Bonjour à tous !
Aujourd'hui c'est mon anniversaire, et c'est aussi la dead-line que je m'étais mise pour la publication du premier chapitre de cette fanfic. Nous y voilà donc.
Pour la petite histoire, lorsque j'ai terminé la première publication de « I was nine », une de mes amies m'a suggéré d'écrire un (ou plusieurs) chapitres du point de vue de Clarke. « Non, ça va être trop long. » C'est ce que je lui ai répondu à l'époque. Et puis en novembre, j'ai décidé de participer à un challenge d'écriture, (le Nanowrimo pour les connaisseurs) 50'000 mots à écrire sur un mois, cela me paraissait tout indiqué pour écrire cette version.
Je confirme, c'était long, très long. De l'écrire pour commencer, puis la correction (résultat j'ai mis plus de 6 mois). Ceci dit, c'était une belle aventure. Et aujourd'hui je partage avec vous le résultat. Alors ce n'est pas parfait, loin de la, mais j'ai beaucoup appris durant ces 6 mois et je ne regrette pas d'avoir pris tout ce temps.
Je vous laisse enfin en compagnie de Clarke, qui est l'héroïne de cette histoire;) en vous souhaitant une bonne lecture. J'espère avoir vos retours sur cette version, que vous ayez lu « i was nine » ou pas.
J'avais dix ans quand je suis tombée amoureuse de Lexa. Je ne me souviens pas exactement, à quel moment j'ai pris conscience que ce que j'éprouvais était de l'amour, à cet âge-là, on ne sait pas encore précisément ce que ça signifie. C'était bien plus tard, au moment où le supplice d'être séparée de l'être aimé a rendu la chose évidente. Pas ce jour-là, dans notre petite salle de classe, l'une des deux seules du village, lorsque nos regards se sont croisés pour la toute première fois. Pourtant, aussi loin que je me souvienne, mes sentiments pour elle ont toujours été les mêmes. Ce ne sont pas eux qui ont changé, j'ai juste grandi, comprenant avec une lucidité nouvelle, ce qui avait toujours été. J'avais dix ans quand je suis tombée amoureuse pour la première, et l'unique fois de ma vie.
Nous venions de quitter le sud de la France. Papa travaillait pour l'armée, et venait d'être muté à Lyon. Maman, elle, avait été embauchée par un hôpital de Haute-Savoie, situé à un peu plus d'une heure du travail de papa. Ils n'avaient pas hésité longtemps, préférant louer une maison dans un petit village à la campagne, plutôt que de se retrouver, comme à Toulouse, dans un appartement étroit de centre-ville. C'était presque la fin de l'année scolaire, mais maman avait insisté pour que je termine les quelques semaines dans ma nouvelle école, plutôt que d'attendre la rentrée de septembre. J'ignore encore si sa motivation première était ma scolarité ou ma vie sociale, toujours est-il que son idée, qui m'avait semblée absurde sur le moment, fut l'une des rares dont je lui suis reconnaissante.
Lors de mon premier jour, j'eus droit à la présentation au tableau en bonne et due forme. Quelle idée d'infliger ça aux enfants ! L'école, sur le principe, c'est cool. Mais quelle torture quand même ! Au milieu de l'assemblée docile d'enfants, sagement assis à leurs bureaux de bois, elle fut la seule à éveiller un intérêt chez moi. Légèrement stressée, bien qu'habituée à ce genre d'exercice depuis mon plus jeune âge, je débitais l'habituel discours devant la classe sans la quitter des yeux. Concentrée sur le regard vert plongé dans le mien, j'y décelais, outre la curiosité habituelle envers une inconnue, quelque chose de plus profond qui m'intriguait. Elle m'inspirait un étrange sentiment de familiarité.
Lorsque la maîtresse m'envoya m'asseoir, je n'hésitai pas et me dirigeai vers la table voisine, afin d'avoir tout le loisir de la contempler de près. Des mèches désordonnées s'échappaient de ses cheveux tressés, son short portait des traces de terre fraiche, et un mélange de traits encore rouges et d'anciennes cicatrices ornaient ses genoux dénudés. Je tournais la tête pour dévisager les autres élèves, la plupart des filles portaient des jupes, ou robes d'été immaculées, quelques barrettes à motifs empêchant leurs cheveux de leur tomber devant les yeux. Je m'asseyais, tirant ma trousse de mon sac à dos. Ignorant la leçon dispensée par notre professeur, je m'employais presque immédiatement à reproduire au plus proche de la réalité, le vert mystérieux qui m'avait captivé au fond de ses yeux.
— Lexa Primheda ! L'interpella la maîtresse, me faisant sursauter. Elle s'agita sur son siège, je souris en pensant que j'aimais beaucoup son prénom. Lexa. Je retournai à mon dessin, surprenant au bout d'un moment un regard indiscret sur mon carnet. Peu habituée à partager mes créations, je le dissimulai de mon bras en lui souriant aimablement, pour lui faire comprendre que je ne lui en voulais pas. Prise sur le fait, elle rosit avant de se détourner vivement, fixant son attention sur tout autre chose. À ma grande déception, elle ne daigna plus s'intéresser à moi de toute la matinée.
