Chapitre 89 : Amis et ennemis
Avançant côte à côte, ils se montraient tous deux mal à l'aise. Enfin réunis pour de bon après avoir longtemps œuvré séparément, ils ignoraient comment se comporter l'un envers l'autre.
-Nous devrions mettre en commun ce que nous savons, proposa le souverain tandis qu'ils prenaient les escaliers.
Emrys acquiesça.
-L'armée commune est prête, rapporta Arthur en grimpant d'un pas vif. Répartie sur les murailles extérieures, sur les remparts du château et dans toute la ville basse. Il est impossible de prédire ce que va faire Mordred, mais j'ai tout de même préparé plusieurs idées pour prendre le dessus sur une armée à la fois invisible et magique.
Parler sans se regarder, comme ils devaient le faire en montant ces marches, rendait la conversation plus facile.
-J'ai aussi prévu de faire une annonce avant le début des combats pour dissuader certains de ces sorciers d'y participer, ajouta-t-il. Pour ceux d'entre eux se battent par conviction, il s'agit de leur révéler ma volonté de légaliser la magie, ce dont les autres souverains sont d'ailleurs déjà informés. Sans oublier de leur dire que les druides sont à nos côtés. J'espère ainsi qu'ils comprendront que je suis sincère.
-Vous avez obtenu l'aide des druides ? l'interrompit Emrys. Malgré leurs valeurs pacifiques ?
-Ils ne se battront pas mais ils guériront les blessés des deux camps, et ils ont accepté d'officialiser leur appui à Camelot le temps de cette bataille. Chris a réussi à en convaincre une partie en soulignant les conséquences qui découleraient d'une victoire de Mordred. Au-delà de cela, j'espère qu'ils nous aideront en détruisant les joyaux dont la plupart de ces soldats ont besoin pour faire de la magie.
-Des joyaux ?
-Peu de sorciers sont assez puissants pour utiliser la sorcellerie sans l'aide d'un bijou orné d'une pierre magique. Comme notre ami Gilli par exemple. Mordred, Morgane, Nimueh, Morgause, vous-même, vous êtes tous des exceptions. Seuls les plus puissants s'en sont pris à Camelot individuellement. Ce n'est qu'aujourd'hui qu'on entend parler des autres, car Mordred leur donne la possibilité de s'allier pour être plus forts.
-Mais qui vous a appris toutes ces choses ? Cela se tient bien sûr, mais je suis étonné de voir tout ce que vous savez à la fois à mon sujet et sur nos ennemis.
-C'est Chris qui m'en a parlé, dit Arthur.
-J'ai l'impression que nous lui devons beaucoup.
-Sans aucun doute, et il a beaucoup sacrifié pour nous aider. Je sais que c'est aussi votre cas, d'ailleurs, je ne l'oublie pas. Vous êtes notre ange gardien depuis plusieurs années.
Emrys eut un sourire ému, qu'il tenta de masquer sans succès avant de se tourner vers lui d'un air interrogateur.
-Au fait, demanda-t-il soudain, êtes-vous aussi au courant pour les objets d'invisibilité ?
Arthur secoua la tête, intrigué.
-J'ai appris leur existence en arrivant à proximité du repère de Mordred, dit le sorcier. Quand j'ai été confronté aux guerriers. Ils ont des objets qui permettent à quiconque de se rendre invisible, simplement en les portant sur soi. Je leur avais d'ailleurs subtilisé un bouclier, c'est ce qui m'a permis d'arriver sur l'île avec Kilgarrah sans être vu, même si je l'ai perdu plus tard dans le feu de l'action.
-C'est sûrement grâce à ces objets que Mordred a pu masquer son armée toute entière, et non uniquement les guerriers !
-Exactement. Et ce n'est pas tout…
-Cela veut dire que nous pouvons leur enlever ces objets ! comprit Arthur. Et mieux encore…
-Pas seulement pour les en priver, renchérit Emrys, nous pouvons nous en servir contre eux.
Malgré cette découverte, le mauvais pressentiment d'Arthur demeurait et refroidit immédiatement son enthousiasme. Il craignait plus que tout les plans imprévisibles de Mordred.
