47- «Quelle est cette langueur qui pénètre mon coeur ?» («Il pleure dans mon cœur...», Verlaine)
-C'est la mort depuis que tu es parti, ronchonna Joyce en enfournant une fourchetée de salade dans sa bouche. Même Wood fait la tronche.
-T'arrives à savoir si elle fait la tronche ou pas, toi ? souriais-je après avoir avalé ma bouchée de sandwich.
-Oui, elle m'appelle un demi décibel plus fort.
-N'importe quoi pouffa Zabini.
-Je t'assure ! Tu lui manques : je perçois une perturbation dans les ondes atmosphériques.
-Ça n'existe pas, les ondes atmosphériques, contra Hannah.
-Prouve-le ! rétorqua Joyce.
-C'est pas comme ça que ça marche, rit Sarah O'Kelly. C'est à toi de prouver que la chose existe, et pas l'inverse.
-C'est juste que mon instinct me parle. Au fil du temps, j'ai appris à sentir ces choses-là. J'ai développé une sorte de sixième sens...
-Le sens Wood, le baptisa Zabini.
-Exactement, reprit le troisième année avec un air mystérieux.
Il jeta un regard furtif vers Cho qui mangeait en souriant. Il parut content.
-Et ça se passe comment alors au virus et microbes magiques ? insista Tracy, que je n'avais pas vraiment eu le temps de croiser depuis lundi.
Nous avions terminé notre premier trimestre et nous avions tous les quatre changé de service. Blaise avait quitté la maternité qui avait fini par devenir son cocon pour les pathologies des sortilèges avec notre meilleur ami Dorian O'Brien, Chang avait quitté les accidents matériels et ses très prévenants encadrants pour la maternité et Abott abandonnait sans regret les morsures par créatures vivantes avec ce crétin de Michael Hugues pour les accidents matériels. Chacun avait été interrogé sur sa journée et la manière dont il vivait le changement. C'était mon tour de me faire presser comme un citron.
-Ça va...
-Mais encore ? insista Sarah et pouffant.
Elle aimait bien titiller mon côté taiseux.
-Bah... ça se passe bien.
-Wouah, quel esprit de synthèse incroyable !
-Mais je ne sais même pas ce qu'i dire ! Doissec est correct. Il ne me hurle pas dessus. En fait il ne me parle même pas du tout et c'est à moi de deviner quand il a besoin de moi. Je dois le comprendre seulement avec ses mouvements de tête... Et je n'ai pas le droit de distribuer de la pimentine en salle d'attente !
Tracy soupira :
-Il ne doit pas vouloir te parler je suppose.
Cette constatation plomba légèrement l'ambiance qui régnait au sein du groupe alors que nous étions en train de déjeuner dans la cafétéria.
-Voilà pourquoi il n'y a pas grand chose à dire, souriais-je pour signifier que cela ne m'atteignait pas.
Joyce répondit à mon sourire.
-C'est un crétin... Mais cette fois-ci, pas d'incartade ! Me houspilla-t-il, comme un grand-frère. Il n'a pas la même autonomie que Wood. Encore une infraction avec le règlement et tu vires pour de bon !
-Il s'est passé quelque chose ? demanda Sarah, suspicieuse.
-Il est allé voir une patiente seul dès le premier jour... Rapporta Hannah du tac-au-tac alors que Joyce lui faisait les gros yeux.
Les Poufsouffles et leur fidélité, ce n'était plus ce que c'était.
-Mais non ?! S'exclama Tracy.
-Tu connais le principe de «l'instinct de survie» ?! S'esclaffa Sarah.
-N'empêche, c'est comme ça qu'il a gagné le respect de Wood, me défendit farouchement mon parrain. La semaine qui suivait, il faisait déjà des consultations seul.
-C'est vrai ?!
J'acquiesçais, feignant la modestie, mais sans réussir à contraindre un petit rictus de fierté personnelle. J'étais à ma place ici, je n'avais plus aucun doute.
-Abandonne tout espoir avec Doissec, me prévint Sarah. Il suit le règlement à la lettre. C'en est presque de la bêtise à ce stade.
-Il aurait fait une plus belle carrière au ministère, se moqua Blaise.
-J'avais bien conscience d'être privilégié, répondis-je. Doissec me surveille du coin de l'œil et le simple fait que je m'assoie sur un tabouret lui semble suspect. Tant pis. De toute façon, les virus, ça ne m'intéresse pas.
-Tu t'entends bien avec Joanne ? Demanda Joyce.
-Elle est très prise. On croule sous les admissions. Je ne l'ai pas beaucoup vue encore.
-Normal, à cette période de l'année, ponctua Cho.
Joyce acquiesça en silence. Il engloutit sa dernière bouchée à la va-vite puis se leva en aplatissant l'emballage de sa salade pour l'envoyer à la poubelle d'un coup de baguette magique.
-Bon, tu viens ? Il est treize heures, me rappela-t-il par réflexe en se levant.
-Et où ? souriais-je, goguenard. Tu viens avec moi aux virus ?
-Mais oui, c'est vrai ! Je suis trop bête, s'exclama-t-il. C'est trop nul ! reprit-il avec une moue boudeuse, frappant à moitié le sol de son pied comme un petit garçon faisant un caprice sous les pouffements des autres.
-Bon, à ce soir. Finit-il par dire, un sourire contrit sur son visage.
Plusieurs lui emboîtèrent le pas, dont Zabini et Tracy qui étaient désormais en binôme puis Sarah et Hannah. Il ne restait plus que Cho, assise en diagonale de moi. Souriant, elle leur souhaitait un bon après-midi en leur faisant un signe de la main.
