03
Il se passa trois jours avant que l'Entité n'invoque à nouveau Adiris pour un sacrifice. Pendant ces trois jours elle était restée cloitrée dans sa forêt, esquivant la route des autres le plus possible. Mais elle avait fini par apprendre, de la bouche de Victor, que le nouveau tueur était enfin là et que, dans sa suite, un nouveau sacrifiable ne tarderait pas à pointer le bout de son nez. Cependant, durant trois jours, personne ne croisa sa route, tant et si bien que certains commencèrent à s'interroger sur le sujet. Elle, pour sa part, n'en avait pas grand-chose à faire de croiser ou non le chemin de qui que ce soit, pourvu qu'on la laisse dans son coin.
Adiris était à la casse -elle détestait cet endroit à cause de l'odeur de l'essence et des bouts de ferrailles qui trainaient un peu partout et qui avaient tendance à rentrer dans la chaire molle de ses pieds lorsqu'elle marchait- à la recherche d'un certain Dwight, qu'elle n'avait pas en haute estime depuis leur dernière rencontre, quand elle tomba nez à nez avec le nouveau. Enfin, disons plutôt qu'elle déboula alors qu'il était occupé à trifouiller les fils d'un générateur. Et, dans le feu de l'action elle le frappa sans ménagement dans le dos. Surpris, l'homme se retourna et la dévisagea, levant les yeux à mesure qu'il semblait prendre conscience de sa grande taille. Il ouvrit la bouche, interloqué, alors qu'elle le toisait, indécise. N'était-il pas censé prendre la fuite ?
« - Mais t'es quoi toi comme monstre encore ? Lâcha-t-il plus pour lui-même que pour elle. »
Adiris voulu le frapper une seconde fois, pour le faire taire, mais une lampe l'aveugla. Elle ferma les yeux en titubant, lâchant un juron. Dwight ! Ce sale type était encore en train de jouer les braves et de la défier !
« - Tu vas bien mec ? l'entendit-elle dire à l'autre.
- C'est quoi ce bordel ?! répondit l'autre avec étonnement.
- J'te présente l'Épidémie. Ou Vomito, pour les intimes. »
Il n'en fallut pas plus à Adiris pour se mettre réellement en colère. Ils n'avaient même pas pris la peine de fuir bien loin et de là où elle était, elle apercevait le plus jeune appliquer une bandage sur la nuque de celui qu'elle venait de frapper. Trop occupé à faire l'intéressant devant le nouveau survivant, il ne prenait même pas la peine de couvrir leurs arrières et, la prêtresse, dans une colère noire, décida qu'il avait ainsi scellé son sort. Avec rage, elle s'élança à leur poursuite, les couvrants d'une épaisse couche de liquide putride au passage. Elle les accrocherait tous aujourd'hui. Tant pis pour ses états d'âmes. L'Entité semblait être d'accord avec elle sur ce coup, car la seconde d'après, alors qu'elle poursuivait les deux hommes, une cloches tinta au loin. C'était un bruit sourd et profond, diamétralement opposé à la cloche qu'utilisait Philip par exemple. En fait, c'était un signe qu'elle pouvait désormais utiliser sa terrible purge de corruption pour en finir au plus vite. Quelqu'un, Claudette, puisqu'il ne restait plus qu'elle en plus des deux hommes, devaient avoir bu dans l'un des bassins de dévotion de la casse pour se soigner, libérant par la même occasion la colère d'Adiris.
Toujours dans un état de rage incroyable, Adiris cracha toute sa haine dans le dos des deux hommes qui tombèrent, presque immédiatement. Ils étaient trop proches de toute façon pour avoir le temps d'esquiver quoi que ce soit. Et, alors que Dwight pestait -c'était déjà la troisième fois qu'elle le faisait tomber au sol depuis qu'ils étaient là- elle le souleva sans ménagement et l'accrocha sur le crochet à côté duquel il était tombé. Dwight hurla de douleur pour la énième fois et subitement, l'entité vint à lui pour se nourrir de ce sacrifice.
