Ccassandre : Merci encore pour toutes ces reviews qui vraiment me boostent énormément ! :) Ça compte beaucoup pour moi d'avoir un retour ! Je suis contente que les chapitres continuent à te plaire et j'espère que la rencontre entre Drago et les Weasley sera à la hauteur de tes espérances ! Pour Nott, c'est bien joué ! Je te souhaite une bonne lecture !

33-«heurté par des tourbillons de lumière.» («Marine», Rimbaud)

-Les chocolats ?

-Je les ai pris, confirmais-je alors que nous descendions à la hâte les escaliers en marbre.

L'angoisse qui ne me lâchait plus depuis hier soir s'intensifiait minute après minute.

Je saisissais au passage Pattenrond qui nous attendait sur la large rampe en pierre. Il se laissa faire en ronronnant, aussi malléable qu'une poupée de chiffons. Son contact doux et chaud me rassura un peu. Harry et les deux Weasley nous attendaient sur le perron. Une fois rassemblés, je lançais les sorts de protection et pris discrètement la main d'Hermione. Puis, d'un accord tacite, nous transplanâmes ensemble jusqu'au lieu dit du Terrier.

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Je n'avais jamais vu le Terrier et je me rendis compte que la maison n'était pas si éloignée que ça de mes moqueries adolescentes. Nous traversâmes d'abord un verger dont les arbres étaient en fleur, puis la cour infestée de gnomes. En les voyant, Pattenrond s'agita dans mes bras et je lâchais le fauve qui s'élança dans une épique partie de chasse. Il effraya ainsi quelques poules bien grasses qui picoraient dans une pelouse qui n'avait pas été tondue depuis au moins le printemps dernier. Quant à la maison, elle était biscornue, presque bancale, faite de bric et de broc, agrandie au fil du temps... et des enfants aussi sans doute. Il me semblait qu'un simple coup de vent la ferait s'écrouler et je me figeais presque lorsque Ron eut l'impudence de sonner et d'ouvrir la porte sans mesurer le risque de la voir tomber en ruine. Alors que je m'apprêtais à entrer à mon tour, Hermione me pressa légèrement la main dans un geste réconfortant et me sourit.

Au secours.

Les entrailles nouées par le stress, je me baissais pour ne pas me cogner au chambranle de la porte. Quoique, s'assommer était peut-être une solution. Nous fûmes accueillis par la meurtrière. Elle avait un air affairé sur le visage et semblait essoufflée. Dès qu'elle nous vit, un sourire doux et bienveillant s'éleva sur son visage. Elle embrassa d'abord ses enfants avec effusion.

-Harry, mon chéri ! S'exclama-t-elle en le prenant dans ses bras à son tour, lorsqu'elle en eut fini avec sa progéniture.

Elle fut tout aussi aimante avec Hermione en la serrant avec force dans ses bras.

Ça allait être mon tour. L'horreur. Je voulais mourir. Avec mes chocolats à la con. Qu'est-ce que je foutais ici, par Merlin ?!

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Molly était inquiète : il fallait que tout soit parfait pour leur invité. Oh, bien sûr, elle n'avait pas la prétention d'égaler ni la cuisine raffinée, ni la distinction du service auxquels il avait pu être habitué et, de toute façon, elle n'allait pas renier sa simplicité : chez elle, le samedi, c'était daube à la bière et tarte aux pommes, elle n'avait qu'un jeu de couvert et pas assez d'assiettes pour en changer entre le plat et le dessert.

Non. Si elle voulait que tout soit parfait, c'est que le mot «Parfait» pour elle, voulait dire «chaleureux», «aimant», «joyeux». Si seulement ils pouvaient lui communiquer tout cela ! Alors qu'il n'était qu'un enfant, malgré ses manières arrogantes et détestables, elle s'était attachée à lui. Elle voyait bien sous cette carapace le manque et la tristesse. Plus il grandissait, plus cette souffrance se montrait criante et une mère de famille ne pouvait décemment pas être insensible à cela. Elle voulait juste qu'il se sente bien chez elle, qu'il y vienne avec l'impression d'y retrouver une nouvelle famille, comme un voyageur qui retourne à son pays natal... Pour ce faire, il faudrait deviner un moyen de l'apprivoiser avec douceur et amour... deux ressources inépuisables chez Molly.