Comme d'habitude, nous nous étions brièvement parlé le matin. Un silence concentré s'abattit sur nous. Elle me lançait des regards furtifs, comme si elle voulait entamer une conversation sans oser. C'était amusant, cette sorte de réserve. Ce n'était pas de la timidité, au vu de la prise de bec que nous avions eu en tout début d'année. C'était plus... un excès de précaution ou de gentillesse. Soucieuse de ne blesser personne, de ne pas avoir un mot plus haut que l'autre et que chacun se sente bien, elle s'occupait efficacement de ceux qui en avaient besoin. De sa voix douce, elle réconfortait Hannah, encourageait Joyce, tempérait gentiment Zabini. Et moi...
-Tu l'as encore fait ? Finit-elle par demander, mais cela sonna plus comme un affirmation.
-Oui, avouais-je, comprenant instinctivement ce à quoi elle faisait référence.
Je m'étais habitué à ces conversations toujours un peu bancales, qui tenaient parfois de la télépathie. Elle ne répondit pas mais me regarda avec un sourire désabusé, un peu hermionesque.
-Mais ce n'est rien, me défendis-je. J'ai juste distribué un peu de pimentine à des gens dans le couloir pendant que Doissec était parti aux toilettes. Il met toujours des plombes ! Et la salle d'attente est toujours bondée en ce moment : c'est l'hiver. En dix minutes, je nous ai fait gagner au moins trois-quart d'heure. Et je connais les contre-indications ! Pas aux moins de sept ans, pas aux femmes enceintes, pas aux...
Elle me regardait avec un léger sourire qui me désarma. Adolescent, ressentir la réprobation des autres ne me touchait pas et avait même parfois l'effet inverse escompté. Mais aujourd'hui cette confiance en soi insolente avait fondu comme neige au soleil.
-Non ? Me sentis-je obligé de demander, comme si j'avais besoin de son aval.
Elle me dévisagea, surprise.
Elle ne devait pas s'attendre à ce que je lui demande son avis.
-Si tu as bien mesuré les conséquences de tes actes et que tu penses que c'est le mieux à faire, répondit-elle en haussant les épaules.
Je pouffais, surpris à mon tour :
-Tu penses qu'il y a toujours un «mieux» à faire ?
-Pas toi ?
-Non.
-Quoi alors ?
-Des points de vue différents. Si dans l'existence, arrive un moment où l'on doit compter nos points pour savoir qui a bien agi ou pas face à un absolu, alors peut-être qu'on saura l'attitude idéale qu'il aurait fallu avoir. Mais pour l'instant, impossible.
-Alors pourquoi agir ?
-Parce que peut-être que par hasard, je peux tomber juste.
Elle rit discrètement:
-Ta raison vaut plus que du hasard, j'espère. Ta conscience du bien et du mal aussi. Même s'ils peuvent être différents de ceux des autres.
-J'espère aussi, répondis-je alors que mon sourire s'élargit encore, mais comment être sûr ? On ne peut pas.
Nous retombâmes dans un silence contemplatif.
-Comment ? Tu m'as vu ? Finis-je par demander en consultant ce qu'il me restait à croquer dans ma pomme.
Elle baissa les yeux, peut-être mal à l'aise.
-Ton sourire gêné.
-J'ai un sourire gêné ? m'esclaffais-je. Pas possible ! C'est juste un sourire... normal !
-Non. D'ailleurs, c'est le même que maintenant, rétorqua-t-elle avec un air finaud, emportée par la conversation.
Une bouffée de chaleur me surprit, accentuant mon mal-aise. Instinctivement, je savais que je devais fuir cette discussion.
-Et si je me lève, répondis-je en joignant la parole aux actes, est-ce que c'est simplement parce que j'ai fini de manger, ou est-ce parce que je botte en touche ?
-Peut-être que la fin de ton repas tombe à point nommé ?
Je pouffais sans prendre la peine de répondre, si ce n'est «un simple à plus tard», après avoir jeté le papier de mon sandwich. Parfaitement troublé.
Je me sentais volé, pillé, saccagé par ces yeux noirs qui semblaient comprendre beaucoup trop de choses. Elle n'avait pas le droit. Et si elle remarquait ma gêne dans un sourire, ce pouvait-il qu'elle ait vu autre chose de bien plus intime ? Avait-elle deviné la peine qui transperçait mon cœur depuis ma conversation de samedi soir avec Hermione ? C'était si douloureux que je voulais l'enfouir au plus profond de moi, comme un trésor maudit ou une douce malédiction.
Est-ce qu'il n'y avait pas de bonheur simple ? Blaise et Pansy y arrivaient bien, eux ! Potter et Weasley fille aussi, je suppose. C'est que ça devait bien exister, c'est que ça devait bien être possible, d'être juste heureux, sans un seul nuage à l'horizon. Alors pourquoi pas nous ? Est-ce que c'était Merlin qui voulait me punir ? Peut-être. Mais ça punissait aussi Hermione, et elle, elle le méritait son bonheur ! Elle était tellement parfaite ! Elle était ma merveille, mon soleil, mon rocher.
Alors que j'atteignais le deuxième étage pour rejoindre Doissec, je chassais ces pensées et refermais les lourdes portes d'airain sur mon Tartare. Il s'agissait de contenir le mal. Elle avait dit que si elle devait se battre, elle se battrait. Je suppose que je devais me battre à ses côtés. Comment, je ne savais pas trop. En la réconciliant avec l'idée du mariage peut-être ?
Tout allait bien se passer.
000
L'après-midi passa vite : beaucoup de parents inquiets par le rhume de leurs enfants s'étaient présentés au service et, débordés, Doissec m'avait enfin confié un peu d'autonomie en triant les patients en salle d'attente, renvoyant chez eux ceux pour qui la situation n'était pas inquiétante avec un flacon de pimentine ou de pimentine allégée pour les jeunes enfants.