Ainsi la prêtresse en avait déjà tué deux. N'en restait que deux autres. Elle n'était pas tout à fait certaine de les avoirs toutefois. C'était déjà trop de sacrifices par rapports aux précédentes fois. Et elle sentait la culpabilité l'assaillir avec force alors qu'elle soulevait l'inconnu fraichement débarqué, qui tenta faiblement de se débattre. Il cria, lui aussi, quand elle l'accrocha sur le crochet. C'était probablement la toute première fois que quelqu'un s'occupait de lui, mais elle tenta de se rassurer en se disant qu'il finirait par prendre l'habitude. Ils s'y habituaient tous, après tout.
Désormais il lui fallait trouver la jeune femme qui lui avait permis de réussir avec brio son deuxième sacrifice pour l'en remercier. Enfin, façon de parler. Adiris n'avait pas en horreur Claudette autant que Dwight. Sans doute parce qu'à l'inverse de ce type un tantinet arrogant -maintenant qu'il avait arrêté d'avoir peur pour un rien- elle ne cherchait pas à se moquer de la prêtresse lorsqu'elle croisait sa route. Enfin, encore devait-elle croiser sa route.
Elle la chercha un long moment avant de réaliser qu'elle était trop bien cachée pour elle. Elle avait perdue du temps et elle savait que l'autre en avait profité pour décrocher le nouvel arrivant.
Nouvel arrivant qui était totalement à côté de ses chaussures. Du moins ce fut la remarque qu'elle se fit lorsqu'il lui fonça dessus. Trop occupé à courir en regardant derrière lui, il n'avait pas pris la peine de s'assurer qu'elle n'était pas en face. Adiris cependant, ne se gêna pas pour lui assener son meilleur coup de porte-encens dans la mâchoire, arrachant à l'homme un râle de douleur. Immédiatement il fit demi-tour, mais il ne fallut pas très longtemps à la femme, lancée à sa poursuite, pour le rattraper. Elle le frappa à nouveau, sans ménagement et le regarda tomber mollement au sol. Quel drôle de numéro.
« - Arrête ! Hurla-t-il alors qu'elle s'approchait du crochet. Ne fait pas ça ! »
Mais il ne faisait que supplier en vain. D'un mouvement automatiquement et sans réfléchir davantage, elle le suspendit à un crochet et reparti à la recherche de Claudette. Cette sale gosse avait une capacité hors du commun pour se cacher. Il n'était pas rare qu'elle s'échappe pendant que les tueurs étaient occupés avec d'autres survivants. En plus de ça, elle avait de nombreuses connaissances en botanique qui lui permettait de soigner pas mal de blessures. Autant dire qu'elle était capable de fausser les résultats d'un sacrifice déjà couru d'avance.
A nouveau Adiris dû admettre qu'elle était trop bien cachée pour elle. Après avoir fait plusieurs allers et retours à proximité de la casse, elle vit du coin de l'œil le crochet sur lequel elle avait accroché le nouveau. Il était désespérément vide. Fulminant à l'idée de se faire doubler par un débutant et une froussarde qui jouait à cache-cache, Adiris senti son sang affluer dans ses tempes. Elle allait à nouveau s'agacer -il était extrêmement rare qu'elle se mette réellement en colère- lorsqu'elle aperçut une silhouette, tentant de se faufiler dans un coin de la casse.
Il ne lui en fallut pas davantage pour qu'elle se lance à la poursuite de cette ombre inconnue et ce n'est qu'au détour de carcasse de voiture qu'elle reconnut le survivant. Encore ?! Comme il était blessé, elle n'eut aucun mal à le rattraper et à le faire tomber, dans un râle de douleur.
« - S'il te plait ne me tues pas… supplia l'homme qui ne semblait pas comprendre que ses requêtes étaient vaines.
- Même si je le souhaitais, tu ne mourrais pas. »
D'un geste abrupte, le frappa à nouveau, l'obligeant à se retourner. Puis, les mains tendues vers le ciel, elle décida d'offrir ce dernier sacrifice d'une façon plus pieuse et plus proche de ses croyances à l'Entité.
« - Adda ni ka dingir asar po me. »
Elle passa ensuite son porte encens autour du nouveau venu, qui, complètement tétanisé, ne prit même pas la peine de lutter. Elle le souleva ensuite -sans le moindre effort, l'approchant de son visage, puis, après avoir pris une grande inspiration, elle expulsa des litres de liquide pestilentiel sur lui, le noyant dans une odeur atroce de mort et de putréfaction.