Avoir sept enfants n'avait pas éteint ce besoin d'en distribuer toujours plus autour d'elle. Parfois, elle rêvait d'être l'amour lui-même et d'être dispersée par le vent pour toucher tous les cœurs. Alors cet invité, cet orphelin, elle l'aurait bien adopté aussi, comme elle avait adopté Harry et Hermione, deux autres orphelins. Ils avaient beau approcher de leurs dix-neuf ans, elle voyait toujours les enfants en eux, avec leurs yeux de farceurs et leurs peines.

Bien sûr, lorsqu'elle avait appris qu'Hermione l'avait choisi lui plutôt que Ron, cela lui avait fait un choc. Ce dernier l'aimait depuis si longtemps ! C'est à dire qu'elle s'était convaincue qu'entre les deux Gryffondors, ce n'était qu'une question de temps. Un peu amère d'abord vis à vis de la jeune fille, elle avait fini par se faire une raison : elle devinait que le trio, dévasté par la tristesse, avait besoin d'un nouveau souffle.

Ron, de toute façon, n'était pas prêt pour être en couple. Il était encore trop enfoncé dans les brumes du deuil. Dans la famille, c'était lui d'ailleurs qui peinait le plus à remonter la pente. Son ascension était lente, difficile et cela inquiétait Molly. Heureusement, il y avait du mieux depuis... un mois peut-être. Depuis sa discussion avec Drago, à peu près. Molly ne put s'empêcher de sourire : le pardon, elle en était convaincue, c'était la voie de la libération. Et de cette manière, elle savait le Serpentard sauvé. Enfin. Alors, c'était un mal pour un bien.

Quand elle aperçut le Serpentard entrer, elle sursauta légèrement. Il avait encore grandi, tant et si bien qu'il avait dû se baisser pour entrer, comme Ron, le plus grand de ses fils. Il ressemblait tant à son père ! Mais il avait gardé sur ses traits fins un reste de douceur de sa mère. C'était un beau garçon. Son regard baissé, presque humilié, et son visage fermé contrastaient avec son fier port de tête. Il ne fallait pas se méprendre : ce dos droit, ces gestes lents et étudiés, ce visage immobile, ce n'était pas de la suffisance, c'était de la honte et la maman qu'elle était croyait l'entendre crier à l'intérieur.

Ginny, Ron, puis Harry et enfin Hermione déboulèrent dans le salon et elle les accueillit avec toute la tendresse qu'elle pouvait ressentir pour eux. Enfin, ce fut au tour du garçon. Alors, sans hésiter, elle le prit dans ses bras. Il se crispa et ce n'était pas grave. Elle serait patiente.

-Drago... Bienvenue.

Lorsqu'ils se séparèrent, il lui tendit sans un mot une boîte de chocolats.

-Merci, s'exclama-t-elle en lui pressant légèrement le bras, il ne fallait pas !

-Merci, pour l'invitation, prononça-t-il enfin dans une diction parfaite, pour ne pas dire froide, avec une maîtrise de lui-même à toute épreuve.

-C'est un plaisir ! Entrez, entrez ! poursuivit-elle en s'adressant au groupe.

Elle fit un bref tour en cuisine. Le bœuf mijotait et les tartes, qui venaient tout juste d'être mises au four par Arthur, commençaient tranquillement à dorer.

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Ils étaient tous là. Tous. Je me maudissais intérieurement, en boucle : Mais vraiment, qu'est-ce que je foutais-là !? Je sentais que l'atmosphère n'était pas aussi chaleureuse que d'habitude. Évidemment ! J'étais de trop. Ils souriaient, heureux de se retrouver, mais je sentais furtivement leurs regards se poser sur moi. Cela ne faisait que deux ou trois minutes que j'étais entré et j'étouffais déjà.

