Salut à toi, chère lectrice, cher lecteur ! Deux fois par semaine, vous êtes une grosse vingtaine à suivre cette histoire (En réalité, les stats indiquent plus de deux cents mais je soupçonne que des bots se cachent parmi vous... Ou alors il y a beaucoup d'états-uniens francophiles x)) (Petit coucou à Saint-Pierre et Miquelon, la Suisse, la Belgique, le Canada, mais aussi la Pologne et l'Allemagne !) Bref. Tout ça pour dire que je suis très heureuse de savoir qu'au bout du cinquantième chapitre, vous soyez toujours là ! Et j'espère que la suite que je vous proposerai continuera à vous plaire ! Ce chapitre sera assez long : j'en ai fusionné deux car je voulais raccourcir dans le temps la descente aux enfers de nos personnages pour pouvoir plus vite vous proposer quelque chose d'un peu plus... jouissif ? Il me restera encore trois chapitres à publier, selon le calendrier habituel, pour clôturer cet arc car je ne veux pas partir en pause estivale avant de vous donner le fin de mot de cette péripétie. Une fois ces chapitres publiés, je ne pense pas publier jusqu'à début septembre (le 2 ou le 5). J'ai besoin de reprendre de l'avance pour attaquer l'année prochaine sereinement et garder un rythme de deux fois par semaine. Cependant, je ne m'interdis pas de publier de manière parfaitement chaotique en juillet et en août si, par un heureux hasard, je suis d'une productivité folle.

Voilà ! Bon été ! =)

50-Oh fie ! Hold, hold, my heart ; And you, my sinews, grow not instant old, But bear me stiffly up.

(Infamie!... Contiens toi, contiens-toi, mon cœur! Et vous, mes nerfs, ne vieillissez pas en un instant, et tenez-moi droit !) (Hamlet, Shakespeare)

Je me réveillais en sursaut, d'un cauchemar que je n'aurais su nommer. Par la fenêtre, un ciel de nuit couvert. Les étoiles et la lune cachées, impossible d'estimer l'heure. Je me redressais péniblement et me rendis compte que j'étais toujours habillé, couché en travers du lit, toujours chaussé. Je réprimais un grognement de douleur : mon cou, mon trapèze droit jusqu'à mon deltoïde me faisaient souffrir d'avoir dormi tout tordu. Bien joué.

Je trouvais à tâtons ma baguette dans ma poche. Un miracle que je ne l'aie pas cassée. D'un sort informulé, j'éclairais faiblement la pièce pour trouver ma montre. Je la cherchais une ou deux minutes avant de me rendre compte qu'elle était toujours à mon poignet. Crétin de Troll.

Cinq heures quarante sept. C'était pas possible. Je tombais de fatigue mais pourquoi, par ce dégénéré de Merlin ou ce gâteux de Serpentard, n'étais-je pas capable de dormir correctement ?! Je me laissais retomber sur mon lit mais ma tête heurta le mur. Je levais par réflexe mon bras droit pour masser l'endroit où je m'étais cogné et, bien-sûr, une vive douleur me déchira les muscles mâchés de cette nuit. Est-ce que je n'étais pas lassé d'être aussi con ?

Bon, je devais me calmer : je ne pouvais pas commencer la journée d'une humeur aussi massacrante. Et, alors que j'essayai de faire le vide en moi, un phénomène étrange se manifesta. Des larmes, sans but ni origines, dévalèrent mes joues, oiseaux de mauvaises augures. Elles étaient incontrôlables, malgré mes efforts pour les retenir. Je capitulais alors pour me consacrer à ma respiration et calmer les violents hoquets qui bloquaient mon souffle. Qu'est-ce que c'était que ça ?

Puis, enfin, les souvenirs de la veille me revinrent en mémoire. J'essayais de reconvoquer à moi ce sentiment de liberté que j'avais ressenti, seul élément positif dans cette histoire, mais en vain. Le spectre de la tristesse avait chassé le soulagement qui m'avait habité lorsque j'avais accepté d'abandonner. Et les larmes continuaient de couler sans discontinuer, à m'en étouffer.

Je nous abandonnais ! Est-ce que je m'étais assez battu ? Est-ce que j'étais lâche ? Sans doute. N'est-ce pas pour cela que j'avais été envoyé à Serpentard ? Hélas, je ne pouvais même pas en décider autrement. J'étais simplement en bout de course, épuisé. Je n'avais pas le choix ! On ne décide pas d'être épuisé ou non ! Si j'avais pu l'ignorer, j'aurais sans doute continué ma course.

Ce n'était pas comme si j'étais un voyageur fatigué simplement à la vue de la colline qu'il me restait à gravir. Non. Rien à voir. J'étais un voyageur qui était arrivé à la fin de son périple. Ou plutôt un voyageur qui aurait aimé continuer son chemin mais qui constate, impuissant et désolé, que sa route s'arrête subitement au bord d'une falaise. La suite ne pouvait pas exister. Ce n'était pas possible. C'était la fin.

La fin de nous.

Que faire alors ? Je n'en avais aucune idée. Que fait-on quand il n'y a plus de «nous» ? Quand plus personne ne prend soin de ce lien ? Quand chacun se retranche dans sa tour sans ne plus rien prendre en compte ? Quand être ensemble est plus douloureux que tout ? Car être avec elle ressemblait au supplice de Tantale... Plongé dans un fleuve et ne pouvoir y boire, avoir des fruits à portée de main mais ne pouvoir les saisir.

S'il n'y avait plus de «nous», alors... il fallait... se... se quitter, c'est ça ?

Je frissonnais à cette idée. La quitter ? Alors que je l'aimais ? C'était absurde ! Ou peut-être pas... Car je l'aimais, certes, mais ce «nous» ne rendait plus personne heureux. C'était tellement... insensé ! Moi, brisant mon propre rêve, choisissant la solitude qui me terrorisait, rompant un fil que j'avais mis tant de temps à filer ! C'était écœurant.

Mais soit. S'il le fallait... Mais comment faire ? Je n'allais quand-même pas la quitter maintenant ? Elle avait besoin de moi !...

Je pouffais ironiquement devant mes pensées ineptes : besoin de moi, elle ? Jamais. Jamais elle n'avait eu besoin de moi. La preuve, elle me fuyait. C'était moi, qui avais besoin d'elle.

Alors, vraiment, la quitter ? La solitude serait-elle vraiment plus souhaitable ? j'en avais tellement peur !

Je levais les yeux au ciel agacé : non. Arrêter de fuir. La solitude, j'allais réussir à m'en accomoder. De toute façon, j'avais toujours été bien mieux tout seul. Je savais m'adapter. Je savais survivre en milieu hostile.

Est-ce que je n'étais pas seul, lorsqu'enfant on me délaissait pour d'interminables réunions secrètes ? Est-ce que je n'étais pas seul lorsqu'on m'avait confié la mission de tuer Dumbledore ? Est-ce que je n'étais pas seul lorsque, sans nouvelles d'Hermione, Potter ou Weasley, je priais pour leur réussite ? Et je m'en étais sorti.

Bien mieux, bien mieux tout seul.

Ça allait être dur, mais j'allais m'y faire. J'avais survécu à bien pire ! A bien, bien pire ! Je n'allais pas me laisser abattre. Non. Je pouvais être fort, indépendant.

Et j'allais prendre un chat, peut-être. Un comme Pattenrond. Ce n'était pas l'espace qui manquait...

Bien mieux, bien mieux tout seul.

Et en plus, dans les faits, je la ressentais déjà, cette solitude quand elle m'évitait. C'était juste que ce ne serait plus subi mais voulu, d'une certaine manière.

Bien mieux, bien mieux tout seul.

Et mon amour, qu'en faire ?

L'enfouir au creux de moi. Il y avait dormi pendant sept ans, il retrouverait sa tanière, après avoir dégourdi ses petites pattes pendant à peine un an. C'était déjà ça. J'avais connu le bonheur un an. Certains ne le connaissent jamais et j'avais longtemps cru que mon destin allait m'inscrire dans leurs rangs. J'avais eu de la chance.

La mousse verte et moelleuse de sa litière devait encore épouser la forme de son corps et les fougères ne devaient pas être encore sèches. Il pourrait de nouveau s'y tapir, s'ensevelir dans l'oubli pour ce qu'il restait de l'éternité. Redevenir un trésor caché.

Bien mieux, bien mieux tout seul !

Mais alors quand ? Maintenant ? Et supporter sa vue pour le reste du séjour ? Au dessus de mes forces. Il faudrait une séparation franche. Ne plus la voir. Couper les ponts radicalement. Et puis... que diraient les gens ? S'ils l'apprenaient, je n'osais pas imaginer le scandale et devoir gérer cela, j'en étais tout simplement incapable. Non. J'allais faire semblant pendant la journée et demie qui restait puis j'allais mettre un terme à notre supplice en rentrant au manoir. Pendant que j'assurerai ma garde, elle aurait le temps de prendre ses affaires et partir. Je savais que je n'aurais pas le courage de la voir s'en aller. C'était juste... trop dur.