« - Dégueulasse bon sang ! Fit une voix dans les buissons. »
C'était Claudette, elle en était persuadée. Ni d'une ni de deux, elle lâcha le corps sans vie pour se lancer à sa poursuite. L'autre tenta bien de détaler comme un lapin, mais Adiris l'en empêcha savamment. Il était hors de question que quelqu'un lui échappe aujourd'hui. La vue trouble, les pupilles gorgées de sang, elle réclamait vengeance, libérant la frustration qu'elle avait accumulée après tant de surnoms indécents. C'était trop, la coupe était pleine. Elle avait furieusement besoin de se libérer un poids et ils y passeraient tous.
Elle assena un violent coup dans le dos de Claudette qui trébucha, mais ne s'arrêta pas dans sa course. Le second ne tarda pas à arriver. D'elle émanait une odeur putride de peste, qu'elle avait dû contracter au moment où elle avait tenté de soigner l'un des deux autres. Adiris la ramassa, sans prendre conscience que l'autre ne se débattait déjà plus. Elle semblait avoir compris que la prêtresse n'avait plus envie de jouer. Cette dernière la porta jusqu'à un crochet et l'y suspendit, la regardant se débattre avec les griffes gigantesques de l'Entité. La prêtresse resta un moment à observer, même après que Claudette eut été offerte à sa divinité.
« - Adiris ? »
Une voix l'appela dans son dos, mais elle était toujours sous le coup d'émotions trop négatives pour répondre. Il fallait qu'elle prenne le temps de se calmer, et surtout qu'elle enterre pour de bon cette espèce de pulsion négative qui l'avait habitée l'espace d'un instant. Souffler, lentement. Les poings toujours serrés fermement, ses bijoux se plantant rudement dans la chaire de sa peau, comme pour lui rappeler qu'elle ne souffrait pas qu'intérieurement, elle tenta de se remémorer des souvenirs agréable de sa vie de mortelle.
« - Ça va aller Adiris, c'est terminé. »
Toujours cette même voix, si amicale, si bienveillante. Adiris restait les yeux rivés sur le crochet désormais vide, mais elle senti une main un peu rugueuse attraper sa propre main avec douceur. Immédiatement, toute trace de haine s'en alla. C'était comme une nouvelle bouffée d'oxygène, qu'elle accueilli avec grand plaisir.
« - C'est la première fois que tu as l'air si… En colère. »
Elle cligna des yeux, doucement. Ce timbre, avec cet accent si particulier, c'était Charlotte, elle en était plus que sûre. Lentement, elle laissa l'autre lui agripper la main, comme pour la forcer à rester avec elle. Heureusement que son amie était là. C'était dans ces rares moments où elle remerciait la jeune française d'être toujours à ses côtés, quoi qu'il arrive.
« - Adiris, se risqua l'autre. Est-ce que ça va ? »
« - Ça va Charlotte. Ça va. »
Elle tourna la tête vers son amie, scrutant son regard anxieux un instant avant de hocher doucement la tête, pour la rassurer. Ça allait beaucoup mieux, grâce à elle. Lentement elle lâcha la main de Charlotte et s'éloigna du crochet. Elle n'avait plus qu'une envie, rejoindre le temple pour aller se lover dans une petite pièce secrète de ce dernier, à l'abris des regards. Elle avait cruellement besoin de se détendre. Peut-être même ferait-elle couler un bain avec du thym, pourquoi pas, afin de chasser l'odeur du sang qui s'accrochait à ses vêtements.
« - Tu sais comment il s'appelle ? »
Charlotte hocha doucement la scène. Elle assistait parfois aux sacrifices d'Adiris mais nulle doute qu'à l'instant ou tous avaient réalisés que le nouveau survivant était enfin apparu, beaucoup avaient dû faire le déplacement pour voir la scène. C'était de lui dont la prêtresse parlait du nouveau. Elle avait toujours pris un soin particulier à tout connaitre de l'existence de ceux qu'ils sacrifiaient continuellement. C'était comme un moyen pour elle de rester dans la réalité.
