39-«C'est un chemin facheux borné de peu d'espace, Tracé de peu de gens que la ronce pava, Où le chardon poignant ses testes esleva, Pren courage pourtant, et ne quitte la place.» («Quoy mon ame...», Ronsard)

Au son du réveil, Hermione s'étira bruyamment et se mit sur le côté, tournant le dos à son voisin. Foutue sonnerie. Heureusement, ce son n'était pas pour elle et elle se réjouissait de pouvoir s'emmitoufler encore pour une heure dans les brumes tièdes du sommeil.

Lui, roula sur le dos, éteignit la maudite machine d'un geste efficace et se frotta les yeux en baillant, une main devant la bouche, toujours, par politesse. Puis, rapidement réveillé, il se blottit contre elle un instant. Ses bras enserrant sa taille, enfouissant son visage dans son dos, il frottait son front contre elle, un peu comme pouvait le faire Pattenrond. C'était sa manière à lui de dire bonjour lorsqu'il devait la quitter tôt. Elle sourit, attendrie.

Ils avaient ces sortes de gestes qui, petit à petit, devenaient des rituels.

Et alors, elle se demandait ce que l'on pouvait bien reprocher à ce genre de routine : tout était si tendre et si charmant ! Jamais elle ne s'en lasserait ! Mieux : elle voudrait que cela soit ainsi pour toujours, car tout cela devenait petit à petit les piliers de son univers. Malgré son angoisse de l'attachement, elle ne pouvait décidément pas lutter contre ses manières aussi douces ! Elle se damnerait pour un de ces réveils, et pire encore pour les réveils qui l'attendraient ce week-end.

Elle se retourna vers lui pour se blottir contre sa poitrine. Il dégageait une chaleur délicieusement suffocante, surtout quand il posa son front contre le sien pour frotter son bout du nez contre celui de la jeune femme.

-Bonne journée, réussit-elle à articuler d'une voix ensommeillée.

-Bonne journée, répondit-il d'une voix tout à fait claire, en caressant sa joue.

Par Merlin, comment faisait-il pour toujours se réveiller en l'espace de quelques secondes alors qu'à elle il lui fallait bien une heure pour parfaitement émerger ?! Il n'était pas humain.

-Tu rentres à quelle heure ? demanda-t-il.

-Je finis à midi, mais j'irai sans doute à la bibliothèque s'entendit-elle répondre, un peu pâteuse. Et toi ?

-Comme hier, je pense...

Elle se força à acquiescer, malgré son corps encore engourdi de sommeil.

Puis se redressant, il embrassa rapidement sa tempe et se leva.

-A ce soir !

-Humm.

Elle entendit l'eau couler dans la salle de bain alors qu'elle était en train de se rendormir.

000

Cho arriva avec une demie heure en avance pour ne pas à avoir à se déshabiller devant qui que ce soit. Elle venait tout juste d'atteindre son casier quand on ouvrit la porte. Elle sursauta. Qui, par merlin, pouvait arriver si tôt ?

Une silhouette longiligne se découpa dans la nuit du couloir. Des cheveux blonds, presque blancs. Évidemment, c'était ce troll de Malfoy ! Il s'agissait de l'enquiquiner jusqu'au bout et ce parfait crétin était un sacré perfectionniste dans ce domaine.

La remarquant, le troll sursauta à son tour.

-Pardon !

Et il sortit brusquement.

000

Lorsqu'elle quitta les vestiaires, cinq minutes plus tard tout au plus, il attendait patiemment devant la porte. Les yeux rêveurs, il était adossé au mur dans cette posture aussi élégante que négligée qui faisait tomber toutes les cruches de Poudlard.

-C'est libre, lui indiqua-t-elle rudement.

Il la considéra un instant et lui sourit, détendu. Un sourire franc, pas moqueur. Malfoy qui sourit, c'était toujours étrange.

-Je pensais venir plus tôt justement pour... enfin... n'embêter personne. Écoute : je te laisse le créneau de 7h30. J'entrerai à 7h40, les prochaines fois.