La cloche sonna, nous libérant le temps de la récréation. Comme à mon habitude, j'emportais mon carnet et quelques crayons avec moi, persuadée de trouver un sujet digne d'intérêt. Je ne fus pas déçu en découvrant Lexa et son ami Lincoln, mes deux futurs nouveaux meilleurs amis, qui s'en donnaient à cœur joie avec un ballon de basket. Ils le lançaient dans un simple anneau dépourvu de filet, accroché à bonne hauteur sur la façade du bâtiment. Pris dans leur jeu, ils étaient loin de se douter de l'inspiration qu'ils venaient de faire naître en moi. C'est ce jour-là que je les aie dessinés la première fois. Ce fut loin d'être la dernière. Simples formes en mouvement pour commencer, j'améliorais mon style à chaque fois, pour qu'ils deviennent de plus en plus reconnaissables. À douze ans, si j'avais encore du mal avec les portraits, j'étais capable de créer une bande dessinée avec assez de détails, pour que les personnages puissent être identifiés. Ce fut le début de mon incessante obsession pour Lexa. Si j'avais dû compter le nombre de fois où j'avais tenté de reproduire sur le papier tout ce qu'elle inspirait en moi, j'en aurais été incapable.
J'étais donc assise en tailleur sur le bitume, le dos collé au mur défraîchi de l'école du village, croquant sur mon carnet les silhouettes de Lexa et Lincoln qui voltigeaient vers le panier, puis la cour, le marronnier planté au milieu, et le champ derrière. Rêvant secrètement qu'ils viennent me parler, m'entraînent sur le terrain, et m'apprennent à sauter aussi haut qu'eux. Aussi haut qu'on aurait pu, ensemble, pour tenter de décrocher la lune. Un ciel étoilé prenait forme sur le haut de ma page, quand une ombre vint m'interrompre. Je levai les yeux, sourire aux lèvres, le cœur battant la chamade.
Au prix d'un gros effort, je dissimulais ma déception en découvrant une bande de filles, gentiment venues m'inviter à jouer avec elles. Un rapide coup d'œil au fond de la cour m'apprit que mes sujets venaient d'arrêter de jouer. Je rangeais mon carnet à contrecœur, et me levais pour me joindre à mes camarades de classe.
Quand la fin de la journée arriva, ma mère vint m'attendre à la sortie. Théoriquement, je devais être capable de retrouver mon chemin, et de marcher les quinze minutes qui me séparaient de ma nouvelle maison. Mais maman a toujours été un peu surprotectrice, je crois qu'elle est venue tous les jours la première semaine. Après ça, elle a commencé son travail, et m'a laissée me débrouiller un peu seule. On avait quitté l'école depuis quelques minutes à peine, quand un mouvement attira mon attention dans les arbres de l'autre côté de la route. Je plissai les yeux pour éviter de me faire éblouir par le soleil, encore haut dans le ciel en ce mois de juin. Des planches clouées contre le tronc d'un vieux hêtre, des mouvements dans le feuillage touffu, sans aucun doute, quelqu'un était perché dans cet arbre. Quelqu'un qui portait un vêtement rouge. Lexa était la seule de la classe à porter un t-shirt rouge ce jour-là. Ce n'était pas grand-chose, mais j'appris avec le temps que mon instinct ne me trompait jamais lorsqu'il s'agissait de Lexa. À ce moment, je ne pouvais avoir aucune certitude sur l'identité de la personne dans cet arbre, et pourtant, je le savais. Ce fut le premier, d'une longue série de pressentiments, qui se sont toujours tous révélés exacts.
Ma mère capta mon attention, essayant de savoir comment s'était passée ma journée. Je me détournai et continuai mon chemin. Je ne vis pas la petite fille derrière moi sauter d'une branche pour atterrir avec souplesse sur le sol, deux yeux étonnés rivés sur nous.
La première semaine, je découvrais de loin la complicité qui existait entre Lincoln et Lexa. Ils s'assumaient de toute évidence comme les outsiders du village. De nature sociable, je répondais de manière sympathique aux élèves de ma classe, mais comprenant que l'objet de mes désirs était bien différent, je réalisais que me mêler à la masse n'aboutirait qu'à les éloigner. Tous les jours, j'attendais que Lexa, ou Lincoln viennent enfin me parler, repoussant au fil du temps les autres, par défaut. Bientôt, je ne répondais plus qu'aux quelques filles qui m'avaient abordée le premier jour, et dès que possible, je me remettais à mes dessins. Petit à petit, briques après briques, je construisais un mur de frustration autour de moi. Un mur, qu'un simple ballon de basket aurait pu réduire en poussière. Mais mon isolement involontaire ne les incitait pas plus à briser la glace.
J'ignorais que je puisse les intimider. À les voir, je présumais qu'ils ne craignaient rien ni personne. Tout aurait été si simple si j'avais simplement pris les devants, et que j'étais allée les voir. Mais à l'époque, rien ne me terrifiait plus que de me faire rejeter. À cause du travail de papa, nous avions déménagé déjà plusieurs fois depuis ma naissance aux États-Unis. Au Japon, pour commencer, puis à Toulouse, avant d'arriver ici. Partir, recommencer, j'en avais l'habitude. Ça n'avait jamais été plus facile. J'affirmerais même qu'avec le temps, c'était à chaque fois encore plus dur.
