7 - «Avec mes sens, avec mon cœur, avec mon cerveau, avec mon être entier...»
(«Avec mes sens...», Verhaeren)
S'il y avait bien une chose que j'avais reléguée au second plan, c'était bien l'entraînement de Quidditch. Il fallait pratiquement renouveler toute l'équipe : Blaise avait accepté de reprendre son poste de poursuiveur, plus par amitié que par conviction mais Vaisey et Uruqhart avaient fini leurs études. En sixième année, personne n'avait voulu passer les qualifications. Nous nous retrouvions donc avec une équipe composée d'un cinquième année en batteur et de quatrièmes et troisièmes années qui se répartissaient le reste des postes. Beaucoup n'avaient jamais joué au Quidditch et étaient simplement à l'aise sur un balais. Nous étions donc inexpérimentés et possédions trop peu de temps pour nous entraîner sérieusement. En clair, la situation était désespérée malgré la détermination des plus jeunes.
Comme le voulait la tradition, le match qui faisait s'affronter les Gryffondors et les Serpentards devait ouvrir la saison. Ça allait être un pur carnage : leur équipe était surentraînée et avait déjà l'habitude de jouer ensemble : Potter, les Weasley, Thomas, McLaggen, Coote... Ils avaient tous décidé de reprendre du service. Aussi, mon pragmatisme avait fait que je ne mettais aucune fierté ni orgueil en jeu dans la coupe de Poudlard cette année.
Le samedi où le massacre était prévu arriva bien vite. Trop vite. Je ne pouvais m'empêcher de me sentir désolé pour ces pauvres petites troisièmes années qui allaient voir leur candeur voler en éclat au même titre que leurs tibias ou leurs humérus face à un cognard savamment ajusté par Weasley fils ou face à un coup d'épaule parfaitement dosé de Thomas. Sans parler de cette tarée de Weasley fille qui t'arrachait le souaffle en montant en chandelle. Aucune chance de l'éviter.
J'ajustais les sangles de mon équipement consciencieusement et sentis qu'on me tapotait l'épaule.
-Tiens, mets ça : mon frère dit que les moldus s'en servent pour se protéger les dents lors de leur matches de «rubi»... C'est assez violent comme sport... J'en ai donné à tout le monde... au cas où.
-Merci, Rogers.
Il me présenta une sorte de dentier creux et translucide où devaient se caler les dents. Je le mis sans hésiter.
Finalement, lorsque tout le monde eut fini de se préparer, nous nous dirigeâmes dans la plate-forme en bois qui devait s'ouvrir dans quelques minutes sur le stade. Nous entendions déjà les cris et les chants des supporteurs Gryffondors. Tous mes coéquipiers me regardaient avec un air apeuré. Même Zabini ne faisait pas le fier. Je pris la parole en bon capitaine d'équipe, sans trop savoir quoi dire.
-Bon... On va pas se mentir... Ça va être compliqué mais l'important c'est de...
-... Participer ? Risqua Arabella Gisbon de sa petite voix aiguë.
-Oui, voila. De participer. Et chacun fait de son mieux sans trop forcer et ça devrait passer... Vite.
-Est-ce que ça va faire mal ? Demanda Caleb Harding, notre gardien.
-Euh... peut-être. Si tu le sens pas, laisse passer le souaffle, hein. On sera pas à ça près. Le mieux qui puisse nous arriver, c'est que le vif d'or soit vite attrapé... Si ça peut vous rassurer, Potter est très très bon. On va tous compter sur lui.
-Et on peut pas compter sur toi ? Reprit Arabella.
-C'est vrai, réalisais-je, c'est aussi une option à laquelle je n'avais pas forcément pensé. Alors comptez sur nous pour écourter tout ça et Zabini, je compte sur toi pour les guider sur le terrain.
Ce dernier acquiesça avec un air sérieux qui lui était rare. Quelques secondes plus tard, la porte s'ouvrit et nous fûmes aveuglés par la lumière du jour. En face de nous, les Gryffondors décollèrent instantanément, comme des boulets de canons. Certains faisaient des petits loopings pour s'échauffer, galvanisés par une foule en délire.
-Tsss ces Gryffondors... Ils font vraiment halluciner, grogna Asher Dunn un des batteurs, en enfourchant son balais.
