Participants : 24 – Equipe en tête : Lions de Saphir

05 : 59 : 51

Mes doigts se resserrèrent sur le bras d'Edelgard dans un réflexe quasi mécanique lorsque le sien, à elle, fut de se précipiter vers la première marche des escaliers. Mais Annette qui n'avait pas perdu de temps et délogé sa hache du corps sans vie était déjà en bas et nous fixait sans perdre une seule seconde, tout en grimpant jusqu'à nous. Son regard était terrifiant, et ses lèvres étirées que l'on ne pouvait qualifier de sourire encore plus. Je n'avais aucun doute : elle n'hésiterait pas à enfoncer sa hache dans nos corps un à un si elle parvenait en haut avant qu'on ait déguerpie. Je tirai ma camarade jusqu'à la porte de l'amphi dans lequel je la jetai presque avant de claquer la porte et d'y plaquer mon dos pour la maintenir fermée.

—Professeure ?! Qu'est-ce ce qu'il se-

—La ferme ! soufflai-je tout bas en sentant la porte trembler derrière.

Le visage de Dorothea devint plus blanc que linge mais elle et Ingrid se précipitèrent jusqu'à ce qu'Edelgard ne les arrête avant d'être proche de moi. Je savais qu'on ne voyait pas grand-chose au travers du hublot mais nous avions l'avantage du nombre que notre assaillante, elle, ignorait.

—Aidez-moi à bloquer cette porte ! Vite !

Une première table grinça sur le sol jusqu'à moi et je la bloquai immédiatement contre la porte entre deux coups d'épaules – j'imaginais – de la lionne là dehors.

—On doit sortir d'ici !

—Non ! répondis-je aussitôt à la chanteuse qui n'avait foutrement aucune idée de ce qu'il se passait à l'extérieur. Si on quitte cette pièce elle ne fera que nous poursuivre.

Lysithea s'activa sans que je n'en donne l'ordre et descendis les marches de l'amphi pour faire de même avec la porte en bas. Elle plaça une table à l'entrée, et Ingrid l'aida à en poser une seconde à l'envers pour faire plus de poids. Dorothea continuait de me fixer de toute son incompréhension.

—Annette est dehors, finis-je par expliquer. Elle a pété les plombs, et… elle a…

—Byleth ! me coupa violamment Edelgard que je fixai une seconde.

—Elle a… Elle a trouvé une hache je ne sais où, et nous a attaqué ! Nous nous sommes enfermées de justesse avant que le coup ne nous atteigne, mentis-je ensuite.

Je compris au regard de la blanche que leur expliquer qu'elle avait abattue froidement une de leur camarade n'aurait fait qu'installer une panique déjà palpable. Mais aucune n'était idiote, et surtout le téléphone avait vibré.

—Putain, la porte ne tiendra pas longtemps à ce rythme.

Car Annette avait renoncé à défoncer la porte à coup d'épaule et tentait maintenant de la briser à coup d'acier. Nous n'avions que quelques minutes avant qu'elle ne pénètre ici et fasse un carnage. Quelques minutes avant de reproduire la célèbre scène de Shining. Et tout le monde savait comment se terminait le film. En tout cas, moi, le savais.

—On doit l'arrêter ! Peu importe comment !

Il était hors de question que je laisse une de mes camarades être blessée, ou pire, tuée. J'avais vu assez de films et de reportages sur les attentats – entre autres – pour savoir que fuir était pareil à une condamnation. La meilleure des défenses était l'attaque. Alors oui, les risques de prendre un coup étaient grands, mais celui de mourir encore plus si l'on ne faisait rien. Et si nous arrivions à fuir pendant un temps, n'arriverions à le faire éternellement. Et Annette pourrait s'en prendre à d'autres si nous n'agissions pas.

—Alors quoi, vous allez juste la tuer ?

Mes mâchoires s'endolorirent. Etais-je seulement capable de tuer une personne ? Même pour ma propre vie ? On espère tous être capable du meilleur comme du pire en pareilles circonstances, mais de là à commettre un tel acte… Comment le justifier ? La légitime défense était peut-être capable de m'éviter la prison, mais elle ne l'éviterait jamais à mon âme. Non, ce genre de chose hantait jusqu'à la fin.