Il était vingt heures. Il était rare que je rentre aussi tard avec Wood mais depuis cette semaine, c'était monnaie courante. Enfin, je ne savais pas si c'était mon nouveau service qui voulait ça ou si c'était moi qui, au fond, m'arrangeait pour traîner. Les deux peut-être.
C'est que l'ambiance au manoir se faisait pesante. J'avais la sensation d'étouffer. Hermione et moi n'avions pas reparlé de notre discussion de samedi soir et nous agissions comme si de rien n'était en apparence. Cependant, je ne pouvais m'empêcher de ressentir une certaine réserve de sa part. Il y avait une sorte de latence désormais, lorsqu'il s'agissait pour elle de répondre à mes caresses ou à mes baisers. Elle semblait ailleurs. De mon côté, j'avais de plus en plus de mal à supporter cet air absent et ses silences pensifs qui me perçaient le cœur et je laissais déborder une froideur agressive de sale con qui me faisait horreur. Le retour du Malfoy mal léché.
Mais, vraiment, ça allait finir par se tasser, n'est-ce pas ?
-J'y vais, m'informa Joanne. Doissec me dit de te dire que tu peux y aller.
Elle avait une sorte de sourire désolé : cette situation était ridicule. Il était ridicule. Refuser de m'adresser la parole, c'était absurde.
-Je ne vais pas tarder. Je dois encore remplir l'administratif.
-Pense à dormir de temps en temps : tu verras c'est pas mal et je crois que c'est utile pour un truc, mais je ne sais plus quoi... Ah oui ! Ça me revient ! Ça s'appelle «rester en vie» !
-Sans blague, répondis-je sans pouvoir m'empêcher de sourire.
-Sans rire, rentre.
-Je vais rentrer ! Je finis juste ça.
Elle secoua la tête en levant les yeux au ciel.
-Tu penseras à éteindre la lumière ne partant ! M'adressa-t-elle une dernière fois alors qu'elle était en train de descendre les premières marches de l'escalier. Et bonne nuit !
-Bonne nuit !
Allez, dans une demi-heure, je rentre.
La demie-heure passa et je n'avais toujours pas terminé. Le bruit d'une porte qu'on ferme à l'aide d'un "collaporta" et Doissec apparut dans le hall. Il sursauta à moitié en me voyant.
-Les stagiaires de première année n'ont pas le droit de faire des heures supplémentaires autres que celles des gardes, grommela-t-il.
Ce fut à mon tour d'avoir un mouvement de surprise. Il venait de me parler : sans doute allait-il devoir se désinfecter la langue.
-Ce sont vos rapports ? demanda-t-il en désignant des yeux la pile de documents devant moi.
-Oui, mage Doissec.
Il sourit de ma politesse serpentardesque. Évidemment, la déférence, ça marchait toujours. Depuis septembre, j'avais étalé tant de pommade que je pouvais déjà me prétendre mage en kiné. Sérieusement !
-Il sont bien rédigés, reprit-il en les feuilletant. Concis et efficaces. C'est bien. Et tout à l'heure, vous avez su être réactif. Votre organisation était bien huilée. Le pragmatisme, c'est quelque chose qu'on ne peut pas vous retirer, à vous, les mangemorts.
Je me figeais un instant. Ça commençait si bien ! Que faire ? Répondre vertement ? Le corriger gentiment ? Ne pas réagir ? Son avis sur moi m'importait peu et je voulais continuer à monter dans son estime pour gagner en autonomie. Il m'avait parlé aujourd'hui et ce pour me faire des compliments: c'était un grand pas en avant !
Je souriais poliment : ne rien dire. Doissec n'était pas le genre de personnes qui aimaient être contredites. Il était l'inverse de Wood, qui, contrairement à ce qu'elle voulait faire croire, cherchait sans cesse la contradiction et ne trouvait de l'intérêt dans les échanges que lorsqu'ils étaient passionnés et houleux.
-Vous avez terminé ? Reprit-il sans remarquer mon débat intérieur.
-Pas encore mais...
-Rentrez chez vous. La journée de demain sera tout aussi rude d'autant plus que vous enchaînez avec une garde.
Alors, bien obligé, je rangeais mon matériel d'écriture et descendis à sa suite dans les vestiaires, la boule au ventre. Je ne voulais pas rentrer.
000
Hermione révisait tranquillement devant le feu ronflant de la cheminée du hall. A peine avais-je envoyé d'un coup de baguette mes affaires se ranger que je l'enlaçais par derrière, me pliant au dessus du dossier du fauteuil pour enlacer ses épaules et enfouir ma tête dans son cou. C'était un de nos multiples rituels. Je l'aimais, cette routine, mais son sourire qui avait une teinte peut-être un peu plus triste que d'habitude, me faisait y aller à reculons. Enfin... J'avais l'impression qu'il était triste mais mon esprit mélancolique cherchait peut-être à tout interpréter dans ce sens et ce sourire était peut-être aussi joyeux que de coutume ?
-Tu as passé une bonne journée ? me demanda-t-elle, peut-être un peu mécaniquement.
-Ça va, souriais-je, incapable de développer, comme à chaque fois qu'elle me le demandait. Et toi ?
-Ça va.
Elle ne m'en dit pas davantage, contrairement à ce dont elle avait l'usage.
-Siegfried va bien ? La pressais-je.
Je n'aimais pas ce crétin de Durmstrang et sans savoir pourquoi, je ne pouvais pas m'empêcher de parler de lui. Je n'osais évoquer Nott.
-Ça va.
Son sourire s'élargit et gagna en franchise en pensant à ce pauvre demeuré.