-Très bien, répondit-elle, incapable de desserrer les dents.

Elle allait partir mais il reprit. Elle s'arrêta aussitôt, crispée de tous ses muscles.

-Je te prie de bien vouloir m'excuser pour hier. J'ai été maladroit.

-Laisse tomber.

Et elle le dépassa, les muscles tendus à s'en faire mal.

Toujours cette odeur de cèdre.

Dix pas plus loin, les toilettes pour pleurer. Elle ne savait plus tout à fait pourquoi.

Ça faisait déjà quatre ans et elle avait fini par comprendre qu'elle ne s'en sortirait pas toute seule. Déjà, quitter Poudlard et les souvenirs qui y étaient attachés lui avait fait du bien. Et puis à longueur de journée, des visages inconnus. Plus de pitié dans les regards : elle n'était plus la veuve éplorée. Elle était juste «Chang». Et ça, c'était libérateur. Peut-être qu'un jour, elle se sentirait prête à le laisser partir ? A tourner la page, comme disait si bien Malfoy. Car malgré sa violence, Cho savait qu'il n'avait pas tort. Le troll n'avait pas tort. Il avait donné un corps et une âme à une phrase qu'elle se répétait en boucle sans trop savoir ce que ça voulait dire. Elle savait juste que c'était ce qu'il fallait faire... C'est le genre de phrase qu'on dit et qu'on entend machinalement sans prendre attention. Mais cette fois-ci ça n'avait pas été le cas. Ça avait été comme un électrochoc. Tourner la page. Oui, il était peut-être temps d'essayer.

000

Lorsque j'atteignis le troisième étage, je trouvais Wood en train d'examiner des dossiers.

-Bonjour, Mage Wood, souriais-je.

-Bonjour, grogna-t-elle d'un air ennuyé.

-Comment puis-je vous aider ?

Elle me regarda d'abord d'un œil suspicieux.

-Classe-les par ordre de visite. Voici le planning, finit-elle par me dire en désignant une pile de dossier.

Alors, je m'exécutais docilement tandis qu'un silence de mort s'installait.

-Tu arrives tôt, remarqua-t-elle sur un ton de reproche auquel je choisis de ne pas faire attention.

-Je préfères le calme à l'effervescence, répondis-je honnêtement.

Elle acquiesça en silence. Nous restâmes un instant encore sans parler.

-J'ai réfléchi à Mme Wilson.

Je levais vers elle des yeux surpris.

-Mais dis moi plutôt ton intuition : que te dit-elle ?

-Tentative de suicide. Il faut la faire suivre par un psychomage.

Elle hocha la tête en signe d'approbation.

-Tu t'es posé une bonne question. Tu as su prendre du recul. C'est bien.

Je commençais à sourire et en réponse son visage se ferma.

-Ne prends pas la confiance, Malfoy. Dans ce métier, l'erreur se trouve derrière chaque petit gravillon du chemin. Alors reste éveillé.

-Oui, Mage Wood.

-On va la voir dès que Joyce arrive. C'est toi qui t'occupes l'entretien.

Déjà ?! Je frissonnais, priant pour que l'échange se déroule de manière à ce que notre petite discussion d'hier reste secrète. Joyce arriva pile à l'heure, essoufflé, et nous nous dirigeâmes directement vers la chambre de Mme Wilson.

D'un geste brusque de la tête, un peu comme un cheval qui s'ébroue, Wood me désigna la porte. Je m'approchais alors et frappais trois coup. On ne me répondit pas. Je frappais une nouvelle fois, les mains moites.

-Entrez.

Alors, j'ouvris la porte.

-Bonjour, M. Malfoy, sourit la patiente.

Cette proximité à la fois me fit plaisir et me causa une sueur froide car elle devait paraître suspecte. D'ailleurs le regard de biais que Wood m'adressa me fit comprendre que ma crainte était tout à fait justifiée.

-Bonjour Mme Wilson, comment allez-v...

-J'ai réfléchi à ce que vous m'avez dit hier. Alors, je me demandais, est-ce que vous pourriez... me garder un peu plus longtemps, pas au service empoisonnement bien sûr...