Nous décollâmes peu de temps après. Lorsque la foule nous vit nous élever dans les airs, nous fûmes sifflés par bon nombre des élèves. Du coin de l'œil, je vis Zabini saluer en une profonde et théâtrale révérence la tribune la plus virulente tandis qu'Asher enchaînait les figures acrobatiques. Les autres rejoignaient leur poste à reculons tandis que je montais rejoindre Potter. Je me plaçais à quelques mètres de lui. Il me fit un signe de tête amical pour me saluer et j'y répondais d'un sourire que je ne sus décrisper, usant ainsi tout le peu de fair-play et de patience qu'il me restait en réserve.
Après que Mme Bibine ait calmé les huées, elle lança le souaffle. J'étais plus occupé à regarder les Serpentards se mouvoir timidement sur le stade que chercher le vif d'or.
-Je leur ai dit d'y aller doucement, mais je ne sais pas si j'ai vraiment été écouté, m'avoua Harry.
Alors que j'allais répondre, il prit une expression interloquée et fondit à toute vitesse vers le fond du terrain Gryffondor. Je le suivis à la trace mais à peine avais-je pris de la vitesse que je sentis un cognard me frôler à droite. Instinctivement, je fis une roulade et l'évitais de peu. Alors que je reprenais ma course, j'entendis un deuxième se rapprocher de mon arrière. Je fis un looping pour le laisser passer et reprendre ma course où je l'avais arrêtée. Mais trente secondes plus tard, je vis Weasley fils, à quelques mètres de moi, m'envoyer à nouveau un cognard de face cette fois-ci et je montais en chandelle pour l'éviter.
Alors c'était ça ? Il me prenait en cible et s'acharnait sur moi ? Peu de temps après, un nouveau cognard me prenait en chasse, envoyé par Coote cette fois-ci. J'avais oublié le vif-d'or. Je n'avais plus qu'une seule mission : survivre. Faire des acrobaties ne me dérangeait pas : je savais que je n'étais pas mauvais à ça. Et pragmatiquement parlant, cette stratégie devait plutôt tourner à notre avantage. En effet, cela laissait plus de libertés à nos poursuiveurs, protégés par nos batteurs. Ainsi, autour du souaffle ils étaient donc trois Gryffondors contre cinq Serpentards.
Fort de ce calcul je décidais de titiller Weasley et Coote en dramatisant mes esquives. S'ils voulaient me voir tomber, et bien qu'ils s'y emploient tout entiers ! Quant à Potter, il était bien trop occupé à chercher le vif d'or pour recadrer son équipe. Ainsi, les Serpentards marquèrent dix, vingt, trente, quarante points. Dunn et Rogers s'acharnaient sur Weasley fille et McLaggen, ce qui rompait complètement le rythme de jeu des Gryffondors tandis que Zabini s'époumonait pour guider Arabella et Adeline Walton, elle aussi en troisième année. Perdues sur le terrain, elle suivaient à la lettre les ordres du septième année.
Soudain, je vis Potter passer en trombe devant moi. Je le suivis et avec moi mon escorte de cognards à semer.
-Cinquante points pour Serpentard ! hurla le speaker, visiblement aussi surpris que nous de la tournure des événements.
On ne finira pas dernier de ce tournois ! jubilais-je intérieurement. On allait montrer à ces crétins ce que les Serpentards savent faire de la bêtise des Gryffondors ! Les sifflets et les insultes fusaient de toute part mais n'atteignaient personne : c'est ce que je voulais croire. Potter gagnait en hauteur et, bien que je ne voyais pas encore le vif d'or, je le suivais scrupuleusement tout en évitant régulièrement les cognards.
-Soixante points pour Serpentard !
Mais tout à coup, un flash éblouissant traversa mon champ de vision. C'était lui ! et Potter tendait déjà le bras pour l'atteindre. J'accélérais de toute la puissance de mon balai pour le rejoindre. La balle dorée monta en flèche et, côte à côte, Potter et moi montâmes en chandelle.
-Mais terrible coup dur pour les Serpentards ! Zabini ne se relève pas ! Appelez Mme Pomfresh !
L'annonce du speaker me fit baisser les yeux et je vis effectivement un minuscule Zabini allongé de tout son long sur le sol, captant l'attention de tous les spectateurs, Nott et Pansy se précipitant à ses côtés. Pendant ce temps, un cognard, mieux ajusté que le autres, fonça sur ma gauche. Coincé à ma droite par Potter, nous ne pûmes l'esquiver, ni l'un ni l'autre. Je le pris de plein fouet. Il brisa mon balais, s'enfonça dans mes côtes et me fit tournoyer dans les airs. Harry le prit dans l'épaule, ce qui le désarçonna à son tour.
