Jenny 4594 : Merci ! J'espère que la suite continuera à te plaire !

11 - «Au lac de tes yeux très profond, Mon pauvre cœur se noie et fond» («Au lac...» Apollinaire)

Le vendredi matin, sept heures, tous les septième années s'étaient installés dans la Grande Salle avant de partir pour le monde moldu. Exit les robes de sorciers et les habits comportant le blason de Poudlard.

La directrice distribua une feuille de route. Chaque binôme devait transplaner ou utiliser le réseau de cheminée pour se rendre à un endroit précis. Nous étions tous éparpillés dans Londres.

Le but de ce stage était de se rendre dans des lieux publics typiques de la vie d'un moldu et essayer d'avoir quelques interactions avec eux. Tout d'abord, il fallait prendre le métro puis se rendre dans une grande surface pour acheter deux stylos et deux cahiers, qui serviraient à prendre des notes le long de la journée (plumes à papote interdites évidemment). Ensuite, il s'agirait de marcher, d'errer dans les rues jusqu'à midi, heure à laquelle il faudrait se rendre dans un fast-food pour commander un repas. Une fois le déjeuner englouti, l'après-midi était libre mais il s'agirait d'expérimenter des choses propres au monde mon-magique. Enfin, il fallait se rendre au lieu de transplanage ou à la cheminée en réseau le plus proche à 18h au plus tard. Pour lundi, nous aurions à rédiger un compte rendu détaillé dans le cahier acheté le matin.

Avec Hermione, nous devions nous rendre à la station Elephant and Castle pour prendre la ligne Bakerloo et descendre à Oxford Circus. Une fois le sort de protection levé, nous transplanâmes jusque dans la cave d'un bar tenu par un Craquemol.

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Nott s'était retrouvé sans binôme. McGonagall lui avait bien proposé de rejoindre le groupe de son choix mais cela ne lui disait rien. Il voulait mener cette expérience de lui-même. Vivre dans le monde moldu, ça ne devait pas être si compliqué, si ?

La première chose qui surprit Nott, ce fut le bruit du métro quand il arrive. La seconde fut la capacité des gens à s'entasser dans une rame.

Monté au terminus de Richmond, il avait réussi à trouver une place assise, à côté un homme d'une trentaine d'années, bedonnant et dégarni. Sa stature imposante débordait sur la place de Nott qui devait se contorsionner. En face de lui, une jeune femme qui lisait Crimes et Châtiments. Un livre qui pourrait bien plaire à Lucius Malfoy, ricana-t-il intérieurement. Nott n'avait aucune idée de ce que pouvait raconter l'ouvrage mais il trouvait que le titre sonnait bien. Alors qu'il essayait de lire la quatrième de couverture, il sentit des yeux se poser sur lui. La-jolie-inconnue avait délaissé sa lecture. Leurs yeux se rencontrèrent et il fut touché par ce regard clair. Il était... sans jugement, sans hostilité, bien au contraire. Il lui semblait qu'enfin on le voyait lui, juste lui, et pas autre chose.

Une bouffée d'espoir le submergea : dans ce monde, pas de préjugé sur les Serpentards, pas de méfiance à son égard. Il était libre d'être qui il voulait. C'était aussi la possibilité d'un nouveau départ, impossible dans le microcosme du monde magique car son nom, tout comme celui des Malfoy, était sali par l'affiliation aux Mangemorts. Son père, désormais vieux et gâteux, avait été l'un des premiers partisans de Voldemort. Il avait évité de peu le procès et ne devait son traitement de faveur par la communauté magique qu'à son grand-âge, cette dernière comptant sans doute sur sa mort prochaine. Et en effet, il ne s'était pas remis de sa stupefixion, lors de la bataille de Poudlard. A moitié paralysé, il ne quittait plus son fauteuil et se laissait à moitié dépérir. En attendant la délivrance, il était assigné à résidence, ce qui ne devait de toute façon pas changer son quotidien de misanthrope aigri que Théodore lui avait toujours connu. Il avait contracté ce mal, disait-on depuis la mort de sa mère, à sa naissance.

