19 - «Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants» (Andromaque, Racine)

Salut Théodore !

Oh, je suis désolée : ça n'a pas du être facile pour vous ! De toute façon, ce n'est pas grave de redoubler : l'important c'est de partir à point !

A l'internat ?! Ça à l'air sérieux ! Rien à voir avec mon lycée public de banlieue ! Mais alors qu'est-ce que tu faisais à Londres un vendredi matin ?

Tu sais quoi faire l'année prochaine ?

C'est aussi ma préférée ! La fin est tellement triste et en même temps tellement belle ! On ressent tellement de pitié pour Vania et sa nièce !

A bientôt,

Abigail.

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-Je me demandais... Si tu ne voudrais pas venir au manoir pour les vacances... proposais-je en lui caressant le dos de la main avec mon pouce.

Devant la mine surprise d'Hermione, je me sentais rougir et obligé de me justifier :

-Pour un week-end où nous pourrions passer un peu plus de temps ensemble que deux heures par semaine dans un couloir. Après, peut être que tu détestes ce manoir, ce que je peux comprendre tout à fait. Avec... tu sais... ce qu'il s'est passé et puis... c'est vrai qu'il parait vieux, défraîchi et un peu lugubre quand on ne le connaît pas bien... Mais il y a un très beau parc... Après, peut être que tu n'aimes pas les parcs... Ou alors tu ne veux pas qu'on y soit seuls mais de toute façon les Serpentards viendraient le dimanche mais peut être que tu ne veux pas croiser les Serpentards... Je pensais de toute façon proposer à Harry et peut-être même à Weasley fille, si elle me laisse en placer une.

Mon empressement la fit pouffer et je ne pus m'empêcher de rire aussi de mon propre malaise.

-Tout me paraît très bien ! Sourit-elle et elle m'embrassa après avoir retrouvé une place confortable sur mes genoux.

Nous avions passé une nouvelle semaine éloignés l'un de l'autre et il me fallait une perspective réjouissante pour tenir les prochains jours. Elle se reposa sur moi et je me perdais dans sa chevelure.

Malgré tout ce qui pouvait m'arriver de bien, je n'étais pas tranquille. Une dernière chose encore me grignotait. Je me rappelais cette nuit que nous avions passée ensemble et de cette fois où ma marque avait dépassé de mon pull. J'avais honte d'une telle trace de mon passé et je voulais m'en défaire à tous prix avant que cette scène ne se déroule à nouveau. Pendant plusieurs mois, j'avais été dans le déni, refusant de la voir mais ces quelques jours qu'Hermione allait passer au manoir devaient désormais me servir de date butoir pour la faire disparaître.

Je me doutais que ce ne serait pas simple : gravée dans la douleur, elle s'effacerait dans la douleur. Avec de la magie noire peut-être, mais quoi qu'il m'en coûte, j'étais prêt à en payer le prix. Tout ce que je voulais, c'était qu'Hermione puisse poser les yeux sur moi sans dégoût, sans horreur ni réminiscence du passé.

Bien souvent, l'être humain s'interroge sur sa propre noirceur, sur la mesure de sa propre monstruosité, sans vraiment réussir à la sonder, sachant seulement que tout homme a cette part de cruauté et de violence. Mais moi, je n'avais rien à soupçonner : ma part d'ombre avait ses contours dessinés sur mon bras outrageusement, impudiquement.

Dix minutes avant l'extinction des feux, je chatouillais légèrement le dos d'Hermione pour lui signifier qu'il était l'heure. Elle grogna de mécontentement et se réfugia dans mon cou. Cette réaction peu mature et, de fait, peu Hermionesque, me fit sourire.

-Allez allez ! C'est l'heure !

Elle se releva en grommelant et je pus enfin étendre mes jambes endolories.

-Samedi prochain, même lieu, même heure ?

J'acquiesçais d'un hochement de tête. Nous descendîmes les escaliers puis je l'embrassais sur la tempe avant de nous séparer. Cela commençait à sonner comme un rituel.

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Harry s'assit derrière Ron et Hermione lors du cours du potion et attendait bien sagement son voisin de paillasse.