-Nous en avons discuté, Mme Wilson, reprit Wood en m'assassinant du regard.

Elle avait compris. Le point positif, c'est que je ne m'étais pas rongé les sangs très longtemps : j'avais été grillé d'emblée. Mme Wilson poursuivit :

-Nous pensons effectivement que c'est une bonne idée. Vos analyses sont bonnes et nous allons dès aujourd'hui, organiser votre transfert.

-Merci, sourit-elle doucement.

-Mme Wilson, nous vous prions de bien vouloir nous excuser...

Et, dans un même mouvement, elle me saisit violemment par le bras et m'entraîna hors de la chambre, sous le regard médusé de Mme Wilson tandis que Joyce levait les yeux au ciel.

-Dites-moi que je rêve ! suffoqua-t-elle de rage, une fois dans le couloir, se retenant de hurler pour ne pas déranger les patients alentours.

-Je voulais être sûr... essayais-je de justifier...

-Sûr de quoi ?! De mieux faire le travail que moi ? Ça ne fait même pas une journée que vous êtes ici et déjà vous agissez comme si vous étiez le maître ! On est pas dans votre manoir, M. Malfoy. Et ici, vous ne connaissez rien du tout ! On va voir ça avec le directeur.

Et de nouveau elle me prit le bras pour m'enserrer avec force et m'entraîner dans les escaliers dont nous descendions quatre à quatre les marches.

Ça allait sérieusement se terminer comme ça ? J'avais eu raison pourtant ! Quel avait été le mal ? J'avais juste discuté avec une patiente ! Ce n'est pas comme si j'avais... fait un geste médical ou... je ne sais pas ! Et si je me faisais virer qu'est-ce que j'allais faire ? Personne ne voudrait de moi ! Et Hermione ? Qu'allait-elle penser ?! Des milliers d'idées défilaient dans ma tête. C'était un cauchemar.

Voyons, vite ! Georges Weasley ! Il cherchait un vendeur, je crois ! Je pouffais dédaigneusement : moi, Drago malfoy, vendeur de farces et attrapes ! Quelle blague ! Mais bon, de toute façon, mon père ne devait plus être à une déception près, n'est-ce pas ? Et puis il s'agissait bien de survivre ! Et j'avais une dette à payer ! Ou alors maison d'hôte ? Une mode qui vient du monde moldu.

Oaksey House, manoir de charme du XIIe siècle, est prêt à vous accueillir ! Au cœur du Wiltshire, venez apprécier la beauté des paysages et le calme de son parc, loin du tumulte du chemin de traverse. Nos petits-déjeuners, déjeuners et dîners sont concoctés par nos soins et élaborés avec des produits locaux des fermes environa...

Wood s'arrêta brusquement alors que nous arrivions en bas des escaliers qui menaient au rez-de-chaussée.

-Non.

Puis elle fit demi-tour pour me remonter en m'agrippant par le tissus du haut de mon uniforme. Je me sentais comme un moldu sur une de ces machines qui leur servent à monter les pentes qu'ils vont dévaler ensuite en glissant sur ces deux fines plaques de fer fixées au pieds (des squis ?). Hermione aimait ça, le squi.

Je reprenais espoir.

Une fois de retour au troisième étage, elle me libéra.

-Écoute-moi bien Malfoy. Parce que tu sembles avoir un immense potentiel, et uniquement pour ça, je te garde. Mais veille bien à continuer à le montrer ce potentiel insolent, car, crois-moi, si j'ai le moindre doute, tu vires. A partir de maintenant, tu mèneras une visite par jour. On va voir un peu ce que tu as dans le ventre. Et plus de secret. Si tu as une idée, bats toi en équipe. Ne me fais pas croire que je te fais peur, pas après ce que tu as vécu. Joyce, on y va ! Chambre de M. Perkins !