Est-ce qu'il n'y avait pas une latte de plancher branlante sous laquelle je pourrais me glisser ? Avec la poussière et les cadavres de souris. C'était bien tout ce que je pouvais mériter devant Bill défiguré, devant Georges mutilé et esseulé. Quel affront ! Est-ce que l'amour d'Hermione pouvait réellement suffire pour m'ouvrir la porte de cette maison ? J'avais l'impression de profaner des tombes, violer des sarcophages et cracher sur des mémoires ! Et eux, en plus, ils m'accueillaient, les inconscients ! Est-ce qu'ils étaient amnésiques ?! Mme Weasley me prenait dans ses bras comme elle le faisait pour ses fils ! Fred aurait pu être à ma place ! L'horreur !

Une éruption de haine me saisit. Contre moi, contre mes parents, contre la vie qui était décidément bien trop cruelle. Et la tristesse aussi, infinie. S'il ne pleuraient pas, j'aurais bien pu le faire pour eux. En pensée.

Cela faisait bien longtemps que cette sombre rage, cette eau noire de putréfaction, ne m'avait pas submergé... Si longtemps ! Depuis décembre au moins ! Et cette même force qui m'attirait vers le fond, contre laquelle je m'étais tant de fois débattu ! Elle était de retour, me saisissant douloureusement aux chevilles.

Sincèrement, me taillader les veines. Disparaître. Pour toujours.

Je m'étais cru sauvé ! Sous le regard amène d'Hermione, je croyais avoir réussi à m'accepter. Cruelle désillusion : j'étais toujours au pied du mur ! Comment avais-je pu être aussi naïf ?! Tous mes espoirs d'aller définitivement bien un jour tombèrent en poussière. Comme attaché à mon passé par un élastique je me sentais brutalement ramené des mois en arrière. Je me sentais aspiré dans un état second, où l'on pouvait à la fois se noyer dans le découragement, et voir la colère consumer son cœur. Ce tourbillon, ce trou noir, me secoua tant et si bien que j'en devins nauséeux, comme d'habitude dès que ma rage se faisait trop forte. Petit fragile que j'étais.

Un éblouissement soudain, un vertige. Puis un coup de chaleur zébré de sueur froide.

-Pardon, je... pardon, je...

Alors que je m'empêtrais pour reculer, avec un haut-le-cœur, on me prit par le bras pour m'emmener à la cuisine. Une fois dans la pièce, je me précipitais à l'évier pour rendre mon petit déjeuner dans l'ordre.

J'étais. Vraiment. Un faible. Le pire des bouffons. Si mon père savait...! Quel héritier foireux ! Et foiré, sans doute aussi, par mes deux tarés de géniteurs. Mais c'était juste... trop dur. Je devais partir. Au plus vite.

Et Hermione ! Que pouvait-elle penser de moi ? Elle devait compter sur moi ! Hélas, je ne pouvais que la décevoir : venir chez les Weasley pour apporter une boîte de chocolat à la con et quicher. Super. Un parfait incapable ! J'étais dans toute ma splendeur de pauvre petit péteux. Un zéro. Nul. Nul. J'étais tellement... nul ! Un minable, un débile profond. Elle devait avoir honte de moi. Quoi d'autre ?

On me frottait énergiquement le dos en me tendant un grand verre d'eau claire.

-Ça va ?

Ça irait sans doute mieux en Enfer.

Elle était là, à me regarder. Dans ses yeux, aucune trace de déception. Juste de l'inquiétude. Pourquoi ? Comment ?

-Pardon, s'excusa-t-elle.

J'étais si ahuri par... absolument tout de cette situation : ma colère, ma nausée, son regard, sa demande de pardon, que je ne pus ni parler ni bouger. Je restais crispé au-dessus de l'évier, même si je sentais tout risque de récidive écartée. Elle posa le verre que je n'avais pas saisi et reposa sa tête contre mon bras gauche. Elle frictionnait mes bras pour me réconforter. De ma main droite, je lâchais enfin le plan de travail pour la passer sur mon visage, histoire de reprendre contenance.