Un vrai sourire. Et il me semblait alors que n'importe qui : Nott, le crétin de Durmstrang et d'autres encore que je ne soupçonnais pas, avaient sans doute accès à ces sourires dont j'imaginais être privé. C'était un comble. Je la tenais dans mes bras, elle dormait dans mon lit et pourtant elle ne me souriait plus comme j'aurais aimé qu'elle me sourie. Je resserrais mon étreinte.
-Tu m'as manqué aujourd'hui, lui révélais-je, comme chaque soir depuis lundi.
C'étaient des phrases sincères qui se vidaient de substance, d'intensité ou de résonance à force de les répéter, presque obsessionnellement, comme une formule magique qui devrait nous protéger mais qui se perdait dans la nuit. Ces formules, je les disais comme on dresse un bouclier, mais c'était comme si la menace me prenait sans cesse à revers. Un écho qui n'était entendu par personne.
-Toi aussi, me répondit-elle et je trouvais que son ton manquait de conviction.
N'y tenant plus, ma tristesse se mêlant à une sorte de colère désespérée, je me relevais.
-Je vais faire à manger, annonçais-je sèchement.
Et, alors que je me dirigeais vers la cuisine, je sentis deux mains saisir ma chemise au niveau de ma taille. Je m'arrêtais net sans me retourner.
Finalement ?
Les mains lâchèrent ma chemise pour passer sur mon torse en le caressant alors que je sentais qu'on se pressait contre mon dos.
-Laisse, je vais le faire. Tu es fatigué. Tu travailles tard en ce moment.
Je ne savais pas si cela était un constat ou un reproche et mon esprit belliqueux allié à ma culpabilité de rester tard à l'hôpital à dessein me firent choisir la deuxième option par défaut. Aussi, je me défendis d'un ton sardonique :
-Les gens tombent malade en hiver, ce n'est pas une surprise.
-C'est sans doute ça.
Là encore je ne sus pas déterminer s'il s'agissait d'ironie ou si elle feignait simplement de me croire.
Elle resserra son étreinte : deuxième option.
-Je te prie de bien vouloir m'excuser...
-Tu es fatigué, c'est tout, trancha-t-elle, pardonnant tout, pour éviter toute discussion embarrassante.
Tout mais pas comme samedi.
Après un temps, elle me relâcha pour se rendre dans la cuisine.
-Tu as reçu du courrier.
Alors que je l'entendais s'affairer dans la pièce d'à côté, je me dirigeais vers la table du hall où se trouvaient effectivement deux lettres. La première était une lettre banale qui présentait l'écriture de Pansy. La seconde, en revanche, consistait en une épaisse enveloppe ivoire. Mon nom avait été tracé d'une fine et élégante écriture violette. A l'intérieur, cela ressemblait, à l'épaisseur et au poids, à un carton d'invitation. Pitié : ce devait être les Greengrass et leur maudite soirée de Noël. Au secours.
J'ouvris sans attendre l'enveloppe, histoire de me débarrasser en premier de cette mauvaise nouvelle. Le carton était bleu nuit et avait été ensorcelé pour que de fins flocons dessinés tombent continuellement. Je retournais l'invitation sans m'appesantir sur l'effet.
«Drago,
J'espère que cette invitation te trouvera en bonne santé.
Mes parents, ma sœur et moi-même serions heureux de te recevoir à Whitecross Hall du 29 décembre pour le thé jusqu'au 31 décembre après la collation de midi.
Un bal aura lieu le 30 au soir pour célébrer la fin de l'année et mon entrée dans ma dix-septième année.
J'espère te revoir bientôt,
Affectueusement,
Ton amie dévouée Astoria»
La lettre de Pansy devait porter sur l'invitation et je l'ouvris sans hésiter. Peut-être voyait-elle déjà l'attitude à adopter. Pour ma part, j'étais perdu. Y aller était l'opportunité d'entrer dans le vif des négociations et signifier clairement que je n'avais pas l'intention d'épouser Astoria. Devais-je proposer à Hermione de m'accompagner ? Sa présence apporterait plus de poids à mon refus, mais allait-elle seulement accepter ?
La lettre de Pansy partageait mon point de vue : il était temps d'attaquer les choses sérieuses et Hermione avait un rôle à jouer dedans. Pansy me proposait que l'on se retrouve samedi en huit, le soir, au chaudron baveur pour l'anniversaire de Nott. Je m'empressais de lui répondre par l'affirmative sans prendre le temps de développer : elle se contenterait de me presser de question sur samedi dernier lors de notre rendez-vous et, au vu de mon état, je soupçonnais que ma langue ne serait pas bien difficile à délier. Je ne m'ouvrais qu'à eux et c'était bien suffisant.
La lettre envoyée, je me dirigeais vers la cuisine d'où s'échappait une délicieuse odeur de tarte salée. Elle le savait, que c'était mon plat préféré. Je laissais échapper un soupir d'admiration en la voyant s'activer. Elle était belle avec sa mine concentrée. Elle dut m'entendre arriver car elle se retourna vers moi.
-C'est bientôt prêt, sourit-elle.
Un vrai sourire, qui fit fondre mon cœur. Et sans réfléchir, je fondis sur elle pour l'embrasser avec passion jusqu'à la soulever pour l'asseoir sur le plan de travail. Elle, me serrait avec force dans ses bras, comme si je devais fusionner avec son corps. Je soupirais de bonheur en parcourant avidement son dos et ses épaules pour la presser contre moi.
Même si elle souriait ainsi à Nott ou au crétin de Durmstrang, c'était moi qui l'avait dans mes bras.