Le week-end arriva. Soulagée de ne plus me torturer l'esprit avec mon absence de vie sociale, je prévoyais d'aller découvrir le village, que je n'avais pas encore eu le loisir d'explorer. La déception fut grande, quand maman m'informa que la journée du samedi serait consacrée à l'achat de meubles, et que le dimanche midi, nous déjeunerions chez des collègues de papa. Je traînais des pieds dans l'intégralité des magasins en grommelant, affichant mon mécontentement, ce qui agaça prodigieusement ma mère. Cependant, je choisis de ne pas les laisser gâcher mes plans pour autant, et me levai le dimanche d'un pas décidé. Enfilant ma plus belle robe, pour faire honneur à mon père, je dévalai les escaliers en courant.
— On ne court pas dans les escaliers ! cria ma mère depuis la cuisine.
— Tu vas où comme ça ? s'étonna-t-elle en me découvrant tirée à quatre épingles dans ma robe blanche.
— Je vais me balader, je reviens à l'heure pour partir au brunch. Promis.
Sans lui laisser le temps de répliquer, je m'évadai, enfin, pour quelques heures.
Notre nouvelle maison se trouvait dans un hameau, sur les flancs ensoleillés d'une petite montagne. En contrebas, l'école et la mairie formaient le centre du village. Mais ici, il n'y avait que des habitations, quelques fermes, des champs, des forêts, des ruisseaux, et toutes sortes d'endroits merveilleux à découvrir. Je contemplai mes ballerines, de façon dubitative. Pas question de m'aventurer en dehors des sentiers battus dans cette tenue. J'optai donc pour un tour exhaustif des maisons. En face, comme je le savais déjà, la maison des Primheda nous surplombait. Un mur de soutènement longeait la route, et une montée en béton assez raide menait au premier niveau de la bâtisse. C'était la dernière maison du village. Je pris donc la direction opposée, et parcourus bien vite les quelques voies goudronnées qui composaient le hameau, repérant les bâtiments abandonnés, les hangars à foin, les recoins à explorer. L'heure passa vite, je contournai la ferme des Morley pour rebrousser chemin, quand ils me tombèrent dessus. Une voix de garçon, trop aiguë pour ne pas trahir son jeune âge, me surprit.
— Regarde-moi ça ! T'as pas peur de te salir Princesse ? Railla Arnaud, en donnant une bourrade à son acolyte, pointant du doigt la robe blanche immaculée qui me tombait sur les chevilles.
De tous les enfants de l'école, il fallait que je tombe sur ces deux-là. Si je ne me mêlais que peu, à mes camarades, j'évitais carrément ces deux-là. David et Arnaud passaient leur temps à faire des farces à tout le monde. Pour une raison que je ne comprends toujours pas à ce jour, ça les rendait pourtant populaires. Même s'ils avaient tout de même moins la côte chez les filles, premières victimes de leur humour parfois douteux. Je les provoquai, légèrement piquée du ton méprisant qu'il avait employé.
— Au cas où vous l'ignorez, certaines personnes sont tout à fait capables de passer deux heures dehors sans se retrouver couvertes de bouse.
Mon regard se dirigea vers le mollet nu de David qui portait quelques traces marron. Mon attitude fuyante à l'école s'apparentait à leurs yeux comme du snobisme, et ma répartie n'allait pas améliorer les choses. Ceci dit, je me contrefichais d'être appréciée par ces deux clowns, je ne m'intéressais qu'à Lexa et Lincoln.
Ils échangèrent un regard furieux qui me fit regretter instantanément mes paroles, mais je ne m'excusai pas. L'inimitié que je leur inspirait était flagrante, ils ne s'étaient pas montrés taquins, leur blague avait pour but de me blesser. Ce n'était qu'un juste retour des choses. Je jetai un œil à ma montre, et déclarai sur un ton plus confiant que ce que je ressentais réellement.
— Je dois y aller. Mes parents m'attendent.
Sans attendre de réaction, j'amorçai mon départ, immédiatement stoppée par David qui se mit en travers de mon chemin, l'air toujours aussi furibond, provoquant un tiraillement désagréable au creux de mon estomac.
— Tu te crois meilleure que nous ? C'est pas parce que tu viens de Tombouctou que t'es plus intelligente ! fulmina-t-il en levant sa main en un poing serré. Je reculais instinctivement, mais il resta campé sur ses deux pieds, au milieu de la route. Avant d'avoir eu le temps de réfléchir à ma réponse, je lâchais sur un ton condescendant.
— Je viens de Toulouse. Mais merci pour la leçon de géographie.
Je me mordais la lèvre en soutenant son regard assassin avant de tenter de le contourner, mais Arnaud apparut devant moi pour se placer à ses côtés, accentuant mon malaise. Je fis volte-face pour traverser la route, me réfugiant dans l'ancien lavoir. Le bassin en pierre inutilisé était abrité par des murs et un toit en béton hideux, qui procurait un sentiment de sécurité. Ce qui était absurde, car les deux vauriens me suivirent et m'acculèrent derrière le bassin en pierre, me coupant toute retraite. Mon cœur s'accéléra. Je plantais mes ongles dans mes paumes en serrant très fort, mes yeux balayant les visages rougis par la colère, qui me toisaient. Je crois qu'ils ne savaient pas vraiment ce qu'ils faisaient, réagissant à ma nervosité en y puisant de la force et un sentiment de puissance alors que je me ratatinais contre le mur froid et dur.