... La quitter ! Mais comment en étions-nous arrivés là ? Comment ? Quand est-ce que le rêve s'était transformé en cauchemar ? Pourquoi ? Qu'est-ce que j'avais pu faire ? Ou ne pas faire ?

Je devais mettre un terme à ce bouillonnement intérieur et me préparer à affronter cette journée de l'horreur. Tout bien cloisonner, colmater. Éviter Pansy comme la peste car je craignais qu'elle ne découvre tout et je savais qu'il n'y aurait pas besoin de beaucoup me presser pour que j'explose. Or, ce n'était pas le moment. Je devais tenir tête aux Greengrass. Car avec ou sans Hermione dans ma vie, l'alliance avec Astoria était de toute façon hors de question.

D'abord, me laver. Bien-sûr, il n'y avait pas de salle de bain attenante à ma chambre alors, je sortis explorer le couloir ma serviette sur l'épaule, rêvant d'une douche brûlante pour délasser mes muscles et mon cœur endoloris.

000

Devant le miroir, Hermione essayait de se rassurer. Le fait était qu'elle n'avait aucune idée de ce qu'elle devait faire. Aller dans la salle de réception ? Seule ? Pourtant Théodore lui avait bien dit qu'elle devait toujours être accompagnée. Que c'était mal vu. Tradition du Moyen-Age !

Pour quelques jours, elle le supporterait bien mais... Il était déjà neuf heure trente et elle entendait de nombreux pas dans le couloir qui devaient mener leurs propriétaires prendre leur petit-déjeuner. Drago, lui, ne venait pas. Le connaissant, il avait dû se réveiller aux aurores, comme d'habitude.

Est-ce qu'il avait eu un empêchement ? Est-ce qu'il avait été retenu exprès ? Ainsi, tant qu'on n'allait pas la chercher, on était débarrassé d'elle. Pratique. Peut-être était-il en difficulté quelque part ? Pour tromper son inquiétude, Hermione passa en revue son apparence. Robe ajustée au millimètre près, cheveux lissés et serrés en un chignon strict qui tenait sans doute plus grâce à la magie qu'aux centaines d'épingles qu'elle s'était enfoncé dans le crâne, maquillage léger. Elle s'était entraînée. Elle n'était pas mécontente du résultat, pour une fois.

Elle finit par s'asseoir sur son lit en soupirant. A moins qu'il veuille toujours l'éviter ? Non, ça ne tenait pas debout. Malgré sa colère ou sa tristesse, il allait vouloir sauver les apparences. C'était sûr : il devait être arrivé quelque chose ! Elle n'imaginait pas qu'il puisse l'oublier. C'était tout simplement impensable !

Angoissée au possible, elle se promit que s'il ne la repoussait plus, elle lui suggérerait de la rejoindre pour la nuit prochaine. Ce lit était assez large pour accueillir au moins trois personnes ! Elle se saisit de son livre de chevet pour la troisième fois afin de se changer les idées mais elle renonça bien vite, tout comme les fois précédentes, incapable de se concentrer. Il était neuf heures quarante : elle était stressée et en plus, désormais, elle avait faim. Elle se leva, incapable de rester inactive, pour faire les cents pas. Elle réajusta la couverture sur son lit. Elle l'avait déjà refait deux fois. Jamais elle n'avait fait un lit aussi bien.

Soudain du bruit dans la chambre d'à côté. C'était celle de Théodore. Ils s'étaient croisés lorsqu'Astoria lui avait montré sa chambre.

Ainsi, il était encore là ! Il pourrait sans doute l'aider. Un vent de soulagement et de détermination traversa Hermione. Elle ne laisserait pas les Greengrass la neutraliser aussi facilement : elle devait être présente pour Drago. Elle se rapprocha de la cloison séparant les deux chambres pour y coller son oreille. Le bruit d'une douche qui cesse presque aussitôt et une porte qu'on ouvre. Hermione laissa cinq minutes de silence passer. Temps nécessaire selon elle pour globalement se sécher puis s'habiller. Puis, elle s'enhardit et, avec la jointure de ses doigts, elle frappa trois coups sec et sonores à la cloison. Silence. Soit il n'avait pas entendu, soit il se demandait s'il avait rêvé. De nouveau, elle frappa trois coups secs. Du mouvement de l'autre côté de la cloison. On se rapprochait. Elle réitéra l'opération une troisième fois.

Puis soudain, près d'elle, on frappait quatre coups secs puis deux longs et enfin un sec.

Pourquoi un signal aussi compliqué ? Cette alternance de signes brefs et longs... Est-ce que c'était... du morse ? Il connaissait le code ? Comment ? Ses études d'histoire moldue sans doute.

De nouveau : quatre coups secs, deux longs, un sec. H... G... Pour Hermione Granger ?!

Elle frappa un coup long, puis un sec, puis un long et enfin un sec pour signifier l'affirmative. Puis enchaîna : un coup long (T), un long et un sec (N)

Les coups portés sur la cloison lui confirmèrent l'identité de son interlocuteur. De toute façon, qui d'autre que lui pouvait connaître ce code ? Cela la fit sourire. Il poursuivit :

-.. -- (DM)

-. (Non)

--- ..- (Où)

... .- .. ... / .--. .- ... (Sais pas)

. - .-. .- -. --. . (Etrange)

-.-. (Oui)

.--. .-. . - . (Prête)

-.-. (Oui)

.--- . / ...- ... . -. ... / ..--.. (Je viens ?)

... - .--. (S'il Te Plaît)

--- -.- / -.-. .-.. (OK, Fin de la conversation)

Voilà une affaire rondement menée, de manière parfaitement improbable. De nouveau du bruit derrière la cloison. Peu de temps après, une porte qu'on ouvre et ferme puis on frappait à sa porte :

.-.- (Début de message)

Elle s'empressa de lui ouvrir.

-Je ne pensais pas que ça me servirait un jour, sourit-il.

-Comment l'as-tu appris ?

-Par curiosité... Le professeur d'histoire du vingtième siècle en avait parlé le mois dernier. Toi ?

-En colonie de vacances. Avec mes amies, on continuait de bavarder après l'extinction des feux.

Il pouffa, la regardant sans répondre.

-C'est tout toi, ça, finit-il par lui dire.

-Comment ça ? demanda-t-elle, curieuse.

-Rien, c'est juste que... Enfin, si les enfants dont j'avais la charge outrepassaient le règlement pour parler en morse, je crois que je serais fiers d'eux et que je les laisserais faire.

Ce fut au tour d'Hermione de pouffer. Un temps passa où il la regardait pensivement et elle se demandait bien ce qu'ils pouvaient attendre.

-On y va ? Suggéra-t-elle, impatiente de retrouver Drago.

Il sursauta presque puis acquiesça vivement, comme s'il avait été pris en faute. Il lui proposa alors son bras et elle s'en saisit.

-On va directement à la salle de réception ?

-J'aimerais d'abord passer à sa chambre, si ça ne te dérange pas ? Contredit-elle et il suivit ses indications pour la mener jusqu'à la porte du blond.

Son inquiétude faisait qu'elle accélérait le pas progressivement au point de traîner son cavalier par le bras alors qu'ils arrivaient dans le couloir où se trouvait la chambre de Drago. Elle finit même par le lâcher : ils ne croiseraient personne susceptible de la juger ici.

-C'était la chambre qu'ils t'avaient destinée j'imagine, commenta Théodore en détaillant le corridor sombre et délabré dans lequel il progressaient et elle opina du chef.

Il fit une moue passablement agacée en marmonnant quelque chose dans sa barbe rasée de près. Arrivés à destination, elle s'empressa de frapper à la porte, l'angoisse lui tenaillant le ventre.

Pas de réponse.

Elle frappa une nouvelle fois puis colla son oreille contre la porte. Aucun bruit. Alors, elle actionna la poignée.

La pièce était plongée dans le noir, exiguë mais elle ne semblait pas pour autant insalubre. Juste très austère et mal isolée du froid. Elle eut presque un mouvement de recul en se rendant compte qu'il était là, allongé sur le lit. Le cœur au bord des lèvres, elle se précipita vers lui.

-Drago ? L'appela-t-elle en l'agitant doucement.

Elle réitéra plusieurs fois l'opération. Ce n'est que la quatrième fois qu'il se mit à bouger en grimaçant. Il passa sa main gauche sur son visage pour se réveiller.

-Drago, ça va ?

Il mit un certain temps pour répondre. Avant cela, il la regarda avec un air hagard, comme s'il ne la reconnaissait pas.

-Hermione ? Demanda-t-il d'une voix pâteuse.