« - D'après le nouveau tueur, son nom est Vittorio. »
Si elle en croyait les enseignements que lui avait donné Philip sur le nouveau monde, Vittorio, ça sonnait très italien. L'Italie ce n'était pas si loin que ça de sa Mésopotamie natale, après tout. Désormais, elle tâcherait de retenir son nom. Elle avait déjà pris soin de mémoriser son apparence, un peu particulière
« - Il avait l'air ancien. »
Elle vit Charlotte hocher la tête du coin de l'œil. Se pouvait-il que cet homme provienne d'une époque plus ancienne que lui ? Quelque part, elle souhaitait intimement que ce soit vrai, cela voudrait dire qu'elle n'était plus la plus ancienne de tous.
« - Tu restes plus vieille, fit Charlotte en effaçant tout espoir. Mais tu as raison, ils le sont tous les deux. Le quinzième siècle après Jésus-Christ.
- Jésus… se rappela Adiris. C'est vrai que vous comptez avec sa naissance.
- Moi aussi, je suis plus vieille que lui, fit son amie avec une pointe de fierté dans la voix.
- Et le tueur ?
- Pas causant. Il a été rustre avec Victor, j'étais à deux doigts de lui arracher son armure pour le confronter. Très franchement, Vittorio me semble bien plus sympathique que lui. »
Adiris s'imagina un instant que ce pauvre tueur avait dû voir Victor débouler comme un sauvageon -il le faisait en permanence- et que ça n'avait pas franchement dû lui plaire. Elle se prit de compassion pour l'inconnu -pendant un bref instant- en se demandant ce qu'elle aurait fait, elle, si elle avait fait face à Victor en arrivant ici.
« - Il était furieux quand il a réalisé qu'il ne serait pas le premier à tuer l'humain, reprit Charlotte sur le ton de la confidence. Il va devoir apprendre à se plier aux exigences de l'Entité. »
Et c'était vrai. Ici personne ne faisait ce qu'il souhaitait. Tous répondaient aux demandes de l'Entité.
« - Pourquoi tu étais autant en colère Adiris ? Enchaina l'autre femme. Je ne t'avais jamais vue comme ça. »
Que dire ? Adiris avait littéralement pêter un plomb. Elle n'était même plus sûre de pouvoir regarder son reflet -qu'elle avait déjà bien du mal à contempler en temps ordinaire- dans un miroir désormais. Elle inspira doucement et expira, cherchant mentalement la première excuse valable qui pourrait convenir à Charlotte
« - Je… Disons que j'ai suivi un conseil. De Caleb. »
En soit, ce n'était pas totalement faux. C'était bien au conseil non avisé de Caleb qu'elle avait pensé, lorsque furieuse, elle s'en était prise à ces quatre pauvres âmes en perdition. Et si elle regrettait bien moins d'avoir mal agis avec Dwight qu'avec les autres, elle n'en demeurait pas moins amère. Elle vit Charlotte jeter un coup d'œil sur le côté et, l'instant d'après, un homme apparu devant elle. Machinalement et sans prendre la peine d'être polie à l'égard de celui qu'elle avait reconnu, elle le contourna pour le dépasser, alors que son amie faisait de même. C'était ghostface, comme il aimait se faire appeler. Un membre du joyeux groupe de tarés faussement sadiques. Adiris n'aimait ni son attitude, ni sa façon de voir les choses et prenait toujours grand soin de l'éviter.
« - Quatre morts ! S'exclama le nouveau venu en les suivant en trottinant. C'est le grand retour de la prêtresse ! Tu as une mine radieuse Adiris !
- Ferme là, gronda Charlotte en s'interposant. Nous ne sommes que de passage, alors tire-toi.
- Charlotte, toujours aussi rayonnante. Ou est ton adorable frère ?
- Derrière toi connard, couina l'intéressé qui avait manifestement soigné sa mise en scène. »
Il n'en fallut pas plus à Ghostface pour débarrasser le plancher alors que Victor explosait de rire, très vite rejoins par sa sœur. Adiris ne dit rien, mais elle remercia mentalement l'enfant terrible de s'être interposé avant que la conversation ne dégénère. Il était probablement intervenu pour protéger sa sœur -ça n'aurait pas été la première fois- mais la prêtresse savait qu'elle n'aurait pas tenu très longtemps avant de renvoyer ses tripes au visage du voyeur en herbe.