Le regard de la jeune femme papillonnait entre le livre et lui avec un air confus. Lui, n'arrivait désormais plus à la lâcher des yeux. Soudain, après avoir passé de longues secondes à regarder les mêmes mots des mêmes phrases sans les comprendre, elle releva le regard avec courage pour se perdre dans ceux du grand brun, sans plus aucune dissimulation. Enfin, elle lui sourit et il se figea, bouleversé. Il se rendit compte alors que cela faisait aussi bien longtemps qu'on ne lui avait pas souri spontanément. Il avait même oublié que c'était agréable. Petit à petit, son sourire à elle se fit moins timide et il réussit finalement à lui répondre avec la même franchise. Elle avait un air... joyeux qui dénotait avec les expressions fermées des autres voyageurs. Elle rayonnait, tout simplement. Elle était ce genre de personne, pensa-t-il que l'on remarque tout de suite dès qu'ils entrent dans une pièce et dont on se souvient longtemps après l'avoir rencontrée... En tout cas, ce serait sans doute l'effet qu'elle ferait à Nott, une fois que l'un ou l'autre serait descendu du wagon.

Il y avait vraiment quelque chose d'insensé à sentir cette sorte de chaleur qui débordait de son cœur comme un chaudron en ébullition. Et cette manière qu'il avait de battre la chamade... Et ce bourdonnement dans les oreilles ! Est-ce que ce serait ce qu'on appelle avoir un coup de foudre ? Peut-être. En tout cas, il semblait bien à Nott qu'il était parfaitement époustouflé par la présence qu'il avait en face de lui. Décidément... ce regard animé par ce sourire ! Il ne s'en remettait pas. En un instant, il s'était senti transformé. Il accueillit ces sensations, ces émotions en lui comme un cadeau qu'il allait devoir déballer, une plante rare à étudier, une expérience scientifique à mener.

A l'approche d'un nouvel arrêt, sans parler, elle lui fit signe de patienter. Elle rompit leur échange muet, regroupa ses affaires et referma son manteau. Elle sortit de son sac de cours un stylo et un morceau de papier déchiré sur lequel elle inscrivit quelque chose que Nott n'arrivait pas à déchiffrer. En se levant, elle lui tendit le bout de papier en rougissant. Le jeune homme s'en saisit, surpris. Puis elle disparut dans la foule évacuant la rame.

Nott dut prendre un temps pour se ressaisir. Sur ce bout de papier, des inscriptions énigmatiques. D'abord, une succession de chiffres. Ensuite, une phrase étrange. Un prénom : Abigail, puis un nom de famille : Peterson, le tout relié par un point. Juxtaposé à cela, un signe étrange rappelant le mouvement de baguette pour le sort du reparo... une sorte de "a"... Enfin : . Nott se doutait que la succession de chiffres devaient être un code pour faire fonctionner cet objet légendaire qu'était le téléphone. L'autre élément restait en revanche bien mystérieux. Il se promit d'interroger discrètement Granger ou Potter à ce sujet.

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Une fois dans la cave, Hermione et Drago accédèrent à un recoin de la bouche de métro grâce à un mur qu'ils avaient pu traverser. Le métro était bruyant et bondé, ce qui mettait Hermione mal à l'aise. Elle voulait montrer à son partenaire la richesse du monde moldu, mais le métro en heure de pointe ne pouvait jouer en sa faveur... Ils n'avaient pas pu trouver de place assise et le flux des passagers entrant et sortant les avait séparés de part et d'autre du sas.