Elle lui sourit et lui caressa le visage. Il loucha sur sa main, puis focalisa de nouveau son attention sur elle. Il s'assit avec une grimace de douleur, comme pour se soustraire à ses caresses.

-Tu ne t'étais pas réveillé ? Et... tu es habillé ?

-Si... J'ai dû me rendormir. J'ai trouvé une salle de bain au bout du couloir.

Sans trop savoir pourquoi, l'inquiétude de la jeune femme ne voulait pas se calmer.

-Tu es sûr que ça va ?

-Oui, répondit-il d'un ton sûr qui ne laissait aucune contradiction possible. Pourtant, il avait la tête de quelqu'un qui n'avait que peu dormi, les yeux bouffis.

De nouveau, elle voulut lui caresser le visage mais il se mit debout pour la fuir. Hermione se figea un instant pour contempler la peine que tout cela pouvait lui faire. L'espoir ne lui était revenu. C'était sans doute le mieux pour eux.

Elle ne se laissa pas démonter pour autant. Il allait falloir serrer les dents jusqu'à demain matin.

-Vous avez faim ? sourit-il en s'adressant à Théodore, d'un ton parfaitement maîtrisé.

-Oui, mais avant de descendre, tu ne voudrais pas mettre une chemise ? se moqua le brun.

Le blond baissa vivement son visage pour remarquer qu'il n'était qu'en maillot de corps qu'il mettait en hiver.

-Si.

Décidément, il peinait à émerger : cela ne lui ressemblait pas.

Il se saisit d'une chemise blanche dont il avait suspendu le cintre à la poignée de la fenêtre. Il passa le côté gauche sans problème mais il fut bien en peine pour son bras droit.

-Tu as quelque chose à ton bras ? demanda Hermione.

-Rien d'important.

Il commença à perdre patience et pesta contre sa manche qui restait inaccessible à son membre qui semblait endolori. Perdre patience et pester, cela non plus, cela ne lui ressemblait pas.

-Laisse, je vais t'aider.

-Pas besoin, répondit-il d'un ton sec.

-Théodore, tu peux nous laisser un instant s'il te plaît ? demanda la Gryffondor.

Et ce dernier s'exécuta sans écouter les protestations de Drago. Lorsque la porte se referma, l'obscurité se fit de nouveau. Elle l'entendit soupirer profondément. Elle prit le pan de chemise droit et lui présenta. Il soupira encore, plein de mauvaise foi, et passa si brusquement son bras dans la manche que cela l'arracha des mains de la jeune femme, si bien qu'elle ne put retenir une exclamation de surprise.

-Pardon. Je t'ai fait mal ?

-Non, sourit-elle, malgré les larmes qui lui montaient aux yeux.

Même furieux, il restait prévenant. Elle posa alors ses mains sur sa poitrine.

-Arrête, soupira-t-il.

Et il prit délicatement ses mains pour les retirer. Comme cette fois dans les toilettes des filles à Poudlard.

-Drago, qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle sans trop savoir si elle voulait connaître la réponse.

-Rien, juste fatigué et j'ai mal au bras.

-Si ce n'est rien, alors prends-moi dans tes bras.

Et, sachant pertinemment que tout ce qu'elle était actuellement en train de dire ou de faire était insensé et à l'exact opposé de qui était bon pour eux, elle se pressa contre lui, enfouissant son visage contre sa poitrine. Il y eut un moment où il ne répondit pas, ni par la parole, ni par les gestes. Puis, il glissa ses bras dans le bas de son dos, se raidissant de douleur en bougeant le droit. Il n'enfouit pas sa tête dans son cou comme il en avait l'habitude et elle sut qu'elle n'aurait désormais pas plus.

Il allait la quitter. C'était sûr. On y était. En rentrant sans doute. Il allait vouloir sauver les apparences pendant le séjour.

Elle se pressa plus fort contre lui, humant son parfum boisé pour s'en souvenir toujours. Elle maudissait d'avance sa mémoire qui ferait qu'un à un ces moments finiraient par perdre en fraîcheur, en couleur, en exactitude jusqu'à devenir approximatifs. Elle aurait un jour du mal à convoquer le son de rire, son expression douce lorsqu'il lui disait qu'il l'aimait, le goût de ses lèvres, la douceur de ses cheveux.

Elle resserra son étreinte mais il se dégagea.

-On va manger ? lui sourit-il. Nott attend.

-Oui, répondit Hermione un peu sonnée, en se rendant compte que des larmes avaient coulé sur ses joues.

Elle renifla discrètement.

-Il faut... Il faut faire tes boutons... Laisse je vais le faire. Laisse ton bras tranquille.

Il soupira de nouveau en levant les yeux au ciel mais, contre toute attente, il se laissa faire. Il la regarda lier lentement les boutons, les uns après les autres. Elle mit un temps infini pour le dernier. Elle s'écarta mais il la retint.

-Il faut... la cravate maintenant. Sur la chaise.

Elle la prit. Une jolie couleur rouge brodée d'or. Elle sourit de cette bravade envers les Greengrass.

-Quelle insolence, commenta-t-elle, combattant les trémolos de sa voix pour lui donner un ton ironique.

-C'est le minimum que je puisse faire ! Plaisanta-t-il à son tour.

Elle passa le tissus derrière son cou pour ensuite le nouer. Sa main près de son visage, elle en profita pour le caresser «par inadvertance». Il ne devait pas être dupe mais il ne la repoussa pas. Il ferma même les yeux jusqu'à ce qu'elle rabatte le col pardessus, caressant franchement ses joues. De nouveau, elle fit mine de s'éloigner.

-J'ai mon veston sur la chaise également.

Ainsi, ils ne pouvaient plus se témoigner franchement leur affection : ils avaient besoin d'un prétexte pour faire semblant. C'était toujours ça à prendre. Elle prit le veston et l'aida à passer les bras, surtout le droit, qu'elle dut guider malgré sa grimace de douleur. Il ne s'était pas loupé. Et de nouveau, elle attacha les boutons les uns après les autres en caressant son torse sans plus aucune retenue.

En relevant la tête, elle vit qu'il la regardait avec intensité, les yeux sombres et plein d'envie. Soudainement, il passa ses bras dans son dos pour la presser avec force contre lui. Il considéra ses lèvres un instant, comme s'il rêvait de les embrasser. Il se baissa de quelques centimètres puis se figea. Elle se redressa pour parcourir le reste du chemin jusqu'à sa bouche mais il esquiva et les lèvres du Serpentard terminèrent leur course sur son front. Longtemps.

Lorsqu'il finit pas reculer, ce fut à son tour de le retenir.

-Attends ! Tu as... tu as quelque chose sur la joue, mentit-elle.

Et, sous son regard suspicieux, elle porta ses mains sur son visage pour le caresser puis son pouce descendit jusqu'à ses lèvres, les effleurant doucement. Il eut un étrange sourire désabusé. Il dodelina légèrement de la tête comme pour marquer une incrédulité puis détourna son regard d'elle. Enfin, il se dégagea, enfila sa veste rapidement en faisant fi de sa douleur.

-On y va ? sourit-il en lui tendant son bras. Nott a du s'endormir depuis le temps !

Elle s'en saisit et réussit à lui rendre sa mine réjouie.

Il n'y avait pas une seule fois où elle n'avait pas maudit sa foutue maîtrise de soi, cette discipline de fer. Elle haïssait cette capacité qu'il avait à faire exactement le contraire de ce dont il avait envie.

Théodore s'était adossé au mur un plus loin pour ne pas entendre la conversation qui devait filtrer à travers ces cloisons aussi fines que du papier. En les voyant sortir, il se redressa et partit devant, à pas lent pour qu'ils le rejoignent sans forcer l'allure.

-Ton dos est tout blanc ! S'exclama-t-elle, le mur de chaux ayant laissé des traces sur le tissu sombre de sa veste et, de son bras libre, elle entrepris de l'épousseter.

000

-Elles sont où, vos chambres ? Demanda Pansy en se coupant une large tranche de brioche française.

-Dans les suites d'honneur, répondit distraitement Théodore en remuant son café.

-La mienne est la deuxième suite d'honneur, celle à côté de la chambre d'Astoria... commença à expliquer Drago.

-Comme c'est surprenant ! Se moqua la jeune femme.

-... Et celle d'Hermione doit être... une chambre de domestique...

-Quoi ?! S'exclamèrent Blaise et Pansy d'une même voix.

-C'est honteux ! Il faut contester !

-Je n'en ai pas l'énergie, contra Drago. C'est bien assez suffisant d'avoir échangé les chambres.

Pansy acquiesça en silence, acceptant l'argument.

-C'est pour ça que tu es tout coincé, déduisit-elle en désignant des yeux l'épaule du sorcier assis en face d'elle.

-Sans doute... Sourit-il. Et vous, alors ?

