010 Antidote

Pov Mairon

Le scintillement de l'enchantement de Melian ne fit rien pour cacher la confusion qui passa dans les grands yeux bleus qu'il levait vers moi. Il avait l'expression de quelqu'un qui vient de prendre le croisement entre un coup de poing sur la tête et un plongeon forcé dans un lac glacial en plein hiver.

Malgré son allure noble, la fierté et l'assurance de son maintien, la façon dont il me regardait à cet instant précis, je pouvais juste voir un gamin perdu sous la pluie et malheureux.

Il ne savait pas qui il était.

La poussière du désert à peine visible sur le brun de ses vêtements… Il avait fait tout ce chemin pour trouver des réponses?

Pourtant, quelque chose ne collait pas, trois quelque chose en fait. Déjà comment il avait fait pour me trouver si il ignorait sa propre nature? Alors que ses pupilles portaient deux petites bosses, signe qu'elles commençaient déjà à s'étirer pour imiter les yeux des Dragons? Et puis…

Sa wyverne s'étira au Soleil, la lumière passa au travers de ses crocs coniques quand elle bailla leurs donnant une teinte orangée. Elle était déjà bien grande pour un bébé. Peut-être pas très haute, comme la plupart des membres de son espèce même si ce point était tout relatif, mais du bout du museau au bout de la queue elle devait déjà faire une vingtaine de mètres, et la taille de ses ailes à demi-pliée laissait deviner une envergure impressionnante.

Alors pourquoi?

Je voulu tendre mon aura vers lui, mais la sienne se déroba. Pas comme du sable sec qui glisse entre les doigts, mais comme du sable mouillé formant une boule compacte. Je me détournai de lui.

-Viens, on va discuter un peu tous les deux.

Ancalagon se déplia, étirant ses pattes devant lui à la manière d'un gigantesque sphinx, je m'assis sur l'une d'elle et tapota la place à côté. Il me suivit, sa façon de bouger trahissant son mode de vie forestier : il se mouvait avec l'aisance de quelqu'un habitué à se déplacer sur des terrains accidentés. Et c'est avec une facilité déconcertante et à peine d'élan qu'il fit un pas, puis deux… à la verticale sur la patte du Dragon jusqu'à venir s'asseoir à côté de moi, sa wyverne ne tardant pas à venir se coucher près de lui et a poser sa tête sur ses cuisses, ou plutôt le bout de museau qu'elle arrivait encore à faire tenir dessus. Leur lien était fort.

Je lui ai laissé le temps, et pendant un moment, il resta assit le dos bien droit et le menton relevé avec cette fierté naturelle chez lui, les yeux braqués sur le panorama désertique qui s'étirait devant nous.

Pov Thranduil

-...Tu … Tu n'as pas l'air si surpris que ça de nous voir.

Ça lui arracha un sourire en coin que je dise ça. Ses canines étaient un peu plus allongées que la normale, plus pointues aussi.

-Oui et non à vrai dire. Je savais qu'il y avait enfin quelqu'un d'autre comme moi, mais je ne m'attendais pas à ce que tu viennes jusqu'ici.

-Comment tu as su?

Mon envie de le questionner davantage mourut instantanément comme on souffle la flamme d'une bougie pour l'éteindre, alors que l'or liquide de son regard sembla s'animer une nouvelle fois, prenant cette fois-ci toute la solidité du métal en reprenant cette dureté teintée de méfiance.

-Pourquoi tu es venu jusqu'ici? Qu'est-ce que tu attends de moi?

Je baissais la tête, c'était plus facile de regarder la poussière au sol que de soutenir l'or de ses yeux là.

-J'espérais que tu puisses m'aider à comprendre ce qui m'arrive…

Son aura changea, de nouveau cette sensation d'ondulation, je pouvais deviner que celle-ci se reflétait à la surface de ses iris animant l'or liquide comme le vent la surface d'un lac. Devinant aussi l'expression proche de la tristesse avec laquelle il m'avait contemplé en prononçant les mots de "Sang-Dragon". Peut-être même que c'était avec pitié qu'il me regardait à présent, et malgré le fait que je sois celui qui soit venu à lui pour demander son aide, cette pensée me donna presque envie de le mordre, la pitié c'était bien la dernière chose dont j'avais besoin.

Hateya gronda en réponse.

Mais celà passa vite, alors qu'il prenait sa décision, son aura changea encore, la sensation mouvant de nouveau, plus calme, plus ouverte aussi d'une certaine manière, comme lorsqu'il m'avait invité à m'asseoir avec lui sur la patte de son dragon à peine quelques instants plus tôt.

-Racontes-moi ton histoire. Et moi, j'essaierai de répondre à tes questions.

Je tournai vers lui un regard curieux, dans la lumière déclinante de la fin d'après-midi, ses yeux dorés scintillaient. Je posais une main sur la tête d'Hateya, main qui glissa d'elle-même jusqu'à l'écaille noir et lisse au bout de son museau et se mit à la caresser.

-... J'étais Prince Héritier… Avant.

Son aura changea encore, un flash de réalisation qui passa, comme si quelque chose s'était mis en place dans son cerveau avec ses mots, et une compréhension dans les yeux d'or à laquelle je ne m'attendais pas vraiment. Et un museau de dragon géant contre ma tête.

Pov Mairon

-Tu es le fils de Thingol.

Thranduil tourna la tête vers moi.

-Je n'ai pas parlé de Doriath.

-Non, mais l'enchantement protecteur que Melian a levé autour du Doriath se voit encore dans tes yeux. Pour moi en tout cas.

Je tendis une main vers le museau d'Ancalagon qu'il avait baissé vers nous quand Thranduil avait parlé.

-Pour lui aussi.

J'inclinai la tête du côté, curieux, pressant de nouveau mon aura contre la sienne, l'invitant à continuer. Cette fois-ci la sienne ne se déroba pas mais resta contre la mienne comme si je m'étais allongé sur une plage de sable. C'était étrangement facile de sentir les fluctuations dans nos auras et d'y réagir.

-Oui, je suis bien originaire du Doriath. Mais je ne suis pas le fils de Thingol et Melian, ou peut-être que d'une certaine façon j'ai fini par l'être un peu, pour le bout de ma vie que j'ai passé à Menegroth en tout cas.

Il fit une pause, sa main glissant une nouvelle fois sur le museau de la wyverne, et continua son récit, avec cette façon détachée qu'avait les Immortels de parler de choses maintenant très distantes. Et je l'écoutais, alors qu'il me dévoilait une bribe de la vie dans la mystérieuse Doriath protégée par son enchantement. Il ne me regardait plus, mais fixait le désert.

-Mon géniteur -il cracha ce mot avec un dédain non dissimulé- c'est Oropher, un noble du Doriath. Pour ma mère, Sindar elle aussi, je ne l'ai pas connue, d'après ce qu'on m'a dit elle était petite, surtout pour une elfe, quand elle a su qu'elle attendait un enfant elle a tenu à aller jusqu'au bout malgré les risques. C'est ce qui l'a tuée.

Nouvelle caresse sur l'écaille noire. Autant il disait ça sans cacher son mépris, autant sa voix avait l'intonation de quelqu'un qui énonçait simplement à son cuisinier qu'est ce qu'il voulait manger se soir.