Ils venaient de quitter la casse, passant pas les terres arides qui appartenait à Carmina, lorsqu'Adiris réalisa que la culpabilité qu'elle avait n'était pas si lourde à porter qu'elle ne l'aurait cru. En fait, maintenant que Charlotte -et par extension Victor- étaient là pour lui tenir compagnie et lui changer les idées, elle n'était plus tant focalisée sur la souffrance de ses victimes. Victimes qui ne mourraient jamais réellement qui plus est.
« - Tu sais… commença Adiris avec incertitude. Je crois que ça ne me dérangerait pas, de tuer autant qu'aujourd'hui. Plus peut-être.
- Sous quelles conditions ? L'interrogea Charlotte avec curiosité.
- Je voudrais juste retrouver mon visage d'avant, lâcha l'intéressée après une seconde d'hésitation. Enfin, tout mon corps d'avant. »
Charlotte demeura interdite et Victor faisait semblant de dormir. Adiris n'était pas sûre que l'un de deux jumeaux puisse saisir de quoi il en retournait. Ils avaient toujours eu la même apparence -quand bien même certains pouvaient la trouver effrayante- et n'avaient pas le même sentiment amer de regret qu'elle. Bien sûr, elle avait sacrifié sa beauté pour son peuple sans jamais attendre quoi que ce soit en retour et elle ne regrettait pas le moins du monde ce geste, mais maintenant qu'elle n'avait plus à sauver qui que ce soit…
« - Négocie avec l'Entité, argua Charlotte en haussant les épaules. Si tu lui ramènes de bons résultats en permanence, peut-être que tu pourras engager un rapport de force ? »
Vraiment ? Adiris était loin d'être certaine que l'Entité soit tout à fait d'accord avec ça. Voilà longtemps qu'elle n'était plus entrée en communion avec la divinité, tant et si bien qu'elle s'était mise a penser qu'ils n'étaient plus sur la même longueur d'ondes, tous les deux. Et cette part d'elle qui aimait tant la torturer psychologiquement, ne pouvait s'empêcher de lui susurrer que tout était de sa faute et qu'elle avait perdu l'amour de l'Entité à force de la décevoir. Un gout amer dans la bouche, Adiris s'efforça de ne rien laisser paraitre. Charlotte la connaissait suffisamment bien pour deviner quand quelque chose n'allait pas et elle n'avait, aujourd'hui, pas la force d'avoir une longue conversation avec elle
« - Quand on y pense, Adiris, tu es peut-être la première prêtresse du culte de l'Entité, non ? »
Peut-être. La prêtresse n'avait toujours vécu que pour son dieu et il lui semblait qu'elle était la plus ancienne des créatures bloquées dans ce monde emplit de tortures. C'était donc ça, la terre sainte promise et pour laquelle elle avait tant prié ? Elle haussa doucement les épaules, avec une certaine lassitude
« - Je l'ignore. »
Elle voyait parfaitement ou Charlotte voulait en venir si elle était si ancienne que ça, effectivement, elle pouvait espérer que cela entre en compte dans d'éventuelles négociations. Sauf qu'Adiris savait une chose on ne négocie pas, avec l'Entité.
« - Regarde. »
Adiris suivi du regard Charlotte qui s'était arrêtée dans sa marche. Au loin, à la limite des terres désertiques, une immense silhouette de métal se découpait, tranchant abruptement avec le décor. Il semblait vaquer à ses occupations, marchant vers des lieux nouveaux que la prêtresse n'avait encore jamais explorés.
« - Vous aussi, vous le gardez à l'œil ? »
Cette voix un peu chantante, c'était celle de l'Artiste. Carmina était une femme élancée -bien qu'il fût impossible pour Adiris de trouver qui que ce soit grand vu sa propre taille- avec de magnifiques cheveux noirs. Une artiste justement, qui portait très bien son nom. Discrète, pour ne pas dire carrément effacée, elle restait la plupart du temps dans son refuge à attendre que l'Entité ne l'appelle. Adiris l'aimait bien. Enfin, tout du moins appréciait-elle sa compagnie silencieuse. De plus, Carmina lui permettait de passer par chez elle pour rejoindre sa forêt -et inversement- sans rien lui demander en retour. Et c'était rare, chez les tueurs.