Nous tombions tous les deux en chute libre. L'air s'engouffrait partout : dans nos vêtements, nos oreilles, notre nez, notre bouche lorsque nous essayions de crier. De mon côté, la douleur de mes côtes cassées me coupait le souffle et je perdis plusieurs fois connaissance quelques fractions de secondes. Le sol se rapprochait dangereusement de nous et je commençais à me demander si Mme Pomfresh savait ressusciter les morts. Potter essayait de tendre son bras encore valide vers moi pour me soutenir mais les fractures m'empêchaient de bouger. Professeurs et élèves étaient bien top occupés par l'état critique de Zabini pour nous remarquer.
Brutalement, Harry s'arrêta dans sa chute, retenu par Weasley fille à bout de bras dans un effort qui déformait son visage. Quelques secondes plus tard, je m'écrasais au sol.
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La première chose que je sentis était la douleur provoquée par mes os se ressoudant entre eux. Je ne pouvais plus bouger et chaque centimètre de mon corps était douloureux. Ma mâchoire, mes côtes, mes jambes, mes bras : tous mes os semblaient avoir été finement broyés à l'impact. Ça valait le coup de se protéger les dents, tiens. Puis, j'entendis du brouhaha à côté de moi.
-On a gagné Harry ! Tu te rends compte que tu as gardé le vif d'or dans ta main pendant toute ta chute !
-On est les meilleurs ! S'exclamait Dean Thomas.
Voilà quelque chose qui ne me donnait pas du tout envie de me réveiller. J'ouvris discrètement les yeux pour faire état de la situation : à ma gauche, un groupe de Gryffondors était agglutiné autour du lit de Potter. A ma droite, Zabini qui semblait toujours dormir. Alors que je prenais le parti de simuler le sommeil, une violente nausée me prit -classique effet secondaire de la potion Réparos. Moins violente que la Poussos, en prendre ne restait quand même pas une promenade de santé. Je me saisis in extremis de la bassine déposée à cet effet à proximité de mon lit, par cette infirmière expérimentée qu'était Mme Pomfresh et rendais l'intégralité de mon petit déjeuner dans l'ordre.
-C'est vrai qu'il est là lui, pouffa une voix qui ne m'était pas familière.
Quelques visiteurs me jetaient des regards dégoûtés. A quoi s'attendaient-ils en entrant dans une infirmerie ? A des gens en bonne santé ? Même pas cinq minutes que j'étais réveillé et je fulminais déjà de rage. Mme Pomfresh accourut et m'apporta de l'eau avec un sourire bienveillant pour me rincer la bouche. Elle s'était beaucoup adoucie avec moi depuis mon après-midi avec elle la semaine dernière.
-Évitez de trop bouger, si non vos côtes se ressouderont de travers !
Elle vida la bassine et m'en apporta une propre.
-Vous nous avez fait une belle frayeur M. Malfoy.
-A moi aussi, répondis-je avec mon sourire le plus policé.
Puis elle retourna à ses occupations.
-Psssst ! Malfoy ?
C'était Zabini, qui, visiblement, avait adopté la même stratégie que moi quelques instants plus tôt. Enfoui sous les couvertures, la tête légèrement de côté, il essayait de garder une expression neutre et sereine sur son visage. Il refermait prestement ses yeux mi-clos à l'approche d'un élève ou de l'infirmière.
-Il t'est arrivé quoi ?
-Percuté par un cognard... Envoyé par Weasley... Je suis tombé de mon balais d'assez haut je crois... Et toi ?
-Poussé par Weasley, la fille. Contre les piliers des gradins. Je me suis cogné la tête.
-Famille de tarés, marmonnais-je.
-C'est clair ! S'exclama-t-il un peu trop fort, ce qui nous valut un regard suspicieux de Pomfresh.
Zabini avait repris sa pose de belle au bois dormant en un clin d'œil.
-Elle est partie, soufflais-je.
Et il rouvrit ses yeux à moitié.
-Allez jeunes gens, vous avez écoulé votre temps de visite ! Sortez, il y en a d'autres qui attendent.