-Oropher ne s'en est jamais remis, et il ne lui a pas pardonné sa décision "elle m'a abandonné" qu'il disait. Moi, il m'a détesté et a dû souhaiter ma mort à chaque seconde, pour finir par m'ignorer complètement. A moins qu'il aie oublié que j'ai survécu quand le Royaume est tombé. Avec sa maladie tout est possible.

-Malade? Je ne savais pas que les elfes pouvaient l'être aussi.

-Le deuil de sa femme a rongé son esprit un peu plus chaques jours, sa mémoire s'effile et il oublis les choses. Parfois, je me demande si il est encore conscient de ce qu'il se passe autour de lui.

Il retourna la tête vers moi, la trace blanc-grisée scintilla. Sa voix se teinta de la mélancolie toute particulière de ceux qui se souviennent d'un temps trop loin derrière eux à leur goût. D'affection aussi.

-C'est Melian qui m'a donné mon nom lorsqu'elle m'a présenté à Thingol. L'hiver fut long et froid cette année-là, elle n'espérait qu'une chose que la saison prochaine n'en soit que plus belle et le Soleil plus chaud. Après, elle m'a confié à une de ses amies les plus proches. Nodissien, une demi-elfe. Elle était gentille Nodissien. Ils l'étaient tous d'ailleurs.

Un soupir chargé du poids de ses souvenirs et de regrets lui échappa.

- L'un dans l'autre, je garde assez peu de souvenirs de l'époque de Doriath. Je m'en veux. J'aimerai pouvoir me souvenir de plus.

Son aura et l'éclat de ses yeux changea, s'obscurcit pour se teinter de noir, et se voila d'une tristesse profonde qui vibra contre la mienne.

-Par contre la Chute de Doriath, ça je m'en souviendrais toute ma vie. C'était affreux Mairon.

Il marqua une pause. Je le laissais prendre son temps pour continuer. Il baissa la tête, gardant les yeux fixés sur la main qu'il avait sur les écailles d'Hateya.

-Thingol et Melian ont eu un second enfant, un fils, Dior, peut-être deux ans avant… Avant la fin.

Il se redressa, son regard se perdant encore une fois dans le vague, quelque part dans la rocaille du désert. Son ton se détacha de nouveau, comme si il voulait se protéger, mais il ne cacha pas sa tristesse. Il me parla de cette attaque soudaine, de ses petits-êtres qui semblaient être sortis de la Terre comme le ver d'une pomme malade contournant ainsi l'enchantement protecteur du Doriath. Il les décrivait portant la même aura immonde que Nan Dungortheb et ses araignées. Dans ses mots, je revis les effets du poison d'Ungoliant, qu'il vienne de son venin ou de son sang qui avait coulé sur la Terre dans sa fuite, empoisonnant, rongeant, détruisant, les êtres et les lieux, que l'effet soit immédiat ou les dégradant sur le long terme, lentement.

Il m'a parlé de la lame qui s'était plantée en plein dans le coeur du Roi, mettant fin à son règne et à sa grandeur, la façon dont il en parla étira l'acte cruel dont il avait été témoin lui donnant la même impression de ralenti que la scène qu'il avait gravée dans sa mémoire, son aura tremblant contre la mienne, comme Thranduil bien plus jeune avait dû trembler. Il parla de la peur, la panique, le sang qui coula et colora la pierre du sol et des murs. Il se souvenait que quelqu'un qui l'avait tiré pour sortir. Que les survivants s'étaient seulement arrêtés une fois hors des bois, à l'Est. Pas pour longtemps. C'étaient des guerriers à Doriath. Et avec Beleg à leur tête, ils sont repartis au palais une fois les plus jeunes en sécurité. Il m'a dit que peu de temps avant, Beleg avait eu l'honneur de choisir l'arme de son choix dans l'armurerie de Thingol lui-même et que son choix s'était porté sur Anglachel, l'épée noire offerte par Eol. Mélian avait un mauvais pressentiment sur cette épée, pourtant à partir de l'instant ou sa main s'est serrée sur la garde, jamais elle n'a trahi Beleg.

A l'origine, les Elfes étaient un peuple de nomades ayant parcouru l'Ouest du Monde, des montagnes à la mer, à pied ou à cheval, pour finir par s'installer et bâtir des villes somptueuses, des villages, des tours… des palais. En pleine, au bord de la mer, en haut des montagnes, sous le couvert des arbres… Mais de leur temps de voyageurs, ils avaient gardé leur instinct de chasseurs, de traqueurs hors du commun et leurs sens affutés. Et je savais ce qu'ils pouvaient faire à leurs ennemis. Ils étaient persistants et endurants, devoir traquer quelqu'un jusqu'au bout du Monde ne les arrêterait pas, ils feraient payer ceux qui leur avaient du mal. Ils avaient déclaré la guerre à mon ancien maître pour un meurtre et le vol de leurs trésors. Alors, quand les soldats du Doriath sont revenus, ravagés par le chagrin de la perte de leur souverain, de leurs amis et camarades, de leur maison, et assoiffé de vengeance, ils n'ont fait preuve d'aucune pitié envers leurs agresseurs et les ont massacré jusqu'au dernier avant de repartir.

-Personne ne voulait revenir à Menegroth après ça, c'était trop tôt et la peine encore trop grande, alors on est parti vers l'Est. Jusqu'à la Forêt Noire.

-La Forêt Noire? Celle qui coupe le continent en deux près du grand lac?

Thranduil hocha la tête en signe d'affirmation.

-C'est pas vraiment un endroit que je choisirais…

J'avais survolé cette forêt une fois par le passé, ignorant qu'un peuple y vivait. L'aura de sa frontière Sud m'avait mis mal-à-l'aise. Une aura sombre, moite, poisseuse qui m'avait presque rendu malade. Une tâche noire dans la Terre là où le sang empoisonné d'Ungoliant avait touché le sol. Je me demandai jusqu'où cette sale bête avait bien pu se traîner avant de mourir de ses blessures.

Combien de vies au total elle avait gâché dans son sillage quand elle sortit de l'ombre.

-Il nous fallait bien un endroit où vivre. On s'est installé parmi les clans d'elfes sylvestres qui vivaient déjà là. Sous la chaîne de montagnes au Nord du territoire, on a creusé un palais souterrain en souvenir de Menegroth, la maison qu'on avait perdu et la Grande Ville un peu plus loin.

Un rire amer lui échappa.

Pov Thranduil

-Et la décision la plus ridicule et invraisemblable qui soit fut prise : celle de faire de cette larve d'Oropher le nouveau souverain des peuples elfiques en Forêt Noire.

-Mais il a un fils.

Nouveau rire amer.

-Oui, un fils qu'il ne reconnaît pas et qui a été élevé par d'autres plus compétents que lui en la matière.

-Peut-être qu'ils avaient tous le même espoir que Melian, l'espoir d'un futur meilleur qu'ils ont voulu placer entre tes mains.

Pendant un moment, la main sur le museau d'Hateya, je méditai les paroles de Mairon, les superposant à la réalité de ma vie d'adulte dans la Forêt Noire, au poids de la couronne que je sentais déjà sur mes épaules et à ce Royaume que je gérais de mon mieux dans l'ombre, à ses habitants que je voulais protéger. A l'histoire de ma vie que j'avais raconté à Elrond et Glorfindel qui me semblait maintenant si loin derrière moi. A tous ceux qui me voyais déjà comme leur Roi. Aux "Votre Majesté" qu'employaient les Hommes de Dale et Lacville en s'adressant à moi. Triste, mon aura se pressa contre la masse chaleureuse et pesante de celle de Mairon. Contre la mienne, son aura semblait immuable.