Pendant le week-end, Ginny lui avait enfin révélé ce qu'elle avait vu la semaine précédente au sommet de la tour d'astronomie. Elle était outrée : comment avait-il pu lui mentir ? Il décida alors de passer à table et de tout lui raconter : ses soupçons, d'abord, puis sa visite chez Malfoy le lendemain du procès et enfin le stratagème inventé par Pansy pour que les deux amoureux se retrouvent enfin. Il sentait la colère monter chez la jeune rousse au fur et à mesure qu'elle prenait connaissance de tous ces secrets amoncelés mais elle ne put contester le fait que jusqu'à il n'y a pas si longtemps, elle et surtout son frère, auraient très mal pris l'ouverture progressive des Gryffondors vers les Serpentards. Ron, d'ailleurs, continuait à les voir comme ses pires ennemis. Finalement, Harry et Ginny se mirent d'accord : si Hermione, qui avait sans doute le plus souffert à cause des Malfoy, avait réussi à pardonner, alors eux aussi pouvaient le faire.

D'ailleurs, quand on pense au loup... Ce dernier venait d'entrer dans le cachot avec ses acolytes. Tous les quatre donnaient l'impression de former un bloc indissoluble fait d'assurance et d'ironie... mais aussi d'affection inébranlable, parfois trouble. Harry avait fini par comprendre que Zabini et Parkinson étaient ensemble... Mais il ne s'agissait pas que de cela : lorsqu'on les regardait bien, ce que l'on pouvait prendre pour de la froideur et un esprit belliqueux se métamorphosait alors en une sorte d'attention constante et discrète, à la fois gracieuse et tendre qu'ils se portaient tous.

Toujours avec son air distancié, Malfoy s'assit à sa place et sortit ses affaires en saluant Harry brièvement. Comme d'habitude, il n'engageait jamais la conversation : le moins que l'on eût pu dire était que ce n'était pas un grand bavard, étrangement. Plus jeune, c'était le premier à se vanter et à chercher la provocation. Mais en dehors de ça, rien de personnel ne filtrait. Alors, Drago Malfoy n'était qu'un mirage, une illusion de suffisance et d'insolence. Mais maintenant que tout ce qui était superflu avait fondu, disparu, il ne restait qu'un noyau silencieux et sombre, mais non moins inébranlable, comme un sphinx d'Égypte et parfois difficile à cerner à cause de son esprit sarcastique dont malgré tout il ne s'était pas défait.

-Salut, finit pas dire le grand blond en regardant devant lui.

-Salut, sourit Harry.

Il sentait que son voisin avait quelque chose de précis à lui dire, au vu de son air plus fermé qu'à l'accoutumée. C'était l'air qu'il prenait toujours quand il s'apprêtait à faire un pas vers les autres : une sorte de recul pour mieux bondir ensuite. Averti par Hermione, le sorcier à lunette s'attendait déjà à la proposition du Serpentard.

-Je me demandais... Si Weasley fille et toi voudriez venir le dimanche des vacances pour passer une semaine au manoir.

-Oui, pourquoi pas ! Et Ginny est d'accord aussi.

Malfoy ne semblait pas attendre de réponse aussi rapide et cela le dérida. Il sourit :

-Hermione vous en a parlé.

-Elle nous a dit que tu allais nous proposer.

-Je ne pensais pas que Weasley fille serait aussi facile à convaincre... Je suis presque déçu. Même son esclandre samedi dernier manquait de punch. Je crains qu'elle ne se ramollisse...

-Disons qu'elle ne vous déteste plus, répondit Harry, toujours mal à l'aise avec cet humour ironique.

-Sacrée victoire... que tous ne savent pas remporter, répondit le Serpentard en regardant Ron qui était de dos.

-Ça finira par arriver assura le Gryffondor malgré le doute qui le rongeait.

Malfoy haussa les épaules, comme si cela ne lui importait pas. Un haussement à la Malfoy quoi.

-Salut Drago, Salut Harry, gloussa Lavande en s'installant à côté de Nott qu'elle ne daigna même pas regarder.

-Bonjour Lanvande ! Prononça ce dernier fort et distinctement.

La sorcière, confuse, balbutia un «bonjour» et s'enfouit dans ses parchemins jusqu'à la fin de l'heure.