Et Mme Pomfresh les poussa vers la sortie. Un nouveau groupe entra et parmi eux, les Weasley et Hermione... mais aussi Nott et Pansy qui arrivèrent en dernier.
-Vous êtes des malades ! Tout ça pour un ballon ! Nous houspilla Pansy.
-Mais c'est Weasley fille ! Elle était possédée ! S'exclama Zabini, bien obligé de se «réveiller».
Les échantillons Weasley qui se trouvaient dans la pièce nous adressâmes leur plus beau regard noir tandis que Pansy franchissait précipitamment les derniers pas qui nous séparait d'elle pour prendre Zabini dans ses bras. Ce dernier ne sut pas cacher sa surprise. Il finit par resserrer son étreinte et fermer les yeux. De loin, je remarquais qu'Hermione suivait nos échanges, sans doute lassée des complaintes adressées sans discontinuer à Potter. Nous échangeâmes un regard et elle croisa les bras sur sa poitrine en baissant les yeux. Elle avait l'air soulagée. Est-ce que c'était pour moi ?
-Fallait nous le dire, Malfoy, que tu voulais en finir avec la vie, me lança Nott.
-C'est surtout que j'ai eu la chance d'être le centre de l'attention d'une certaine personne... Répondis-je à Nott avec une intonation coquette.
-C'est vrai qu'il ne t'a pas lâché d'une semelle, il n'en avait que pour toi... poursuivit-il avec un sourire moqueur.
-C'était tellement embarrassant ! Je sens que je vais encore rougir.
-Petit chanceux, va !
-En tout cas ça me fait des papillons dans mon ventre !
Pendant ce temps, Weasley fils prenait une teinte rouge écarlate, de gêne ou de colère, je ne saurais le dire. Les deux sans doute. Il s'apprêtait à répondre quand sa sœur le prit par le bras.
-Laisse tomber, viens. Et elle le fit sortir.
-Et moi alors, je ne suis rien peut-être à tes yeux ? Goujat ! S'exclama Zabini alors que frère et sœur franchissaient la porte de l'infirmerie.
Entre temps, Pansy s'était relevée. J'ouvrais légèrement mes bras instinctivement pour recevoir à mon tour mon lot de cajoleries mais elle n'en fit rien. Je laissais mes avant-bras retomber sur la couverture. Je sentais que notre petit numéro ne lui plaisait pas.
-Vous êtes vraiment intenables, s'exclama Pansy hors d'elle. A quoi ça peut nous servir de provoquer les gens ?
-A bien rigoler ? Risqua Zabini qui n'essayait même pas de retenir son pouffement.
-Et bien amusez-vous bien sans moi !
Et elle fit mine de se partir. Mais il la retint par le bras dans un geste familier.
-Attends ! On est désolés... C'est vrai, ça sert à rien, bredouilla-t-il.
-Vous allez avoir droit à des représailles prévint la sorcière. Tant que personne n'ira s'excuser...
-Attends, attends, attends ! Entre celui qui se moque deux minutes et celui qui canarde de cognards deux heures durant, me fait tomber de mon balais au risque de me tuer, qui doit s'excuser selon toi ? M'insurgeais-je.
-C'est pas la question ! Vous avez fait quelque chose de mal, on s'excuse, point.
-Tu parles comme une Poufsouffle : droiture à la con ! Grogna Nott.
-Je préférerais parfois être une honnête Poufsouffle plutôt qu'une Serpentard incapable de reconnaître mes erreurs ! Je pensais que vous aviez grandi !
Je remarquais du coin de l'œil qu'Hermione nous regardait d'un air sombre. Je soupirais, moitié en colère, moitié culpabilisant : comme d'habitude, je n'avais pas su me taire.
-Elle a raison, Nott.
-Je sais, me répondit-il, aussi défait que moi. Mais quand même ! Il aurait pu te tuer, et ça tout le monde s'en fout !
-On s'en fout pas, répondit Pansy et surtout on oublie pas.
-Allez c'est la fin des visites ! Sortez ! Annonça Pomfresh en s'incrustant dans le groupe.
Elle examina Potter et Zabini. Chacun avait des blessures assez légères pour sortir le soir même, avec interdiction de monter sur un balais pendant une semaine. Quant à moi, toujours nauséeux et le corps endolori, elle m'intima l'ordre de rester pour cette nuit. De toute façon, je pouvais à peine bouger. Je devais pouvoir sortir demain, frais comme un gardon, après une nuit de souffrance. Serpentards et Gryffondors sortirent en quelques minutes, me laissant seul.