Alors que les deux hommes s'engageaient ensemble dans une nouvelle volée de marches, il reprit son rapport plus sobrement :
-Pour ceux de nos ennemis qui se battent pour l'argent, je vais tenter de les pousser à l'abandon d'une autre manière. Léon a accompli pour moi une mission qui devrait me permettre de le faire. Et pour la suite, je pense avoir de quoi révéler les guerriers invisibles à nos yeux. Malheureusement, il y a trop de variables pour être sûrs que cela fonctionnera comme je l'aimerais, et il faudra certainement aviser sur le moment. En ce qui concerne ma stratégie pour affronter des hommes armés de magie, j'ai initialement formé l'armée à toutes les formes de combat afin de ne pas donner d'informations aux espions qui nous observaient. En revanche, l'ordre que j'ai donné il y a quelques instants est de privilégier certaines armes plutôt que d'autres. Par exemple, l'utilisation d'arcs et de lances, que ce soit du haut de nos murs ou plus tard contre les ennemis qui les franchiront, permet de rester à distance et d'éviter la plupart des assauts. Dans l'éventualité de combats rapprochés, j'ai préconisé le corps à corps ou le couteau, car je pense que c'est notre seul espoir d'agir assez rapidement pour empêcher nos assaillants d'utiliser la magie. Les chevaliers sont plus à l'aise avec une épée, mais je crois que cette fois-ci c'est à proscrire, cela laisserait trop d'espace entre les combattants, trop d'opportunités pour nos ennemis de recourir à la sorcellerie. Et enfin… j'avais chargé Gauvain, Elyan et Perceval d'une autre mission pour obtenir des atouts supplémentaires mais… j'ignore s'ils s'en sont sorti, je n'ai pas eu de nouvelles.
Emrys fronça les sourcils sans dire un mot, et on n'entendit plus que sa respiration, rendue plus bruyante par l'effort.
Réprimant lui-même un élan d'inquiétude, le roi continua :
-En ce qui concerne Mordred, je sais que Morgane est à ses côtés. A moins bien sûr que vous l'ayez convaincue de renoncer, je sais que vous avez essayé de discuter avec elle.
-Comment savez-vous cela ?!
-Grâce aux cristaux de l'Archiviste, j'ai pu observer certains évènements soit du passé, soit en temps réel. J'ai surpris la fin d'une conversation entre vous, juste avant que vous demandiez à Chris d'empêcher qu'on puisse vous visualiser par le biais de cristaux.
-C'était donc vous ! dit Emrys en s'arrêtant brusquement, forçant Arthur à l'imiter. Mais alors… savez-vous qui je suis ? Connaissez-vous déjà mon identité ?
On devinait une panique mêlée de curiosité sur les traits du sorcier. Arthur s'interrogeait : connaissant maintenant son changement d'attitude vis-à-vis de la sorcellerie, Emrys se révélerait-il bientôt à lui ? Accepterait-il de se montrer sous sa véritable apparence ? Le roi lui-même était-il prêt à la découvrir ? Conscient de la peur qui devait habiter le sorcier à l'idée de dévoiler son secret après toutes ces années, il résolut de prendre son mal en patience.
-Non, je n'en ai pas vu assez, le rassura-t-il. Mais je sais que vous êtes le fils de Balinor. En réalité, je sais aujourd'hui beaucoup de choses à votre sujet, et la plupart de ces informations ne me vient pas des cristaux mais de gens avec qui j'ai eu l'occasion d'échanger. Aucun ne m'a dévoilé qui vous êtes, néanmoins.
Emrys semblait en proie à un combat intérieur.
-J'aimerais vraiment en savoir plus sur tout ce que vous avez appris, dit-il, mais ce serait là une longue conversation et nous devons pour l'instant nous concentrer sur la bataille…
Ils recommença à grimper et le roi le suivit.
-Pour répondre à votre interrogation, non, je n'ai pas réussi à persuader Morgane de renoncer à sa vengeance.
Arthur hocha la tête, il s'y était attendu. Il nota aussi que le sorcier n'avait pas manifesté la moindre envie de lui révéler son identité.