Mon parrain se leva sans être capable de détacher ses yeux surpris de moi. Alors que nous nous dirigions à la suite de Wood vers la chambre du patient suivant, il réussit à me souffler :

-T'es un malade mental... et un sacré chanceux ! Des visites, j'ai commencé à en mener qu'en deuxième année ! Ça c'est mon champion ! Si avec ça j'ai pas la note maximale de parrainage !

-C'est peut-être un peu ta faute, si j'ai désobéi, non ? Tentais-je de plaisanter, la voix encore un peu tremblante, mes jambes devant se refaire à l'idée de la gravité normale. Ça vaut bien un malus de cinq points

-Merde, Malfoy ! Déconne plus alors ! Sourit-il.

-J'ai... compris la leçon, je crois.

000

Il avait dû se faire attraper, pensa Hannah en voyant le Serpentard se faire traîner dans les escaliers... Mais elle comprit qu'il avait dû, encore une fois, se faire sauver par elle ne savait qu'elle grâce divine qui lui venait sans arrêt en aide lorsque moins d'une minute plus tard il se faisait remonter comme une dépanneuse remorque une voiture.

-Alors, il arrive ce café, Abbot ? entendit-elle au loin alors qu'elle attendait que la machine dépose la touillette réglementaire dans le gobelet.

Elle le détestait, Michael Hugues. Un débile profond. Heureusement, ce n'était pas son cadre, mais son existence même était une nuisance pour l'humanité. Le malheur avait fait qu'Augustus ait une réunion toute la matinée et qu'il l'ait confiée à cet autre médecin, cet abruti de la pire espèce, sexiste, misogyne, pervers et dégoulinant de suffisance. A vomir. Lui et Dorian O'Brien, du service des pathologie des sortilèges étaient bons à jeter. Rien à garder. Toutes les filles du service s'étaient bien accordées pour le dire.

-...Qui m'a... empotée pareille... entendit-elle grommeler non loin d'elle.

La longue discussion qu'elle avait eu avec Cho hier soir lui avait remis les idées en place. Elle se souvenait désormais pourquoi elle était là et elle allait se battre de toute ses forces pour réussir. Toutes les deux, elles allaient se serrer les coudes pour arracher la victoire, avec les dents s'il le fallait. Elles allaient croire en elles et elles n'écouteraient pas les voix qui doutent, mortifères.

-... Même pas bien roulée... Chang, au moins...

En un jour, Hannah avait aussi compris que la lutte pour se faire accepter dans le monde adulte serait sans fin. En tant que femme qui existe pour elle-même. Auprès de ses parents d'abord-et cela, elle le savait, elle ne gagnerait jamais- auprès de certains de ses collègues, ensuite, et auprès des patients enfin. Ainsi, c'était une rage de vaincre qu'elle allait devoir se constituer, une envie de mordre pour qu'ils acceptent de lui faire une place. Il fallait savoir rugir.

Un rire graveleux.

Ce combat lui paraissait si colossal qu'elle se sentait parfois perdre ses forces : c'était comme frapper de ses petits poings rageurs le dos d'un géant. Indolore, inefficace, insignifiant. C'était si frustrant ! Une envie de hurler. Donner tout ce qu'on a et pourtant voir que cela ne suffit pas.

Ce découragement devait être son seul écueil, son pire ennemi. Ces petits hommes et leur suffisance paraissaient ridicules à côté de lui. Mais elle ne devait pas se laisser submerger par la peur. Il fallait gravir la montagne pas à pas. Elles y arriveraient : c'était une promesse qu'elles s'étaient faite. Elles atteindraient le sommet.

Et, pensant cela, elle se baissa pour récupérer le foutu gobelet qui lui brûlerait les doigts. Qu'il se brûle aussi la langue, tiens.

En se relevant, elle vit Ava Young descendre avec Zabini. Il avait de la chance.

000

Bon. Globalement, ça n'avait pas été une mauvaise journée ! J'avais mené ma première consultation sous l'œil attentif de Wood et j'avais su lui montrer par mes connaissances et mes réflexions qu'elle n'avais pas fait un mauvais choix en m'épargnant une entrevue avec Smethwyck. Elle devait toujours me détester mais, au moins, elle reconnaissait mes qualités. C'était un sacré pas en avant ! En si peu de temps ! Et puis... Blaise avait pu se libérer à midi et nous avions mangé avec Joyce. Ces deux pipelettes s'en étaient donné à cœur joie !