— Elle nous donne des leçons en plus ! C'est pas de Toulouse que tu viens ! T'es une chinetoque. Cracha Arnaud tout en tirant sur la peau de ses yeux, dans une tentative ridicule d'imiter des yeux bridés. Leurs propos recelaient une bêtise tellement navrante qu'il me fallut quelques secondes pour comprendre l'allusion au fait que j'ai vécu au Japon. J'avais maintenant bien trop peur d'eux pour leur montrer ma consternation. Leur conduite odieuse m'avait définitivement fait passer l'envie de leur répondre, estimant plus malin de ne pas les provoquer davantage. Je retenai les larmes qui commençaient à me piquer les yeux, et cherchai en moi le courage de passer en force entre eux, pour courir me réfugier dans les bras de mon père, quand j'entendis un raclement métallique venant de la route.
Le temps de réaliser qu'il s'agissait d'un vélo qu'on venait de négligemment laisser tomber sur le goudron, mes deux agresseurs étaient par terre, et Lexa se tenait devant moi, les poings posés sur les hanches, défiant du regard les garçons au sol. En un clignement d'œil, j'en oubliais ma situation, gravant dans ma mémoire cette image. La silhouette frêle de Lexa se découpant à contre-jour, dans une posture de superhéros, le regard fier et menaçant sur ses adversaires. J'imaginais sans mal une cape volant derrière elle, et un L gigantesque imprimé sur le devant de son t-shirt.
— Alors les gars ? Deux contre un, ce n'est pas fairplay…
Ils lui lancèrent un regard torve avant de filer sans demander leur reste. Je ne pus retenir un immense sourire alors que je contemplais mon héroïne. Pendant que Lexa s'assurait qu'ils s'éloignaient bien, je pris conscience qu'elle n'était pas seule. Lincoln me lança un regard inquiet, vérifiant que je n'avais rien.
— Ça va, merci. Lui fis-je gentiment en portant à nouveau mon attention sur Lexa. Ses yeux verts se plongèrent dans les miens l'espace d'un instant, avant qu'elle ne pique un fard et plonge son regard vers le sol. Prise d'une soudaine impulsion, je me jetais littéralement dans ses bras, trop soulagée et reconnaissante, pour penser que je faisais quelque chose de stupide. Je croisais les bras derrière sa nuque, plaquant mon corps contre le sien maladroitement. Elle vacilla, recula son pied pour ne pas basculer en arrière et garda les bras écartés, n'osant plus faire un geste. Le rire de Lincoln derrière moi me fit lâcher prise, remettant quelque espace entre nous, elle recommença à respirer. Je comprenais sa gêne, après tout, on ne s'était jamais parlé et je venais brusquement d'envahir son espace personnel. Mais elle était mon héroïne, et j'échouais à me départir de mon sourire béat. L'arrivée impromptue de mon père me sortit de mon état d'adoration. Lincoln et Lexa s'empressèrent d'aller débarrasser la route de leurs vélos pour que l'énorme 4x4 familial que conduisait mon père ne les réduise pas en bouillie. La voiture s'arrêta à notre hauteur et il ouvrit la fenêtre.
— Hey Clarke ! On t'a cherchée partout. Il est temps d'y aller, ma chérie. Bonjour les enfants ! lança-t-il à mes sauveurs, sans se douter un instant de la scène qui venait de se produire.
Avec tout ça, j'en aurais presque oublié le brunch auquel j'étais censé me rendre. Mon cœur balança entre mon père et Lexa, l'occasion dont je rêvais depuis une semaine se présentait enfin. Mais je croisais le regard de ma mère, côté passager, qui me rappela la promesse que je lui avais faite un peu plus tôt. Sans attendre, je me penchais vers Lexa pour la remercier, profitant de l'occasion pour lui déposer un rapide baiser sur la joue. J'avais déjà oublié sa gène, quelques minutes plus tôt, de toute évidence elle n'était pas aussi tactile que moi et sa peau se colora aussitôt. Le bref effleurement de mes lèvres avait été suffisant pour que je remarque l'odeur artificielle de fraise, probablement celle de son shampoing ou d'un baume à lèvre, et celle de terre mêlée au soleil, qui lui donnait un côté sauvage qui m'intrigua encore plus. Je sautai ensuite dans le 4x4, et mon père redémarra en saluant les deux enfants restés au bord de la route, que je regardais s'éloigner par le pare-brise arrière.
— Ce n'était pas la petite Primheda ? La fille de Becca ? demanda Abby d'un air suspicieux.
— Elle s'appelle Lexa. Je ne savais pas que tu connaissais sa maman ?
— On s'est croisées quelques fois au village et au supermarché. Elle est très sympa. Il faudra qu'on les invite à l'occasion.
Mon petit cœur s'emballa à l'idée d'inviter Lexa à la maison, et je pardonnai même à mes parents leur emploi du temps chargé du week-end. Cette ballade matinale était vraiment une bonne idée.