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J'entrais dans la bibliothèque plus déterminé que jamais à trouver une solution pour me débarrasser de la marque. Errant dans les rayons, je prenais tous les livres qui me paraissaient intéressants. En réalité, je prenais tout et n'importe quoi car je n'avais aucune idée d'où chercher. Un enchantement ? Un sortilège? Un cataplasme ? ou une potion ? Il y avait bien ce sort pour faire disparaître les tâches de naissance mais je n'étais guère convaincu... Ou cette pommade qui faisait disparaître les grains de beauté... Malheureusement, faute de mieux, je devrais dans un premier temps me concentrer sur ça.

Je décidais d'expérimenter sur le champ. J'empruntais à la hâte les quelques livres qui me paraissaient utiles et disparus me terrer dans les toilettes pour filles, qui étaient décidément le lieu de tous mes méfaits.

Je commençais par le sort le plus simple qui devait faire disparaître les marques de bronzage, sans aucun espoir. Malheureusement, ma peau étant de base d'une carnation particulièrement pâle, il ne se passa rien. Ensuite, le sort pour faire disparaître les tâches de naissance n'eut pour effet que de rougir légèrement la peau, comme si je m'étais gratté. Enfin, j'essayai le sort le plus puissant que j'aie pu trouver et qui permettait d'extraire les verrues. Un rayon de lumière rouge sortit en ligne droite de ma baguette pour atteindre un point précis et former un cratère dont le diamètre ne dépassait pas celui d'une pointe de plume d'oie. Je lançais le sort plusieurs fois en suivant les traits du tatouage. La chair était à vif et du sang perlait sur mon avant bras.

Avais-je atteint le maléfice ? Difficile à dire mais une douleur lancinante irradiait dans tout mon membre mutilé. Je lançais un sort cicatrisant qui ne laissa qu'une tache brune sur ma peau. Par dessus, la marque se redessina. Je soupirais, abattu. Je devais frapper plus fort. Je parcourais les livres empruntés à la va-vite : rien de très prometteur. La solution était toute simple : je devais chercher du côté de la magie noire et des sortilèges suffisamment puissants pour dissuader un Fol Oeil de les enseigner. Un saut dans la réserve devait s'imposer.

Je rendais tous mes livres une demi-heure après les avoir empruntés sous le regard suspicieux de cette vieille chouette de bibliothécaire.

-Bah alors, les «sorts du quotidien appris de nos grand-mères» ne t'intéressent plus ? Me susurra Nott dans l'oreille exprès pour me surprendre. Je sursautais passablement.

-Je cherchais un moyen de faire disparaître un tâche de vin sur une nappe blanche...

-Bien sûr... C'est pour ça que Bob saigne sous ta chemise ?

-Bob ? Demandais-je interloqué.

Il me répondit en lançant un regard sur mon avant bras gauche. En effet, une ou deux gouttes de sang avaient tâché le tissu. Évidement il avait deviné, ce qui, d'une certaine manière m'arrangeait : j'avais besoin d'aide et il était assez intrépide et débrouillard pour m'épauler. Il plongea son regard dans le mien comme pour y lire un aveu. Finalement, il leva les yeux au ciel et m'intima de le suivre d'un mouvement de tête. Nous retournions dans les toilettes, où je pouvais nettoyer le sang séché sur ma manche.

-Ne me dis pas que c'est pour Hermione.

-Non, c'est pour Lavande Brown.

-Ah dans ce cas là, tout est permis ! On pourrait directement te sectionner le bras, non ? On gagnerait du temps !

-Et tu m'aiderais à lacer mes chaussures et à manger mon porridge ?

-Mais oui ! Je te promets même de souffler sur ta soupe ! ...Bon, reprit-il après un temps, avec un air sérieux et potentiellement énervé. Je ne veux même pas avoir d'explication du pourquoi du comment tu en es arrivé à t'arracher la peau.

-Tu m'aiderais ?

-A t'arracher la peau ?

-A faire disparaître la marque.

-Oh non pas Bob ! Le pauvre, il n'a rien demandé !

Après un temps de réflexion, il reprit :

-Va pour éradiquer Bob. Mais tu sais ce qui t'attend ?

-De la magie noire et un bras en charpie... Mais j'ose espérer que ça guérira vite.

La moue dubitative de Nott confirmait mes craintes : Ça allait être moche. Une vraie boucherie. Mais je restais inflexible.

-Tu connais le sort qui est à l'origine de tout ça ?

