comment est-ce seulement possible... ? souffla-t-elle la voix tremblante de rage contenue. Comment ont-ils pu faire preuve d'un tel manque de professionnalisme ?

– Il est leur collègue, admit Buck.

– Ce type est flic ? sursauta Bobby.

– Je suis désolé.

– Tu n'as pas à l'être, lui confirma Athena. Rien de tout cela n'est de ta faute. Tu as fait comme tu as pu et c'est déjà énorme.

– Tu me crois vraiment ? pleura-t-il.

– Bien sûr que je te crois, chéri.

Buck attrapa sa main tendue qu'elle n'avait cessé de laisser à sa portée.

– Merci, articula-t-il difficilement. Merci.

Athena le laissa la prendre dans ses bras.

Il était tellement soulagé d'avoir enfin pu trouver de l'aide, d'avoir enfin pu le dire à quelqu'un qui le croyait. Il avait toujours peur que Doug le retrouve mais aujourd'hui il n'était plus seul, il bénéficiait d'un énorme système de soutien.

Lorsqu'il se dégagea, il s'était calmé.

Il poursuivit son récit et raconta sa fuite : le transfert d'appels, le voyage jusqu'à Philadelphie, les multiples changements de travail et les chambres sordides, puis l'ultime périple jusqu'à Los Angeles. Désormais, il pouvait décrire ces expériences avec calme, comme s'il parlait d'une autre personne.

Quand il eut terminé, Bobby secoua la tête, l'air pensif.

– Quoi ?

– J'essayais juste d'imaginer ce que tu as dû éprouver en raccrochant, après le dernier coup de fil de ce monstre. Alors qu'il te croyait encore à la maison. Je penche pour le soulagement.

– Oui. Mais j'étais également terrifié. Et à ce moment-là, je n'avais toujours pas de travail et j'ignorais ce que j'allais faire.

– Pourtant, tu as réussi, affirma à son tour Eddie.

– J'ai réussi, admit-il, le regard perdu dans le vague. Mais pourtant je n'arrête pas de me dire qu'il va surgir à un moment et je devrais l'affronter seul.

– Tu ne seras plus seul, affirma Athena. Et si ce salopard ose se présenter ici, il ne quittera pas Los Angeles vivant. Crois-moi Buck, il est peut-être policier chez lui mais ici il n'est rien d'autre que le monstre qui t'a maltraité toutes ces années, un meurtrier et je vais faire en sorte qu'il ne t'approche plus jamais.

– Ne le prend pas mal Athena mais il trouvera des appuis parmi tes collègues, il est fort pour ça.

– Chez lui peut-être mais pas ici, tacla-t-elle déterminée. Ici, c'est MA ville et il n'y trouvera aucuns appuis.

Il ne savait pas si elle s'adressait plus à lui ou si elle s'en faisait elle-même la promesse, et tous restèrent un long moment silencieux. Buck posa la tête sur l'épaule d'Eddie qui déposa un baiser sur ses cheveux.

– Je suis fier de toi, murmura-t-il. Tu as été si courageux.

– Je t'aime, souffla-t-il fatigué.

– Je t'aime aussi.