« - Bonjour Adiris, fit Carmina. Charlotte, Victor…
- On passe simplement par chez toi pour regagner la forêt, expliqua Charlotte en adoucissant sa voix. C'est plus confortable pour nous. »
Carmina percevait les sons sur des distances incroyables et elles savaient toutes les deux que maintenir une conversation avec un volume sonore normal relevait de l'impossible pour la femme aux cheveux noirs alors, quand elles parlaient, elles prenaient soin d'être plus discrètes.
« - Alors c'est lui ? Demanda Adiris. »
La douce Carmina cligna des yeux pour approuver. Elle et ses corbeaux devaient être au courant de bien des choses dans ce monde et nul doute qu'elle observait les autres tueurs avec un certain intérêt, depuis sa tour d'ivoire. Adiris tourna de nouveau la tête vers l'homme, visiblement vêtu d'une armure chevaleresque. Et si au loin, il semblait devenir de plus en plus petit, elle ne pouvait s'empêcher d'admettre qu'il en imposait.
« - Bordel, jura Charlotte. Adiris, t'es plus grande que lui ou je rêve ? »
Peut-être. C'était quelque chose qu'elle ne remarquait quasiment jamais. En fait, elle figurait parmi les plus grands, ce qui lui permettait, malgré son caractère relativement calme, de ne pas être trop taquinée par les plus jeunes (et plus bruyants). Mais elle avait pris l'habitude, à force de temps, de baisser la tête lorsqu'elle s'adressait aux autres.
« - Ils doivent faire sensiblement la même taille, acheva Carmina. »
L'homme dû sentir le regard des trois femmes au loin car il se redressa après un instant et se mit à les fixer. A cette distance il était impossible de déterminer qui il regardait vraiment, mais Adiris était persuadée de sentir son regard brûlant se poser sur elle. Intimement, ça ne lui plaisait pas franchement, d'être dévisagée de la sorte. D'autant plus qu'il continua de les fixer, dans un silence de plus en plus gênant.
« - Rentrons, lâcha Adiris qui commençait à se sentir mal à l'aise. Je suis épuisée.
- Vas-y, on te rejoint bientôt, je vais rester un peu, à le regarder. Au cas où tu vois ? »
Les joues rouges, Charlotte n'avait même pas prit la peine de tourner ses yeux vers Adiris pour lui parler. Et le sourire narquois aux coins des lèvres de Carmina lui indiqua qu'il ne servait à rien de continuer cette conversation. La française devait avoir un faible pour les chevaliers, ou quelque chose s'en approchant. Alors, sans un bruit, mais avec un dernier mouvement de tête à l'intention de la maîtresse des lieux, la prêtresse poursuivit sa route.
« - Qu'est-ce que tu fais là toi ? »
Elle se redressa d'un bloc, toisant de toute sa hauteur l'homme qui tentait de se recroqueviller sur elle-même, l'air subitement apeuré. Un vent de panique souffla dans l'esprit de la jeune femme. Jamais elle n'avait vu un survivant débarquer en dehors des sacrifices demandés par l'Entité. Quand ils ne tentaient pas de survivre, ces derniers se réunissaient autour d'un feu de camps que les tueurs n'avaient droit le d'approcher sous aucun prétexte. Une sorte de safe zone dans laquelle ils pouvaient se reposer. Pire encore, Adiris n'avait jamais vu aucun survivant entrer dans sa pièce secrète. Celle-ci était cachée par une énigme en accadien qu'il fallait être capable de résoudre, pour en découvrir l'accès. Rares étaient même les tueurs, à venir ici. C'était son cocon, son espace intime, caché du regard inquisiteurs des autres, et il venait de le violer sans vergogne.
« - Ne me tues pas, par pitié !
- Tu n'as absolument rien à faire là en dehors des jeux de l'entité. Tu n'es même pas censé pouvoir venir ici.
- Attends ! Avant de me suspendre !