000
Sans savoir trop pourquoi, Cho attendait sa garde avec impatience. Elle avait quand même un début de réponse : à chaque fois qu'elle pensait à la nuit qu'elle allait passer, son visage à lui se dessinait dans son esprit. A part le matin, où ils échangeaient rapidement quelques mots, elle ne le voyait jamais seul. Le reste de la journée, il était toujours très occupé. Elle aussi d'ailleurs. Le midi, ils étaient toujours accompagnés par cette bande joyeuse qui s'était formée au fil du temps. La gentillesse d'Alexander y était pour beaucoup : parrain de Malfoy, il avait tout fait pour l'intégrer.
Et ce dernier se laissait faire. Il se laissait porter.
Il fallait bien en convenir : il n'était absolument pas conforme à l'idée qu'elle se faisait de lui. Il n'était pas... cette brute dure, prétentieuse et méprisante. Il ne l'était plus. Ou plutôt, sa carapace de brutalité s'était fissurée pour montrer ce qu'elle protégeait, sa suffisance s'était métamorphosée en assurance déterminée et son mépris, rincé à grandes eaux comme on nettoie un sol pour révéler une mosaïque antique, avait révélé une soif de reconnaissance. Comme un papillon, il était sorti de sa chrysalide et elle, curieuse naturaliste, voulait en savoir plus sur lui.
Il avait cette gentillesse maladroite, comme un infirme que l'on rééduquerait à la marche, ne savant pas trop comment l'apporter, teintée d'une brusquerie parfois, qui le rendait touchant. Une gentillesse timide. Comme Cédric.
Non. Pas comme Cédric.
Cédric dans son souvenir était mille fois supérieur. Non, un million de fois. Non, un milliard de fois. Même : un milliard de milliard de milliard de milliard de milliard de milliard de milliard de milliard de fois supérieur.
Cédric était parfait : tellement généreux, attentionné, loyal, juste ! Il ne pouvait pas être dépassé. Par personne. Et même si maintenant elle ne pleurait plus pour lui, elle savait : c'était lui, ce serait lui, et personne d'autre car, vraiment, il était infiniment supérieur à tous.
Voilà.
La première semaine de Cho à la maternité se déroulait à merveille et s'occuper des mères et des bébés la détendait beaucoup. Elle adorait cette odeur de savon doux et de fleurs offertes aux patientes. Bien plus que celle de bétadine, de sang et de brûlé qui imprégnait le rez-de-chaussé.
Sa journée passa à une vitesse folle. Un accouchement, deux échographies et des consultations de suivi. Elle fut presque surprise lorsqu'Ava Young lui avait souhaité une bonne soirée, vers dix-neuf heures.
-Tu ne rentres pas ? demanda la voix de Joseph Andersen qui surgit devant elle.
Son regard parcourut son corps des pieds à la tête. Comme d'habitude.
-Non, je suis de garde, sourit-elle, feignant de n'avoir rien remarqué.
-Avec Malfoy, mh ?
Il avait froncé les sourcils comme s'il n'aimait pas cette idée.
-Oui, répondit-elle sans se défaire de sa mine réjouie.
-Fais attention, on ne sait jamais avec lui. Si jamais il tente quoi que ce soit, dis-le moi et je lui ferai passer l'envie de s'amuser.
Et, disant cela, il bomba son torse que l'on devinait terriblement velu, compte tenu des nombreux fuyards qui dépassaient du col en V de sa blouse.
-Je ne pense pas qu'il y ait de raison de s'inquiéter, rit-elle, surprise. J'ai déjà fait une garde avec lui. Tout s'est très bien passé.
-Il suffit d'une fois, rétorqua-t-il, borné.
-Je ferai attention alors, concéda-t-elle pour couper court et il acquiesça avec une mine satisfaite.
-Et si jamais, appelle moi.
Pauvre Blaise qui devait supporter ce macho comme parrain ! Entre O'Brien, Hugues et lui, Sainte Mangouste offrait un intéressant panel de connards. Ça donnait envie de faire des études en sociologie, tiens.
Il posa une main sur son épaule.
-Alors à lundi.
-A lundi, répondit-elle sans s'être défait de son sourire de tout l'échange.
Sur une échelle allant du Troll, niveau 0, à Cédric, niveau 10, Joseph Andersen, était au niveau du Scroutt à pétard. C'est à dire dans les chiffres négatifs.
Enfin, ce fut au tour d'Iphigénie Wright, la cheffe de service, de la laisser.
Cho descendit jusqu'en salle de garde et le trouva, lui, en train de manger un quart de tarte saumon-épinard qu'il venait au préalable de faire réchauffer. Il la sortait d'une petite boîte qui devait venir de chez lui.
-Tu as cuisiné ?
-Hermione, répondit-il en cachant délicatement sa bouche de sa main pour ne pas qu'elle le voie déglutir. Je ne t'ai pas attendu, j'avais vraiment trop faim et on ne sait jamais combien de temps on dispose pour...
Un infirmier fit irruption dans la salle, comme pour illustrer ce qu'il n'avait pas encore fini de dire.
-Malfoy...
-Oh Fifi, pitié ! Pas encore ! J'en ai marre !
Cependant, en disant cela, il avait du mal à rester sérieux, cachant ses yeux dans la paume de sa main.
-Si, Malfoy, riait le fameux «Fifi».
Cho ne comprenait pas ce que cette scène complice signifiait. Il était évident qu'en enchaînant toutes les gardes, il allait se familiariser plus vite qu'elle. De fait, il était nécessairement bien plus expérimenté.
-Que se passe-t-il ? Sourit-elle.
-Il y a M. Fawley qui s'échappe régulièrement et il n'y a qu'avec Malfoy que ça se passe bien.
-Il faut rentrer dans son jeu, expliqua le Serpentard. Je peux au moins finir ma tarte ?