Hermione ne lâchait pas de yeux le Serpentard, anxieuse à l'idée de le perdre dans la foule. Drago, quant à lui, observait leur environnement avec un air curieux qui contrastait avec la morosité ambiante. Il dégageait une assurance confiante qui lui avait évité de se faire bousculer jusque là : les gens gardaient une distance respectueuse avec lui. Certaines passagères, qu'Hermione qualifiait de culottées, zyeutaient régulièrement en sa direction. Il était vrai qu'il était toujours aussi beau et il avait une si délicate manière de s'imposer à la masse de la foule qu'on ne pouvait que le remarquer. Cependant, il ne semblait pas avoir conscience de l'impression qu'il pouvait laisser aux autres. Avec une mine concentrée, il s'était mis à étudier le plan de la ligne affiché au-dessus de la porte.

Soudain, le métro freina d'une manière un peu plus brusque qu'à son habitude et projeta une belle jeune fille aux cheveux longs et soyeux contre le sorcier. Ce dernier amortit son semblant de chute. Elle se confondit en excuses gloussées en rougissant. Il lui répondit avec un sourire chaleureux.

Cet échange irrita Hermione au plus au point : depuis quand est-ce qu'il souriait comme ça à tout le monde, lui ? Et surtout, depuis quand est-ce qu'il se laissait berner par des pouffes moldues ?! Ce sourire, elle avait tant luté pour y avoir droit mais maintenant, visiblement, il suffisait de prendre n'importe quelle pose de pimbêche pour qu'il sorte le grand jeu ! Jamais Hermione ne s'était sentie aussi en colère pour si peu. Décidément, il n'y avait que lui pour réussir à la mettre dans cet état ! Et en prendre conscience ravivait davantage encore la colère qui la consumait.

Elle finit par relever les yeux à l'annonce haut-parleur : ils arrivaient à destination. Elle croisa le regard du Serpentard et il sourit une nouvelle fois... Et ce sourire n'était destiné qu'à elle, rien qu'à elle. Ça devenait lassant à force, maugréa-t-elle en son fort intérieur pour étouffer ce sentiment grisant de revanche personnelle sur la pimbêche. Les portes s'ouvrirent et Malfoy sortit le premier, séparant le flot de la foule qui attendait pour monter. Hermione, juste derrière, peinait à avancer et voyait son partenaire la distancer.

-Attends ! Cria-t-elle bien malgré elle.

Il se retourna instantanément, captant aussitôt son regard, un mine légèrement inquiète peinte sur son visage. Il franchit le pas qui le séparait d'elle et saisit sa main avec assurance, comme par réflexe. Comme un brise-glace, il leur frayait un chemin dans la masse compacte avec une audace polie. Et elle, petite chaloupe, se réfugiait dans son sillage. Pour une fois depuis longtemps, la première fois peut-être, c'était elle qu'on venait trouver, qu'on venait sauver alors qu'elle se sentait se perdre. Il lui apparaissait alors que Drago Malfoy était une sorte de phare, un feu dans la nuit marquant l'entrée d'un port où elle serait en sécurité. Elle sourit enfin de la situation : malgré la témérité tranquille qu'il affichait, il ne devait avoir strictement aucune idée de ce qu'il devait faire. Cependant elle le laissa les diriger à travers la foule, suivant les panneaux sur le quai, slalomant entre les voyageurs entassés sur l'étroite bande de bitume.

Alors, pour la première fois aussi sans doute, elle se laissa complètement guider, sans réfléchir ni anticiper. Elle faisait enfin confiance et s'en remettait entièrement à quelqu'un. C'était si grisant et nouveau, ce lâcher prise ! Alors, elle eut tout le loisir d'étudier la sensation que lui procurait sa main dans la sienne. Comme lors de l'épisode des toilettes pour filles, elle put constater à quel point elle était douce et chaude. Rien à voir avec celles de Ron qui lui donnaient l'impression d'être recouvertes d'écorce. Sa poigne ne laissait apparaître aucune trace d'hésitation sans pour autant manquer de légèreté.