Mme Wilson préparait tranquillement son transfert et Wood m'avait autorisé à aller la voir régulièrement pour faire son suivi : prises de sang, prélèvements d'urine et bavardages. C'était encore une entorse au règlement, mais je sentais chez Wood un amour tel du pragmatisme et de l'optimisation que ces deux valeurs n'étaient en réalité que les seules règles qu'elle suivait et si celles de l'hôpital n'en faisait pas preuve, alors elle se sentait autorisée à les outrepasser allègrement. Je sentais qu'on allait bien s'entendre, dans le fond.

Zabini nous attendait en bas des escaliers pour aller au vestiaire. Je devinais que cela allait se transformer en habitude et cela me réconforta. La crainte de la solitude s'effaçait un peu.

Est-ce que le squelette de la vie d'un homme ce n'était pas justement ces habitudes qu'il se créait pour maîtriser ce qui l'entoure ? Et ces habitudes, je les voyais se dessiner les une après les autres, lignes de construction de mon quotidien : se réveiller avec Hermione, se faire aboyer dessus par Wood, plaisanter avec Joyce, déjeuner et écouter Zabini, se changer SANS Chang, rentrer et embrasser Hermione, manger, lire, s'endormir à ses côtés. Ma Gryffondor était alors une sorte de point d'origine où tout devait retourner, là où se retire la mer à marée basse. Et j'étais heureux.

Lorsque nous rentrâmes dans les vestiaires, il était pratiquement vide. Seuls deux médecins étaient en train de se changer. Nous avions laissé passer l'heure de pointe de fréquentation des locaux à dessein et j'imaginais facilement Chang et Abbot attendre une heure de plus.

Dès qu'ils nous aperçurent, leur conversation cessa et, évidemment, ils me dévisagèrent. Ils étaient grands, athlétiques et leurs traits harmonieux, mais trop lisses, devaient sans doute être dignes d'une page de couverture de Sorcière-Hebdo.

-Alors ce n'est pas une rumeur, fit remarquer l'un deux à son acolyte en me lançant un regard appuyé.

Un regard belliqueux qui ne me disait rien de bon. Les regards, j'avais appris à les distinguer. Je me blindais instinctivement, revêtant masque de marbre et noblesse dans mon maintien. J'allais peut-être enfin y avoir droit, à cette hostilité franche de la part de mes pairs. Qu'ils viennent ! Je m'y attendais, je m'étais préparé. J'avais astiqué mon armure : elle rutilait pour eux et ma détermination allait ne faire qu'une seule bouchée de ces abrutis.

Un jour je serai chef de leur service. Un jour je serai directeur de leur hôpital ! Je me taillerai une place à la mesure de mes ambitions. Merlin savait qu'elles étaient grandes et je savais qu'elles ne feraient que croître. La médiocrité des autres ne saurait les entacher, au contraire, elle participait à leur donner forme.

J'avais appris à composer avec l'hostilité de mes camarades de Poudlard et celle des inconnus de la rue. Aujourd'hui, j'apprenais à composer avec celle des quelques patients qui n'avaient pas accepté que j'entre dans leur chambre ou qui me lançaient projectiles et regards noirs. Cette dernière ne me touchait pas vraiment. Elle était ponctuelle et je réussissais à mettre de la distance en me répétant qu'il s'agissait avant tout de personnes en souffrance ou de crétins. Je les connaissais peu et n'avais pas le temps de réfléchir ou broyer du noir à leur sujet. Ils seraient bien vite remplacés par d'autres patients, qui eux, ne seraient pas nécessairement contre l'idée que je les soigne. Alors, ça pouvait aller.

Je commençais à me déshabbiller en affectant un air tranquille.