— Et le garçon ? Il est plus vieux ? ajouta mon père, un brin inquiet.
— Non. C'est Lincoln. C'est son meilleur ami, il est dans notre classe.
— Oh, il est grand. Et plutôt mignon. Termina maman de façon suggestive.
Je souris intérieurement, mais ne répondis pas. Préférant regarder par la fenêtre en laissant vagabonder mon esprit. Le laissant rejoindre Lexa et Lincoln dans leur course à vélo, imaginant les jeux qu'on pourrait inventer tous les trois.
Le lendemain, j'arrivai à l'école avec une toute nouvelle énergie. J'écoutai Isabelle et Cécile me raconter leur week-end, feignant un intérêt poli alors que je guettais l'arrivée de mes héros. Une sensation de chaleur attira mon attention, comme un rayon de soleil qui aurait percé les nuages, venant frapper le haut de mon dos. Ils étaient là, tous les deux, comme à leur habitude et Lexa me regardait avec cet air étrange, un mélange de peur et de curiosité. Je lui adressai un sourire éclatant, sans vraiment savoir à quoi m'attendre en retour. Ils m'avaient sauvée la veille, mais cela signifiait-il qu'on était amis pour autant ? Tiraillée entre l'envie d'être spéciale à leurs yeux, et celle de croire qu'ils n'auraient pas agi différemment pour quelqu'un d'autre, je rentrai dans la classe après n'avoir eu droit qu'à un vague signe qui ne m'apportait aucun indice.
Lexa avait rarement été concentrée à ce point sur le cours de français et de math que ce matin-là, mes nombreux regards interrogateurs à son attention restèrent sans réponse. Frustrée, je décidai de ne pas sortir à la récréation, m'attirant des coups d'œil curieux de mes camarades. J'aperçus du coin de l'œil Lincoln et Lexa se chamailler à voix basse avant de sortir, ce qui n'était pas dans leurs habitudes. Je haussais les épaules en m'emparant de mon carnet à dessins, profitant de ce temps calme pour terminer le croquis que j'avais commencé la veille. Il représentait deux loups, un massif au pelage foncé, enroulé au pied d'un arbre, et un plus petit, gris, avec une tache noire sur la tête, qui montait la garde. J'ajoutais quelques détails pour gagner du temps, afin de trouver le courage d'aller au bout de mon idée. La maîtresse était déjà en train de faire rentrer tout le monde. Je retournai la feuille pour y griffonner un « merci », hésitais une dernière fois, puis me levais rapidement pour fourrer la feuille dans le cartable ouvert de Lexa.
Il lui fallut deux autres jours avant d'oser venir me voir, sans doute poussée par Lincoln qui la foudroyait de ses yeux noisette depuis le début de la semaine. Elle s'avança dans la cour de récréation, se balançant d'un pied sur l'autre alors que j'attendais assise sur le goudron, à ma place habituelle. Le malaise entre nous était flagrant, mais elle se décomposait tandis que j'essayais de ne rien laisser paraître, lui adressant un sourire encourageant.
— Heu… Merci pour le dessin. Il est magnifique.
Je posais mes affaires, et me levai pour être à son niveau. C'était moi qui étais par terre, et c'est elle qui semblait intimidée. Il m'avait fallu tout ce temps pour comprendre que Lexa avait peur de moi.
— Tu dessines aussi ?
— Non, pas si j'suis pas obligée.
Un léger rire m'échappa à cette observation. Je m'interrompis devant le sourire timide qu'elle me renvoya. Ce simple sourire emplit ses yeux et son visage d'une chaleur nouvelle, je sentis mon cœur battre un peu plus vite.
— Je peux t'apprendre si tu veux. Si tu m'apprends à jouer au basket.
— C'est Lincoln qui est doué au basket. J'essaye juste de pas me faire écraser au passage.
Sa modestie me fit sourire à mon tour. Mon expertise du sport ne me permettait pas de juger de son niveau, mais elle allait vite comprendre ce que signifiait « essayer de ne pas se faire écraser ». D'un signe de tête, elle m'invita sur le terrain où je fus accueillie amicalement par Lincoln.
Au fil des jours, je me fis une raison sur mes capacités sportives, abandonnant le basket pour me consacrer à mon talent plus naturel. Si Lexa et Lincoln passaient encore le plus clair de leur temps à se mesurer l'un à l'autre, ils me rejoignaient dans les rares moments de pause pour échanger quelques timides banalités. Ils s'essayèrent à tour de rôle au dessin sous mes conseils avisés. Lincoln s'impatienta vite, envoyant promener le matériel en grommelant devant le manque de résultat, mais Lexa s'acharna plusieurs jours d'affilés sur un dessin de chat qu'elle voulait offrit à son petit frère Aden. Il était en maternelle, je ne l'avais jamais rencontré, mais en me le décrivant, je crus reconnaître un garçon blond comme les blés que j'avais déjà aperçu. Je savais que Lincoln avait une grande sœur qui allait au collège, et à la façon qu'ils avaient de parler des uns et des autres, je compris que leur amitié allait au-delà de ce dont je pouvais être témoin à l'école. Je jalousais en secret leur lien si puissant, mais me contentais tout de même d'être accepté le temps d'une récréation. Ils n'étaient pas du genre à s'ouvrir facilement, mais j'imaginais sans mal qu'ils considéraient l'amitié avec bien plus de valeur que les autres enfants de notre âge qui changeaient de meilleur ami tout les quatre matins.