-Ils méritent tous tellement mieux que la vie qu'ils ont actuellement… J'aimerais leur donner cette vie.

-Alors tu le feras.

Ses yeux brillaient, ils scintillaient tel un tas de pièces d'or au Soleil. Mairon croyait en ses paroles, et ça me donna une certaine force, du courage quand à l'avenir. Lui dire ça, l'entendre me répondre, j'en venais presque à me demander comment j'avais pu douter au point de penser qu'il y ai un autre chemin que rentrer chez moi, reprendre le Trône et devenir Roi. Le violet des grands yeux de Lindir s'imposa à moi : " Toi tu as sorti une Wyverne de la pierre. Je suis sûr que ça fera aussi de toi un Roi."

Encore une fois, Mairon inclina la tête sur le côté, la masse ondulée de ses cheveux flamboyant au Soleil et ses yeux brillant comme un lac d'or liquide, il m'invita à continuer.

On était même pas à la moitié de l'histoire.

Alors, me penchant en avant, j'appuyai ma joue sur le crâne d'Hateya et lui racontai la suite du récit, à savoir la visite du Seigneur de la cité d'Imladris et du Capitaine de sa garde. Mais si j'ai sans hésiter dis le nom "Elrond", pour le moment, je n'ai rien dis de Glorfindel de Gondolin, et je savais que quand j'en arriverai aux conversations que l'on avait échangées dans la vallée avant mon départ, je le tairais aussi. Ainsi que le nom du "Fantôme de Gondolin" qui pourtant me brûlait les lèvres depuis que Mairon était apparu en haut de l'escalier. C'était encore trop tôt pour ça. Je revoyais la méfiance dans ses yeux d'or qui brillaient dans la lumière du couchant comme un tas de pièces laissées au Soleil. Un jour peut-être je lui parlerais de ça, si parmi toutes les choses qu'on avait à se dire il accepterait de partager au moins un bout de son histoire avec moi. Mais pas maintenant.

-Les années qu'ils ont passées au palais, c'est eux qui se sont occupés de moi. Elrond, m'a non seulement élevé comme son propre fils, mais il m'a aussi donné l'éducation digne du Dauphin de la Couronne. C'est lui que j'ai toujours appelé "Papa", il a bien essayé de m'expliquer que c'était pas lui mon père mais ça n'a rien changé, je continue de l'appeler comme ça encore aujourd'hui et lui à cessé de me corriger. Si un jour je monte sur le Trône, j'aimerai qu'il m'adopte officiellement avant de me couronner. Son Capitaine lui m'a enseigné l'Art de la Guerre.

Un soupir m'échappa et Hateya souffla.

-Ils ont dû partir. Quand Oropher finit par complètement perdre la tête et fermer les frontières de la Forêt Noire.

Et, parce que je ne savais pas comment lui expliquer autrement, je lui transmit d'une pression de mon aura contre la sienne mon ressenti sur la dégradation de l'état du souverain, sur son premier conseillé aussi, cet elfe à l'aura malade, qui depuis l'ombre lui aussi tentait de prendre le contrôle du pouvoir pour servir ses intérêts dont j'ignorais la nature. Comme si la noirceur de l'aura de la frontière Sud avait fini par peu à peu déteindre sur eux malgré la distance, profitant de leur état de faiblesse pour les attirer aux ténèbres, les rongeant peu à peu de l'intérieure jusqu'à les corrompre complètement. Mairon se tendit, son aura sembla frissonner contre la mienne, visiblement, il ressentait la même chose .

-Il faudra que je te parle de quelque chose à ce sujet. Mais celà peut attendre. Continues.

Si son aura était ouverte, tendue comme une invitation, sa voix sonnait comme un ordre, avec une intonation pourtant étrangement semblable à un secret. Comme si lui savait ce qui se cachait dans les ombres et était prêt à me le dire.

-Pendant ce temps, Dior à grandi dans la Ville sous la tutelle de Beleg avant de rejoindre la garde. Il n'a jamais été envieux de ma position d'Héritier du Trône, n'a jamais tenté de me nuire pour usurper la place. Il se fiche bien du trône de la Forêt Noire, mais je sais qu'au fond il rêve de pouvoir reprendre Menegroth et le Royaume de son père.

Je me mordit l'intérieur de la lèvre.

-Il y a un peu plus de deux cents ans, un ancien mercenaire itinérant s'est installé parmi nous. On…

J'hésitais un moment, entre le passé et le présent. Avec un soupir, j'ai finalement choisi le présent. Après tout, il m'avait dit vouloir une chance.

-On est devenu amis tous les deux. A vrai dire je crois que c'est la personne la plus proche de moi à la maison.

Mairon hocha la tête. Une fois. Lentement. Il comprenait.

-La dernière fois qu'on à parlé tous les deux, il m'a révélé avoir entendu quelque chose qui me concernait. Quelqu'un voulait me voir mort, probablement le Premier Conseiller du Roi, s'assurant ainsi la succession au trône.

Mairon porta une main à son dos et quelque chose passa dans son regard mais il me laissa continuer. Je tournai la tête, pressant mon front aux écailles d'Hateya, me sentant triste sans vraiment parvenir à comprendre pourquoi. En réponse, il se pencha un peu vers moi, son aura chaude et lourde contre la mienne. Ravalant un soupir, je retournais la tête pour pouvoir le voir du coin de l'œil, la joue contre les écailles rouges et noires.

-Pour me sauver d'un complot, il a décidé de parier avec la Mort. Il m'a emmené avec lui dans les montagnes et m'a jeté du haut d'une falaise… Me faisant ainsi passer pour mort aux yeux de tous. Il ne m'a rien dit de son plan avant d'agir. Je ne sais pas comment il a pu savoir, comment il a réussi a prévoir que je m'en sortirais mais il faut croire que son plan a fonctionné. À vrai dire je ne suis même pas sûr d'avoir réalisé ce qui se passait. J'ai juste eu l'impression qu'on me cachait, de disparaître. …Comme…

Son regard doré s'illumina avec la réalisation de l'origine de ce nom aux sonorités un peu étranges.

-Une trace de pas dans le sable. Hateya.

Cette fois, un sourire se dessina de lui même sur mes lèvres et la joue pressé contre les écailles chaudes d'Hateya, j'hochai la tête en signe d'affirmation. Elle ronronna, noyant pour un temps le bruit d'énormes cœurs qui battaient et son aura sembla onduler de contentement. Comme du sable qui glisse le long des dunes avec le vent et efface les traces de pas laissées à leur surface par un voyageur dans le désert. C'était son nom.

-C'est comme ça que vient leur nom.

Mairon leva une main vers le côté du museau d'Ancalagon qu'il avait toujours baissé contre ma tête.

-La toute dernière sensation que l'on a avant de mourir.