-En revanche, poursuivit Emrys, j'ai jeté un sort à l'eau de son puits. Depuis qu'elle l'a bue, je suis averti quand elle se sert de la magie et, si je le souhaite, je peux l'en empêcher. Cela me demande un peu d'énergie et de concentration à chaque fois mais…
Le souverain était stupéfait.
-Cela nous sera bien utile, oui ! s'exclama-t-il.
Le sorcier eut un regard presque malheureux qui laissait penser qu'il n'était pas ravi d'avoir ce pouvoir sur la jeune femme. Alors seulement, Arthur se rappela les paroles d'Aithusa : Morgane et Emrys avaient autrefois été amis. Il se garda donc d'insister et reprit :
-Parmi les alliés de Mordred, se trouvent donc les guerriers invisibles et Morgane, mais aussi quelques wyvernes. Pour ces dernières, j'avoue compter sur vos capacités de Seigneur des Dragons.
-Vous pouvez, dit Emrys. J'ai déjà eu affaire à elles. Mais je doute que Mordred les fera intervenir, il doit savoir que je peux les contrôler. De mon côté, j'ai ensorcelé les murailles extérieures ainsi que les remparts du château pour nous protéger le plus longtemps possible. Mais j'ignore combien de temps cela tiendra.
Cela prit Arthur par surprise. Le sorcier pouvait-il vraiment faire une chose pareille ? C'était une tâche titanesque !
-En ce qui concerne nos alliés, ajouta Emrys, je bénéficie de l'appui des Cathas et du Grand Dragon Kilgarrah. D'ailleurs, c'est étrange qu'ils ne soient pas déjà là, cela fait un moment que je les ai appelés et nous avions convenus qu'ils resteraient dans les environs afin de pouvoir intervenir rapidement. La Dragonne Blanche Aithusa viendra peut-être mais je n'en suis pas sûr, elle n'était pas en état de combattre la dernière fois que nous nous sommes vus.
Arthur grimaça :
-Je ne saurais pas vous dire ce qui retient Kilgarrah et les Cathas mais, pour ce qui est d'Aithusa, elle ne pourra probablement pas nous rejoindre. Elle a pris contact avec moi il y a quelques temps depuis l'île des Bénis et m'a dit, entre autres choses, qu'elle ne pouvait pas s'en éloigner. Elle a précisé que j'apprendrais bientôt pourquoi. Pour l'instant, j'ignore encore ses raisons, mais tout laisse à penser qu'elle ne pourra pas venir.
-Vous avez aussi parlé à Aithusa ?!
-J'ai parlé à un certain nombre de personnes ces derniers temps, dit Arthur avec plus de douceur. Chris, Gaïus, Aithusa, Kilgarrah, Mordred et…
Il hésita sur le dernier nom.
-Eh bien j'ai aussi parlé à Freya, dit-il en pesant ses mots.
Cette fois-ci, il s'immobilisa de lui-même, invitant par ce mouvement le sorcier à en faire de même.
-J'ai appris qu'elle avait jadis été le Bastet, et je sais ce qu'elle représentait pour vous.
L'expression d'Emrys était celle d'un choc immense, et il parut soudain abattu.
- Je suis désolé de la perte que je vous ai causée, dit Arthur, vraiment désolé.
-Ce n'est pas votre faute. Elle représentait un danger. Et vous ne saviez pas tout, à cette époque.
-Quand bien même…
-Je ne vous en ai jamais voulu. Vous protégiez Camelot. Vous nous protégiez tous.
Arthur sentit qu'il brûlait de l'interroger mais qu'il se retenait. Le reste de la montée se fit sans paroles, ponctué uniquement par le souffle court d'Emrys.
Ce n'est pas l'un de mes chevaliers, comprit le roi.
Ils atteignirent les remparts et virent que le Seigneur Léon les y attendait. La muraille sur laquelle ils se tenaient donnait directement sur la plaine. C'était par ce côté qu'arrivait l'armée ennemie, mais peut-être Mordred déploierait-il plus tard une partie de ses forces vers l'avant du château afin de franchir la porte et les murs de la ville basse, bien plus faciles à faire tomber que ceux de la citadelle.
-Seigneur Léon, je vous présente Emrys.