Les jours s'égrenaient, la fin des cours approchant rapidement. J'appréhendais les vacances, qui couperaient les fragiles liens que j'avais réussi à tisser. Un matin, la dernière semaine avant les vacances, avant que la cloche ne sonne le début de la classe, Lexa s'approcha de moi. Elle fixait ses pieds, promenant son regard à droite et à gauche pour éviter de me regarder. Je ne compris pas tout de suite ce qu'elle marmonna, mais elle me fourra une enveloppe dans la main avant de s'éloigner. Le cœur battant, je contemplai l'invitation qu'elle venait de me donner. Son anniversaire aurait lieu juste au début des vacances. Une vague de joie me transporta un instant, juste avant que je ne réalise qu'elle s'était éloignée pour distribuer des invitations aux quinze autres élèves éparpillés sous le préau. C'était une invitation cordiale, non, décidément, je n'avais rien de spécial à ses yeux.
La déception fut de courte durée. Refusant de me laisser abattre pour si peu, je raffermis ma détermination, comptant bien profiter de l'occasion, pour lui prouver que je n'étais pas comme les autres, et gagner son amitié.
C'était en passant. Je traînais maman au magasin pour acheter de nouveaux crayons. Les miens, ayant été achetés au Japon, montraient des signes d'usures les rendant presque inutilisables. Juste devant le rayon papeterie, une haute colonne de livres attira mon attention. J'avais pourtant décidé de lui acheter un DVD pour son anniversaire, je savais même lequel du fait de l'enquête que j'avais discrètement menée auprès de Lincoln. Le 5e élément était l'un de ses films préférés. Mais ma main se refermait déjà sur le volume fin sans que je puisse résister. J'ai vaguement lu le résumé avant de demander son avis à maman. Elle ne l'avait pas lu, mais connaissait « Croc-Blanc » du même auteur. C'était un classique indémodable. Au fond, je m'en fichais, tout était dans le titre, « L'appel de la forêt ». Deux yeux verts, semblables à l'impénétrable forêt apparurent dans mon esprit. Un regard qui m'attirait depuis la première fois que je l'avais croisé, tel le chant d'une sirène. Le livre termina dans mon sac, au-dessus d'une nouvelle boite de crayon, des aquarelles, et un carnet de croquis.
Lorsque le jour de son anniversaire arriva enfin, je ne tenais plus en place, au grand dam de ma mère, et pour le plaisir de mon père qui aimait me voir surexcitée. Ayant toujours été plutôt réservée et solitaire, ça l'amusait de me voir aussi enthousiaste à l'idée de participer à une fête. J'ignore s'il avait déjà fait le rapprochement entre mon changement de comportement et une certaine petite brune, ou s'il pensait que c'était simplement une conséquence de notre déménagement. Une chose est certaine, ça n'avait pas échappé à maman.
Mon cœur battait la chamade en montant la courte côte qui conduisait à sa maison. Mes parents bavardaient joyeusement, deux pas devant moi. Prisonnier dans l'étau de mes doigts, le livre, dans son papier bleu et argent, tremblait légèrement. Parvenu devant la porte, papa s'écarta pour me laisser la place et d'un signe de tête, m'invita à sonner. Je m'obligeai à prendre une grande inspiration avant de m'exécuter, satisfaite de voir que ma main ne vacillait plus. La porte s'ouvrit quelques instants plus tard sur Lexa, qui se figea en m'apercevant. Je ne savais plus quoi faire ou dire, moi qui avais prévu tout un discours, je me retrouvais muette. Becca arriva bientôt et nos parents brisèrent le silence pesant en se saluant chaleureusement, avant de disparaître dans la maison. Il ne resta que nous, sur le pas de la porte, totalement seules pour la première fois. Luttant contre le trouble que me provoquait ce tête-à-tête, je tendis le cadeau.
— Bon anniversaire Lexa.
Ma respiration se bloqua quelques secondes, jusqu'à ce qu'un sourire timide éclaire son visage. Lexa souriait rarement, et la plupart du temps, c'était à Lincoln. Mais à chaque fois que j'avais la chance d'en être la destinataire, mon cœur se soulevait de bonheur. Son visage habituellement fermé fut illuminé par ce simple geste et j'en profitai pour l'observer plus attentivement. Ce jour-là, elle n'avait pas de tresse, mais une simple queue de cheval, et portait, comme à son habitude, un short et un débardeur coloré.
Son regard fuyant se posa avec avidité sur le cadeau qui avait changé de main. On aurait dit une enfant, le matin de Noël. Je pris mentalement note que Lexa aimait les cadeaux.
— Tu peux l'ouvrir maintenant si tu veux.