Ancalagon. Mâchoire. Alors pour lui ça avait été comme de se faire dévorer? Et pourtant il parlait en souriant et ses yeux brillaient. Il parlait avec cet air détendu et détaché comme-si ça n'importait pas, qu'il était à sa place et heureux … Qu'il le referait sans l'ombre d'une hésitation. Il disait ça en caressant le museau du grand dragon avec une affection qui n'était dissimulée ni dans son geste ni dans son regard… Ni dans celui du dragon qui baissait vers lui ses immenses yeux d'or… Des yeux débordant de confiance et d'une affection sans limite.

Comme-si pour lui la peur et les doutes n'avaient jamais existés.

-Mais en réalité, tu es bel et bien mort au pied de cette falaise. La question est plutôt de savoir comment lui à fait pour savoir que ta Destiné t'attendait surtout si toi-même l'ignorais.

Me redressant pleinement, je regardai Mairon sans comprendre.

-Je ne sais pas… Certains Elfes sont capables d'utiliser leur aura pour connaître l'avenir. Elrond le peut, mais quoi que me réserve le futur, il m'a dit ne pas pouvoir le voir. Et à ma connaissance mon ami ne possède pas un tel pouvoir… Mais il est tellement secret qu'avec lui on peut s'attendre à tout.

Songeur, Mairon se tut pendant un moment. Sa main glissa sur les écailles noires du museau de son dragon, une fois puis deux, trois, comme si dans sa tête mon histoire se superposait avec sa propre expérience.

-J'ai senti quelque chose m'appeler et me tirer, je n'avais aucune idée de quoi mais je savais que c'était quelque chose d'important et que ma vie allait changer. C'était Ancalagon depuis son œuf. Je te raconterai une fois si tu veux.

J'hochais la tête, les yeux brillant. Bien sûr que je voulais savoir, que j'avais envie qu'il me raconte son histoire.

-Mais si ce qu'on t'as dit est vrai : que d'une façon ou d'une autre ta nature empêche de connaitre ton avenir, je pense que ton ami à juste dû faire un paris avec la Mort et que d'une certaine manière il a gagné.

-Mais… je suis quand même…?

Mort. Je n'arrivais pas le formuler à voix haute. Je ne m'étais jamais senti aussi vivant que depuis cette escapade fatidique dans les montagnes. Cette rencontre avec une créature de légende que personne ne pensait revoir un jour.

-Je vais essayer de t'expliquer ce qu'il s'est passé.

Il prit mon bras, celui de son côté dont la main n'était pas posée sur le museau d'Hateya, et la referma en poing. Il garda les doigts posés sur mes phalanges. Ils étaient brûlants.

-Disons plutôt que c'est l'Ancien toi qui est mort, et un œuf de wyverne a éclo quand tu l'as touché.

De ses longs doigts minces, il déplia lentement les miens et appuya fort ma main contre l'écaille noire au bout du museau d'Hateya.

-Pourtant, la façon dont le toi Elfe aurait trouvé la mort n'aurait rien changé à ce point, tous les deux vous vous serez rencontré rien n'aurait pu l'empêcher. Hateya t'aurait attendu des années, des siècles, des millénaires si il le faut. Mais vous vous seriez rencontré tous les deux. Retiens bien ça : elle t'a choisi. Toi et toi seul.

Ma wyverne. Elle ronronna, et comme à chaque fois que cette certitude m'envahissait, quelque chose crépita dans mes veines, et comme un incendie partit du creux de mes paumes sur ses écailles pour remonter tout le long de mes bras, alors que la marque à mon flanc se mit à chauffer doucement.

Et à en croire Mairon, c'était même ma Destinée. J'étais à ma place.

-Le Lien que vous partagez s'est fait à ce moment précis : quand ton cœur d'Elfe a battu pour la dernière fois et que les deux vôtres ont commencé à battre ensemble.

Il me fit un petit sourire en coin.

-Et qu'une marque en forme de wyverne écarlate s'est dessinée sur ta peau.

Je tournais la tête vers lui. J'étais certain de ne pas lui en avoir parlé. Le sourire de Mairon s'agrandit devant mon expression intriguée, dévoilant une fois de plus ses canines un peu plus allongées que la normale.

-Tu en as une toi aussi?

-Sûr!

Il s'assit plus droit, faisant briller la large boucle de sa ceinture à la lumière et remonta le tissu rubis de sa chemise : Mairon était mince, la forme de ses os visible sous sa peau même avec les muscles et tout le long de son ventre s'étirait une marque à l'effigie d'un grand dragon noir. Je ne voyais pas l'intégralité du dessin mais, assis de côté les pattes sous-lui à la manière d'un chat, sa tête et la courbe de ses cornes soulignait celle de son pectoral, les ailes disparaissaient sur son flanc puis probablement dans son dos quant à la queue et au bout des pattes ils étaient cachés par son pantalon. Mairon laissa retomber sa chemise, et la remis dans sa ceinture exactement de la même façon qu'il la portait précédemment, si bien que si il ne venait pas de la soulever à l'instant pour me montrer le dessin sur sa peau, j'aurais été incapable de dire que le tissu avait bougé.

-Mais tu ne ressembles pas à quelqu'un qui vient de se faire jeter d'une falaise. Continues, je t'en dirai plus.

-C'est pas vraiment… très clair.

Il haussa les épaules.

-Je ne pense pas que ça soit très clair pour moi non plus, même avec le temps qui a passé depuis. Essaye quand même.

Il pressa la masse chaude de son aura contre la mienne, semblant s'enfoncer dedans comme si il se tenait au bord d'une plage, les vagues ramenant le sable à ses pieds.

-Utilise ça si ça peut t'aider.

Pov Mairon

Pendant quelque minutes, il chercha ses mots, ses yeux bleus soutenant les miens. Il était jeune comparé à moi, à tous les sens du thèrme, j'avais vu bien plus de choses que lui et en avaient vécues tout autant, et pourtant, le poids de la vie qu'il avait vécu passa entre nous, se reffléttant dans le noir de ses pupilles. La Chute du Doriath, l'exil jusqu'à la Forêt Noire, tout reconstruire là-bas, grandir dans ses ombres, la responsabilité du Royaume et de la Couronne, et maintenant ça. Les pièces qui ne semblaient pas cliquer ensembles plus tôt commençaient à s'imbriquer les une aux autres : sans savoir que son ancienne vie était maintenant révolue, il avait essayé de vivre la nouvelle en restant coincé à une sorte d'entre-deux sans savoir où aller.

-D'après ce qu'on m'a raconté…

Toute mon attention se porta de nouveau sur lui quand il reprit la parole.

-Je suis resté plus d'une nuit là dessous avant de réussir à sortir de la grotte où on était.

Je dus ravaler ma surprise, compte tenu des circonstances, c'était presque incroyable qu'il ait réussi à bouger aussi tôt. Je me souvenais des sensations qui m'étaient parvenue de sa chute de la falaise. Alors c'était ça un Sang-Dragon né avec la résilience des Elfes?

-J'ai pas réussi à aller bien loin pourtant, avant de m' effondrer sur le bord d'une route.

La déception qu'il éprouvait envers lui-même était flagrante dans sa voix. Un homme déterminé, fier et exigeant envers lui-même donc. J'aurais presque pu en rire tellement ça me ressemblait.

-C'est mon ancien mentor qui m'a retrouvé. Grâce à elle.

Il glissa ses mains sous la mâchoire de la wyverne et pressa fort son nez sur l'écaille noire de son museau. Un geste affectueux et respectueux. Et typiquement dragon.