Je fis non de la tête, déjà abattu.

-Il faudrait pouvoir accéder à la réserve, reprit-il.

-... Potter a toujours sa cape d'invisibilité, non ?

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Harry sentait des yeux le fixer en attendant que la salle de cours de soin aux créatures magiques se libère. Il finit par se retourner et vit Nott et Malfoy faire des messes basses en le regardant. Le Gryffondor sourit, mi-amusé mi-inquiet : dans quoi, encore, allaient-ils le mêler ? Il eut cette dérangeante surprise de constater qu'il avait hâte de savoir de quoi il en retournait. Il se rapprocha discrètement du binôme.

-Qu'est ce que vous complotez encore ?

-Tu... aurais toujours ta cape d'invisibilité ? Osa Nott.

-Elle ne me quitte jamais. Pourquoi ?

Nott et Malfoy échangèrent un regard gêné. Après un temps de réflexion, Malfoy acquiesça d'un signe de tête et prit la parole.

-C'est pour aller dans la réserve de la bibliothèque...

-Pourquoi faire ? Demanda Harry surpris.

-C'est pour trouver un contre-sort pour faire disparaître... ça, répondit Malfoy en désignant des yeux son avant bras gauche.

Le Gryffondor ne pesa pas longtemps le pour et le contre : c'était une bonne raison et cette petite aventure lui paraissait bien mignonne comparé à ce qu'il avait pu vivre il n'y avait même pas un an.

-J'y suis déjà allé en première année. Il faut y aller de nuit... un week-end ou pendant les vacances, quand il y a le moins de personnes possible.

Nott siffla entre ses dents pour marquer sa surprise.

-Je sais pas pourquoi, j'oublie tout le temps que tu es un dur à cuire.

-C'est les lunettes. On a toujours l'air de fragile quand on a des lunettes.

Nott sembla considérer avec sérieux cette explication, comme s'il s'agissait d'une révélation sur le sens de l'univers.

-Il faut y aller le plus vite possible si je veux espérer régler ce problème avant... les vacances...

-Pourquoi si vite ? Demanda Harry. Justement, on pourrait se documenter pendant les deux semaines qui restent et expérimenter tranquillement dans ton manoir...

Malfoy prit une moue déconfite et Nott se sentit autorisé à expliqué davantage :

-C'est pour Lavande Brown...

Aussitôt, il se prit une volée de coups du grand blond, ce qui attira les regards interrogatifs des autres élèves de la classe :

-Mais t'es vraiment pas possible toi !

-Arrête ! S'esclaffa le brun, mort de rire.

-J'ai compris, j'ai compris ! S'exclama Harry pour calmer le jeu. Les deux autres s'apaisèrent rapidement, un sourire au coin des lèvres. Malfoy prononça silencieusement un dernier : "Tu crains !"

-Écoutez... Reprit le Gryffondor. On a qu'à y aller ce soir : c'est moins sécure mais après tout Malfoy, le préfet aujourd'hui c'est toi !

-Je ne suis pas le seul préfet remarqua l'intéressé.

Nott sourit :

-Si c'est Lovegood qui nous trouve, on dira que c'est les joncheruines !

Ce qui suscita un pouffement commun. Et la conversation se termina en même temps que les élèves reçurent la permission d'entrer dans la salle de cours.

000

C'était pleine Lune, ce qui était une bonne chose car les lumières de leurs baguettes se verraient moins avec la clarté ambiante. Nott et Malfoy sortirent discrètement de leur dortoir à minuit pile. Une baguette magique suspendue dans les airs les attendait, éclairant le couloir. Les deux Serpentards se rapprochèrent et palpèrent l'air pour trouver le bord de la cape d'invisibilité. Nott le trouva en premier et se glissa dessous après avoir recouvert le grand blond. Il eut la surprise de constater que la cape s'agrandissait à loisir, ce qui faisait que bien que progressant au même rythme, il ne se marchaient pas dessus.

-Depuis le temps que je rêve de ça ! S'enthousiasma Malfoy, ce grand sensible.

-Chut ! Tu vas nous faire repérer ! S'impatienta Nott.

-Et par qui ? Miss Teigne est morte et c'était bien la seule compétente dans ce château ! En plus on a la cape !