Ses yeux pétillèrent de mille étoiles et elle réduisit en miette le papier. Incapable de décrypter son expression, j'ignorais si elle avait apprécié l'attention. Ce n'est que plus tard, alors qu'elle terminait sa seconde lecture qu'elle me confia avoir beaucoup aimé l'histoire, sans pour autant être capable de m'expliquer pourquoi. Elle se contenta de me remercier poliment avant de me guider à travers la maison, pour rejoindre le jardin où se déroulait la fête. Lincoln apparut immédiatement à nos côtés et nous entraîna près d'une table recouverte de boissons et de gâteaux. Il me tendit un gobelet rempli de soda en arborant un air blasé. Mon verre à la main, je promenais mon regard sur la scène autour de moi. Qu'elle ne fut pas ma déception de découvrir un copié-collé de nos récréations. Les garçons se disputaient une balle à côté du magnolia, alors que les filles profitaient de la balançoire tout en se gavant de bonbons acidulés. Il était hors de question que je reparte d'ici comme j'étais venue, et je refusais de penser que Lexa était aussi banale que ça. Prenant mon courage à deux mains, j'en fis la remarque.
— On se croirait dans la cour de récré. Je suis sûre que vous avez une idée de comment on pourrait s'amuser ici ?
C'était une provocation ouverte. Elle échangea un regard interloqué avec Lincoln, et j'en déduisis qu'elle avait le même avis que moi sur la question. Je refusais de passer encore une journée sans connaître Lexa. Sans vraiment la connaître. Et j'étais persuadée que pour cela, il fallait sortir des sentiers battus. Je ne fus pas déçue.
Il ne fallut pas longtemps pour que nous éclipsions, avec la bénédiction de nos parents, en direction de la rivière. Je n'avais aucune idée de la distance qu'il nous faudrait parcourir, mais tant que j'étais avec eux, je n'avais aucune appréhension. Alors que nos jambes foulaient l'herbe haute du pré, je frémis d'impatience, convaincue que j'allais vivre de merveilleuses aventures à leurs côtés.
Marchant d'un bon pas, nous n'avions pas échangé un mot depuis notre départ, nous contentant d'enfourner diverses sucreries que nous avions pris le soin de subtiliser au buffet. Arrivée au bout du champ, Lexa sauta depuis le talus pour atterrir sur le goudron, se retournant pour me regarder d'un air curieux. Je me félicitais de porter un pantacourt, la jupe n'aurait certainement pas été des plus pratique pour glisser jusqu'à la route. Mon pied dérapa sur une branche morte et je sentis le poids de mon corps partir en arrière, mais une main ferme se referma sur mon poignet, m'empêchant d'arriver en bas sur les fesses. Une légère traction m'amena sur le sol dur juste à côté de la brune qui me sonda d'une manière indéchiffrable. Lincoln nous rejoint en dévalant la pente raide avec lourdeur, mais le pied sûr. Les deux amis échangèrent un regard doux qui amena presque un sourire sur les lèvres de Lexa. Je ressentis la vive morsure de la jalousie. J'aurais donné n'importe quoi pour qu'elle me regarde comme ça, qu'elle me sourie avec la même tendresse. Alors que je sentais une présence parasite au creux de mon ventre, qui grandissait à mesure que je la nourrissais de pensées désagréables, je décidai subitement de mettre un terme à mes doutes.
— Alors, vous sortez ensemble depuis quand ?
La bombe lancée, je tentai de rester de marbre. Je devais être de taille à en assumer les conséquences. Entre les étouffements de Lexa qui avalait une gorgée de jus de travers, et le mutisme choqué de Lincoln, j'eus ma réponse avant que Lexa ne retrouve assez de force pour me répondre. Ils n'étaient, n'avaient jamais été et ne seraient jamais, un couple. Un immense soulagement m'envahit, alors que je rougissais, me demandant comment ils pourraient interpréter ma question.
— Lincoln et moi, on se connaît depuis que je suis arrivée. On avait cinq ans à peine. On a passé beaucoup de temps ensemble depuis. Lui et sa grande sœur Anya, c'est un peu comme ma famille.
— J'aurais aimé avoir un frère. Ou une sœur. Vous avez de la chance.
— Tu dis ça parce que tu connais pas Anya ! lança Lincoln en riant.
— N'empêche, ça doit être sympa de ne pas être seule.
Je n'avais pas parlé dans le but de me plaindre, c'était juste une réflexion que je n'avais pas su retenir, imaginant ce qu'aurait pu être ma vie si j'avais eu la chance de grandir avec un ami. Mais quelque chose dans le ton de ma voix, leur fit échanger un autre regard furtif. Lexa me parla de son frère et de sa mère. Pas un mot sur son père qui ne semblait pas faire partie du paysage pour une quelconque raison. Lincoln m'annonça stoïquement que ses parents étaient divorcés et que lui et Anya vivaient avec leur père. Cela avait dû arriver il y a longtemps, tant le détachement était grand. À l'entendre, il ne semblait pas très proche de l'un ou de l'autre de ses parents. Tout en discutant. Nous arrivâmes sur un bout de terrain, propriété de Becca, sur lequel avait été installé un jardin potager. Mes nouveaux amis tirèrent d'un coffre dissimulé derrière le cabanon, un sac et du matériel de randonnée, dont deux couteaux qu'ils se passèrent à la ceinture. Ainsi équipé, Lincoln se dirigea vers les hauts épis de maïs qui bordaient le terrain.
— On fait la course les filles ? proposa-t-il.
Lexa m'interrogea en silence et je hochais la tête.
— Trois, deux, un partez !