-Tiens, réessaya-t-elle en me tendant de nouveau le verre d'eau.

-Merci, soufflais-je en le saisissant.

Je le bus d'une traite.

-Je suis vraiment désolée...On a voulu aller trop vite... Écoute, on rentre si tu veux... Je reste avec toi.

Alors, lâchant enfin prise, je l'attirais vers moi pour la serrer dans mes bras avec force. Son amour pour moi était un parfait mystère... Mais j'en avais tellement besoin ! j'étais parfaitement dépendant d'elle. Jamais personne n'avait occupé une telle place dans ma vie. Elle en était le centre, le Soleil.

Elle continua à frotter mon dos.

-C'est moi, qui suis désolé, d'être ce que je suis : un pauvre incapable, un nul, un fai...

-Mais non ! Venir ici, c'était courageux. Écoute, personne ne t'en veut. Tout ça... ce n'était pas toi. Et tout le monde le sait. Ils veulent tous faire ta connaissance, crois-moi !

Furtivement, mes yeux se posèrent malgré moi sur l'évier.

-On s'en fiche de ça ! Et d'un coup de baguette, elle fit place nette.

Elle prit mon visage dans ses mains.

-Tu vaux bien plus que tu ne le crois et tout le monde ici en a conscience.

Tous ses efforts avaient fini par me réconforter, un peu. Je devais me blinder davantage encore. J'en avais perdu l'habitude mais là, je n'avais pas d'autre choix que de reconvoquer à moi mon armure complète. Je me redressais déjà et, pivotant ma tête dans ses mains, j'embrassais la paume de l'une d'elles.

-Je t'aime, lui soufflais-je, les yeux fermés, le cœur désespéré d'être aussi débordé par ce sentiment. J'aurais tant voulu faire partie d'elle, me dissoudre en elle.

-Drago ? Tu vas mieux ? S'enquit Mme Weasley, que je n'avais pas remarquée, dans un coin de la pièce.

Au secours.

Hermione s'écarta et je forçais un sourire.

-Vous voulez partir ? demanda-t-elle, inquiète.

-Plus depuis que j'ai senti vos tartes aux pommes, Mme Weasley, répondis-je malicieusement, convoquant toute la rage de vivre qui était en ma possession.

J'allais devoir me battre, encore. Contre moi, mon passé et l'héritage de mes parents. J'avais compris désormais que contrairement à ce que je pensais, contrairement à ce que j'espérais, il n'y aurait pas de dernière bataille et qu'à tout moment je devais être en mesure de serrer les dents et partir à l'assaut. Très bien. Alors à l'attaque !

Devant ma répartie, Molly gloussa en rosissant, flattée, et Hermione pouffa. C'était l'essentiel.

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«Nous y étions», pensa Charlie en voyant l'homme sortir de la cuisine après son faux départ. Sa mère s'entêtait à le considérer comme un enfant, mais Drago Malfoy n'en était plus un. Gamin chétif, il était devenu grand. Et fort.

Charlie, passionné par les dragons, avait l'habitude d'envisager sa vie entière par ce prisme et de comparer les gens qu'il côtoyait aux reptiles qu'il étudiait, du plus inoffensif lézard, comme Percy, au bruyant et agressif Magyard à Pointe, comme Ginny ou sa mère. Son père était un affectueux Vert Gallois et sa douce Clara, qu'il avait laissé en Roumanie, un Opaloeil des antipodes, définitivement.

Drago Malfoy, lui, était un fier Pansefer Ukrainien. Il avait une délicatesse de fille tempérée par la calme puissance que pouvait avoir un animal cracheur de feu pesant jusqu'à six tonnes et la ferme assurance d'une créature mesurant jusqu'à neuf mètres de long. D'une main sur la taille d'Hermione, il manifestait la territorialité permise à une bête possédant les griffes les plus longues et meurtrières du règne animal.