-Je pense que tu te doutes de la suite mais il m'a ramené avec lui.

Il leva un bras, montrant ainsi la couleur brune de ses vêtements.

-Dans la cité elfique d'Imladris.

Il est donc retourné auprès de celui qu'il appelait "Papa". Ça a dû lui faire beaucoup de bien. Au début en tout cas, si le mélange de confusion et de tristesse que je sentais dans son aura troublée était une quelconque indication.

Et Hateya avait grandi dans la cité, côtoyant d'autres personnes depuis bébé, ce qui devait expliquer qu'elle avait si bon caractère pour une wyverne et que ma tête était encore attachée à mes épaules.

-C'était la première fois que je voyais leur cité et pourtant quand je me suis retrouvé face à eux, c'était comme revenir plus de cinq cents ans en arrière. J'étais très heureux de les revoir mais, d'un autre côté les voir inchangés par le temps en face de moi et moi… différent…

La masse pesante de son aura pressée contre la mienne, il me raconta alors son séjour dans la cité. Des trois jours qu'il avait passé avec sa wyverne dans une chambre de l'infirmerie, ce qu'on lui en avait dit, sa vie là-bas, son aura me partageant le mélange d'apaisement et de doute qu'il avait ressentit aussi bien que ses paroles. Ce doute dans le calme de son aura me fit penser à un nuage d'orage obscurcissant déjà l'horizon. Il me fit part de ce changement qu'il sentait en lui sans vraiment le comprendre, ses inquiétudes quant à celui-ci et ce qu'il était en train de devenir, confirmant ainsi ma théorie. Je pouvais facilement imaginer et me mettre à sa place, depuis son corps d'Elfe il avait sentit peu de différences : la vision, il était aussi plus sensible aux auras des être et des lieux et forcément une capacité de guérison accrue par la magie du sang des Dragons qui coulait maintenant dans ses veines. Et être amené à vivre parmi d'autres Elfes, auprès des deux personnes qui l'avaient connu enfant, plus le choix devant lequel il s'était retrouvé de rester ou partir il s'était bien retrouvé coincé sans savoir où aller et vers où regarder.

-Tu sais, pour toute leur longue vie je crois que les Elfes ont fini par oublier ce que c'est d'être en vie et que changer c'est le propre des vivants.

Il testa les mots sur sa langue :

-Changer… c'est le propre des vivants.

J'hochais la tête. Ferme aussi bien dans ma gestuelle que dans mes paroles.

-Bien sûr. C'était le cas pour le toi Elfe d'Avant non? Le toi à 100 ans n'est pas le même que le toi à deux cents ou trois cents ans si?

-Non.

-Tu es jeune c'est vrai, mais tu as déjà vu beaucoup, Doriath, l'exil, la reconstruction et tu as grandi avec le poids de la couronne sur tes épaules. Ca t'as fait grandir et changer aussi. Pourquoi ça serait différent pour le toi de maintenant?

-...Tu as raison. Que je sois Elfe ou Sang-Dragon il n'y a pas de raisons pour que ça soit différent.

Je lui lançait un regard appuyé, attendant que lui aussi me le dise.

-Je suis vivant. Et les vivants changent.

J'hochais la tête avec satisfaction, Mon aura ondulant presque de contentement contre la masse sableuse de la sienne.

-Bien. Garde-toi ça en tête et ça devrait aller.

Et pourtant, de nouveau, je regardais sa wyverne avec le bout de museau qu'elle arrivait encore à faire tenir dessus posé sur ses cuisses, la force de leur lien un poids tangible dans l'air. Thranduil ne savait plus où il en était et pourtant elle avait réussi à grandir. Est-ce que l'apaisement et l'aura de calme de la cité qu'il me transmettait était la seule cause ou bien est-ce qu'au fond il connaissait déjà sa décision finale quant au choix qu'il allait faire et la route qui lui restait à parcourir? Je le laissais donc continuer.

-Et puis, elle est devenue trop grande pour venir dormir avec moi le soir.

Il fit une pause dans son récit, cherchant ses mots en caressant du bout de longs doigts le museau d'Hateya qui ferma les yeux de contentement, un long souffle profond proche d'un soupir satisfait lui échappant. Alors que l'aura de Thranduil changea contre la mienne et l'apaisement de sa vie à Imladris vola en éclat alors que le point noir que j'avais deviné en dessous pris de plus en plus de place.

Je me souvenais de la première tempête de sable que j'avais vu. Le vent qui soufflait de plus en plus fort balayant couche après couche le sable et la poussière, les faisant monter vers le ciel jusqu'à en cacher le bleu par un rideau brun et jaune. Jusqu'à cacher le Soleil presque aussi sûrement que si la nuit était tombée. Ancalagon m'avait recouvert de son aile, se repliant autour de moi pour me protéger de la force du vent et du sable. Je m'étais replié sous mon abris, les mains sur les oreilles pour faire taire le son de la tempête qui me semblait encore plus bruyant que le plus violent orage que j'avais connu jusque là, comme si quelque part au delà du Monde réduit pour moi à la masse rassurante d'Ancalagon, deux gigantesques lions se battaient, leurs rugissements portés par les bourrasque furieuses.

Cette obscurité dans son aura de sable, cette incertitude, ce tremblement de doute et de peur comme moi j'avais tremblé pendant la tempête caché par mon dragon.

Après une profonde inspiration, me donnant l'impression de quelqu'un qui s'apprêtait à faire un plongeon depuis une hauteur vertigineuse, à demi-mots et la tête basse, il me parla de ses rêves : de violents cauchemars qui avaient hantés ses nuits depuis que la wyverne n'était plus à ses côtés car devenue trop grande pour entrer dans les bâtiments. Soir après soir, il revoyait sa propre mort défiler devant ses yeux, au pied d'une falaise où Hateya ne l'attendait pas en bas, le ciel beaucoup trop haut au-dessus de lui. Son aura contre la mienne reflétant son mal-être.

-Avec ce que je t'ai dis tout à l'heure, tu dois déjà savoir que c'étaient juste ça : des rêves.

Il ne répondit pas, laissant une nouvelle fois sa main glisser sur l'écaille noire au bout du museau de la wyverne.

-Elle t'aurait attendu et elle t'aurait toujours choisi toi.

Il porta une main à son flanc gauche, sous ses côtes, là où devait se trouver sa propre marque à l'effigie d'une wyverne écarlate.

-Oui, maintenant je le sais.

Ravalant l'envie de coller mon nez ou mon front contre le sien dans ce geste typiquement dragon, je pressai un peu plus mon aura à la sienne. La sensation toujours identique à celle de m'allonger sur une plage et d'enfoncer mes doigts dans le sable.

A mon tour de lui en dire plus.

-Tu sais aussi mal que tu te sois senti, je ne pense pas que tu aies été si mal. A vrai dire, je serais presque prêt à parier qu'au fond tu savais déjà ce que tu devais faire.

Pov Thranduil

Il désigna Hateya du menton.

-Regarde comme elle est grande.

A mon tour, je la regardais, sa tête posée sur mes jambes, ou plutôt le bout de museau qu'elle arrivait à faire tenir dessus, et ses grands yeux bleus identiques aux miens.

-Elle a mis quelques jours…

-Si tu vas mal, ils ne grandiront pas.