Arrêtés devant un plan qu'il lisait avec un air concentré, ses yeux à elle ne pouvaient pas s'empêcher de le dévisager avec une sorte de voracité qui la surprenait. Quelque chose avait changé. C'était une certitude maintenant. Mais quoi ? Aucune idée. Une chaleur et une euphorie nouvelles l'envahirent sans qu'elle ne sache pourquoi. C'étaient les mêmes que lorsqu'ils s'étaient cachés dans les toilettes... Les mêmes aussi que lorsqu'il posait ses yeux sur elle ou qu'il lui souriait.

Il finit par la regarder et eut un léger pouffement lorsqu'il se rendit compte qu'elle le dévisageait avec de grands yeux. De grands yeux de chats, pensa-t-il. Dans ce regard qu'ils partagèrent un instant, elle crut y lire une sorte de tendresse qui aurait pu faire éclater son cœur de bien-être. Toujours avec cette douce aisance, il relâcha légèrement la main d'Hermione pour pouvoir entrelacer ses doigts au siens. Il lui semblait alors que rien ne réussirait à les délier. Noyés dans le regard de l'autre, il finit par lui sourire avec un air désolé :

-On est complètement perdus, je crois.

Elle sursauta. Perdus ? Comment ça ? Alors que pour une fois tout lui paraissait si simple et agréable ! L'atterrissage fut brutal. Mais, oui, après réflexion, c'est vrai qu'ils étaient perdus. Deux anciens ennemis main dans la main comme deux... deux quoi exactement ? Aucune idée, encore une fois. Mais ça ressemblait en effet bel et bien à un égarement. Il avait osé le dire à voix haute, comme s'il n'y trouvait aucune gêne. Une envie soudaine de crier la prit. Comment pouvait-il y échapper de son côté ? Comment pouvait-il rester calme et formuler ce fait avec un simple sourire ? C'était une catastrophe ! Il finit par reprendre :

-C'est que ce plan n'est pas très clair ! Se justifia-t-il avec empressement avec un léger rictus. On prend les premiers escaliers qui mènent à la surface et on avise ? Je saurais mieux me repérer dans la rue que dans les couloirs...

Ah ! Perdus, dans ce sens là ! Elle. Était. Vraiment. Trop. Bête ! Alors, plus rapide que l'éclair, elle envoya l'angoisse qui l'avait saisie ainsi que toutes ses interrogations valser dans le vortex de son déni. Tout allait parfaitement bien !

Elle opina du chef en lui souriant à son tour. Ils se remirent en route.

A sa grande surprise, il ne lâcha pas sa main une fois sortis du tumulte. Il ne la lâcha pas non plus lorsqu'ils marchèrent sur le trottoir. Il la garda aussi quand ils entrèrent dans le magasin pour acheter un cahier et un crayon. Il ne lâchait pas, et elle non plus, car il n'y avait rien de plus doux.

Lorsque les portes automatiques de la supérette s'ouvrirent, il sursauta, dégainant à moitié sa baguette.

-Comment ?!

-Ça fonctionne grâce à une énergie qui s'appelle l'électricité, réussit-elle à articuler malgré son rire. Beaucoup de choses fonctionnent avec : la lumière, les caisses que tu vas voir...

Il passèrent enfin la porte, une expression craintive sur le visage de Drago. Une fois à l'intérieur, ce dernier sembla perdu parmi la profusion des rayons.

-Il n'y a pas d'épicier ? Demanda-t-il surpris.

-Non, on se sert comme on veut.

-Et ceci est un panier à provision... sur roue. Suggéra-t-il en désignant une chétive grand-mère poussant un énorme caddy rempli de croquettes pour chat.

-Oui. Comme ils ne peuvent pas faire voler les objets, ils les font rouler... C'est le cas pour beaucoup d'objets, tu sais : la voiture, le vélo, la poussette...

-Ingénieux... murmura-t-il. Pour deux cahiers et deux stylos nous n'avons pas besoin de panier roulant.

-De caddy.

-De caddy, répéta-t-il pour se familiariser avec le mot.

-Tu as l'air déçu, sourit Hermione.

-Peut-être un peu, répondit-il en lui rendant son sourire.