Le chevalier écarquilla les yeux en observant le sorcier, puis il le salua solennellement et le remercia pour sa précieuse assistance. Emrys lui rendit son salut et eut un sourire reconnaissant, un sourire qui parut familier au roi. Puis, Léon s'éloigna de quelques pas pour préparer le groupe de chevaliers le plus proche, restant malgré tout à une distance raisonnable. Sa présence serait indispensable à leurs plans.
-Ils sont ici, dit alors le sorcier en écarquillant les yeux, je les perçois juste devant nous.
Par-delà les remparts, on ne voyait qu'une étendue vide. Cette menace invisible, particulièrement terrifiante, les réduisit au silence quelques secondes, jusqu'à l'interruption soudaine d'un appel qui les fit sursauter.
-Arthur. Emrys.
La voix de leur ennemi résonna dans l'esprit du roi, qui croisa le regard du sorcier et vit que celui-ci l'avait aussi entendue. C'était un message télépathique qu'eux seuls percevaient.
-Mordred, répondit Emrys avec colère.
Devant cette réaction visiblement chargée de ressentiment, Arthur se demanda si le druide s'en était pris à lui de manière plus personnelle. Connaissant sa véritable identité, ce dernier devait savoir quels leviers actionner pour le toucher, et peut-être avait-il même attaqué ses proches. Il était toutefois intéressant de remarquer qu'il gardait cette identité secrète pour l'instant, même s'il avait dû en parler à Morgane. La théorie d'Arthur à ce propos s'en trouvait appuyée : vivre sans secret aurait sur Emrys un effet de libération qui pourrait le renforcer et lui permettre d'atteindre le stade de sorcier le plus puissant de tous les temps. Et le druide souhaitait retarder ce moment, profitant de son hésitation à se confesser.
-Que veux-tu ?
Emrys projetait ses pensées de manière à être aussi entendu du roi, et celui-ci sentait une autre présence en arrière-plan. Une quatrième personne avait été inclue par le jeune druide dans cet échange, probablement Morgane.
-Nous vous invitons à vous rendre, dit alors cette dernière en confirmant son intuition. C'est votre dernière chance.
L'œil d'Emrys se fit blessé et dur à la fois, et Arthur comprit à quel point il regrettait la participation de la jeune femme. Quant à celle-ci, elle lui parut plus tendue qu'à son habitude. Le ton de Mordred, en revanche, trahissait seulement son inébranlable détermination :
-Il est temps que tout cela prenne fin. Le règne des Pendragon n'a que trop duré, nous avons assez souffert !
Le souvenir de leur dernière rencontre flottait dans leurs esprits. Ces quelques heures passées sur l'île, et l'énumération par le druide de toutes les raisons pour lesquelles il menait ce combat. Plus lointain, un autre souvenir émergeait, celui de leur première rencontre et du jour où Arthur l'avait aidé à fuir Camelot. Convaincu par Morgane, qui avait elle aussi été présente. Aujourd'hui, tout les séparait.
-Mordred, dit Arthur, tu connais les prophéties. Tu sais ce qu'Emrys et moi allons accomplir, tu sais que le temps de mon père est révolu et que la magie sera bientôt la bienvenue. Pourquoi persister ainsi ?
La surprise de Morgane se fit sentir par le lien télépathique mais Mordred, lui, n'en avait que faire.
-C'est trop tard, beaucoup trop tard ! Vous ne pouvez pas rester au pouvoir après tout cela !
-Si vous ne l'acceptez pas, dit Morgane en retrouvant sa contenance, nous serons forcés de vous renverser.
-Et si nous laissions le peuple en décider ? proposa Arthur. Et si j'acceptais de me soumettre à sa volonté ? Je suis prêt à le faire, vous avez ma parole. Si l'on ne veut pas de moi, alors j'abdiquerai.
Cette fois-ci, tous tressaillirent, y compris le jeune druide. Emrys secoua la tête, visiblement choqué par cette suggestion.
-Je ne vous crois pas ! dit Morgane.
-Arthur, dit Emrys, pensez-vous vraiment que…
-Si le peuple manifestait sa volonté de ne plus vous voir sur le trône, demanda le druide, nous concéderez-vous le pouvoir sans effusions de sang ?