Cette réflexion mit tout le monde d'accord et le groupe retomba dans le silence. Longeant le couloir, ils croisèrent tout de même le plumours, comme l'appelait Zabini, qui sans doute avait l'intention de venir polluer l'espace de Malfoy, comme il en avait l'habitude depuis novembre. Cependant, depuis que ses maîtres s'étaient rabibochés, il ne venait plus qu'un jour sur deux. Et Malfoy était content ! La créature les suivait des yeux avec un regard de reproche... Comme s'il pouvait les voir. Le grand blond dut lutter pour ne pas s'accroupir et le prendre dans ses bras, rongé par la culpabilité d'abandonner ainsi son chat.

-Est-ce que les fantômes nous voient ? Demanda Nott une fois qu'ils aient tourné à l'angle du couloir.

-Normalement, non. J'ai berné le Baron Sanglant une fois.

Nott était impressionné. Plus il fréquentait Potter, plus il se rendait compte qu'il était devenu un sorcier expérimenté. C'était presque absurde, son retour à Poudlard... A côté de lui, Nott se sentait presque ridicule. Certes, le Serpentard devait avoir plus de connaissances théoriques, être plus habile à rentrer dans le moule scolaire mais Potter, lui, avait cette sorte d'instinct, qui le rendait bien meilleur que lui.

Ils arrivèrent enfin devant la bibliothèque. Il traversèrent la vaste salle et se dirigèrent sans hésiter vers la réserve.

-Séparons-nous, proposa Harry. Qu'est-ce qu'on cherche ?

-Des manuels de magie noire ? Suggéra Nott, désireux d'aller au plus efficace, malgré les réticences qu'il pouvait sentir chez Malfoy.

-Il faut d'abord connaître le sort à l'origine, proposa Malfoy.

-Comment faire si c'est un sort inventé par Voldemort ? Demanda Harry.

-Dans ce cas, concentrons-nous sur les anti-sorts de magie noire, trancha Nott.

-Regardons aussi les enchantements : la marque est revenue après que mes plaies aient cicatrisé.

Les autres acquiescèrent. Avant de se séparer, Harry les prévint :

-Attendez, avant d'ouvrir les livres ! Certains... crient.

Cette annonce fit frissonner Nott : plus il grandissait, plus la magie lui faisait peur. L'image d'Abigail s'imposa dans son esprit : elle ne devait jamais soupçonner l'existence de ce monde et toute ses horreurs. Lui-même commençait à haïr chez lui ce pouvoir bien trop puissant pour la bêtise des hommes.

Alors que Nott amorçait un mouvement vers les rayons, Harry reprit la parole :

-Attendez !

-Quoi encore ? s'impatienta Nott.

-Au moindre bruit suspect ou quand on a fini de parcourir les rayons, on se retrouve dans ce coin et je nous recouvrirai de la cape.

Enfin, pour plus d'efficacité, ils se répartirent les rangées de livres. Nott prit celles du fond. Il survola la section nécromancie qui occupait les trois quart du premier rayon. Puis, celle de l'alchimie qui s'étendait sur le reste du rayon ainsi que sur le rayon suivant en entier. Le troisième s'intéressait à la potion. Enfin, le dernier rayon dont il avait la charge. Étrangement, il était classé par auteur mais regroupait des livres de tous les domaines. Puis, il comprit : c'était ceux qui traitaient de magie noire. Rien pourtant ne l'indiquait clairement dans le système de classement. Seuls les titres le laissait supposer. Nott survola les cotes des grimoires :

Nécromancie... nécromancie... métamorphose... nécromancie... potion... alchimie... alchimie... potion... botanique (?!)... enchantements ! «Enchantements et contre-enchantements» Nott se saisit du livre sans l'ouvrir. Et le garda précieusement contre lui, malgré le titre peu évocateur.

Alchimie... nécromancie... potions... potions... potions... histoire... soin aux créatures magiques

Utile pour soigner son détraqueur de compagnie.

Métamorphose... Alchimie... métamorphose... nécromancie... runes... runes... Enfin ! Sortilèges... sortilèges... enchantements.