Il était tard et Mme Pomfresh se retira dans son appartement juxtaposé à la pièce pour se coucher.
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J'essayais de lire malgré mes épisodes de nausée quand soudain, j'entendis la porte de l'infirmerie grincer et une silhouette entrer discrètement. Je reconnus sa démarche immédiatement.
-Tu viens m'étouffer dans mon sommeil ?
-Non, sourit Hermione.
Elle poursuivit en se rapprochant de mon lit :
-Les préfets doivent faire une ronde... Le match d'aujourd'hui a échauffé les esprits et Mme la directrice a peur qu'il y ait des débordements ce soir.
-Tu m'étonnes...
-J'en profites pour vérifier... s'il n'y a pas trop de bazar ici...
-J'y suis affecté pour la nuit, ne t'inquiète pas : s'il y a une seule bassine qui bronche, tu seras la première à le savoir.
Elle eut ce sourire chaleureux qui me plaisait tant. J'étais de plus en plus surpris de constater qu'elle continuait de se rapprocher jusqu'à s'asseoir à mon chevet. Je me relevai sur les coussins avec peine malgré ma douleur pour paraître sous un meilleur jour, le cœur battant.
-Zabini s'est excusé pour Nott et toi...
-Brave Zabini... commentais-je sans trop réfléchir.
Elle ne releva pas mon ironie.
-Et je te prie de bien vouloir excuser Ron. C'était de l'anti-jeu... L'arbitre aurait dû siffler et l'exclure.
-Et pourquoi ce n'est pas lui qui s'excuse maintenant ?
-Pour les mêmes raison qui t'empêchent de t'excuser aussi.
-Lui aussi est coincé dans un lit d'infirmerie ? Rétorquais-je sèchement, la moutarde me montant au nez.
-Non, mais vous avez ce même orgueil et ce côté revanchard...
-Tellement de points communs ! On est faits pour s'entendre !
J'arrivais de moins en moins à être convainquant dans mon ironie, désarmé par sa douceur.
-Peut-être, répondit-elle sans se défaire de son sourire. Ce même sourire qu'elle a quand elle se retient de rire. Je soupirais en me laissant retomber sur mon oreiller, définitivement vaincu :
-Je ne sais pas pourquoi... mais mes paroles vont toujours trop vite et dépassent sans arrêt mes pensées. Je ne réfléchis pas. Il faut toujours que je touche là où ça fait mal... Et après... je m'en veux.
Je baissais les yeux, mal à l'aise, pendant qu'elle ne me quittait pas du regard.
-Je suis insupportable et je m'en déteste. Sans moi, vous auriez été bien tranquille... Je suis désol... je te prie de bien vouloir accepter mes excuses.
Elle pouffa et leva lentement la main tandis que je me sentais rougir. Je crus un instant qu'elle allait prendre la mienne mais finalement elle replaça une boucle derrière ses oreilles. Ses jolis cheveux indomptables.
-Rassure-toi, les Gryffondors ne sont pas réputés pour leur soif de tranquillité.
Je souris à mon tour :
-C'est vrai.
Nous nous regardâmes un instant. Elle était belle, dans cette lumière tamisée.
Oh non. Une nouvelle nausée. J'eus un premier haut le cœur et elle comprit immédiatement. Elle me tendit ma fidèle alliée la bassine juste à temps. Elle m'apporta de l'eau et je me rinçais la bouche. Je me laissais aller sur les oreillers, exténué, tandis qu'elle nettoyait le tout d'un coup de baguette.
-Moins cent cinquante points de charisme pour Serpentard ! Murmurais-je, honteux, ce qui la fit rire.
-C'est pas grave, ça arrive.
Et je me sentis enveloppé dans un sentiment chaud dont l'épicentre était mon cœur. Comment pouvait-elle accepter ce qu'on avait essayé de réprimer chez moi ? Car la faiblesse du corps et de l'esprit n'étaient guère tolérées dans notre manoir.
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-Un Malfoy ne vomit pas.
-Un Malfoy se cache pour vomir seul et ment, corrigea-t-elle.