-Je n'ai pas dit cela. Je ne vous concèderai rien, ni à toi ni à ma sœur. Il n'est pas question de transmettre le pouvoir à des personnes qui ont maltraité la population. Non, si l'on souhaite me voir partir, alors je quitterai ma place et un autre la prendra. Un homme ou une femme véritablement digne.
-Vous voyez bien que cela ne mène nulle part. Vous serez remplacé par un nouvel Uther, peut-être pire que l'original.
-Non, un tel homme ne serait pas accepté non plus. Mais il y a d'autres possibilités.
Mordred se tut quelques secondes, vraisemblablement pensif, avant de reprendre :
-Je crois voir en vous une idée qui me déplaît, celle de nommer Emrys lui-même à votre place. Un autre traître.
-Lui ?! s'offusqua Morgane.
-Non ! intervint immédiatement Emrys. Vous vous faites des idées !
-Comment pourrait-on te croire ? cria-t-elle. L'homme aux mille visages ! Toi qui est la définition même du mensonge et de la trahison !
-Tu es bien placée pour parler de trahison, Morgane, toi qui a poignardé ta famille et tes amis dans le dos ! Tu as œuvré en secret contre des proches qui t'aimaient. Nous aurions tous accepté de mourir pour toi, comment as-tu pu l'oublier si facilement ?
-Menteur ! Empoisonneur !
-Hypocrite.
Arthur voyait dans cet échange le fantôme d'un passé douloureux qu'il ne connaissait qu'en partie, mais il était certain que les noms d'oiseaux ne mèneraient à rien.
-Quelle que soit la personne choisie, dit-il en gardant son calme, cela devrait se faire avec l'aval du peuple. Peut-être choisira-t-il Emrys, et peut-être le refusera-t-il, mais qui sommes-nous pour en décider à sa place ?
Le Seigneur des Dragons secoua plus vigoureusement la tête, et tous pouvaient percevoir son inconfort :
-Arthur, il n'est pas question que je prenne votre place, ce n'est pas mon rôle !
Mais de toute évidence, Mordred n'avait que faire de ses protestations. Il restait concentré sur Arthur :
-Ce qui me préoccupe, c'est le destin des sorciers. Rien ne nous dit que le choix de la majorité sera juste envers eux. C'est pour cela que je dois moi-même prendre les choses en main.
-N'a-t-on pas le droit d'être dirigés par un homme qui se préoccupe de tout le monde, et non uniquement des sorciers ?
-Comme tous ceux qui m'ont rejoint, ceux qui ne sont pas déjà magiciens pourront se former.
-Et sinon ? Tu as clairement démontré ton manque d'intérêt pour ceux qui ne pratiquent pas la magie. Les habitants des villages que tu as dévastés n'étaient que de la chair à canon à tes yeux.
-Tous les moyens seront mis à leur disposition pour les aider, ils devront se former ! A de très rares exceptions, tout le monde en est capable. Tant que nous ne vivrons pas dans un monde où chacun maîtrise la sorcellerie, ne serait-ce que partiellement, nous serons toujours haïs pour notre force. Nous ne serons jamais acceptés.
-Mordred, dit Emrys, il y aura toujours des différences de puissance, on ne peut pas effacer ces inégalités naturelles. Le potentiel d'un conflit existera toujours si l'on raisonne ainsi.
Le druide s'agaçait, visiblement en désaccord, mais Arthur acquiesça :
-Et les villageois que tu as déjà massacrés n'ont pas pu faire ce choix, ajouta-t-il.
-Nous sommes en guerre, il fallait envoyer un message fort.
-Il a bien été reçu. Et je ne permettrai pas qu'une personne capable d'envoyer un tel message s'empare du pouvoir.
-Et je ne permettrai pas que la vie des sorciers reste au second plan une minute de plus.
Le lien se brisa brusquement.
Arthur vit qu'Emrys brûlait de l'interroger sur sa volonté d'abdiquer, et le roi lui-même aurait voulu lui poser des questions sur sa relation avec Morgane, mais ils devraient tous deux prendre leur mal en patience.
-Je dois faire mon annonce au peuple, dit le roi. Avant qu'ils passent à l'attaque.