«Sortilèges interdits pour sorciers intrépides» ; «1001 Sortilèges courants de magie noire : les reconnaître et les interpréter» « Magie blanche contre magie noire»

Nott rejoignit les autres dans le coin désigné par Harry. Malfoy avait fait chou blanc et avait une mine maussade : ses rayons s'intéressaient essentiellement aux créatures magiques et à la botanique. Quant à Harry, il avait eu les sections divination, sortilèges et enchantements. Cependant, rien ne laissait entendre qu'ils traitaient de magie noire... et à juste titre puisqu'ils étaient dans les rayons inspectés par Nott.

-On prend lesquels ? Demanda Nott.

-Tous. Répondit Malfoy, déterminé.

-Nous les lirons demain. Il faut qu'on se repose. Cachons-les dans les toilettes des filles. Et demain à la même heure, je viendrai vous chercher.

Les Serpentards acquiescèrent et les trois sorciers quittèrent silencieusement la réserve sans attirer le moindre soupçon.

000

-C'est bien, mais tu ne parles pas des effets secondaires de la potion, conclut Hermione en rendant son parchemin à Ginny.

-Les effets secondaires ? Tu penses que le prof attend ça ?

-S'il te demande les effets d'un potion, il pense aussi à ceux indésirables.

La rousse acquiesça en parcourant des yeux son travail sans le lire, un peu déçue car vraiment, elle croyait qu'elle avait pensé à tout cette fois-ci. En même temps, c'était sournois ! "Quels sont les effets de l'élixir d'euphorie ?" On avait juste envie d'expliquer à quoi elle sert ! En guise de réponse elle fournit un simple grognement.

-Tu penses que ça va être comment chez Malfoy ? Demanda-t-elle soudainement, l'idée lui traversant subitement la tête.

La brune leva des yeux surpris sur son amie.

-Je ne sais pas, je n'ai pas vraiment réfléchi, répondit-elle en rougissant.

-Tu veux dire que tu y penses tout le temps plutôt, se moqua Ginny, connaissant par cœur l'esprit alambiqué de la préfète en chef.

Elle-même, terre à terre, y pensait sans arrêt. Alors Hermione... ! Impossible qu'elle y échappe !

-Bon, peut-être un peu, concéda son aînée.

-Tout le temps, donc, trancha la plus jeune.

-Bon, d'accord, tout le temps, finit par rire son interlocutrice.

-Et aller là-bas... ça ira ? Reprit Ginny, plus sérieuse.

-A la reconstitution déjà, c'était plus simple que ce que j'avais imaginé. C'était surtout les gens présents le problème ! Et puis... quand j'y suis retournée en janvier, l'endroit n'avait plus rien à voir avec ce qu'il était... avant. Alors, je pense que ça ira.

Ginny acquiesça en silence : Hermione avait fini, sous son interrogatoire insistant, par tout lui raconter des errances que Malfoy et elles avaient eues avant de se mettre ensemble. Mais il n'y avait pas que ce sujet qui préoccupait la rousse.

-Et... tu as pensé à... ce qui allait se passer... peut-être ?

La rougeur qui avait gagné ses joues et son air hésitant ne permirent pas à Hermione de se tromper concertant le sous-entendu. Cette dernière d'ailleurs ne chercha pas esquiver, sachant pertinemment que la poursuiveuse réussissait toujours à arracher aussi bien le souaffle que des aveux.

-Je ne suis pas sûre que lui y pense...

Ginny pouffa d'incrédulité :

-Bien sûr que si, il y pense !

-Il n'est pas très à l'aise avec ça...

-Ça n'empêche pas ! Mais et toi, recadra la rousse, tu y penses ?

Hermione jeta un regard suspicieux autour d'elle, puis, après s'être assurée que personne ne les écoutait, elle reprit avec un air décidé.

-Évidemment ! Ça me stresse ! C'est pire qu'un examen !

-Mais tu veux ?

Hermione roula des yeux devant une question aussi impertinente pour cacher sa gêne croissante.

-Oui ! Finit-elle par admettre. Je pense que devrais prendre les devants.

-Tu sauras faire : tu n'es pas Gryffondor pour rien ! répondit Ginny feignant un air d'expert en la matière.