Son regard perçant de prédateur semblait tout voir, tout apprendre, tout retenir, tout comprendre et ses écailles épaisses de plusieurs centimètres ne lui servaient pas seulement à se protéger des coups violents : leur reflet irisé était aussi là pour séduire. Car il opérait une sorte d'attraction sur toutes les personnes présentes autour de lui, y compris Charlie lui-même. Oui, il était beau, objectivement parlant, mais il ne s'agissait pas que de cela. Il hypnotisait par sa présence, ses manières... et un je ne sais quoi que Charlie peinait à identifier. Une sorte de sensualité, celle d'un homme qui avait déjà expérimenté les voluptés de l'amour. Peut-être. Son sourire en biais avait fait rougir Fleur, Audrey et Angelina lorsqu'il les avait saluées avec une réserve gracieuse. Une onde de choc les avait parcourues et leur avait fait retenir leur respiration une fraction de seconde puis avaler leur salive. Un magnétisme qui faisait qu'elles l'avaient discrètement suivi du regard, regrettant de l'avoir déjà salué et de ne pas pouvoir le refaire. Cette force tendre qui peut-être les ferait se souvenir de lui dans leur nuit. Alors, il se félicitait de ne pas encore avoir présenté Clara, malgré son insistance. Que jamais elle ne rencontre Drago Malfoy.

Oh, bien sûr, comme tous les dragons, il devait avoir ses faiblesses, comme pouvait en témoigner sa crise de panique à son arrivée, mais le dragonologiste expérimenté qu'était Charlie Weasley savait pertinemment qu'on ne mesure pas la dangerosité d'un être, quel qu'il soit, à ses failles mais plutôt à ce qu'il est capable de faire pour survivre. Et à ce jeu-là, Charlie en était sûr, Drago Malfoy était redoutable.

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Rapidement, nous nous étions mis à table.

Mme Weasley me fit installer à côté d'elle et j'obéis, comme un enfant perdu. Hermione se mit à côté de moi : j'avais cette sensation qu'elle voulait faire bloc et cela continua de me réconforter. En face de nous se placèrent, sans doute à dessein, Harry et Ginny. Rien d'insurmontable, donc.

Les discussions joyeuses allaient bon train. J'essayais comme je pouvais de me laisser aller, mais bien vite, je me replongeais dans l'analyse de ce qu'il se passait devant moi. Après réflexion, je ne pense pas que la joie était feinte. Ils avaient l'air tous heureux, vraiment. C'était juste que ce bonheur était parfois teinté de mélancolie, quand on évoquait certains sujets. Il n'y avait pas de tabou : on parlait des parents de Ted Lupin, de Black, de Maugrey et bien sûr, de Fred. Seulement, une fois le point final de l'un de ces sujets de conversation posé, un silence contemplatif tombait pour durer quelques secondes, le temps qu'une ou deux personnes essuient une larme qui leur aurait échappée. Tout était si naturel et décomplexé ! Je n'en revenais pas : on pouvait vraiment agir comme ça ?! Sans jugement ? Sans rudesse ? Sans pudeur ? Je ne savais pas si c'était merveilleux ou malaisant. Les deux peut-être. Désormais, je comprenais mieux Ron et sa tristesse exhibée du début d'année.

Le repas passa assez vite. Tout avait été simple mais délicieux. Arthur commençait à s'assoupir à sa place, Bill, Fleur et Charlie bavardaient tranquillement tandis que ce dernier poursuivait l'étude de mon caractère. Je percevais dans son regard l'étincelle de l'intérêt lorsqu'il le posait sur moi. Être jaugé ne me dérangeait pas : ça faisait partie du jeu. De tous, c'était sans doute le plus téméraire et peut-être également le plus vif d'esprit. Aussi, c'était celui que j'estimais le plus. Étrangement attiré par sa présence, je supposais que je finirais par lui parler au cours de la journée.

Ginny et Harry étaient en pleins pourparlers et j'écoutais d'une oreille distraite le bavardage des autres tandis que Mme Weasley regardait avec attendrissement sa grande tablée.