-Vous pensez qu'ils vous en laisseront le temps ?
-S'ils commencent à frapper nos défenses pendant mon discours, ils se heurteront à votre sort de protection. Cela devrait me donner quelques minutes pour terminer, n'est-ce pas ?
-Je pense que oui.
Arthur interpella Léon et lui indiqua qu'il devrait prendre le contrôle temporaire des troupes si jamais Mordred décidait de lancer l'assaut avant la fin de son annonce. A ce moment-là, la priorité du souverain serait de délivrer son message. Le chevalier acquiesça et rejoignit les hommes à qui il avait déjà commencé à donner quelques ordres. Le roi savait qu'il resterait à proximité pour pouvoir revenir dès que nécessaire.
-Emrys, dit le souverain en se retournant. Si je parle à voix haute, pouvez-vous projeter mes mots aux alentours en utilisant la télépathie, comme l'avait fait Aithusa lors de son appel ?
Il avait initialement prévu de faire sa déclaration en la proclamant du haut des remparts, mais ce moyen serait plus efficace pour être entendu de tous.
Emrys réfléchit quelques instants puis hocha la tête. Il prononça quelques mots à voix basse, d'abord hésitant, puis il lui fit un signe de la tête.
Arthur pouvait se lancer.
-Peuple de Camelot et d'Albion !
Il regarda rapidement Emrys, qui lui confirma que ses paroles avaient bien été transmises autour d'eux, dans les esprits à la fois de leur propre armée, de celle de Mordred, et des quelques personnes qui s'abritaient au château.
-Je suis le roi Arthur, continua-t-il. Et avant que nous nous engagions dans un affrontement meurtrier, je dois vous transmettre un message important.
-Assez discuté ! tonna alors la voix de Mordred, qui s'était elle aussi imposée par télépathie.
Il y eut un instant de silence.
-Il est en train de se passer quelque chose, s'écria Emrys. La magie de son armée toute entière s'éveille.
Ils ne pouvaient rien voir de ce que tramait leur ennemi, mais ces paroles hérissèrent le poil d'Arthur.
-Pouvez-vous sentir ce qu'elle fait ?
-Il y a comme un mouvement. Elle se déplace. Elle quitte les corps des soldats, je n'ai jamais rien perçu de tel.
-Elle quitte leurs corps ?
-Oui, elle sort de leurs enveloppes corporelles, et elle… Elle converge.
-Je ne comprends pas.
Emrys le regarda avec de grands yeux et murmura d'une voix tremblante.
-Ils sont en train de mobiliser toute leur puissance magique et de la donner à Mordred.
-Mais… Comment ?
-En exploitant les liens télépathiques, je pense, ils ont dû s'y préparer. Mordred a toujours été excellent dans cet art.
-Êtes-vous capable de vous mesurer à lui s'il bénéficie de la puissance de tous ces sorciers ?
-Non, c'est impossible !
Un son semblable à celui du tonnerre interrompit leur échange, et ils virent une silhouette foncée se détacher de la masse invisible qu'on devinait sur la plaine. Elle lévitait, s'approchait d'eux. Elle monta sous leurs yeux, encore et encore, jusqu'à atteindre leur niveau et même les dépasser.
C'était Mordred.
Ils devaient maintenant lever les yeux pour l'observer. Depuis sa position il ne serait pas gêné par le sort de protection d'Emrys, qui ne protégeait que les murs au sommet desquels ils se tenaient.
Le druide croisa le regard d'Arthur avant de se fixer sur le sorcier et d'articuler quelques mots qui portèrent jusqu'à eux. C'était un sortilège que le roi reconnut car il avait entendu Freya le prononcer deux fois : la première pour détruire le bracelet de Morgane, et la seconde pour briser la patte du Bastet qui l'avait attaquée.
Il comprit que Mordred allait les tuer.
Alors que le haut du rempart explosait sous leurs pieds, que la tourelle volait en éclats et que les gravats s'abattaient sur leurs têtes dans un vacarme apocalyptique, il entendit Emrys hurler une phrase dans la langue de l'Ancienne Religion.
Note : Merci beaucoup à Dragonikana et L'Arsene pour leurs reviews, et à bientôt pour le prochain chapitre !