Son interlocutrice renifla de dédain :

-De part et d'autre de nos parents.

Nott ne put s'empêcher de pouffer :

-Et oui, il était temps de vous inculquer un peu de morale victorienne, bande de dévergondés !

-Comme si ça allait les arrêter, rit Drago, ils seraient capables de tromper la mort pour se rejoindre !

-Dans ce cas Thalia est plus forte que la mort : Blaise a refusé net ! Rétorqua Pansy d'un air boudeur.

-C'est pas de ma faute si je suis toujours mal à l'aise dans ce foutu manoir ! D'ailleurs, je te préviens, adressa-t-il à sa fiancée, demain huit heures tapante, on prend le petit-déjeuner, on salue le monde et on se tire !

-Toi qui te lèves à huit heures, ben voyons, se moqua sa promise.

-Je peux, si je mets un réveil !

-On va compter là-dessus ! ... Tiens ! Voilà notre meilleure amie, persifla la Serpentard en levant la tête.

Daphné passa en compagnie de son père en les gratifiant du même regard noir que celui qui lui était destiné.

-Pourquoi est-ce que tu ne la supportes pas ? Je pensais que vous étiez amies à Poudlard... demanda Hermione, curieuse.

-Elle a essayé de faire boire à Blaise un philtre d'amour en sixième année. C'était la mode, lancée par une Gryffondor je crois... Évidement toutes les filles de Serpentard ont trouvé l'idée géniale...

-C'était une période bien sombre pour nous, se souvint Blaise en souriant. Ma mère me disait de toujours garder mon verre dans ma main et de l'avoir toujours sous les yeux, pour que personne ne puisse rien y mettre à mon insu, et surtout de n'accepter aucun cadeau !

Pendant ce temps, ce fut au tour de Milicent Bullstrode et d'Astoria de passer, avec le frère de la première. Elles avaient toutes deux un air abattu.

-Les pauvres, commenta Blaise. On pourrait...

-Hors de question, coupa Théodore. Il n'y aura strictement aucun rapprochement de ma part.

-Ni de moi, renchérit Drago d'un ton catégorique. Regarde, elles ne sont pas seules, elles sont toutes les deux... Je suis sûr qu'elles s'entendent très bien ! Tiens, il y a trois ans, j'ai entendu dire qu'une fois Astoria avait prêté un livre à Milicent... Si c'est pas une belle amitié ça !

-J'espère que tu te rends compte toi-même de l'ineptie de ce que tu dis, tacla Pansy.

-Quelle ineptie ?! Regarde ! Elle vient de lui passer la confiture ! Je ne sais pas ce qu'il te faut ! Elles se tiendront compagnie ce soir quand on sera occupés à les fuir.

-Arrête de les regarder, intima Théodore entre ses dents, crispé au possible. Elles vont se faire des idées.

Blaise leva les yeux aux ciel :

-S'il y a bien une ressource inépuisable sur Terre, c'est bien ton déni, mon pauvre Drago ! Tu crois vraiment que Thalia va te laisser t'en tirer comme ça ? Je te parie qu'elle va te demander les deux premières danses pour sa fille. Et comme c'est son anniversaire, tu ne vas même pas pouvoir refuser.

Drago déglutit difficilement :

-Oui, bon, ce sera l'occasion de discuter et de lui faire entendre raison.

-Je t'inviterai Hermione, proposa Blaise. Pour donner le change. Théodore dansera avec Pansy.

-Bonne idée, ça mon Blaisouille ! S'exclama cette dernière en embrassant la joue de son voisin de table, fière de lui.

-Pansy ! la rabroua l'intéressé, sans savoir du surnom intime ou du baiser ce qui le mettait le plus mal à l'aise.

-Comme ça on leur montre que le jeu du «qui danse avec qui» nous est complètement égal, réfléchit Drago à haute voix.

-Oui, ou on passe pour un club échangiste, rit Pansy.

-T'abuses ! S'exclama Théodore en lui faisant les gros yeux, parfaitement au fait des usages moldus.

-C'est quoi ? demanda le blond, réellement curieux.

-Je vous laisse faire vos recherches, répondit-elle avec un sourire moqueur à l'adresse des deux autres garçons.

Hermione ne put s'empêcher de sourire gênée :

-Bonne idée mais... je ne sais pas danser.

Blaise se replongea alors dans ses réflexions.

-Je resterai avec toi, alors, lâcha Théodore. Je n'aime pas danser.

Drago releva vivement la tête pour gratifier le sorcier en diagonale de lui d'un regard noir. Hermione ne comprenait toujours pas cette hostilité qu'il avait envers lui. Il aidait juste ! Tout comme Blaise avait suggéré de l'inviter à danser. C'était... absurde !

Pansy leva les yeux au ciel et enchaîna avec un sujet de discussion plus léger pour réchauffer l'atmosphère.

Le petit-déjeuner passa rapidement et la matinée avec, ponctuée de discussions légères et de regards chargés d'animosité vers Daphné. Drago remplit parfaitement son rôle d'amoureux attentionné, allant lui chercher des douceurs pour accompagner son thé, malgré son bras infirme, pressant sa main dans la sienne ou réajustant son collier. Elle, lui souriait de toutes ses dents et riait à ses blagues. De l'extérieur, ils devaient paraître comme le couple parfait, solaire à tous points de vue, pleins de vie et de fraîcheur.

Ça ressemblait un peu à ce qu'ils pouvaient être «avant». Avant qu'elle ne se sente obligée de tout foutre en l'air. Elle aurait aimé apprécier cette dernière journée avec lui, mais elle en était incapable. Tout ce qu'il pouvait faire ou dire de chaleureux ne la réchauffait pas. Une flamme froide. Car elle devinait la colère et la tristesse derrière chacune de ses tendresses, comme un feu couvant sous la cendre. Sa retenue et sa rudesse, plus tôt dans la matinée avaient été assez explicites. Pourtant, il le supportait vaillamment. Lorsqu'il lui prenait la main ou passait son bras dans son dos, elle croyait l'entendre hurler de rage et de douleur. Et elle restait là à sourire, sourde à ses sanglots intérieurs. Parfois, l'envie de le rassurer, de le réconforter la prenait : «Allez, encore une petite journée, c'est bientôt fini, tu t'es bien battu, c'est bien, tu as été courageux.»

Peut-être qu'elle lui dirait, demain, qu'il faisait partie des hommes les plus courageux qu'elle connaisse.

000

Après le repas, il était d'usage que les hommes s'isolent dans les fumoirs pour jouer de leur côté. Alors, Blaise, Théodore et Drago se levèrent, peu motivés à l'idée d'écouter de vieux pédants leur faire la morale et regretter l'ancien temps en fumant cigares sur cigares.

-On va encore sentir comme Rodolphus Lestrange, se plaignit Drago en s'éloignant, tandis que les autres pouffaient.

Les femmes, elles, restaient dans la grande pièce à vivre. Certaines, dont Astoria et Daphné se mirent au piano, d'autres s'organisèrent autour de tables de jeu. Alors qu'Hermione bavardait avec Pansy, leur attention fut accaparée par une vieille rombière qui, plus loin, s'extasiait à voix haute devant les mérites de Daphné et Astoria pendant dix minutes. En effet, elles savaient toutes deux danser, chanter, jouer du piano et dessiner à la perfection... Et savaient parfaitement s'occuper des enfants !

C'était donc ça, ce qu'on attendait d'elles... Hermione n'avait strictement aucun de ces talents mais, étonnamment, cela ne l'intimida pas. Ça aurait pu, mais en cette matinée du trente décembre 1999, c'était une chose qui ne l'atteignait plus. Elle ne savait pas jouer du piano, elle ne savait pas dessiner, elle ne savait pas danser, elle ne savait pas chanter. Elle ne le saurait sans doute jamais et elle s'en fichait. Et elle n'aurait jamais d'enfant.

Et plus encore que sa recherche de l'estime, c'était la notion même du respect le plus élémentaire de la part de ces femmes futiles qui acceptaient leur sort de soumission, de ces hommes vils qui tremblaient pour leur pouvoir si fragile qui l'indifférait. Même, elle se remerciait d'être différente et d'être si éloignée de leurs canons. Ainsi, pour la première fois de sa vie peut-être, elle arrivait à se détacher de l'avis d'autres personnes. Se détacher au point de ne pas être affectée par les remarques ou les regards.

C'était peut-être que Drago, en la quittant, la libérait de ce poids, de cette nécessité. Elle n'aurait plus à jouer quelqu'un qu'elle n'était pas. Elle ne verrait plus dans leurs yeux son reflet, si éloigné de celui d'une Mme Malfoy. Enfin, elle n'était plus une intruse : désormais, elle n'était plus qu'une étrangère.

La femme fut interrompue dans son monologue par une de ses amies pour qu'elle complète le nombre de joueur à l'une des tables de whist.