Soudain, un poids lourd atterrit sur mes genoux. Pattenrond se mit a ronronner comme un engin moldu à roue tandis que je commençais à le caresser.

-J'ai toujours pensé que personne n'arriverait à l'apprivoiser, commenta Mme Weasley.

-Il s'est apprivoisé tout seul, souriais-je.

Elle me sourit à son tour.

-Tu vas mieux ?

J'opinais d'abord du chef en silence : je restais encore mortifié de ce qu'il s'était passé.

-Oui, merci, réussis-je finalement à dire.

-Quand on est tous ensemble, forcément, ça remue des choses...

J'acquiesçais une nouvelle fois sans rien dire.

-Tu sais, tu es le bienvenu ici, à chaque fois que tu le souhaites.

-Merci, souriais-je de nouveau.

Un silence s'installa et je regroupais les miettes sur la nappe pour reprendre contenance.

-Je suis vraiment désolé, articulais-je avec peine après avoir aggloméré les débris de pain et de courage qu'il me restait.

Elle me regarda attentivement, intriguée.

-Tout à l'heure... C'était vraiment trop dur.

-Ne te tracasse pas, ça arrive.

Elle continuait de m'observer avec sérieux et, pendant qu'elle me scrutait, je repris mon jeu avec les miettes, incapable de soutenir son regard.

-Tu n'es pas responsable de ce qu'il s'est passé... La guerre...

-C'est moi. L'interrompis-je un peu brusquement. C'est moi... qui ait fait entrer les Mangemorts dans Poudlard pour tuer Dumbledore. C'était le point de départ de tout... Je suis responsable.

J'avais l'impression que l'image qu'elle avait de moi était édulcorée et qu'elle ne se doutait pas de ce que la nette cicatrice sur mon bras gauche impliquait. Cette naïveté faisait ressortir la colère que je pouvais éprouver pour les personnes aveugles... et exacerbait celle que j'avais pour moi. Et alors, je me détestais deux fois plus : une fois pour moi, et une fois pour elle.

Elle ne devait pas rester dans ce déni. Je voulais qu'elle comprenne bien, qu'elle ait parfaitement conscience de qui était la personne qu'elle avait à côté d'elle et qu'elle invitait à venir «dès qu'il le souhaitait». Je voulais lui révéler la vérité nue, crue, lui donner le matériel nécessaire pour me haïr si son cœur, désormais averti, le jugeait nécessaire. Être transparent, avant tout à mon détriment, même si ça devait mener à une rupture définitive avec cette famille.

Je désirais presque provoquer sa rancœur et sa haine car alors, tout serait plus simple. En réalité, j'avais la peur bleue de me faire accepter, de me sentir entouré pour finalement me faire abandonner une nouvelle fois. Il s'agissait alors d'une sorte de test d'endurance à l'horreur. Je devais être sûr que même en sachant le pire sur moi, elle continuerait à me tolérer chez elle.

-Tu n'étais qu'un enfant.

-Je n'en suis pas sûr...

-Moi, j'en suis sûre. Et quand tu auras quarante-neuf ans, comme moi, tu en seras sûr aussi, crois-moi. Tu n'avais pas le choix. Tu devais te protéger toi...

-Non, je ne devais pas ! J'aurais du savoir me sacrifier mais je n'ai pas su... J'avais trop peur. Alors, je l'ai fait.

-Tu ne l'as pas fait, pas jusqu'au bout en tout cas : c'est Severus qui l'a fait.

-Je n'ai juste pas eu le cran.

-Pourquoi ?

-Parce que je suis un lâche, je suppose.

-Non... réfléchit-elle à haute voix. Je ne crois pas que ce soit de la lâcheté... Je pense que c'était de la charité.

Je ne pus retenir un pouffement ironique. Moi, charitable ? Quelle blague. Et d'un autre côté, je me souvenais sans peine de mon cœur serré en voyant l'état de faiblesse de Dumbledore et de cette douleur qui aurait pu me rendre fou à chaque fois que le souvenir de sa mort me revenait.