-On dirait bien, répliqua l'autre. Adopter un Mangemorts, ce devait être l'œuvre de charité de l'année...

En entendant cette répartie, je me retins de lever les yeux au ciel : ce n'était même pas... drôle.

Comme je m'y attendais, Joyce était de ceux qui savaient parfaitement se faire oublier lorsque la situation le demandait. Il plongea dans son casier et se changea en silence, caché derrière la porte en fer. Quant à Blaise, je le sentais hésiter entre l'envie de fuir, par pur instinct de survie, et la volonté de me soutenir, par fidélité... Et par amour de la joute verbale, aussi.

Allez on allait s'amuser un peu : j'allais jouer la carte de l'ironie. Mon arme favorite. Je pris un air sérieux et ton pédagogique :

-Ça s'appelle la discrimination positive. C'est aussi pour cette raison qu'ils ont recruté deux gros demeurés.

Le premier pouffa tandis que l'autre avait blêmi, surpris de ma réponse. Il allait se lever, furieux mais il fut retenu par l'autre.

-Mais ça ne peut pas être un Mangemort, enfin Michael. Tu sais bien qu'il baise une Sang-de-Bourbe.

Je me raidis une fraction de seconde, surpris de l'angle d'attaque, et le sourire fielleux de ce Dorian O'Brien me laissa entendre qu'il avait compris quel pouvait être mon point faible. Je n'avais pas été assez bon.

Avec son ironie, il remettait en cause ma sincérité vis à vis d'Hermione et il évoquait notre intimité, mon secret le plus précieux. Je réprimais un frisson qui me parcourut l'échine sous le regard perçant de cette ordure qui ne me lâchait pas un instant, guettant la réplique... ou l'effondrement. Un accès de fureur me traversa de part en part et j'employais toute ma rigueur pour le contenir. Effondrement. Comment osait-il parler d'elle en ces termes ?

Heureusement pour moi, son Yéti de compagnie reprenait immédiatement la main, m'évitant un silence qui aurait sonné le glas de ma crédibilité.

-Ah ouais, il parait que les Gryffondors, ça n'a pas froid aux yeux ! Alors Malfoy, elles sont comment les pipes de Granger ?

Il n'avait visiblement pas la finesse d'O'Brien. Le pauvre. Je ne savais pas exactement ce qu'étaient les «pipes» mais il était évident que c'était dans le thème du graveleux. Quoiqu'il en soit, j'allais devoir me faire violence pour couper l'herbe sous le pied d'O'Brien et le dissuader de m'attaquer sur ce terrain là. Je composais un sourire de connaisseur sur mon visage. Il s'agissait de bluffer.

-Parfaites. Pourquoi ça t'intéresse ?

Hugues pouffa. Brute épaisse.

O'brien se força à sourire en se levant, ayant fini de se changer. On partait sur un match nul grâce à l'intervention de Hugues. Chacun ses boulets. Il fut suivi par ce dernier. Ils quittèrent les vestiaires sans un regard pour Blaise et Joyce.

-Salut les nuls ! conclut le crétin, toujours hilare de ma réponse, qui semblait intrépide.

Une fois la porte refermée, un silence de mort s'abattit sur notre trio.

-C'est des connards avec tout le monde, de toute façon, expliqua Joyce après un temps, comme pour me consoler.

-Même pas deux jours qu'on est là et je sais déjà qu'à la maternité, on les déteste, poursuivit Blaise.

-Il faut les ignorer, reprit Joyce.

J'acquiesçais d'un mouvement de tête, bien conscient d'avoir frôlé un point de non retour. De nouveau, un silence s'installa.

-C'est quoi des pipes ? Osa Blaise après un certain temps.

Joyce leva les yeux au ciel.

-Malfoy, pitié, explique-lui. C'est ton pote avant tout.

-Je... sais pas non plus.

Alors notre aîné leva encore une fois les yeux au ciel grommelant quelque chose pour lui même que je ne compris pas. Un truc en lien avec le fait enfiler des perles ou de jouer aux dominos. Ce n'est qu'ensuite qu'il se lança dans ses explications.