Elle-même n'avait jamais franchi le pas avec Harry, en deux ans, si ce n'est une fois, brève et inaboutie, l'été dernier au fond du verger qui bordait la façade ouest du Terrier. Envoyés par sa mère cueillir des cerises pour le dessert pendant que le reste de la famille terminait lentement de manger, c'était la première fois qu'ils se retrouvaient vraiment seuls depuis un an et demi. Lui, avait trouvé le courage de lui demander si elle voulait bien qu'ils se remettent ensemble après leur séparation forcée, avant qu'il ne parte à la chasse aux horcruxes. Elle n'avait pas pris la peine de répondre et s'était jetée sur lui, envoyant les cerises et leur panier voltiger dans les airs. Dans la chaleur du moment, laissant exploser la frustration accumulée depuis de longs mois, ils avaient exploré leurs corps jusqu'à ce que le bavardage lointain du paternel et de Charlie venant à leur rencontre ne les calment tout de bon.

-Je suppose, oui, répondit Hermione, retrouvant son air décidé. Et puis... les moldus sont moins pudiques que les sorciers : ma mère m'a bien informée à ce sujet.

-C'est vrai ?! S'exclama Ginny avide : il semblait, finalement, que c'était elle la moins au fait de tout cela.

-Oui, le plus important, avant quoique ce soit, c'est de connaître des sorts de protections.

-Ah oui ! J'en ai entendu parlé ! Tu les connais ?

-Bien sûr, répartit Hermione avec ce petit sourire satisfait qu'elle avait quand elle était sûre de réussir une évaluation. Je me suis même entraînée à les lancer en informulé, se vanta-t-elle.

-Et ça fait quoi ?

-Pas grand chose, un légère sensation de frais qui ne dure pas longtemps. Tiens !

Et elle lui tendit une feuille de parchemin sortie de sa poche où avaient été écrits deux incantations avec quelques indications concernant leur formulation. Ginny sourit à l'idée que le Grand Malfoy se fasse manger tout cru par une Hermione Granger déterminée et préparée. Et le célébrissime Harry Potter n'allait pas y échapper non plus...

000

La journée du lendemain passa vite et, bien que fatigués, nous tremblions d'excitation. Toute mon attention était concentrée sur ce qui allait se passer le soir et je me préparais mentalement.

A minuit, comme la veille, Harry vint nous chercher puis nous nous rendîmes dans les toilettes pour filles bien à l'abri sous la cape. Devant la porte nous attendait Pattenrond. Assis, sa queue battait le sol d'énervement. Il nous regardait arriver avec le même regard de reproche que la veille.

-Ça va bien se passer, lui murmurais-je, car je sentais, au fond de moi, qu'il était inquiet. J'avais l'étrange sensation que lui parler, c'était parler à Hermione.

-N'importe quoi, murmura Nott pour lui-même.

Puis, alors que nous n'étions plus qu'à deux ou trois mètres de lui, le chat se leva et nous dépassa sans plus nous regarder, affectant un air hautain. Enfin, il disparut dans l'obscurité.

Une fois, la porte passée, nous nous répartîmes les grimoires et parcourûmes fébrilement la table des matières.

-Je pense que j'ai trouvé quelque chose, annonça Nott alors qu'il feuilletait le manuel "magie blanche contre magie noire".

Il reprit :

-C'est un sort qui permet de neutraliser les enchantements de tâches et traces en tout genre... ensorcelés pour ne jamais partir... ou plutôt toujours revenir. Ils donnent pour exemple la clé du sorcier Barbe Bleue, dont la tâche de sang réapparaissait toujours malgré le soin à la nettoyer.

J'acquiesçais et défaisais les boutons de la manche de ma chemise puis exposais la marque aux yeux des autres. Sans hésiter, Harry lança le contre sort de magie blanche. Soudain, la marque s'anima en s'assombrissant ou s'éclaircissant par endroit, comme si l'ombre de nuages passait sur elle. Cela dura quelques minutes, jusqu'à ce que mes veines du bras gonflent et battent à des rythmes désordonnés, de plus en plus vite comme si leur contenu était en ébullition. Pourtant, un froid glacial me transperçait le bras et je ne pus réprimer une grimace de douleur. Enfin, du sang assombri par l'encre commença à suinter de chaque pore de ma peau tatouée. Nott mit ses mains sur mes épaules alors que je fermais les yeux pour mieux supporter la douleur.

-Ça brûle ?

-C'est froid ! C'est comme si mon bras était plongé dans un bac de glace.