-Bon, alors, les marchandises sont classées par catégorie. Devant chaque rayon, un panneau suspendu au plafond indique ce qu'on peut y trouver.

Drago acquiesça, pensif, et se laissa mener par Hermione qui, à son tour, lui tenait fermement la main. Elle s'était laissée aller dans le métro : c'était désormais à son tour de jouer les guides. Elle voulait... lui donner aussi l'occasion de lâcher prise. Qu'il profite... et qu'il pense à elle comme elle avait pu penser à lui.

Hermione prit deux stylos en prenant garde à ne pas lâcher la main de Drago et elle sentit le même effort de sa part lorsqu'il saisit deux petits cahiers. A la caisse, le tapis roulant ne suscita pas autant de surprise chez Drago qu'Hermione ne l'avait espéré. Il semblait absorbé par tout autre chose.

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L'euphorie qui ne me lâchait pas depuis que je tenais la main d'Hermione retomba comme un soufflet lorsqu'elle dut délaisser la mienne pour sortir de son sac l'argent distribué par McGonagall avant notre départ. Elle sortit du portefeuille un morceau de papier coloré qu'elle tendit à l'épicière. La transaction terminée, je considérais sa main à nouveau ballante : jamais je n'aurais à nouveau l'audace de la saisir comme j'avais pu le faire plus tôt, dans le feu de l'action. Déjà, j'avais osé, je ne sais par quel miracle ou quelle folie, entrelacer mes doigts aux siens. J'étais fou ! Mais, là... non, c'était trop. Je n'y arrivais tout simplement pas.

Une fois le sentiment grisant disparu, je pouvais enfin réfléchir : certes, je n'étais pas doué en marque d'affection Gryffondoresque, mais ce qu'il venait de se passer avec nos mains, c'était ce que faisaient Weasley fille et Potter ou Londubat et Lovegood... Mais jamais je n'avais pu voir Harry tenir la main d'Hermione ou de Lovegood par exemple... C'était donc bel et bien un truc de couple ! Et ce qu'il s'était passé dans les toilettes aussi ! Décrétais-je dans mon emballement.

Ainsi...? Donc... ? Nous nous comportions comme un couple...? A des moments spécifiques. Où nous étions seuls. Sans s'être jamais rien dit. Est-ce que je pouvais m'autoriser à espérer quelque chose ? Nous étions dans une situation trouble qui permettait le rêve. Parler pour tout mettre au clair, c'était détruire cet espace. Il faudrait sans doute parler un jour. Mais pas aujourd'hui.

Aujourd'hui, je voulais m'imaginer être plus qu'un ancien ennemi pour elle. Faire semblant au moins une fois : faire semblant d'être moldu, faire semblant d'être en couple et que tout cela soit normal. Alors que je mesurais l'étendue du bourbier dans lequel je me sentais m'enliser, un bruit strident de sonnette me sortit brusquement de ma rêverie.

-Regarde où tu vas, gros demeuré !

Un moldu mal fagoté dans une sorte de tenue moulante ridicule et un casque me coupait brusquement la route. A quelques centimètres de moi, il était assis sur une sorte de balai, mais sans la brosse, qui tenait en l'air en reposant sur deux roues dont la hauteur faisaient bien les deux tiers de la taille de l'engin.

-C'est un vélo, expliqua Hermione, répondant à ma perplexité muette. Beaucoup de... cyclistes font n'importe quoi avec le code de la route. Quand on traverse, il faut être vigilent.

En effet, nous marchions depuis un petit moment maintenant dans de grandes avenues bordées d'arbres. Ça changeait de l'allure moyenâgeuse du chemin de traverse. Les fameuses voitures roulaient à une bonne allure de balai. Au détour d'une avenue, nous arrivions sur une rue piétonne très fréquentée. Sur d'immenses tours de verre et d'acier étaient projetés des sortes de photos sorcières mais qui pouvaient montrer une action bien plus longue. Ces «films» comme les appelait Hermione, faisaient la publicité tantôt pour de la nourriture, tantôt pour un voyage sur une île paradisiaque avec des touristes descendant d'un «avion». Ainsi, ils savaient voler... sans pouvoirs magiques. Je restais devant cette tour qui montrait un «film» pour cette île. J'étais hypnotisé par le mouvement et les couleurs : je me croyais là-bas. Tout paraissait si réel !