-Elle a oublié de dire qu'elles savent faire les potiches comme personne... Mais qui voudrait d'un portemanteau aussi laid que Daphné Greengrass ?

-Tu es de mauvaise foi, Pansy, sourit Hermione.

-Oui, c'est vrai qu'elle n'est pas si grande... Un guerridon alors ?

Hermione ne put s'empêcher de pouffer, honteusement, de la méchanceté de la Serpentard. Pansy avait mûri... A un point inespéré, lorsqu'on considérait son état d'esprit à Poudlard jusqu'en sixième année... Sauf lorsqu'il s'agissait de Daphné, visiblement.

Hermione n'aimait pas cette partie d'elle-même qui se délectait des moqueries des autres... Même s'il s'agissait de rire de ceux qui la dédaignaient. Elle avait l'impression alors de s'abaisser à leur niveau.

Et puis... elle supposait, que tous, derrière leurs masques, devaient avoir leur lots de blessures : il n'était pas nécessaire d'en rajouter avec de la méchanceté... Surtout qu'elle était convaincue que la bienveillance était une valeur nécessaire pour la bonne marche de la société... Mais ce n'était pas le jour pour les flagellations mentales.

-Miss Parkinson, l'appela l'objet de ses moqueries avec un ton mielleux, vous nous ferez bien l'honneur de nous jouer quelques morceaux de piano.

-Mais très certainement, rétorqua celle-ci en lui lançant un regard féroce.

Elle reprit à voix basse pour n'être entendu que d'Hermione.

-Elle me demande ça parce qu'elle sait que l'hiver dernier j'étais moins bonne qu'elle.

-Le juste retour de bâton, Pansy, rit la Gryffondor.

-Elle va voir ce qu'elle va voir : j'ai révisé toute la semaine.

Et sur ces mots, elle se dirigea vers l'instrument d'une démarche décidée.

Hermione se retrouva donc seule. Elle n'osa s'approcher de l'instrument, de peur de devoir avouer qu'elle ne savait pas en jouer. Ne plus se flageller de son ignorance était une chose, l'avouer à toute une assemblée en était une autre. D'ailleurs, elle ne savait pas plus jouer aux whist qu'au bridge. Mais il était hors de question qu'elle reste en plan. Elle se rapprocha de la bibliothèque pour lire la couverture des volumes et se saisit d'un qu'elle avait déjà lu. C'était l'avantage d'avoir écumé une bonne partie de la réserve de Poudlard. Ainsi, elle allait pouvoir discrètement étudier ce qu'il se passait dans la salle.

Elle sentait parfois les regards curieux ou moqueurs passer sur elle et bien qu'elle soit déterminée à ne pas se laisser blesser, elle fut bien obligée de constater que se sentir observer usait ses nerfs. Ses pensées vagabondèrent vers Drago. Est-ce qu'il était tout absorbé à ses manœuvres financières ? Ou est-ce qu'il pensait quand-même un peu à elle ? Et s'il pensait à elle, la colère et la tristesse étaient-ils les seuls sentiments qui entouraient son image ? Est-ce qu'il réfléchissait à comment la quitter, tout comme elle l'avait fait pour lui ?

000

J'essayais de faire taire en vain ce maudit espoir que ce moment dans ma chambre avait fait naître. Je m'étais cru inébranlable dans mon choix de rompre et il avait fallu dix minutes tendres avec elle pour tout ébranler. C'est juste que... cet espoir, esprit malin, me chuchotait que cette fois-ci, c'était elle qui était venue me chercher et qu'elle avait passé sa matinée non seulement à accepter mes avances, mais aussi à demander mon attention. Ce n'était pas qu'elle s'était simplement laissée faire, ce n'était pas qu'elle s'était laissée bêtement submergée par une quelconque émotion. Non ! Elle était venue à moi, elle m'avait touché, elle m'avait retenu ! Et cela n'était pas arrivé depuis tellement longtemps !

Il avait fallu, pour cela, que je la repousse à mon tour. Est-ce que cela avait agi comme un électrochoc chez elle ? Je priais de toute mes forces pour que cela soit le cas.

Stop. Il fallait que je me tempère. Il fallait que j'arrête d'espérer quoi que ce soit. Ce soir. Ce soir, j'allais oser tromper et la mort et Thalia et la rejoindre dans sa chambre. Ce soir, il fallait que nous ayons une discussion car je n'en pouvais plus. J'en étais presque à regretter les sombres certitudes qui m'avaient assailli au réveil. Peut-être qu'il n'y avait rien de pire que l'espoir, chose gluante, qui s'immisce et s'incruste à tous les pores de la peau et qui renaît plus vite qu'il ne meurt. Chose rampante, immortelle. Tardigrade, champignon, moisissure.

Ne pas trop s'ouvrir. Ne pas trop s'investir. Se méfier.

Lui parler, enfin. C'était sans doute la chose la plus sensée à faire et peut-être aurais-je du commencer par ça.

Qu'importe. Ce soir, j'étais fixé.

000

L'après-midi s'étirait avec une lenteur atroce et Pansy se sentait terriblement coupable. Elle pensait jouer un ou deux morceaux de piano pour remettre la Greengrass à sa place puis revenir à Hermione... Mais désormais elle était incapable de la rejoindre, accaparée par une foule de femmes mariées, qui s'empressaient autour d'elle pour lui prodiguer des conseils et lui poser des questions dont elles n'écoutaient pas les réponses. Elle, coincée, ne pouvait que jeter à la Gryffondor des regards désolés.

La Serpentard n'avait pas eu le temps de revoir Drago seul à seule depuis qu'il lui avait confié qu'il craignait qu'Hermione ne le quitte et elle n'arrivait pas à déterminer l'état de la situation actuelle. Cela la préoccupait. En apparence, le couple semblait plus amoureux que jamais, mais hélas, Pansy savait pertinemment que cela ne voulait rien dire et que Drago était un dissimulateur hors pair quand il le souhaitait. La Gryffondor, elle, n'agissait pas avec la froideur que leur avait décrite le blond... Mais il en allait peut-être tout autrement lorsqu'ils n'étaient que tous les deux... Pansy avait une sorte d'intuition qui lui faisait dire que rien n'était réglé... et le fait que Drago assassine du regard Théodore semblait le confirmer...

Elle s'était promis d'en toucher deux mots à Hermione... Hélas, alors qu'elle allait proposer à la Gryffondor de s'enfuir avec elle afin d'aller s'habiller pour la réception du soir, elle sentit qu'on la prenait par le bras. Sa mère.

-Oh, ma petite fille, laisse-moi te préparer pour ce soir...

Et quand Béatrice parlait ainsi à sa fille, cette dernière n'avait jamais le cœur de refuser. N'ayant qu'une fille unique, celle-ci ne s'était jamais faite à son départ de la maison et voulait profiter de tous les instant que Merlin lui permettait de passer avec son enfant.

Bon. Parler à Hermione, elle pourrait bien le faire pendant la soirée...

000

Elle avait acheté une robe vert sapin, la couleur préférée du Serpentard. Elle s'était maquillée, coiffée de la seule manière qu'elle maîtrisait : Chignon strict et haut, prune sur les yeux, cerise sur sa bouche. Ça ferait l'affaire. De toute façon, quoi qu'elle fasse, ce ne serait jamais assez bien pour eux, alors pourquoi se fatiguer ?

Et elle mettrait les bijoux qu'il lui avait offert.

Sa mère exécrait les bijoux, prétextant que c'était une laisse que l'on mettait aux cous des femmes. Cette laisse-là, elle, elle en voulait bien.

Lui, blessé et en colère, finirait sans doute par l'oublier mais elle, experte pour garder en mémoire tout ce qui pouvait la faire souffrir, continuerait à l'aimer longtemps. Alors, à défaut de le crier jusqu'à en faire éclater ses poumons, elle marquerait l'appartenance de son cœur. Elle serait le porte étendard de leur amour avorté. Le mausolée vivant.

Ses couleurs, ses armoiries, son drapeau.

Dix minutes avant que ne commence le dîner, on frappa à sa porte et Drago apparut dans l'encadrement lorsqu'elle lui ouvrit. Il avait son éternel costume noir qu'il ressortait à toutes les occasions où elle l'avait vu habillé de la sorte, sa cravate et son mouchoir du même vert sombre que sa robe.

Lorsqu'il la contempla, il ne put retenir un sourire appréciateur. Il voulut parler mais se ravisa.

-Tu... ça va ? Finit-il par demander.

-Ça va, sourit-elle.

Les yeux fixant sa bouche, il semblait vouloir l'embrasser mais bien-sûr, il se restreignait. Face cette distance, Hermione n'osa pas forcer un passage comme elle l'avait fait ce matin. Elle aurait tant aimé un geste de sa part ! ... Et chaque geste qu'il faisait réveillait son espoir... en vain. Stupide chose que l'espoir.