Il bascula la tête en arrière et balança ses jambes une fois, puis deux.

-J'étais seul, alors je ne peux pas te dire combien de temps j'étais inconscient, et si toi tu as eu une chance incroyable d'être trouvé par de bonnes personnes, moi j'en ai eu une incroyable de ne pas avoir été trouvé. Mais… Je dirais que plus d'un mois ou deux ont dû passer avant qu'il se mette à grandir.

Mairon replia une de ses jambes et se tourna davantage vers moi.

-C'était comment pour toi au début? Tu as tout de suite su que tu étais différent?

-J'avais faim.

-Ca t'était jamais arrivé avant? Tu étais quoi, un fantôme? … Oublis tu n'aurais pas réussi à toucher son œuf.

Cette fois-ci, il éclata franchement de rire, rejetant sa tête en arrière, surprenant son dragon qui lui mit ce qui devait être un petit coup de museau, mais qui le renversa quand même à moitié sur sa patte. Calmé, il reprit :

-Je te raconterai.

Mairon laissa un silence planer entre nous, il se redressa, ses yeux d'or fixant le ciel qui commençait à prendre une teinte jaune alors que le Soleil continuait sa lente descente. Il avait une expression distante, celle de quelqu'un qui se rappelait de choses très, très lointaines.

- Ta vision à changer pour devenir comme celle de ta wyverne. Tes sens de manière générale sont plus affutés, comme les leurs, le feu et la chaleur ne vont pas te déranger non plus. Ton cœur et tes poumons sont plus gros afin de s'adapter au vol en haute altitude là où l'air est plus rare. Ce qui va te rendre plus endurant. Tu es plus sensible à l'aura des êtres et des choses… Je pense que c'est différent en fonction de l'espèce à laquelle on est liée, mais comme à ma connaissance il n'y a que nous deux je ne peux pas t'en dire d'avantage.

Il reporta son attention sur moi, me laissant voir ses pupilles fendues et me sourit, montrant ses canines allongées.

-Les pupilles et les dents, c'est ce qui met le plus de temps.

Il se pencha vers moi.

-Mais on dirait que tes pupilles ont déjà commencé à s'allonger. Tu vois, peut-être pas aussi mal que tu le penses.

Son visage se durcit alors que son expression se fit plus sérieuse. L'or liquide de ses yeux ne pétillait plus de se quasi amusement, mais lui aussi, c'était complètement solidifié.

Comme plus tôt, l'image du général s'imposa à moi et je fus incapable de voir quelqu'un d'autre.

-J'aurais du commencer par ça vu ta … situation, tu me l'as dit toi-même : tu guéris plus vite. Et je t'ai dis que tu avais eu beaucoup de chance d'avoir été trouvé par des personnes avec de bonnes intentions.

J'hochais la tête.

-Ton sang.

Il désigna ma main sur le museau d'Hateya où on pouvait deviner le vague contour bleuté d'une veine.

-Il a maintenant les mêmes propriétés que le sien, et il n'y a rien de plus précieux au Monde que le sang des Dragons.

Mairon me parla alors du sang des Dragons, de ce liquide fabuleux qui alimentait les mythes et les légendes les plus folles. Et Mairon avait une façon de parler, d'expliquer les choses, même les plus abstraites ou complexes, de façon si claire qu'elles en devenaient presque tangibles. Et je me disais que j'aurais pu l'écouter pendant des heures, sur n'importe quel sujet du plus banal au plus fascinant, parce qu'il avait cette façon de parler qui rendait les choses pratiquement matérielles, vivantes devant mes yeux. Il me parla du sang merveilleux dont la couleur était celle d'un rayon de Soleil au travers d'un rubis sang de pigeon. Un rouge profond et particulier tenu au fer qu'il contenait en grande quantité. On disait de ce sang qu'il avait tout un tas de propriétées magiques et qu'il détenait même le secret de l'immortalité, qu'il entrait dans la composition de potions et d'élixirs censés éloigner la maladie et toutes sortes de maux même les esprits néfastes, et que le boire éveillait chez la personne une sorte de sixième sens, une vision plus sensible aux auras et de fabuleux pouvoirs digne des divinités. Mairon savait par son expérience et son vécu, que tout celà n'étaient guère plus que des mythes des Hommes. Que même si le sang des dragons avait bien des propriétés de guérison et que leur vie était si longue qu'ils devaient sembler immortels aux yeux des Hommes, les potions et les élixirs n'existaient pas et ce pour une raison bien simple : la difficulté -pour ne pas dire l'impossibilité- de se procurer le-dit liquide. Les écailles étaient trop dures à percer et aucun n'accepterait de servir d'ingrédient de potion pour un mage avide. Même là où Hommes et Dragons vivaient ensembles, pas une goutte de sang n'avait été prélevée, le précieux liquide restant un trésor détenu par eux seuls.

Et les Dragons, finissaient par mourir un jour.

Mais il me parla aussi de la vérité : de ses fabuleuses propriétées de guérisons dont on avait tous les deux fait l'expérience, des plaies qui se résorbent, des os qui se ressoudent seuls ensembles, de cette capacité à survivre à des situations qui seraient mortels pour un autre et de cette résistance aux maladies même les plus graves. "Si un Dragon perd sa patte dans un combat, il y survivra. Même dans le pire des environnements, même dans un marécage il survivra. Sa patte ne va pas repousser mais il vivra très bien."

-Et puis, il y a nous deux.

-Tu veux dire..?

-Si on le traite avec respect, on peut demander à un Dragon de dégager un tronc d'arbre d'une route, de nous abriter sous ses ailes en attendant que l'orage passe… Mais on ne peut pas le forcer à nous donner son sang, certainement pas un adulte. Mais nous c'est beaucoup plus simple, de nous blesser, de nous contraindre. Surtout au début lorsqu'on est au plus faible…

Mon reflet dans les pupilles fendues de Mairon changea, il s'effaça, comme la tempête de sable recouvre les traces de pas d'un voyageur dans le désert, et, sa lourde aura chaude pressée contre la mienne, la surface noir refléta ce qu'aurais pu devenir ma vie dans d'autres circonstances, si ce n'était pas la route de Glorfindel que j'avais croisé cans les bois. La seule chose qui m'a permis de me reconnaître c'est la couleur blond platine des longs cheveux ternes et abîmés qui tombaient devant le visage et sur les épaules de la personne, les pointes touchant les cuisses, et peut-être la largeur des épaules. Je me vis assis, cloué au sol par de lourdes chaînes qui pendaient à mes poignets et à mon cou, maigre et affaibli comme jamais, les os des côtes et des épaules bien plus saillant que d'ordinaire, entouré par les silhouettes de personnes sans visage. Je devinais la surface sur laquelle ce "moi" était assis de la couleur brune du sang depuis longtemps séché, les plaies des blessures cicatrisées et invisibles sur la peau presque trop blanche grâce à la magie du sang des Dragons. A côté, dans le fond d'une cage aux épais barreaux, il y avait une masse recroquevillée d'écailles écarlates. Une petite wyverne aussi mal en point et affaiblie que son Sang-Dragon. Une wyverne qui n'avait jamais pu grandir à cause de l'emprisonnement et de l'état de son maître. Mon aura s'embrasa contre celle de Mairon. Aucune chaîne, aucun cachot, aucun geôlier ne m'auraient retenu enfermé quelque part. Même si mon unique moyen était de leur arraché la gorge à coup de dents, même les deux bras et les deux jambes cassés je serais sorti. Pour la liberté de la wyverne. Pour la mienne. J'avais d'autres choses à faire que de passer ma vie enfermé à servir d'ingrédient de potion. Hateya pressa fort son museau contre moi, ou plutôt, elle avança sa tête me forçant à me coucher sur la patte d'Ancalagon avec un "off". Mairon sourit, un petit quelque chose au fond des yeux, une lueur d'approbation qui frôlait presque la fierté, scintillant comme un rayon de soleil sur une pièce d'or. Et c'est avec certitude que je sus que je venais de lui donner la bonne réponse.