Elle ne pouvait pas lui dire, que malgré la maladie, elle continuait à lui trouver cette dignité, cette fierté qui énervait tant certains et attirait les autres... Et elle, savait pertinemment dans quelle catégorie se ranger, bien malgré elle. Qu'en aurait-il pensé ? Il était drôle. Il savait être léger. Or, de la légèreté, Hermione en avait besoin. Mais malgré l'apparente liberté que prenait sa langue et son esprit fantaisiste, il semblait retenu par une multitudes de chaînes qu'il lui faudrait rompre avant de pouvoir être heureux. Alors qu'elle réfléchissait, elle se rendit compte qu'il la regardait intensément.
-Comme toi.
-Comment ça ? demanda-t-elle en riant de perplexité.
-Toi aussi tu te caches et tu mens. Comme le jour où on a reçu nos convocations pour le procès...
Son cœur avait manqué un battement. Il avait touché juste. Elle avait l'impression qu'il était le seul à la reconnaître pour ce qu'elle était, hors du trio, pour elle-même, et à comprendre que même les héroïnes de guerre ont des plaies à panser.
-Je ne le cache pas très bien visiblement, se força-t-elle à sourire sans réussir à soutenir son regard.
-Pourquoi ? Pourquoi te cacher ? Entre Gryffondors, vous avez cette sorte d'habitude de... vous exprimer, non ?
Elle se mit à jouer avec les plis de la couverture pour reprendre contenance. Elle ne répondit pas. Elle ne pouvait pas : un nœud s'était formé dans sa gorge et des larmes qu'elle retenait à grand peine avaient gagné ses yeux. Il le remarqua et, par pudeur, se redressa pour regarder fixement le plafond.
-Ici, tu peux. Personne ne te regarde.
Alors, comme si cette phrase avait fait office d'un top d'épart, elle éclata en sanglot tandis qu'il restait résolument concentré sur le plafond.
-C'est bête, c'est de l'orgueil je crois. Mais je dois garder une image de personne forte. On compte sur moi !
-Qui peut compter sur toi au point de t'interdire de te confier ? Pas Potter, ni Weasley... Dit-il sans quitter du regard la voûte en pierre.
Elle ne put s'empêcher de pouffer ironiquement.
-Ils ne me l'interdisent pas mais ils ont besoin de soutien.
-Et toi ?
-Je n'en ai pas besoin... C'est juste la fatigue... répondit-elle en s'apaisant.
Mais qu'est-ce qui pouvait bien lui passer par la tête à se relâcher ainsi devant Malfoy ?! C'était Malfoy, quoi ! Elle devait encore s'endurcir. Elle essuya ses larmes d'un geste efficace. Il eut une moue peu convaincue, les yeux toujours obstinément fixes.
-Ce n'est pas très équitable, finit-il par dire.
-Je n'en ai pas besoin, répéta-t-elle mais il fit comme s'il ne l'avait pas entendue.
-Se sacrifier pour les autres, c'est un constat d'échec. On se sacrifie lorsqu'on a pas réussi à trouver un compromis.
-On se sacrifie par loyauté pour ses amis.
-... Et ces amis ne devraient pas accepter une chose pareille et trouver une solution. Il n'y a rien de sublime dans le sacrifice... On essaye de voir cela comme de l'héroïsme... mais c'est juste une défaite.
-Tu ne te sacrifierais pas pour Théodore ou Pansy ?
-Non. Et ils ne le feraient pas pour moi... Mais nous trouverions... une autre voie, où nous resterions égaux.
-Comme si la vie était aussi simple.
-Elle l'est, lorsqu'on réfléchit froidement.
Elle eut un rire sans joie :
-Merci Malfoy de m'avoir ouvert les yeux ! Grâce à toi, nous allons tous pouvoir nous plaindre et pleurer à tout bout de champ !
-Déformer mes propos ne te donne pas plus raison Granger.
Elle soupira :
-En somme, j'ai juste besoin d'un confident.
En prononçant ces mots, assise à son chevet, la nuit, sans personne autour, elle se sentit bête. Comme si c'était une évidence. Lui s'enfonça dans son oreiller, oscillant entre la gêne et l'envie de rire.
-Votre serviteur !
Elle pouffa à son tour. Ils restèrent ainsi en silence, plongés chacun dans leur pensées. Finalement, Malfoy osa un regard en coin et elle lui sourit. Elle rompit le silence, mal à l'aise :
-Je dois poursuivre ma ronde. Harry et Ron m'attendent.
Et elle disparut dans la nuit, comme un rêve pour Malfoy.