Il allait vraiment la quitter. Il l'aimait. Il la désirait. Mais il allait vraiment le faire. Elle l'avait usé.

Hermione repoussa au loin toutes pensées susceptibles de faire couler ses larmes. C'était bien. C'est ce qu'elle avait voulu... Alors qu'elle y trouve du réconfort ! Il sera plus heureux loin d'elle.

-On y va ? Chuchota-t-il en lui proposant son bras.

Elle acquiesça en silence en sentant son cœur se faire moudre par une meule qui pèserait plusieurs tonnes.

Lorsqu'ils arrivèrent dans la salle de réception encore vide de tous convives, Hermione eut le souffle coupé par la beauté des lieux. Une multitude de chandelles flottaient dans les airs parmi des nuages de fleurs pastelles. Des pivoines, des roses et des hortensias. Il retrouvèrent les trois autres Serpentards, déjà en train de lire les marque-places. Blaise avait sorti le grand jeu et avait un costume bordeaux, du même tissu que la robe de sa promise. C'était peut-être un peu extravagant mais rien n'était trop beau pour s'accorder avec Pansy. Théodore, quant à lui, n'avait pas fait plus original que Drago, à ceci près qu'il avait sa cravate et son mouchoir jaune champagne. Ils étaient tous les quatre très beaux et si Marcus Flint n'existait pas, on aurait pu parier qu'avoir une certaine... plastique... était une qualité requise pour entrer à Serpentard.

Cependant, l'émerveillement ne dura pas.

-Je ne comprends pas... remarqua Drago pensif, alors qu'Hermione lui tenait toujours le bras.

-Qu'y a-t-il ?

-Je ne vois pas ton nom.

Et des yeux, il parcourait sans relâche les marques places en parchemins posés sur les assiettes en fine porcelaine. A côté de lui devraient se trouver Astoria et une obscure Euryale Prewett. En face, Daphné et Polonius, le fiancé de cette dernière. Evidemment. Evidemment !

-Elle est là, fit remarquer Théodore à l'autre bout de la table. A côté de moi.

Drago ferma les yeux., luttant visiblement pour ne pas faire d'esclandre.

-On peut demander à changer les places, proposa Hermione pleine d'espoir. Euryale... Prewett, par exemple.

-Elle est à côté de son mari, on ne peut pas les séparer. Expliqua son cavalier doucement. Où alors il faudrait changer tout le plan. Sans être mariés, on ne peut prétendre à rien.

Dans sa voix, pas de colère, pas de reproche. Juste de la tristesse. Sur ces mots, la fameuse Euryale et son mari arriva.

-Excusez-moi, il me semble que c'est ma place, sourit-elle.

Et Hermione se décala vivement, comme si elle avait été en faute.

-On se retrouve plus tard ? Demanda Drago en embrassant sa main. Ça ne change rien.

Il la regardait avec intensité, comme s'il cherchait à sonder ce qu'elle pouvait penser.

-D'accord, chuchota-t-elle avec un petit sourire dont elle n'arriva pas à chasser la teinte triste.

Et docilement, elle prit place à côté de Théodore qui l'accueillit avec un air bienveillant. Drago mit un point d'honneur à ne pas la regarder s'éloigner et s'installer à côté du brun. Hermione devinait que ce n'était pas pour l'ignorer volontairement. C'était juste que ça devait être trop dur.

Hermione ne savait pas vraiment quoi faire de cette jalousie. Il était vrai qu'elle s'était bien rapprochée de Théodore, surtout depuis son entrée dans le monde de la noblesse. Mais ç'avait été la force des choses ! Il avait été là quand elle avait eu besoin de quelqu'un et désormais, elle savait qu'elle considérait celui-ci comme un ami proche sur lequel elle pouvait s'appuyer sans crainte.

000

Je refusais catégoriquement toute discussion avec mes voisins de table. Pourtant leurs efforts pour m'inclure étaient constants. A croire que je devais être le centre de leur attention... Et c'était peut-être le cas. Aussi je ne répondais que le minimum exigé par la politesse et ne relançais jamais. A manger maladroitement de la main gauche, je pouvais bien leur faire mauvaise impression : je m'en fichais éperdument.

Je ne savais pas qui m'horripilait le plus dans cette compagnie : Polonius, un Sang-Pur originaire d'Allemagne qui avait été à Durmstrang et qui n'avait pas une once d'humour ? Être avec lui et ce crétin de Siegfried en dortoir, ça devait vraiment être le feu. Il respirait l'autoritarisme arbitraire engrainé par un esprit borné et sans fantaisie. En trois mots : chiant à mourir.

A moins que ce ne soit Daphné, si gorgée de poison et de méchanceté que l'embrasser devait avoir un goût de ciguë. Manipulatrice, elle réussirait sans mal à détourner la rigidité abrutie de son futur mari pour le modeler à sa guise. En matière de perfidie, elle n'avait rien à envier à sa mère. A Poudlard, elle était la première à déverser son venin sur quiconque n'était pas à Serpentard, Hermione en tête de liste, le tout en me regardant avec un sourire mielleux. A l'époque, je croyais qu'elle cherchait simplement ma complicité et je la lui accordais avec largesse pour étouffer tout ce qui pouvait hurler en moi... Aujourd'hui, je me demande si en réalité il ne s'agissait pas de provocations. Heureusement, depuis la victoire du trio de Potter, elle avait arrêté ses plaisanteries et je n'avais pas eu envie de creuser ses véritables intentions.

Et puis Astoria... Pas méchante... ni vraiment bête... Timide au point de l'oublier dans un coin. Aucune répartie, aucun répondant... transparente. Ce n'est même pas que je la détestais... mais son manque de vitalité me mettait dans une telle colère que c'était comme si je me sentais obligé de ressentir à sa place ce qui aurait dû brûler en elle. Je ne lui en voulais pas : plus jeune, cette soumission, j'en avais aussi été prisonnier et sans la guerre et ses horreurs, sans Hermione, peut-être aurais-je continué à en faire les frais... J'avais peut-être de la chance que l'ont m'ait fiancé à Astoria plutôt qu'à Daphné. Elle serait plus malléable, j'allais pouvoir lui faire entendre raison.

Je risquais un coup d'œil vers Hermione. Elle était en grande conversation avec Nott... ou plutôt «Théodore», comme elle l'appelait. Ils avaient l'air bien ensemble. Je devinais qu'elle n'avait pas été placée à côté de lui pour rien. Thalia avait du percevoir ma jalousie. Je ne devais pas rentrer dans son jeu. Hélas, c'était plus fort que moi : ce sentiment me consumais de l'intérieur. C'était un savant mélange de colère envers lui, car il me semblait trop intéressé par elle pour être honnête, et de culpabilité car je n'excluais pas la possibilité de me faire des idées. Il était mon meilleur ami ! Et puis... sa rupture avec Abigail était encore fraîche... Il avait sans doute besoin de soutien et Hermione était quelqu'un qui savait écouter et conseiller. Ce devait être ça.

Le repas se termina enfin, et je croyais pouvoir me soustraire rapidement à leur compagnie pour rejoindre Hermione mais, alors que les elfes de maison s'occupaient de pousser les tables pour dégager une piste de danse, Thalia me saisit par le bras.

-Drago, tu accorderas bien les deux premières danses à Astoria ? A moins que tu ne sois engagé ailleurs...

Elle devait se douter que non. Hermione ne savait pas danser et Pansy étant fiancée, elle avait dû parier sur le fait que Blaise l'inviterait. J'avais voulu apprendre à Hermione... Mais sa froideur m'en avait tout à fait découragé.

J'avais prié très fort que ces premières danses n'aient pas lieu. C'allait être humiliant pour Hermione. Je le savais. Déjà, je sentais fondre sur moi la honte qu'elle allait ressentir, comme si c'était moi qui avait été laissé pour compte par mon compagnon. Je ne savais pas ce qui était le mieux alors. Rester assise avec Théodore et assister à cette mascarade ? Quitter la soirée ? J'avais voulu me rapprocher du groupe des Serpentards, avec l'espoir de témoigner publiquement mon affection à Hermione pour adoucir ce qui allait suivre mais déjà Thalia me collait Astoria au bras. Malédiction.

De nombreux couples, Blaise et Pansy compris, étaient déjà sur la piste de danse et l'orchestre s'apprêtait à jouer. Je croisais le regard de Pansy qui fit mine de lever les yeux au ciel pour manifester son exaspération face à ma situation et j'esquissais un sourire de connivence.