-Je sais ce que c'est d'être contraint d'agir pour se protéger et protéger les siens, poursuivit-elle. Cette peur... m'a fait tuer ta tante. Je n'ai pas hésité une seconde... Il n'y a pas un jour où je ne pense pas à elle. Pourtant, je sais très bien que si c'était à refaire, je le referais.

-Elle était folle, répondis-je d'un ton vindicatif. Vous n'aviez pas le choix : c'était vous ou elle.

-Tu vois, tu trouves une excuse au pire des actes que j'aie pu faire dans ma vie. Alors tu dois pouvoir te pardonner aussi.

-Ce n'est pas pareil : j'ai choisi ma vie au détriment de milliers d'autres !

-J'ai clairement pensé à la stupefixer. Mais je ne l'ai pas fait. Je voulais la voir mourir. Tu n'as jamais provoqué la mort de quelqu'un pour ta propre satisfaction personnelle, moi si.

Je levais enfin les yeux vers elle, stupéfait : est-ce que le «test d'endurance à l'horreur» était devenu un concours ?! Elle me regardait, les yeux brillants de conviction.

-Ce que je veux te dire, c'est que lors d'une guerre tout est trouble. On croit maîtriser les choses et pourtant... Te sacrifier les aurait-ils empêchés d'entrer indéfiniment ? Sans doute pas. En revanche, ne pas te sacrifier à ce moment-là t'a permis de sauver Harry, Hermione, mon propre fils, lorsqu'ils étaient captifs au manoir. Je ne sais pas pour les autres fois mais cette fois-ci, tu n'as pas été lâche. Vivre avec des Mangemorts ne t'a pas transformé en l'un d'eux. La preuve : malgré leur pression, tu n'as pas su tuer un homme sans défense et tu as su sauver ceux en qui tu croyais. Et moi... j'ai protégé ma fille. C'est tout ce que je retiens. Que te faut-il de plus ?

J'acquiesçais en silence, encore. Son affection, que je ne comprenais vraiment pas, était décidément bien coriace.

-J'ai tellement honte... de cette fierté, de cette joie ! qui m'ont traversées lorsqu'«il» m'a confié cette tâche ! Je pensais enfin prendre mon indépendance face à mon père. Je voulais juste... le fuir, me défaire de son emprise. Je croyais que c'était ma sortie de secours... la liberté !

Je ne pus m'empêcher de regarder furtivement Hermione. Je repris, plein de dédain pour moi-même :

-Comme si ce à quoi je rêvais aurait pu être possible si je réussissais... C'était si bête, si irréfléchi, si... égoïste ! Sur le moment, je ne pensais à rien d'autre, même pas à mon succès... ni aux conséquences. Je n'avais même aucune idée de comment faire ! Et je m'en fichais. Ce n'est qu'après que j'ai compris que je venais d'ouvrir la porte à un déchaînement d'horreurs... finalement plus prisonnier que jamais... Et tellement tellement malheureux...!

Elle me regarda avec un regard doux et bienveillant. D'une main, elle caressa mon visage, comme une mère, je suppose. Et tout cas, je le ressentais comme ça.

-Tu es un brave garçon, tu sais.

- Je ne sais pas...

-Malfoy, tu viens ?! S'exclama-t-on à l'autre bout de la pièce.

-Venir où ? Répliquais-je avec mon sourire moqueur de combat, tout de suite prêt à en découdre.

-Te faire pourrir au Quidditch, répliqua Ron en pouffant.

-Pas par toi en tout cas, se moqua Bill en s'adressant à son petit frère.

-Tu fais les équipes proposa gentiment Ron, essayant de rester sourd au quolibet.

-C'est pas comme ça que tu vas l'amadouer, s'exclama Georges, savonnette !

Savonnette ? Un surnom ?

-Laisse-le, Georges, modéra Charlie. Il a progressé depuis !