—On va l'immobiliser, puis l'attacher pour gagner assez de temps afin de réfléchir.

Mais réfléchir à quoi, au juste ? A ce qu'on ferait d'une meurtrière en plus d'essayer de comprendre ce qu'il nous arrivait et de sortir d'ici ?

Je me mis à tourner en rond sous le regard de mes camarades. Mes yeux scrutaient tout et n'importe quoi mais l'amphi était vide en dehors des tables et des chaises. Et les vieux rideaux attachés devant les fenêtres fissurées allaient finir par seulement servir de linceul. Et puis je percutai.

—Aidez-moi !

J'attrapai le tissu mauve et vieilli et tirai dessus de toutes mes forces. Il était accroché à une tringle, elle-même maintenue par deux trois vis à l'agonie dans un mur qui s'effritait presque. Edelgard attrapa un morceau également et tira elle aussi. Au bout de quelques secondes, les fixations de la tringle se décrochèrent du mur et la tige métallique percuta le sol. Elle se sépara en plusieurs morceaux qui étaient emboités les uns aux autres et j'en donnai un à la blanche, avant de tendre le deuxième vers la chanteuse d'Opéra.

—Aller !

Ce fut Ingrid qui prit l'arme de fortune malgré le fait de savoir que derrière la porte se trouvait l'une de ses camarades puisqu'elle était dans la même promotion. De fait, j'imaginais les pensées conflictuelles qui rongeaient son esprit.

—Ingrid ?

—Je n'ai pas envie de mourir ici… Ni que tu sois blessée.

Je vis Dorothea déglutir, puis attraper une chaise qui se trouvait sur son passage avant de la jeter une première fois au sol. Je n'eus le temps de l'interroger qu'elle recommença. Un des pieds se décrocha de l'assise et elle le serra fermement dans ses mains. Son silence était assez éloquent. Elle protégerait sa bien aimée quitte à commettre l'impardonnable.

Le bois de la porte finit par céder en moins de trois minutes. Le métal s'enfonçait avant de disparaitre pour s'enfoncer et apparaitre devant nos yeux à chaque coup un peu plus. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine et mon cerveau était en feu tandis que mon sang se glaçait dans mes veines.

—Cachez-vous ! ordonnai-je aux personnes qu'Annette n'avait définitivement pas pu apercevoir.

Quant à moi, je fis face à la porte, prête à accueillir la faucheuse elle-même. Et peu importait ce qui devait advenir, je me promis de ne pas la laisser approcher mes étudiantes dans un regard furtif jeté à El.

La porte céda finalement une fois la poignée défoncée et Annette n'eut aucun mal à faire valdinguer la table pour entrer avec la même puissance que celle d'une équipe de football dopée à la testostérone. Son sourire n'avait pas quitté ses lèvres mais elle pris une expression mi curieuse mi embêtée en apercevant les yeux incarnadins de Lysithea qui la fixaient un peu plus loin derrière moi. Edelgard se tenait devant elle, bien décidée à la protéger.

—Tant pis, ça me fera plus de points.

Des tessons de verres s'enfoncèrent dans ma gorge. Cette fille était dangereuse, elle avait complètement perdue la tête, bien loin de son habituelle et exécrable gentillesse à la en veux-tu en voila.

Annette fit un pas dans la pièce. Elle n'avait pas remarqué Ingrid et Dorothea postées contre le mur de part et d'autre de l'entrée. Je fis un mouvement de visage, léger, et la blonde tenta de porter un coup à son amie que cette dernière para dans un reflexe dû à tous ces cours de sport élitiques.

—Oh, peut-être pas autant finalement.

Ingrid grimaça et je pu lire sans difficulté le choc de se retrouver face à la personnification de la folie elle-même, mais Dorothea profita de la seconde d'inattention pour cogner sur le crâne de la jeune lionne assez fort pour la faire chuter au sol. La seconde suivante resta en suspend dans l'air tandis que j'attrapai les cordes qui retenaient les rideaux pour m'approcher aussi vite que possible. Ingrid et Dorothea avaient baissés les armes pensant le coup suffisant mais Annette gigotait encore au sol, sa hache serrées dans ses deux mains. Le temps de faire quelques pas, elle avait attrapé la jambe de la blonde et la déstabilisa assez pour la faire reculer le temps nécessaire afin de se relever. La chanteuse était sans défense puisque paralysée devant un tel spectacle. Annette trancha l'air et évita de justesse la brune qui recula un peu plus, brisant les défenses improvisées que nous avions réfléchies en moins de trois minutes. La stratégie – s'il y en avait une – tombait à l'eau car dans la réalité, cela ne se passait jamais comme dans les films. Ou au contraire.

