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D'un geste mécanique, elle posa le monticule de bijoux sur une tablette de pierre, avec négligence. Ils avaient réussi à s'enfuir, tous les quatre. Elle avait fait de son mieux pourtant, pour satisfaire l'entité au-dessus d'elle, mais comme à chaque fois, elle avait été répugnée par son propre reflet, dans leur regard. Elle savait qu'IL serait en colère. Même s'il n'avait ni nom, ni forme, il ne semblait pas en avoir besoin pour manifester son mécontentement. Et de tous, elle était probablement celle qui le craignait le plus car, à l'inverse des autres, il n'y avait ni haine ni tourment des Hommes dans son cœur. La seule chose qu'elle haïssait plus que tout, c'était ce qu'ELLE était devenue.
- Ils sont tous partis.
Cette voix, douce, mais à l'accent si fort et si prononcé, elle ne la connaissait que trop bien. Charlotte était une amie. Une défigurée, comme elle aimait à appeler leur petit groupe de monstruosités. La plupart du temps, elle trainait avec Victor, son petit frère, mais aujourd'hui il n'était pas là.
- Je sais, répondit-elle avec lassitude.
Elle soupira, se laissant tomber sur la table de pierre. Une fois de plus, elle avait échoué pour un grand nombre d'entre eux. Rares étaient ceux qui comprenaient sa position. Charlotte la première. Mais elles étaient amies et il semblait que cette-dite amitié passait bien au-dessus de ce genre de détails. Et c'était tant mieux. Les autres auraient tôt fait de lui rappeler qu'elle était inefficace. Un poids mort pour les monstres, un monstre pour les morts. Cruelle ironie.
- Ils l'ont encore dit Charlotte. Ils m'ont encore appelée comme ça.
- Tu sais qu'ils sont comme ça, répondit la plus petite en haussant les épaules. Ils nous donnent tous des surnoms. Ils font des raccourcis. Ils ne cherchent pas à comprendre. Nous sommes les méchants après tout. La moitié d'entre eux doit encore penser que Victor s'appelle Franklin et qu'il est mon fils, alors bon…
Charlotte n'avait pas tort sur ce point. Ils ne les connaissaient pas. Depuis toujours, il n'y avait eu que des prédateurs et des prédatés. Et si elle, elle était censée être une prédatrice, elle n'en avait que l'apparence. Toutefois ça suffisait pour qu'ils lui donnent ce foutu surnom, en permanence. Elle le détestait tellement. Tellement qu'elle se détestait davantage en l'entendant. Alors qu'elle, elle avait appris chacun de leurs prénom. Elle savait d'où ils venaient, ce qu'ils faisaient auparavant. Leurs points forts et leurs points faibles. Tout. Ça aurait pu faire d'elle un monstre plus terrifiant, mais ça n'était pas le cas.
- L'entité à parlé d'un nouveau tueur, pour bientôt.
Charlotte avait lâché l'information de but en blanc. Elle se redressa, plus attentive. Au-dessus de leur tête, des bruits de pas, léger. Victor arrivait. Toujours là pour les ragots visiblement. Si elle aimait sincèrement la sœur, elle se méfiait du frère, plus féroce, plus sauvage. Bientôt l'enfant déformé apparu, sautant presqu'immédiatement dans les bras de son aînée.
- Un nouveau survivant va arriver avec lui. Faudra pas le rater.
Victor avait une voix nasillarde qui montait dans les aigues. Elle pouvait entendra sa gorge râcler, comme si chaque mot prononcé était une épreuve pour lui. Mais ça ne l'empêchait pas d'être bavard en toutes circonstances. Les deux étaient bien informés. Mieux qu'elle. Il faut dire qu'ils se mêlaient plus facilement aux autres, alors qu'elle, elle préférait rester dans son coin. Ils étaient peu à supporter sa présence et c'était tout autant réciproque. Elle était certaine qu'ils parlaient parfois d'elle, se plaignant de son apparence répugnante. Seule Carmina, Charlotte, et parfois Philip passaient parfois par chez elle pour la saluer. Les autres se contentaient de massacrer encore et encore, dans un sadisme des plus effarant.
Un nouveau tueur donc ? Peut-être que l'entité avait finalement décidé de se passer d'elle en la remplaçant ? Ça l'aurait bien arrangé. Sérieusement. Elle aurait été tentée d'interroger davantage Charlotte et Victor -elle n'aurait pas eu à les pousser bien longtemps pour qu'ils s'expriment- mais un générateur explosa au-dessus de leur tête. Déjà ? Visiblement elle devait donc se remettre au travail, puisque sa précédente tentative n'avait pas été franchement concluante. Toujours avec lassitude, elle attrapa l'encensoir posé à côté d'elle et soupira. A cet instant-là, Charlotte lui attrapa le bras pour l'interpeler
- Un jour, ils sauront ton nom Adiris. J'en suis certaine.
Si seulement elle avait raison.