-Tu la finiras en le cherchant.
-Il est forcément au quatrième. Il est toujours au quatrième.
Et, soupirant de dépit en engloutissant sa dernière et énorme bouchée, il se leva.
-Viens, intima-t-il à Cho. Tu vas voir : il n'y a rien de compliqué.
-Il s'échappe souvent ?
-Assez oui, mais toujours un vendredi soir, alors... ça tombe bien.
-Ça tombe bien ?
-Oui, parce que je suis là et qu'il se laisse faire avec moi.
Ils arrivèrent au quatrième étage et, comme s'il s'agissait d'une routine, Malfoy se dirigea vers le fond du service d'un pas assuré.
-Curiatus ? chuchota-t-il.
-Oui ? répondit une voie sur le même ton, depuis le cœur des ténèbres.
-J'ai vu Aurora : elle m'a dit de te dire qu'elle ne peut pas venir ce soir. Tu dois rentrer, ou tu te feras prendre par Janus. Je l'ai vu traîner pas loin.
-Elle t'a dit quand je la verrai ?
-Demain matin, devant le quai du Poudlard express.
-D'accord.
Alors, le vieil homme sortit à quatre pattes de sa cachette, sous un lit laissé dans le couloirs. Malfoy se précipita pour l'aider à se relever et il faillit perdre plusieurs fois l'équilibre tandis que l'homme se remettait péniblement sur ses deux jambes. Ils le raccompagnèrent à sa chambre. Avant d'entrer, ils s'arrêtèrent un instant.
-Pes capri ! Chuchota Curiatus et Malfoy ouvrit la porte.
Fifi arriva avec la potion et l'affaire fut réglée. Cependant, ils ne furent pas au bout de leurs peines. L'infirmier les envoya rapidement au rez-de-chaussée. Il y avait eu de nouvelles arrivées et il fallait prêter main forte aux autres. Ce ne fut que lorsque trois heures du matin sonna qu'ils purent enfin souffler. Entre temps, Cho n'avait eu le temps d'engloutir que quelques biscuits, trop peu sucrés à son goût, fournis par Sarah. Note Bien : à la prochaine garde, apporter de quoi manger.
Les mages Abasi et Strout allèrent se coucher en confiant la surveillance des admissions aux premières et troisièmes années avec l'ordre de les réveiller si un cas compliqué survenait. Sarah partit réviser pour ses examens de fin de semestre, Tracy et Morgan Singh, de deux ans son aîné, semblaient avoir des choses à se dire et s'isolèrent dans une des chambres de garde. Malfoy, quant à lui, se jeta sur l'immense thermos à café.
-Tu en veux un ?
-Il y a du thé ? demanda Cho en inspectant la table où reposaient cafetière et théière.
-Oui, mais il n'est pas terrible. Il le laissent toujours trop infuser. Au moins, le café, c'est toujours mauvais mais ça réveille vraiment.
Elle sourit de son goût délicat et se servit du thé. Après tout, elle devait bien goûter. Le rictus dégoûté du Serpentard s'étira en un léger sourire :
-Téméraire.
Puis un silence s'abattit sur eux, après qu'ils se soient assis à la table, l'un en face de l'autre.
Longtemps.
La coiffure de Malfoy, toujours impeccable à sept heures trente, n'avait pas résisté aux nombreuses sollicitation de la journée et plusieurs épis avaient repris leur liberté. Ce n'était pas plus mal. Il n'était pas laid. Peut-être beau... Mais pas autant que Cédric bien sûr ! Et l'odeur de cèdre avait gagné en rondeur, peut-être un peu musquée. Celle de son corps après une journée de travail. Elle s'était attachée à cette odeur et en inspira une bouffée discrètement en évitant de se poser quelque question que ce soit.
Les yeux baissés vers sa tasse qu'il tenait d'une main pleine comme pour la réchauffer, il s'amusait avec une petite cuillère à faire fusionner les bulles entre elles avec un précision chirurgicale. Il avait beaucoup de manies : faire un tas avec les miettes de son sandwich, plier les papiers d'emballages au millimètre près, empiler parfaitement les dossiers d'admissions... Elle avait cru d'abord à une rigueur exigeante et obsessionnelle mais, depuis qu'elle l'avait surpris à faire des bulles entre ses doigts disposés en anneaux alors qu'il était en train de se laver les mains, elle n'en était plus si sûre. De la rigueur, de la discipline intransigeante, il en avait, c'était certain, mais elle était contrebalancée par une sorte de fantaisie rêveuse qui lui plaisait beaucoup.
-C'est toujours plus calme passé trois heures du matin. Je ne sais pas pourquoi.
-Les soirées sont terminées et les gens ont fini de rentrer chez eux, suggéra Cho.
-Peut-être.
Nouveau silence. Plus court cette fois-ci.
-Avec Sarah et Tracy, reprit-il, on joue à un jeu pour passer le temps. C'est «devine à qui je pense». C'est un truc moldu. Tu as quelqu'un en tête et l'autre doit deviner qui c'est en posant des questions et tu y réponds par oui ou non. Tu veux jouer ?
-D'accord, sourit-elle, surprise que Malfoy puisse un jour lui proposer, à elle, de jouer à un jeu non magique.
-Tu veux deviner ou faire deviner ? Proposa-t-il.
-Faire deviner.
Il sourit franchement :
-C'est bon ?
Elle acquiesça : elle avait choisi Mangouste Bonham, le fondateur de l'hôpital.
-Mangouste Bonham ? Proposa-t-il avec un sourire ironique de vainqueur.
Elle sursauta, avec l'impression étrange que la bulle dans lequel ils étaient venait d'éclater.
