Rapidement, la compétition de tire à l'arc est annulée et chaque secte rebrousse chemin. Durant tout le trajet du retour, Wen Qing se tient au plus près de son frère, bien que cela ne veuille pas dire qu'elle se tienne à ses côtés.

Non, elle est plusieurs pas derrière le cortège qui le tient pieds et poings liés. Elle voit qu'il a été privé des couleurs de leur secte. Elle voit que ses cheveux sont décoiffés, à peine encore retenus dans une queue de cheval.

Pourquoi a-t-il tiré cette flèche ? Comment a-t-il pu tuer Wen Ruohan d'une seule flèche, fusse-t-elle fichée en plein cœur ?

Elle a travaillé auprès de Wen Ruohan dans ses derniers instants. Elle sait que la flèche qui l'a transpercé n'avait rien de naturelle, que le ressentiment qui l'a recouvrait été si nocif.

Wen Ning a le cœur bon, le cœur pur. Il ne peut être à l'origine de ce ressentiment. Il y a forcément quelqu'un d'autre impliqué dans cette affaire. Mais qui aurait pu convaincre son frère de commettre un meurtre et de se taire ensuite ? Ça ne fait aucun sens.

Lorsqu'ils arrivent à la Ville sans Nuit, Wen Qing parvient à convaincre le nouveau chef de secte de lui accorder un moment avec son frère. Elle jure que s'il parlera à quelqu'un, c'est bien à elle.

Devant les barreaux de sa cellule, elle voit son frère comme elle ne l'a jamais vu. Triste, peiné et bien plus encore. Il est blessé, sûrement que personne n'a été tendre avec lui depuis ce qu'il a fait.

Wen Qing s'agenouille face à lui et passe une main entre les barreaux pour la poser sur la joue de son frère. Sa peau est froide.

Wen Ning relève doucement la tête et son visage se décompose lorsqu'il la reconnaît.

"A-Jie…"

Elle sourit, doucement. Elle passe son pouce contre la pommette de son frère dans un geste réconfortant.

"Bonjour, A-Ning."

Wen Ning porte un regard brisé sur son visage. Il en détaille chaque contour, chaque couture. Des larmes se forment aux coins de ses yeux, s'amassent et s'écoulent sur ses joues.

"... Je suis désolé."

Wen Qing hoche la tête.

"Je sais."

Elle se passe la langue sur les lèvres.

"Mais tout peut encore s'arranger. Si tu donnes le nom du commanditaire, tu pourrais être excusé."

Elle n'y croit pas et, apparemment, Wen Ning non plus. Il secoue la tête et pleure davantage.

"Je suis désolé."

Il lève une main, la pose sur celle de sa sœur. Il baisse les yeux un instant, et, lorsqu'il les relève, Wen Qing voit qu'il s'est résigné.

"Je voulais juste entendre encore une fois ta voix."

Wen Ning sourit, si malheureusement que le monde pourrait aussi bien brûler autour de lui. Wen Qing secoue la tête, force sa voix à se faire plus puissante.

"Non, je t'interdis de dire ça. Ça va bien se passer, d'accord ? Tu vas nous dire qui est coupable et tu seras libéré."

C'est un mensonge, un mensonge si gros qu'il tombe au sol sans que personne n'y croit. Wen Qing sent ses yeux s'embuer et sa gorge se serrer mais elle doit se montrer forte. Elle est la grande sœur, elle doit protéger son frère.

Mais elle ne trouve rien de plus à dire et le sourire de Wen Ning est si serein dans son mal-être qu'elle sait qu'elle ne pourra jamais le convaincre de parler.

"Je t'aime, A-Jie."

Une première larme roule sur la joue de Wen Qing. Elle inspire profondément et dit dans un souffle :

"Moi aussi, A-Ning."

Elle ne le fera pas parler. Wen Ning ne parlera pas, ni à elle ni à personne. Il se laissera mourir pour qu'aucun autre ne souffre et qu'importe que le coupable s'en sorte.

Wen Qing se fiche de voir la mort de Wen Ruohan être vengée. Tout ce qu'elle veut, c'est que son frère vive à ses côtés. Qu'il grandisse et tombé amoureux, qu'il se marie et vieillisse avec la femme qu'il aura choisit.

Son frère ne mérite pas de mourir seul pour un crime dont il ne peut être le seul responsable.

Le sourire de Wen Ning flanche et il baisse la tête. Lorsqu'il parle, sa voix est fragile.

"Sache que je ne regrette pas ce que j'ai fait. Et s'il te plaît, s'il te plaît, ne cherche jamais à me défendre.

-A-Ning…

-S'il te plaît. Je ne veux pas qu'il t'arrive malheur par ma faute."

Il relève les yeux, plante son regard si sincère dans celui de Wen Qing.

"Tu dois vivre aussi longtemps et aussi heureuse que possible."

Wen Qing ne sait quoi répondre. Elle secoue la tête.

Alors Wen Ning serre sa main dans la sienne.

"S'il te plaît, promet-le moi."

Et Wen Qing voudrait promettre mais elle ne peut pas. Pas alors qu'il s'agit peut-être de leur dernière rencontre. Pas alors qu'elle ne peut être sans famille. Pas alors que son frère ne semble pas s'inquiéter de sa propre fin.

"... Je ne peux pas."

Elle ne peut pas, car ce serait renoncer à son frère et à tout ce qu'ils ont vécu. Elle ne peut pas abandonner l'unique famille qu'il lui reste.

Les larmes dans les yeux de Wen Ning prennent un air de traîtrise et Wen Qing ne supporte pas de les voir. Elle ferme les yeux.

Elle ne peut pas abandonner son frère, ne peut pas, ne peut pas.