A mon bras, Astoria était muette. Je me tournais vers elle pour prendre sa main et poser ma main sur sa taille, me composant un visage malgré la douleur, attendant le début de la musique. Je n'osais pas baisser les yeux vers elle et je la devinais les yeux rivés sur ses chaussures. Nous étions ridicules. Sa mère nous rendait ridicule. Je devinais qu'il n'y aurait pas qu'Hermione qui serait moquée lors de cette soirée. Thalia ne se rendait pas compte du tort qu'elle faisait à sa fille et à sa réputation. Dans le monde cruel de l'aristocratie, qui voudrait s'intéresser à une jeune fille délaissée par un autre homme ? Privée d'une succession avantageuse par le droit d'aînesse de Daphné, timide et sans cesse embarrassée par un rôle à jouer trop grand pour elle.

Enfin, le son des violons retentit. Allez, dans un quart d'heure, ce serait fini. Notre mouvement était fluide : elle avait bien appris sa leçon et dansait à la perfection. Si j'appréciais danser et me donner en spectacle, j'aurais peut-être aimé ce moment.

Je pris mon courage à deux mains. J'avais l'occasion de parler seul à seule avec elle, sans Daphné ou Thalia pour nous chaperonner : c'était le moment.

-Astoria... commençais-je incertain.

Elle releva ses yeux vers moi, surprise. Ses yeux étaient d'un bleu argenté, ronds comme des billes et sur lequel se reflétaient les innombrables chandelles qui flottaient dans l'air. Je ne savais pas comment aborder le sujet et j'optais pour mettre les pieds dans le plats : A défaut de me faire délicat, j'aurais au moins été efficace.

-Écoute... Tu sais... Jamais nous ne nous marierons, osais-je dire de la voix la plus douce possible.

-Mère dit que si !

-Non... Ce ne serait bon pour personne. Ni pour toi, ni pour...

-Si, puisque je t'aime !

Je sursautai presque : je ne m'attendais pas un aveu aussi franc de sa part. Elle était sensée être timide !

-Tu ne m'aimes pas vraiment, Astoria. Tu crois m'aimer mais... on ne se connait pas.

-Moi je te connais ! Tu es né le 5 juin 1980, tu es allé à la maison Serpentard, ta baguette est en aubépine et crin de licorne, ta famille...

-Astoria... interrompis-je sèchement en me raidissant.

Je ne voulais pas savoir ce qu'elle pensait savoir de ma mère et de mon père.

-...Ce n'est pas connaître quelqu'un, ça.

-Si, répondit-elle, butée, en souriant naïvement. C'est mère qui m'a fait apprendre tout ça.

Elle n'avait aucun recul. Je relevais les yeux, exaspéré, et parcourais la salle des yeux , comme pour chercher l'inspiration. Nous étions dans une impasse. Je relevais la tête

Blaise et Pansy nous regardaient à tour de rôle selon leurs mouvements en chuchotant. Blaise me fit un clin d'œil entendu et j'escomptais qu'il me débarrasse de ma cavalière lors de la prochaine danse.

A sa table, Millicent Bullstrode s'amusait seule à ensorceler des petits personnages en fil de fer provenant du muselet des bouteilles de champagne. La pauvre. Si je n'avais pas été si pressé de retrouver Hermione, je l'aurais peut-être invitée.

Plus loin, Hermione continuait de parler avec Nott comme s'ils étaient seuls au monde. Soudain ils se levèrent et prirent la direction du couloir. Mais où, par Merlin, pouvaient-ils aller ? Quitter la salle alors que j'étais en train de danser, pour Hermione, c'était un aveu de faiblesse.

-Quelque chose ne va pas ?

-Tout va bien, mentis-je à Astoria avec mon plus beau sourire.

Je ne pensais pas que mon désir de voir la fin de la danse arriver pouvait encore monter d'un cran. La jalousie avait fait son grand retour. Pourquoi étaient-ils partis ? A quoi jouait-il ? Partir ensemble ainsi... c'était aussi me déshonorer. Qu'allaient penser les gens ? Dans ces moment, vraiment, je le haïssais. Et je me haïssais de le haïr. Je reportai mon attention sur la jeune fille que j'avais entre les bras. Quitte à passer un mauvais moment, autant l'optimiser. Je repartis à la charge :

-Mais moi Astoria, je ne t'aime pas : j'aime Hermione.

-Ce n'est pas grave, sourit-elle : Mère dit que l'affection vient souvent après le mariage.

-Ça peut peut-être arriver, parfois, répondis-je incertain, en pensant à mes parents, mais pour moi... ce ne sera pas le cas. J'aime quelqu'un d'autre, Astoria. Tu ne peux pas vouloir passer ta vie avec quelqu'un qui ne t'aime pas.

-Je m'occuperai si bien de toi que tu finiras bien par m'aimer ! Je ferai tout pour te faire plaisir ! Tu n'auras qu'à me le dire !

Je frissonnais devant tant de soumission. Élevée, entraînée, conditionnée à souffrir.

-Non, je te respecte trop pour t'imposer ça.

Elle leva des yeux surpris vers moi.

-Tu me respectes ? sourit-elle avec un air peu convaincu.

C'était comme si je venais de dire quelque chose d'incongru, comme si elle ne percevait pas la portée de ce que je pouvais dire. J'avais l'impression de lui faire un présent dont elle ne percevait pas la valeur. Qu'allait-elle donc pouvoir faire de tout ce respect ? Je reformulai :

-Tu mérites mieux que quelqu'un qui en aime une autre. Tu mérites d'épouser quelqu'un qui t'aimera pour qui tu es... et pas quelqu'un qu'on te dit d'aimer depuis ta naissance.

Elle pouffa :

-On en me dit pas de t'aimer depuis ma naissance... On me parle de toi depuis mes huit ans, si me souviens bien.

Je me retins de lever les yeux au ciel : ce n'était pas le problème ! Elle ne comprenait pas... La sombre rage du découragement me submergea. Ce n'était pas possible d'être aussi servile ! Jamais je n'allais y arriver. Sa mère avait si bien bourré son petit crâne que la faire changer d'avis était désormais pour moi une piste stérile. Mes échappatoires s'amenuisaient à vue d'œil. Fort heureusement pour moi, la musique s'arrêta et Blaise se jeta sur nous pour me ravir ma cavalière. J'acceptais avec joie sans laisser Astoria protester. Elle voulait me plaire et faire tout ce que je désirais ? Eh bien qu'elle commence par me lâcher la grappe.

Je bouillonnais intérieurement : décidément, rien ne me facilitait la tâche, entre Astoria, qui se faisait plus bornée qu'un troll, Nott et Hermione qui semblaient avoir perdu tout bon sens et cette douleur qui irradiait désormais tout mon bras droit et mon épaule qui me rendait plus irritable que je ne pouvais l'être habituellement. J'allais devoir m'accorder du repos demain. J'invitais Pansy pour ne pas la laisser en plan pendant que Blaise jouait à la nourrice.

Si tôt la valse terminée, je me précipitais dans la chambre d'Hermione pour avoir enfin cette fameuse discussion avec elle, le cœur au bord des lèvres.

000

Comme prévu, il s'était fait alpaguer par Thalia Greengrass qui lui avait collé sa fille pour au moins la première danse. Lui, dansant avec élégance et fluidité en souriant à sa cavalière, il sembla à Hermione que jamais ils n'avaient été aussi éloignés. Elle avait l'impression de voir son «lui» du futur, défait de ses liens avec elle, construisant une autre vie, avec qui il voulait. Loin d'elle, libéré de son amour et de son souvenir. Comme si elle n'existait pas. Elle n'existait plus. Elle voulait son bonheur, mais elle ne voulait pas en être témoin. Elle ne voulait pas savoir. Ignorer à quel point la prochaine saurait le rendre heureux.

Si elle avait su danser... si elle avait su s'engager, si elle avait sut dire «oui» lorsqu'il l'avait demandée en mariage, si elle avait su s'imaginer avec des enfants de lui, si elle su lui dire «je t'aime»... Elle n'en serait pas là, à sentir les larmes lui monter aux yeux pour la énième fois de la journée.

-Ne restons pas là. Ça ne sert à rien.

Elle releva les yeux vers Théodore. Il la regardait avec un léger sourire encourageant.

-Viens, insista-t-il.

-Mais que vont penser...

-Ente ton bien-être et ce que les autres pensent, le choix est vite fait, trancha-t-il. Ça n'apporte rien. Allons, viens. A part des gens qui dansent, il ne se passera rien ici. Tu ne perds rien ! Et puis... cette mine triste... ça leur fait trop plaisir. Alors, à la place, tu vas prendre une douche bien chaude, puis tu te mettras au lit avec un coussin bien moelleux derrière ton dos et tu liras un bon livre, un de ceux que tu n'as le temps de lire qu'en vacances. Je suis sûr que tu peux même demander une tasse de thé à la cuisine... Ça fait rêver, non ? Sourit-il.