-...Tu as dit que les Dragons étaient mortels…

Je n'avais pas osé l'interrompre dans ses explications, mais à l'entendre dire que les Dragons finissaient par mourir un jour, la tristesse était montée en moi, implacable. Ça voulait dire que les Wyvernes aussi… Je posais mes mains sur les écailles, à peine rassuré par le poids tangible et bien présent de son crâne sur mon corps. Je ne voulais pas la quitter. Oui, ma vie avait changée depuis que l'on s'était rencontré tous les deux mais je n'arrivais pas à le regretter, j'en était incapable… Et je l'étais tout autant d'imaginer un jour ma vie sans elle. L'image d'un Roi solitaire dans une sombre salle du Trône s'imposa à moi une seconde.

-Oui. Les Dragons vivent lentement, une très longue vie. Et puis ils meurent.

Les coins de ma bouche se tournèrent vers le bas, tant bien que mal, j'ouvris les bras au maximum pour serrer contre moi la tête d'Hateya. … Je me demandais quel âge avait Mairon et combien de temps il lui restait avec Ancalagon.

-Il n'y a pas qu'elle qui t'a donné quelque chose quand son œuf a éclos.

Tournant les yeux vers lui, je repoussai le museau d'Hateya, la laissant se réinstaller sur mes jambes pour pouvoir me redresser.

L'espoir de ne jamais la quitter monta d'un seul coup en moi.

-Tu as partagé ta vie avec elle. Une seule vie pour vous deux. Pour les immortels comme nous on la partage avec eux pour toujours. Mais ça veut aussi dire que si l'un meurt l'autre ne survit pas.

Je laissai une caresse affectueuse sur son museau, lui faisant redresser un peu la tête -et retrouvant la sensation de mes jambes- alors qu'elle ronronna joyeusement en se collant le plus possible au creux de ma paume. La marque à mon flanc était chaude.

-Elle est grande maintenant, et suffisamment forte pour te protéger. Mais rappelles-toi qu'il est plus facile de te tuer toi qu'elle.

J'en connaissais peu, aucun même, qui avait grandi en s'entraînant tous les jours avec le légendaire Glorfindel de Gondolin, des heures durant dans le froid et sous la pluie et qui rentrait tout couvert de boue. Qui une fois leur mentor parti, s'était entraîné seul dans les hauteurs brumeuses de la crête, luttant contre des ennemis invisibles créés par les ombres de la nuit jusqu'à ce que le jour se lève enfin au-dessus des cimes. Et j'étais près à lever la barre plus haut encore. J'en connaissais aussi peu qui était devenu ami avec un ancien mercenaire qui avait parcouru de nuit des routes que même les plus courageux fuyaient en plein jour et avait combattu un nombre incalculable de fois parfois même contre des créatures inconnues de nos contrés dont on n'osait prononcer le nom sur leurs terres d'origines.

J'étais apte à nous garder tous les deux en vie. Trop d'autres en dépendait. Hateya gronda.

-Je ferais attention. Et je tuerai ceux qui complotent dans mon dos avant qu'ils n'y parviennent.

Je senti une nouvelle fois l'aura de Mairon onduler de satisfaction contre la mienne, l'or de ses yeux scintillant au soleil criant presque "Tu vois? Je te l'avais bien dit tu es vivant et tu changes." Parler avec lui m'avait fait évoluer en un lapse de temps très court, et je pressentais que je n'allais pas m'arrêter là, qu'il avait encore beaucoup à me dire et à m'apprendre.

-Mais ce n'est pas encore tout à fait tout, je me trompe? Qu'est-ce qui t'as fait partir? Et surtout comment tu m'as trouvé? Tu ne m'as pas répondu tout à l'heure.

Pov Mairon

Il tourna vers moi de grands yeux étonnés. Comme si il ne s'attendait pas à ce que je lui pose la question.

-Tu ne sais pas? C'est pourtant toi qui m'as…

Il se coupa dans sa phrase, et leva la tête vers Ancalagon qui baissa un peu plus son museau vers lui.

-Ou alors Ancalagon…?

Ses mots se suspendirent dans l'air entre nous, une question qu'il posait sans vraiment le faire. Je penchais la tête d'un côté, intrigué.

-Reprends du début alors. Tes rêves.

Je l'encourageais d'une pression de mon aura contre la sienne, les deux masses glissant sans efforts l'une contre l'autre, sans pour autant se mélanger et s'emmêler l'une à l'autre. Pas comme avec lui. Je m'ébrouais mentalement, ce n'était pas le moment de penser à ça. Laissant le passé là où il était, je me reconcentrais sur lui et le présent, ses prochaines paroles me surprenant :

-Je pense que tu as dû le ressentir avec tout ce que je t'ai raconté jusque là, mais je ne savais plus trop où j'en étais avec tout ça, j'en ai parlé avec Elrond, c'est lui qui m'a encouragé à partir chercher les réponses à mes questions au delà de la combe, mais ce qui m'a vraiment décidé, c'est le dernier rêve que j'ai fait à Imladris. Mais tu devrais savoir ça.

Je secouai négativement la tête.

-Non? Pourtant tu disais que tu avais senti ma présence.

Il haussa les épaules et se laissa de nouveau tomber en arrière sur la patte d'Ancalagon.

-Le dernier a commencé comme tous les autres : au pied de la falaise à regarder le ciel et à attendre de me réveiller. Mais cette fois-là, j'ai entendu du bruit dans le rêve un rugissement quelque part hors de la grotte.

Il tourna la tête vers Ancalagon et moi.

-Et un grand Dragon noir est passé dans le ciel au-dessus.

Il tendit la main vers lui, et se mit à caresser son museau, l'empreinte chaude de sa main se faisant presque immédiatement sentir contre l'arrête de mon nez.

-Je suis à peu près sûr que c'était toi, l'aura était la même en tout cas. La seine à changer après, d'abord j'ai entendu le bruit régulier du métal qui claque contre le métal, c'était apaisant.

Si ma première réaction fut la surprise en l'entendant parler, là c'était plus proche de l'incrédulité alors que je me souvenais de la mystérieuse sensation d'avoir quelqu'un dans la même pièce juste derrière moi qui m'avait prit ce soir-là quand je travaillais sur la lance. Quelqu'un à la lourde aura de sable.

Alors ce n'était donc pas juste moi, il lui avait fallu du temps, mais on avait bien tous les deux cette sorte de "conscience de l'autre" que je n'arrivais pas encore tout à fait à expliquer.

-Et je me suis retrouvé dans une pièce éclairée par des flammes avec quelqu'un devant qui me tournait le dos. Il forgeait-

-Une lance.