—Annette… Pourquoi ?

La lionne était désemparée devant la situation, choquée de voir son amie revêtir une telle détermination à toutes nous tuer.

—Pourquoi ? répéta-t-elle calmement. Je veux sortir d'ici. J'ai vu ce qui est arrivé à Raphael, il n'aurait jamais dû tenter de s'enfuir.

Devant la dangereuse menace que représentait Annette pour sa compagne, Dorothea s'avança finalement avec son pied de chaise dans les mains. La meurtrière se tourna très rapidement vers elle, et ses lèvres s'étirèrent en une effrayante certitude.

—Bernadetta aussi voulait s'enfuir. Mais je ne pouvais pas la laisser partir comme ça après avoir résolu l'énigme. Elle rapporte cinq points.

—L'énigme ? demanda Ingrid qui ignorait comme nous comment fonctionnait ce jeu morbide.

—Elle a trouvé la combinaison du coffre, mais j'ai été plus rapide.

Elle fixa avec une joie malsaine la hache qu'elle tenait dans ses mains, comme si elle était devenue cette nuit sa partenaire d'une vie.

—Annette… Qu'as-tu fais à Bernadetta…

La hache avait beau être teintée de sang, personne n'avait eu le temps de formuler la question dont Edelgard et moi connaissions déjà la réponse. Et celle qu'apporta Annette en fendant l'air en direction de Dorothea mit fin à la discussion.

Ingrid tenta une nouvelle percée mais la gamine était agile et esquiva le coup. Il était particulièrement difficile de l'approcher et elle savait parfaitement que si elle, était prête à nous tuer, nous, étions emplies d'hésitation. La peur était une émotion qu'elle avait oubliée puisqu'elle jeta son dévolu sur moi comme si je représentais soudain sa principale menace. Mais moi, j'étais terrorisée.

La tringle de rideau assez solide me sauva les fesses mais je doutais qu'elle ne supporte davantage d'assauts. Je jetai un regard désespéré par-dessus son épaule et aperçu Dorothea au sol dont j'entendais encore les gémissements sans savoir si l'attaque avait fait mouche mais tentai de me concentrer puisque la lionne était à ses côtés. Lysithea hurlait derrière et Edelgard abandonna un instant son poste pour me venir en aide. Elle attrapa Annette par les épaules pour la bloquer mais celle-ci fit volte face pour diriger sa prochaine attaque sur elle. Je me jetai sur la gamine à mon tour mais comme je l'avais appréhendé ma tringle se brisa en deux sur le tranchant de la hache qui effleura ma clavicule pour y laisser une brûlure désagréable avant que je ne m'écroule au sol. La blanche para un coup mais ce qu'il restait de la tringle de rideau fut réduit en morceaux et le choc fit reculer Edelgard. L'ouverture laissée permis à Annette de lever une énième fois sa lame mais mes jambes et bras se contractèrent en devinant la suite. La vision onirique et cauchemardesque du corps de celle que je fréquentais sans vie donna à mes muscles l'énergie et à mon âme le courage nécessaire afin de me relever. C'est mon épaule que l'acier rongea de très prêt tandis que je devins l'unique obstacle entre Annette et Edelgard. L'oxygène quitta mes poumons et ma gorge en une plainte de douleur et le reste de la tige brisée s'enfonça dans la poitrine d'Annette sans que je ne le réalise ou ne l'ordonne quand elle se rua sur moi. Le résonnement métallique de l'arme sur le sol dur percuta mes tympans tandis que le liquide chaud se déversait sur mes doigts tétanisés. Le corps glissa lourdement sur le mien avant de finir à mes pieds pour se vider un peu plus.

L'orchestre de vibrations fit trembler les tables en chœur pour célébrer le drame de la victoire tandis que la flaque vermeille se rependait devant mes yeux écarquillés. Mon cœur devint muet mais ses battements continuèrent de carabiner mon crâne dans un silence funeste.