Mes jambes se mirent en marche un instant plus tard, et rapidement, je vis deux silhouettes disparaître derrière les joncs verts. Les feuilles me fouettaient les mollets et les bras à découvert, échouant à me faire ralentir ma course. Si j'étais largement moins en forme que mes amis, je me pris au jeu, ivre de la liberté que je ressentais à ce moment précis. Vaguement consciente par moment de la frêle silhouette de Lexa juste un peu devant moi. D'un coup, les maïs laissaient la place à une courte étendue d'herbe et je m'arrêtai, à bout de souffle. Plié en deux, tentant de reprendre mon souffle, j'éclatai d'un rire communicatif qui n'arrangea pas l'arrivée d'oxygène dans mes poumons. Nous étions couverts de traces vertes et de griffures, mais heureux. Deux yeux verts m'examinèrent rapidement et avant que je n'aie eu le temps de réagir, Lexa s'agenouillait devant moi. Ses doigts effleurèrent mon mollet avec délicatesse. Elle posait déjà un mouchoir propre sur une blessure plus profonde dont je n'étais même pas consciente.
— Il faudra désinfecter en rentrant. Et faire attention si tu ne veux pas garder de cicatrices.
Son inquiétude me toucha, mais je ne pus m'empêcher de la taquiner. Ce n'était qu'une égratignure.
— Ma mère est médecin Lexa, j'imagine que s'il y a une solution avant l'amputation, elle trouvera.
Son teint prit une jolie couleur rosée et elle se détourna. Je me mordis la lèvre en posant une main sur son épaule en m'approchant d'elle.
— Merci, mon héroïne.
Je murmurai en lui collant une bise sur la joue qui accentua ses couleurs. Le souvenir de son intervention quelques semaines plus tôt me remplit à nouveau de gratitude. Elle s'était interposée entre moi et ses camarades de classe, et là, elle prenait soin de moi. J'étais aux anges.
Après avoir marché encore quelques minutes dans les bois, nous débouchions sur un cours d'eau que nous suivîmes sur quelques mètres pour trouver un bon emplacement. Lincoln et Lexa s'étaient mis dans la tête d'attraper des truites à la main. Je m'installai sur la berge pour soigner mes coupures, tout en les regardant s'exécuter. C'était à mon tour de leur parler de ma vie.
— Alors Clarke ? Tu nous racontes ? lança Lincoln.
— Et bien, je suis née en Amérique, mais je ne me souviens pas de ma vie là-bas, j'étais trop petite. Le Japon par contre… C'est là que j'ai la majorité de mes souvenirs. On y a emménagé quand j'avais trois ans, et je ne suis arrivée à Toulouse… Hey !
Je me baissai pour éviter le projectile gluant qui m'arrivait dessus. Lexa avait effectivement attrapé un poisson à main nue, à mon grand étonnement. Elle ricana pendant que Lincoln me rejoignait pour l'achever et le vider en quelques gestes experts. Je grimaçai de dégoût en le voyant ressortir une main ensanglantée de l'abdomen de la truite. Une fois son travail achevé, il s'installa à côté de moi, m'incitant à reprendre mon récit. Lexa resta immobile, un moment qui paraissait trop long, mais le temps que je retourne mon attention sur elle, ses mains étaient à nouveau plongées dans l'eau fraiche de la rivière.
— Donc Toulouse, il y a deux ans. Je n'aimais pas Toulouse. Enfin, surtout je n'aimais pas mon école privée. Après le Japon, et même si j'étais dans un établissement international, j'étais trop décalée. On était trente dans ma classe, on avait un appart dans le centre. Je préfère cent fois ici. Les gens sont plus sympas aussi. Ajoutais-je en offrant un sourire sincère à Lincoln qui gigota en acceptant le compliment avec fierté.
Lexa échoua à réitérer son exploit précédent et se renfrogna quand nous dûmes rentrer avec un seul poisson. Le soleil ne brillait déjà plus dans le ciel, même si nous avions encore quelques heures de lumières devant nous en cette fin juillet. Me repérant sans mal une fois sortie des bois, je pris la tête du groupe, jusqu'à ce que je sente que plus personne ne me suivait.
— Qu'est-ce que vous faites ?
Mes nouveaux amis s'étaient arrêtés quelques mètres avant, sous les frondaisons, à la lisière de la forêt et s'installaient. Lincoln allumait le feu, et Lexa me rejoint en quelques rapides enjambées.
— On va ramasser du bois ?
Un éclair passa au fond de ses yeux que je contemplais sans retenue. Cette façon rodée qu'ils avaient de procéder sans se consulter. De toute évidence, c'était leur univers, leurs traditions. J'étais avec eux depuis le début de l'après-midi et ils n'avaient à aucun moment parlé de faire un feu de camp. Le fait qu'ils m'intègrent à leurs plans signifiait beaucoup pour moi. Je refoulai mon émotion, sentant monter des larmes de joie, ou de soulagement. Je baissais les yeux sur la main tendue de Lexa, qui attendait ma réponse avec confiance, et y déposa la mienne avec douceur avant de me faire entraîner à nouveau dans le bois. Je l'aurais suivi au bout du monde. À cet instant, je savais que je n'étais plus seule. Après toutes ces années, j'avais enfin un chez-moi.