Il avait sans doute raison. Elle acquiesça d'un signe de tête. Alors, il se leva et lui présenta son bras et elle le suivit. Elle retint ses larmes comme elle put le long du trajet mais alors qu'ils arrivaient dans le couloir où se trouvaient leur chambres, elle fondit en larme. Incapable de bouger, c'était une explosion. Un effondrement. Elle cacha ses yeux dans une de ses mains. Soudain, on la saisit par le poignet et on l'entraîna au pas de course dans sa chambre et on ferma la porte brusquement.

-Pardon, mais on ne devait pas te voir... comme ça, chuchota-t-on d'un air désolé à quelques centimètre d'elle.

Cet être aussi près d'elle dégageait la chaleur humaine dont elle avait besoin. Alors, elle se blottit contre lui, enfouissant son visage dans sa veste. La peine qui écrasait ses poumons l'empêchait de se calmer.

-Allons... continua-t-on d'une voix hésitante pour la réconforter, tu sais bien que tout ça, ça ne veut rien à dire...

Un temps de flottement puis, enfin, deux bras qu'on referme sur elle. C'était exactement ce dont elle avait besoin. Cette sensation de présence autour d'elle, qui la faisait se sentir dans une sorte de cocon qui la protégerait de tout et n'importe quoi. Cela faisait si longtemps qu'on ne l'avait pas prise ainsi ! Et c'était elle qui l'avait voulu !

Ils restèrent longtemps ainsi et, lorsqu'elle n'eut plus rien à pleurer, ses sanglots s'apaisèrent. Sa respiration devint régulière.

Elle releva la tête vers cette personne qui aurait pu être Drago, dans une autre vie, une autre réalité. Il la regardait avec des yeux agrandis, comme effarés par leur proximité. Elle s'était figée à son tour, incapable de réfléchir et de comprendre ce qui pouvait se passer. Elle pouvait entendre son cœur battre à une vitesse folle. Au moins aussi vite que le sien. Ils se regardèrent en chien de faïence un temps qui parut durer une éternité à Hermione.

Puis, sans savoir qui avait fait le premier pas, qui s'était rapproché en premier, qui avait fermé les yeux avant l'autre, elle sentit leurs lèvres se presser l'une contre l'autre. Instinctivement, elle passa ses mains dans ses cheveux qu'elle imaginait blonds, caressant son visage pâle. Il la rapprocha encore de lui, une main dans le creux de son dos, l'autre, pressait sa nuque pour approfondir leur étreinte. Elle soupira d'aise de sentir se décharger toute sa frustration accumulée lors de ce dernier mois. Leur baiser avait gagné en intensité et la main de ce Drago parallèle abandonna son cou pour parcourir avec avidité son dos. Puis, surgie de nulle part, cette main saisit la pince qui retenait ses cheveux en ce chignon ridicule, l'ouvrit et immédiatement sa crinière tomba en cascade sur ses épaules. Puis, laissant tomber l'objet, la main caressa sa joue et poursuivit sa course dans sa chevelure pour s'y noyer, saisir ses boucles par poignée, pressant de nouveau sa tête contre la sienne.

Une porte qu'on ouvre. Ils se figèrent, elle n'y avait pas prêté attention mais il lui semblait bien avoir entendu frapper deux fois un peu plus tôt. Un bref silence stupéfait.

-La petite copine avec le meilleur ami, on a fait plus original, railla-t-on dans son dos.

Retrouvant ses moyens, elle se retourna vivement.

-Drago...

Il pouffa, le dégoût prenant le pas ponctuellement sur sa rage bouillonnante. Il pointa un index rageur contre eux.

-Ne...

Il ne put terminer sa phrase. Il ferma les yeux à s'en souder les paupières, en proie à une douleur fulgurante, pinçant ses lèvres pour contenir un flot de paroles assassines ou de sanglots. Hermione ne saurait jamais. Enfin, il reprit contenance pour la regarder, son regard lançant des éclairs, réactualisant le pointement de son index contre elle :

-Ne...t'avise plus... plus jamais... de me parler.

-Drago... essaya à son tour Théodore.

-Tu t'imagines avoir plus de droits qu'elle ? Coupa sèchement le blond.

Et sur-ce, il les quitta. Hermione le suivit dans le couloir.

-Drago ! S'exclama-t-elle.

Il se retourna vivement et reprit d'une voix autoritaire qui la fit se sentir comme une petite fille.

-Arrête. S'il te reste un fond de respect pour moi, tu ne feras pas de scandale. Tu retournes dans ta chambre, tu y fais bien ce que tu veux. Demain, je viendrai te chercher à huit heures. Nous irons petit déjeuner comme d'habitude, comme s'il ne s'était rien passé. Puis, à huit heures trente nous transplanerons jusqu'au manoir. Je partirai aussitôt à l'hôpital pour ma garde et tu auras vingt-quatre heures pour prendre tes affaires et partir. Est-ce que c'est clair ?

-Ecoute-moi...

-Est-ce que c'est clair ?

-Drago... supplia-t-elle.

-Est-ce que. C'est. Clair ? Articula-t-il dans une diction parfaite.

Son regard froid aurait pu la transformer en pierre.

-Oui, chuchota-t-elle, baissant les yeux, se mordant la lèvre pour ne pas éclater en sanglot.

Demain, au manoir, elle essaierait de lui parler. De lui expliquer ce qui était inexplicable. En ce moment-même, il n'était pas en capacité d'écouter. Elle ne comprenait pas son propre geste. Qu'est-ce qui lui avait pris ?! Et Théodore ? Qu'est ce qui avait pu lui passer par la tête ? C'était... inconcevable ! C'était bête ! C'était absurde.

Il lui prit le bras et la raccompagna jusqu'à sa chambre. Il ne prit même pas la peine de vérifier si Théodore y était encore ou pas.

-Huit heures demain.

Et sur ces mots, il ferma la porte sur elle.

Alors, pour la seconde fois de la soirée elle s'effondra en sanglot. Mais cette fois-ci, il n'y avait plus personne pour la réconforter. Plus de Drago, plus de Théodore. Elle était seule... tellement seule ! Dans ce territoire hostile.

La vie d'une héroïne, c'était sensé être simple. Se battre pour le bien, sauver le monde... Alors... Comment s'était-elle retrouvée à jouer la méchante ? A blesser les gens autour d'elle ? Elle se trouvait répugnante au possible. A vomir. Désormais, ce n'était plus une colère qui s'émousserait au fil de temps qui animerait Drago en pensant à elle : ce serait une haine tenace. Comment pourrait-il un jour ne plus lui en vouloir pour ça ? Impossible. Elle-même n'arriverait jamais à se pardonner. Qu'elle avait été bête ! Bête ! Jamais elle ne s'était autant méprisée qu'à ce moment-là.

Elle aurait tellement aimé confier son chagrin à quelqu'un qui la comprendrait. Qui comprendrait tout, depuis sa peur de s'engager jusqu'à ce moment de faiblesse. Sa mère. Elle, elle aurait pu l'aider. Elle avait l'habitude de lui confier tous ses chagrins lorsqu'elle était petite. Elle était toujours de bon conseil et elle avait le don de la réconforter en la prenant sur ses genoux et en caressant ses cheveux. Sa mère. Sa petite maman. Qui n'était pas là. Qui ne serait plus jamais là.

Un vertige de solitude la prit, un de ceux qui la faisaient s'écrouler dans les toilettes des filles de Poudlard en début d'année scolaire dernière. Elle l'avait souhaitée, elle était là. Pauvre idiote. Maintenant, assaillie par l'angoisse du silence et de l'absence, elle aurait tout donné pour le retrouver, lui faire comprendre qu'elle l'aimait et l'épouser, pourquoi pas ? Ses anxiétés lui paraissaient désormais tellement absurdes, insignifiantes une fois plongée dans ce tourbillon, cette tourmente du vide, aspirée par le gouffre du néant.

Soudain, une gêne à la poitrine. Un bloc de pierre posé dessus qui l'empêche de respirer. Instinctivement, elle se coucha sur le sol où elle s'était effondrée plus tôt et se recroquevilla sur elle-même, accaparée par l'idée seule de respirer. Avec l'impression de se noyer, elle multipliait les inspirations qui se révélaient de moins en moins efficaces, elle avait la sensation de se débattre pour se maintenir à flot, comme vouloir monter à une corde qui se déroule, incapable d'atteindre la plate-forme sur laquelle elle devait se hisser pour se sauver. Des larmes perlèrent au coin de ses yeux et dévalèrent ses joues alors qu'elle entendait sa respiration déchirer le silence de la chambre en râles sonores. Concentrée sur son souffle, ce dernier finit par se calmer après de longues minutes d'agonie. Elle resta un long moment couchée sur le parquet à écouter ses inspirations régulières. Enfin, elle réussit à se lever, les jambes tremblantes. Elle se prépara rapidement pour se mettre au lit en sachant pertinemment qu'elle ne trouverait pas le sommeil.