-Ils en parlent dans le livre : c'est un effet secondaire courant, précisa Harry.

-Bon, si ça fait mal, c'est que ça marche, non ? Risquais-je plein d'espoir.

A cela, je n'eus pas de réponse. Cependant, la douleur redevint supportable après plusieurs minutes et je rouvris les yeux. La marque était toujours là, comme neuve sur ma peau brûlée à vif et sanguinolente.

Je poussais un long soupir :

-Sort suivant.

-Tu es sûr ? Tu as le bras d'un grand brûlé... S'enquit Nott.

-Je veux m'en débarrasser, quoiqu'il m'en coûte et je préfère n'importe quelle cicatrice à ça.

-Il y a un sort qui est sensé effacer les marques des Ténèbres en tous genres, proposa Harry qui continuait à feuilleter son grimoire.

-C'est ce qu'il nous faut ! M'enthousiasmais-je.

Nott me considéra un instant pensivement, soupira en levant les yeux au ciel, puis lança le sort. De sa baguette sortit son patronus : un albatros royal du Nord. L'humilité de ce type !

-Un albatros, rien que ça ! me moquais-je tandis que Potter admirait le vol silencieux de l'immense oiseau.

-Et de ton dragon, on en parle ? rétorqua le Serpentard, amusé.

Pas faux. Je souris à mon tour.

L'oiseau fit un tour en spirale au-dessus de nos têtes puis plongea sur mon bras comme lorsqu'il pêche en pleine mer. Il disparut dans un claquement sonore et réapparut sur ma peau en dessin illuminé de bleu, aussi gros que le crâne de la marque. Il décrivait des cercles autour du serpent. D'un coup, ce dernier s'anima et se dressa dans une posture d'attaque. L'albatros, en continuant de tournoyer, harcelait le serpent de coups de becs et d'ailes tandis que le reptile crachait et claquait ses mâchoires. Mais d'un coup, le serpent réussit à mordre l'oiseau.

-Hé ! C'est quoi ça ?! S'écria Nott en se tenant l'épaule droite. C'est comme si... on m'avait mordu !

Et effectivement, une morsure sanglante apparut alors qu'il déboutonnait sa chemise pour inspecter sa peau.

-Mais ?! S'exclama-t-il, alors que de nouveau, des marques de crochets tailladaient ses doigts.

Puis une troisième morsure atteignit Nott au flanc. Ce qui se passait n'était pas bien difficile à comprendre : il subissait les mêmes dommages que son patronus. Tous les trois, nous nous regardâmes effrayés par les conséquences que pourraient avoir ce sort... Car entre l'albatros et le serpent, c'était bien d'un combat à mort dont il s'agissait.

Soudain, le serpent mordit plus fermement l'oiseau, ne le lâchant plus et Nott, mordu à la clavicule, étouffa un cri de douleur. Il manqua de tomber, retenu de justesse par Harry. Un combat au corps à corps débuta. L'albatros blessait le serpent à coup d'ailes et de pattes pour se libérer de la morsure du reptile. Mais ce dernier tenait bon. Pire : il réussissait à contraindre petit à petit les mouvements de l'oiseau et parvint à passer un de ses anneaux autour du corps de son assaillant. Instinctivement, Nott porta ses mains à sa gorge, essayant de repousser un ennemi invisible et malgré les sorts d'un Harry affolé, rien ne réussissait à soulager le Serpentard. Petit à petit, le serpent resserrait son étreinte tandis que l'albatros se débattait furieusement pour sa vie, perdant de la vigueur au fur et à mesure que le serpent renforçait son emprise. Je tentais de leur venir en aide sans réussir à quitter des yeux le combat qui se déroulait sur mon bras. Malgré nos efforts, nous restions impuissants et pendant ce temps, la respiration de Nott devenait de plus en plus laborieuse. Il commençait à suffoquer.

Les résistances du patronus se firent de plus en plus faibles puis il fut parcouru de spasmes. Enfin, il ne remua plus du tout. Nott gisait inanimé sur le sol. Quant à Harry et moi, nous ne pouvions bouger, impuissants et hypnotisés par ce film d'horreur qui se déroulait sur ma peau.

Alors, le serpent ouvrit grand sa gueule et avala sa proie lentement mais avec une voracité qui aurait fait frémir n'importe qui.