Il pencha la tête du côté.

-Je forgeais une lance.

-Donc tu savais.

-J'ai senti une présence avec moi dans la forge ce soir-là, quand je me suis retourné il n'y avait personne et maintenant tu me raconte ça… Je dois reconnaître que ça m'intrigue, j'aimerais en savoir plus. Mais le point n'est pas ma curiosité personnelle, tu es parti après c'est ça?

-Le lendemain. On a pris la route avant l'aube, j'ai suivi ton aura jusqu'ici.

Pendant un temps, aucun de nous deux parla, lui toujours allongé sur la patte de mon Dragon et moi contemplant le paysage du désert au coucher du soleil, le silence seulement troublé par le battement de deux gros cœurs.

-Mais toi… tu savais depuis le début..?

-Depuis que l'œuf d'Hateya a éclos, oui.

-Comment ça?

Je lui répondis avec un petit sourire au coin des lèvres, me rappelant ce que j'avais vécu, l'incompréhension, suivie de la peur et puis la joie de ne plus être seul.

-Et bien si d'une certaine façon Anca' et moi on s'est montré dans ton rêve, toi tu m'as laissé vivre les derniers instants de ton ancienne vie et le début de la nouvelle.

Les yeux toujours portés sur le panorama de terres brûlées au soleil et de tourbillons de poussière levés par le vent en face de nous, je lui relatai ma propre expérience, de ce qu'il m'avait fait ressentir. Il se redressa d'un mouvement brusque, dérangeant sa wyverne qui lui signifia son mécontentement d'un grognement, et tourna la tête vers moi, son visage d'un seul coup plus pâle, il me regarda avec une expression surprise, effaré, puis coupable.

-Je suis désolé. Je voulais pas te faire mal.

A mon tour, je le fixais sans comprendre.

-Je ne t'en veux pas et tu n'y es pour rien. Tu ne savais pas ce qui t'arrivait, et vu ta situation, contrôler ce que tu envoyais à quelqu'un dont tu ignorais l'existence jusqu'à récemment devait être le dernier de tes soucis.

-Même, je suis désolé que tu aies eu à vivre ça.

J'haussai les épaules.

-J'ai connu bien pire.

-Pardon.

Il ne m'écoutait plus vraiment, et alors qu'il s'excusa encore de quelque chose qu'il n'avait pas fait exprès, je ressentis comme dans son récit son côté protecteur. Sans nul doute, il ferait un bon Roi, il en avait déjà le cœur en tout cas.

Il baissa les yeux vers le sol, Hateya revenant s'installer sur ses jambes. Coupant la nouvelle excuse que je prévoyais, je cédais à cet l'élan uniquement dragon que j'avais eu plutôt et colla mon nez au sien l'espace d'une seconde. Instantanément son aura se calma contre la mienne et un petit sourire se dessina au coin de ses lèvres. Une lueur d'amusement au fond des yeux scintillant au côté du souvenir de l'enchantement de Melian.

-Tu fais comme Hateya.

-Oui. C'est ce que font les dragons entres-eux.

-Ca veut dire… qu'il y en a d'autres?

-Ils ont gagné une mauvaise réputation auprès des Elfes et des Hommes et ont quitté ses régions suite aux guerres contre Morgoth. Mais oui, il y a toujours eu des Dragons, et il y en aura toujours.

Il ne répondit pas tout de suite, et je scrutai le ciel tirant sur le jaune alors que le Soleil n'allait plus tarder à se poser sur la ligne d'horizon avant de disparaitre derrière.

-Tiens, regarde là-bas.

D'un doigt, je lui montrait une forme d'un bleu profond dans les cieux qui aurait simplement pu être un nuage avec une forme un peu étrange.

-Juste là.

-C'en est…?

-Un Dragon, oui. Ceux-là passent toute leur vie en vol, une fois que leur œuf a éclos ils ne se posent qu'une seule fois pour mourir.

L'émerveillement dans ses yeux à la vue d'un Dragon en liberté laissa la place à un mélange de tristesse et de confusion.

-Ca veut dire… que tu fais un malaise à chaque fois qu'un œuf éclos?

-Non. Les autres vivent là, dehors. Parfois je les rencontre mais c'est tout.

-Tu étais tout seul jusqu'à maintenant.

Le visage que j'essayais depuis trop longtemps de chasser du présent en le gardant enfermé dans ma mémoire et qui était revenu de plus en plus à moi ces derniers temps, se réimposa encore à moi. Et je dû me faire violence pour rester concentré sur lui, et pas que le blond platine de ses cheveux cède la place au rouge.

-... Il y en aurait peut-être un autre comme nous. Mais si c'est bien le cas je suppose que peu de temps à dû s'écouler entre l'éclosion de nos deux Dragons, ont été jeunes et au plus mal. On n'avait pas cette conscience de la présence de l'autre comme j'ai eu pour toi, et si il y en a bien un troisième, on a jamais essayé de se rencontrer.

Parce que c'est le dernier ordre que je lui ai donné, et c'est peut-être mieux comme ça.

-Je m'en veux d'être venu. Surtout sachant que toi tu étais seul pendant tout ce temps.

-L'époque et les circonstances étaient différentes, et je ne te souhaiterai jamais ce qui m'est arrivé. Mais, ça t'aiderait si je te disais que sachant qu'il y avait quelqu'un d'autre comme moi quelque part, j'aurais pris la même décision que toi et je serais parti à sa recherche?

A nouveau, je voyais un enfant à sa place.

-... Peut-être.

Mon choix était fait.

-Ne me demande pas de t'aider dans ta décision finale, moi je n'ai jamais été très doué pour prendre la bonne. Mais si tu veux, je suis d'accord pour t'apprendre.

-Je ne suis pas sûr d'avoir assez de temps devant moi, avant de devoir rentrer.

Cette fois, je n'ai pas lutté contre l'image qui s'imposa à moi alors qu'une phrase que j'avais déjà prononcé une fois auparavant, il y a très, très longtemps monta toute seule à mes lèvres, et derrière lui, se découpa la silhouette d'un Elfe plus grand que lui, aux épaules larges, aux longs cheveux rouge et aux yeux de la couleur d'un ciel d'orage.

-Les Rois ont une relation toute particulière avec leur terre. Quand le moment sera venu, tu le sauras, tu sentiras ta terre t'appeller à elle.

Je reportai mon attention sur Hateya, chassant ainsi l'image de l'Elfe qui s'était dessinée, le renfermant une nouvelle fois au creux de ma mémoire, murmurant à mi-mot le nom de la wyverne.

-Une trace de pas dans le sable.

L'histoire de sa vie qu'il m'avait partagé passa sur moi, faisant onduler mon aura.

-La tienne de trace sera gravée dans le marbre.

Je me mis debout sur la patte d'Ancalagon, ses yeux d'or braqués sur nous deux.

-C'est le destin de ceux comme toi et moi. Pourquoi nous, ça je ne sais pas mais ce que je peux te dire c'est que nous sommes promis à faire de grandes choses. Les miennes étaient grandes. Terribles, certes mais grandes. Mais avant de faire ton choix et de prendre ta décision de si oui ou non tu veux rester avec moi ou rentrer directement chez toi, tu as encore besoin de grandir un peu. Et tu as besoin d'un Antidote.