-Quoi ?! Mais comment ?! Je suis sûre que tu triches ! Je joue plus puisque c'est comme ça ! S'exclama-t-elle en se sentant rougir.
Est-ce qu'il était legilimens ou quelque chose dans ce genre ? Lui, explosa de rire.
-Je triche pas ! C'est juste que lorsque tu as posé ton regard sur son portrait tu avais une mine tellement... satisfaite !
Et de nouveau il s'esclaffa.
-C'est bien ce que je dis, c'est de la triche !
-C'est pas de la triche.
-Si, c'est complètement de la triche ! Répartit-elle furieuse contre lui d'avoir fait voler en éclat la sérénité qu'ils partageaient quelques instants plus tôt, et honteuse de déjà se sentir nostalgique de ce moment.
Elle reprit :
-A partir du moment où tu gagnes en passant par un autre moyen qui n'est pas prévu par les règles, c'est de la triche.
-C'est pas de la triche : c'est de l'astuce.
-Astuce de rien du tout : c'en est, point barre !
-Non, ça l'est pas !
-Si !
-Bon, coupa-t-il, peu importe finalement. Tu veux réessayer ? Et je me cache les yeux. Comme ça, tu pourras choisir Dilys Derwent sans que je le voie.
Un combat étrange entre l'envie de sourire et de lui en coller une se déroulait en l'intérieur de Cho. Elle lui aurait bien fait bouffer son sourire en biais qui, à la fois, horripilait et décuplait parfaitement son charisme.
-Alors ? Relança-t-il.
Elle n'allait pas se laisser faire. Candice de l'accueil central. Elle ne connaissait même pas son nom de famille. C'était parfait.
-C'est bon, répondit-elle sèchement.
-Dilys Derwent ?
Par Merlin, elle allait vraiment lui en coller une.
-Tu me prends vraiment pour une demeurée.
-Mais non ! S'exclama-t-il. Je me dis juste que... par ironie, par provocation... tu aurais pu... peut-être...
-Eh ben non, coupa-t-elle.
-Bon... Alors... C'est un homme ?
-Non.
-Une femme.
-Perspicace, railla-t-elle avec le plus de mépris dont elle était capable.
-Chang, c'est un jeu : ne te mets pas...
-Je me mets dans l'état que je veux.
Il s'affala sur la table, pour plonger son regard acier dans celui baissé de la Serdaigle. Elle ne supportait plus sa vue.
-Bon, je ne voulais pas te blesser, je te prie de bien vouloir m'excuser, reprit-il sérieux.
Elle sourit de sa posture absurde, juste pour capter ses yeux dans les siens. Il savait s'y prendre pour se faire pardonner. Elle se redressa et se racla la gorge en priant de toute ses forces sa peau pour ne pas qu'elle rougisse. Peine perdue.
-Alors ? pas d'autres questions ? S'empressa-t-elle de demander pour donner le change.
Il sourit à son tour.
-Elle travaille ici ?
-Oui.
-C'est un médecin ?
-Non.
-Une infirmière.
-Non.
-Une auxiliaire de vie ?
-Non.
Il fit une pause pour la regarder pensivement. La tête soutenue par sa main. Il n'avait toujours pas bu son café.
-Et elle travaille ici.
-Oui.
Son regard la quitta pour parcourir le plafond.
-Elle travaille ici, répéta-t-il pour lui-même. Elle a quel âge ?
-Je ne peux répondre que par oui ou non.
Pas moyen qu'elle tombe dans le piège grossier de ce tricheur. Il esquissa un sourire amusé.
-Elle a plus de quarante ans ?
-Oui.
-Proche de la retraite.
-Oui.
Soudain, un éclair traversa son regard. Il se redressa pour la regarder.
-Elle aime tricoter.
-Oui, répondit Cho, désabusée.
-Candice de l'accueil ! S'exclama-t-il avec toujours ce sourire de vainqueur, sûr de lui.
-Non !
Un air surpris et un sursaut.
-Mais si ! Reprit-il, la mine défaite.
-Tu sais mieux ce que j'ai dans la tête, peut-être ?
-Non, mais... mais...
Ce fut au tour de la Serdaigle d'éclater de rire.
-Mais si, c'est elle ! Tu verrais ta tête !
-Hé ! Mais ça, c'est de la triche ! Dire non alors que c'est oui ! S'écria-t-il, outré.
-Je m'en fiche ! Tu vas te plaindre à qui ?
Il la regarda un instant, figé. Oups, elle avait peut-être parlé un peu vite, sans réfléchir à ses habitudes à Poudlard : il n'allait plus se plaindre à son père, c'était sûr. Mais il se reprit bien vite :
-Ah c'est comme ça, sourit-il en coin, une expression pleine de fourberie sur son visage.
-Quoi comme ça ?
-A ton tour, tu vas voir ! Ça va moins faire la maligne !
-N'importe quoi ! Tu ne me fais pas peur ! Rit-elle.
-C'EST PAS BIENTÔT FINI VOTRE BORDEL ?! S'exclama Morgan Singh, surgissant de la chambre, vêtu seulement d'un caleçon. Y EN A QUI ESSAIENT DE SE CONCENTRER !
-Tu sais, il existe des solutions, Morgan, il suffit d'en parler à un professionnel, tacla du tac au tac Malfoy en faisant mine de boire une gorgée de son café tout en se balançant sur les pieds arrière de sa chaise d'un air désinvolte.
Par Merlin, ce mec voulait vraiment mourir ou alors il n'avait strictement aucun instinct de survie : désobéir aux chefs de service, se foutre ouvertement de la gueule d'Andersen et des titulaires...
-T'as dit quoi Malfoy ? répondit Singh d'un voix menaçante après sa stupeur passée.
-Il a rien dit. Allez viens.