-On l'appelle savonnette parce que quand il était petit, il laissait tout le temps échapper le Souaffle, expliqua Bill.

Oh. Ça, c'était original ! Pendant cet échange, Ron avait pris une teinte cramoisie qui me fit un peu mal au cœur. Tu m'étonnes que la confiance en soi soit un problème chez Ronald Weasley !

-Alors Malfoy, redemanda Georges impatiemment, tu viens la prendre cette tannée ?

Par un réflexe, déjà, je lançais un regard interrogatif à Mme Weasley, comme un enfant demandant silencieusement la permission pour aller jouer. Elle hocha la tête en souriant. Une fois la «permission» obtenue, une nouvelle question s'imposait : avais-je réellement envie de me faire éclater par des Gryffondors une deuxième fois cette année ? ...Je suppose que oui.

-L'avantage de prendre une tannée ici, répliquais-je malicieusement, c'est de voir la moitié des Weasley en prendre une également.

Charlie rit à la blague tandis que je me levais de table, Pattenrond sautant souplement sur le parquet avec un regard teinté de reproche.

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-Alors, qui tu prends ? Me demanda Georges, sûr de lui.

Nous nous étions regroupés à l'arrière de la maison où se trouvait un semblant de terrain, de vieux anneaux rouillés servant de buts.

Il y avait presque l'équipe Gryffondor au complet : Angelina, Georges, Bill, Charlie, qui avait été capitaine avant Dubois, Ginny, Harry et bien sûr Ron. J'imaginais sans peine comment se déroulaient habituellement les choix d'équipe : Charlie, Ginny, et Potter sans doute aussi, choisis en premiers ; «savonnette» toujours dernier. Mais aujourd'hui, j'étais là, et ça n'allait pas se passer ainsi. Depuis que j'en étais devenu un, j'avais bien trop de compassion pour les laissés pour compte. Et puis... c'était pas un vrai match de toute façon, alors, nous pouvions perdre.

-Ron, affirmais-je d'une voix sûre.

Ce dernier leva sur moi des yeux de cocker surpris puis vint se placer à mes côtés, tout heureux. Ça m'allait bien, ce rôle de redresseur de tort.

-Pas moyen que tu m'éclates une deuxième fois avec tes cognards, lui soufflais-je et il sourit.

-Ginny ! Choisit Bill.

-Charlie, poursuivis-je.

Je le devinais plus stratège que tous les autres réunis.

-Georges, continua mon homologue.

-Potter, répondis-je en souriant : ce dernier ne devait pas être habitué à être choisi dans les derniers, après Ron de surcroît !

-Angelina, termina Bill.

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Charlie était agréablement surpris par le Pansefer Ukrainien. Sans encore se fondre dans la masse -ce dont Charlie doutait qu'il réussisse un jour : l'animal était trop solitaire- il ne faisait pas tâche. Il avait juste cette manière d'être, cette forme, que tous autour de lui épousaient, comme un objet immergé dans l'eau. Bon prince, il avait choisi Ron en premier. Sans doute avait-il déjà compris les ressorts des conflits internes à la fratrie.

Naturellement, le Serpentard prit la main pour une concertation rapide, sans quitter son sourire ironique :

-Bon, on les connaît, ça va jouer agressif, non ?

Charlie acquiesça : Malfoy avait parfaitement cerné le problème. Décidément, il était bon en analyse.

-Ils sont rapides. Il faut contrebalancer par une forte inertie et jouer défensif.

-Allez, en selle, bande de plots ! hurla Ginny qui était déjà sur son balais à une dizaine de mètres du sol pour faire quelques cabrioles. Angelina était hilare.

-Elle fait peur à tout le monde à Poudlard, lui avoua le Pansefer à mi-voix sur le ton de la blague. On l'appelle «la possédée».

-Elle nous fait peur aussi, pouffa-t-il. Être capitaine de son équipe, c'est une horreur.

Après quelques derniers échanges tactiques écoutés dans un silence concentré par Harry et Ron, ils s'élevèrent dans les airs et la partie put commencer.