-On aura le temps de voir un film ? Demandais-je sans quitter des yeux l'écran.

-l'après midi est libre. On peut aller en voir un si tu veux.

Au fond de moi, j'étais impressionné : les moldus faisaient preuve d'une grande ingéniosité pour régler les problèmes de la vie quotidienne. Le monde sorcier, à côté, semblait se reposer sur ses acquis. Nous étions bloqués dans une époque poussiéreuse qui s'effondrait sur elle-même. Je comprenais alors toute la richesse des sorciers Nés moldus. Eux seuls pouvaient injecter du nouveau dans notre société sclérosée et moribonde. Et pour tout le potentiel qu'elle recelait, je crois alors que j'en aimais davantage Hermione.

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Il était midi, et le programme stipulait qu'il fallait s'arrêter à un fast-food. Hermione et Drago firent patiemment la queue pour passer commande. Même si la trivialité du service et de la nourriture le frappa, il ne fit aucun commentaire. Hermione sourit intérieurement en le regardant analyser son hamburger couche après couche. Elle lutta pour garder son sérieux lorsqu'il entreprit de s'essuyer très aristocratiquement les doigts entre chaque frite portée à sa bouche. L'apothéose fut sans doute lorsqu'il retira d'entre ses lèvres, le plus dignement possible, un morceau de papier d'emballage, alors qu'il mangeait son hamburger. C'était bien lui : calme, digne, noble, en toute circonstance.

-Ça te plaît ? Demanda Hermione soucieuse du bien-être de son partenaire.

-Le papier est du plus goûtu, tu devrais essayer, ironisa-t-il, plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu.

Il s'en aperçut et rectifia le tir immédiatement en reprenant :

-C'est différent de ce dont j'ai l'habitude... Mais je suppose qu'avec un peu d'entraînement, je pourrais apprécier.

Et, avec un regard comparant son plateau et celui de la jeune femme, il termina par une volte, un demi-sourire en coin :

-Enfin, vu l'état de ton plateau, je ne suis pas sûr que l'habitude soit d'une grande aide pour toi.

Instinctivement, comme toujours face à lui, un sursaut de colère la submergea comme une vague d'eau bouillante mais elle réussit à la contenir. Ce n'était qu'une blague. Juste une blague. Il fallait qu'elle accepte qu'être avec lui ça impliquait d'être moquée gentiment, de ne plus être révérée en tant qu'héroïne de guerre ou comme le cerveau du groupe. Être avec lui, ça impliquait de trouver de la contradiction, du fil à retordre. Et c'était pour cela qu'elle... qu'elle l'aimait, tout simplement. Hermione se figea. Elle avait une sorte d'éblouissement. Le terre tanguait, tout tournait autour d'elle mais elle se ressaisit bien vite. C'était donc ça, la raison pour laquelle elle était tant attirée par lui ! C'était aussi pour ça qu'un rien pouvait la gêner en sa présence... Et lui... ? Est-ce qu'il...? Les regards, ses sourires, leurs mains... Elle essaya de cacher son trouble en levant les yeux vers l'objet de ses pensée. Ce dernier l'observait avec un air sérieux, un fond d'inquiétude dans le regard, regrettant sans doute sa taquinerie. Elle lui sourit :

-C'est sûr qu'après avoir mangé le papier, il ne peut plus rester grand chose sur le tien !

Il pouffa en rosissant. Il se leva en prenant les deux plateaux pour jeter leur contenu.

-Tu viens ? L'appela-t-il alors qu'il tenait déjà la porte de sortie.

Elle se précipita à sa suite, le cœur grignoté par ce sentiment de désormais jouer une sorte de double jeu avec lui.