Et il se fit tirer par l'élastique du caleçon vers l'intérieur de la chambre et il referma la porte. Malfoy soupira en levant les yeux au ciel, grommelant quelque chose dans sa barbe rasée de près.
-Tu n'as pas changé, sourit Cho. Mais fais attention : il n'y aura pas toujours quelqu'un pour te sauver la mise.
-Il n'y a pas toujours eu quelqu'un pour me sauver la mise, répartit-il sombrement.
Sa mine, si sérieuse, fit comprendre à Cho qu'il s'agissait d'une sorte de confession. Mais de quoi parlait-il précisément ? Elle ne se sentait pas autorisée à le questionner, mais cela attisait fortement sa curiosité.
-Bon alors ? C'est à ton tour de poser des question après tout, chuchota-t-il, de nouveau, souriant.
La rapidité avec laquelle il passait d'une expression à une autre était à peine croyable. On ne pouvait pas totalement se fier à son visage. Et s'il laissait échapper de temps en temps une mine sérieuse ou un sourire gêné, il restait loin d'être un livre ouvert.
-C'est une femme ?
-Oui.
-Hermione ? Tenta-t-elle.
Elle aurait aimé faire un coup d'éclat comme il avait su le faire. Il pouffa.
-Non.
-Tu la connais personnellement ?
-Je la connais.
-Elle travaille à l'hôpital ?
-Oui.
-Elle est médicomage ?
-Non.
-Infirmière ?
-Non.
-Ah ! Stagiaire !
-Oui.
-Est-ce qu'elle est blonde ?
-Non.
-Donc ce n'est pas Hannah ni Sarah.
-Non, ce ne sont pas elles.
Voyons, Tracy et elle étaient toutes les deux brunes aux yeux marrons. Aucune n'avait de lunettes...
-Est-ce qu'elle... a un chat ?
Il pouffa :
-Je ne crois pas, non.
-Alors ce n'est pas Tracy.
Il savait qu'elle avait trouvé : c'était elle. Malin. Il avait cru pouvoir la berner et elle n'allait pas se laisser faire. Maintenant, elle allait en profiter un peu.
-Est-ce qu'elle n'est pas incroyablement intelligente ?
Il pouffa en levant les yeux au ciel :
-Sans doute.
-Ah ! Il faut dire oui ou non !
Il dodeline de la tête, désabusé :
-Oui, elle l'est.
-Est-ce qu'elle n'a pas un sens de l'humour à tout épreuve ?
-Elle aime rire des autres, mais pas d'elle.
-Un peu comme toi, tacla-t-elle. Est-ce qu'elle n'est pas... merveilleusement douée en sortilège ?
-Ses notes aux ASPICS parlent d'elles-mêmes, il me semble.
Elle haussa les sourcils sans répondre et il leva une nouvelle fois les yeux au ciel.
-Oui, je suppose qu'elle l'est.
-Ah ! Et est-ce que...
-Bon on aura compris : oui, tu es intelligente, drôle, douée en sortilège, belle et tout ce que tu veux !
-Je n'ai jamais parlé de beauté, fit elle remarquer, narquoise.
-Ce devait être la prochaine chose sur ta liste, non ? cracha-t-il, dédaigneux, furieux d'avoir été pris à son propre piège.
-Ohlala Malfoy, faut pas le prendre comme ça !
-Mais je le prends bien comme je veux rétorqua-t-il sans réussir à retenir son sourire, conscient que les rôles s'étaient échangés.
Un silence s'abattit sur eux.
-Alors, tu ne t'excuses pas ? Sourit-il.
-De quoi ?
-De rien, coupa-t-il brutalement. Je vais faire un tour voir si on a besoin d'aide.
Son ton était sans appel et elle n'insista pas. Elle le laissa quitter la pièce. Monsieur n'aimait pas qu'on se moque de lui ? Pourtant, elle voyait mal Hermione l'épargner. C'était même peut-être ce qui l'avait séduit chez elle... Alors pourquoi avait-il réagi de cette manière ?
Sur l'échelle allant du Troll à Cédric, Malfoy n'avait pas sa place. Il était ailleurs. Sur une autre échelle peut-être. Tout en haut.
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J'émergeais durement. Accablé par la fatigue, mes réveils se faisaient de moins en moins efficaces. J'ouvris les yeux péniblement, aveuglé par la lumière. Il devait être midi. J'étendis mon bras à ma gauche, là où elle aurait pu être mais il ne trouva rien, si ce n'est un petit corps chaud duveteux et que je devinais orange sans même le regarder. Pattenrond.
Le reste du lit était vide et sans crier gare un abattement me saisit, comme une chape de plomb tomberait sur mes épaules. Je passais mes mains sur mon visage pour effacer toute marque de tristesse qui aurait pu suinter de mes yeux. J'étais exténué : cela ne devait pas jouer en ma faveur et assombrir mes humeurs. Dans une semaine, je serai en vacances. Je pourrai dormir.
Aussi, je tentais de me raisonner. Bien sûr, je ne pouvais pas attendre d'Hermione qu'elle m'attende ou me réveille tous les samedis. Elle avait plein de choses à faire, des cours à étudier, des exposés avec le si intelligent Siegfried à rédiger. Siegfried de Durmstrang. Prénom de crétin, décidément. J'étais sûr qu'il devait être aussi chiant que Krum. Et que Nott.
Je me préparais rapidement pour le reste de l'après-midi.
Je la trouvais dans le hall, étudiant un imposant grimoire sur la table. Elle ne leva pas la tête lorsque je m'assis en face d'elle.
-Salut.
-Salut, marmonna-t-elle, toujours penchée sur son stupide bouquin.
Agacé, je me levais pour préparer le repas.