- N'y compte même pas ! »
Folle de rage, Adiris fit quelques pas en avant, poussant le survivant à reculer. Elle devait bien faire deux têtes de plus que lui et elle était tellement en colère, humiliée par la situation, que son visage était tordu en une horrible grimace nauséabonde. Elle sentait ses plaies s'ouvrir, sa peau se déchirer à nouveau alors qu'elle dévisageait l'autre avec une haine a peine voilée.
« - S'il te plait ! Adiris ! »
Elle frissonna et se figea. Comment ?- Comment venait-il de l'appeler ?
« - C'est bien ton prénom, non ? Adiris ?
- Comment le sais-tu ? Questionna l'intéressée en tentant de cacher sa surprise.
- La tablette en bas. C'est de l'accadien non ? J'ai étudié cette langue. »
Il venait de lui couper l'herbe sous le pied. Elle était sous le choc. Comment diable se faisait-il que ce type soit capable de comprendre l'accadien ?! Elle nageait en plein cauchemars !
« - Mon nom est Vi-
- Je sais parfaitement qui tu es, le coupa-t-elle avec colère.
- Ils ont tenté de m'expliquer ce que je faisais ici. Même si je ne suis pas sûre de comprendre. J'ai l'impression de venir du passé pour eux.
- Le temps est une notion abstraite en ce monde. »
Il y eu un flottement. Lui n'avait plus peur, ses yeux la toisait avec curiosité et excitation et il semblait avoir toutes les peines du monde à cacher son amusement
« - Alors, tu es Adiris. »
Elle cligna des yeux. C'était la troisième fois qu'il l'appelait par son prénom et ça lui faisait toujours un choc. Elle avait comme une boule dans l'estomac qu'elle était parfaitement incapable de décrire. En fait elle ne savait pas si elle appréciait qu'il l'appelle ainsi, ou si au contraire, elle détestait.
« - Tu devrais repartir, avant que je ne me décide entre ces deux crochets. »
Il hocha la tête doucement, alors qu'elle-même se surprenait à être aussi clémente. Elle savait qu'aucun autre tueur n'aurait eu sa patience mais elle devait faire attention à ce que la situation ne tourne pas en sa défaveur. À tout moment, un Myers ou un Ghostface l'observant derrière les fourrés pouvait aller voir l'Entité pour lui parler de ce qu'il avait vu. Et elle ne doutait pas que le rapporteur grossirait le trait pour en faire la pire traitresse qui soit.
« - Est-ce que je pourrais revenir ? Se risqua-t-il.
- Certainement pas ! Je vais immédiatement informer l'entité de ton intrusion.
- Si tu fais ça, tu devras justifier de m'avoir laissé en vie. »
Aie. Il avait parfaitement raison. Et le pire dans tout cela, c'était qu'il lui avait expliqué le problème le plus naturellement possible, sans la moindre arrière pensé, ni même le moindre signe d'arrogance sur le visage. Était-il subitement habité par un profond désir de faire ami-ami avec une tueuse ? Si tel était le cas, il était mal barré la jeune Meg avait tenté de sympathiser avec l'un d'entre eux bien avant lui et elle s'en était brûlé les doigts.
« - Tu as raison, lâcha Adiris. »
L'autre voulu rajouter quelque chose, mais la prêtresse ne s'en soucia guère et l'attrapa le plus simplement du monde, le portant jusqu'au crochet le plus proche. Elle ignorait comment les choses allaient se passer, mais il était parfaitement évident qu'en l'accrochant comme un bout de viande, l'Entité allait réagir et se manifester plus rapidement que si elle ne cherchait à l'approcher d'elle-même.
« - Non s'il te plait ! Supplia l'homme. Arrête, c'est douloureux ! »
Trop tard. Elle le suspendit sans ménagement, lui arrachant un cri de douleur. Elle en eut presque de la peine sur le coup, mais après tout, c'était lui qui était venu jusqu'à elle, il l'avait cherché, d'une certaine manière.
« - Je vais rester longtemps comme ça ?
- Tu peux encore t'enfuir si tu le désires, mais je te le déconseille vivement.
- Pourquoi fuir, si je peux rester là à admirer la grande prêtresse de Babylone ? »
Adiris cligna des yeux. Quoi ? Elle était partagée entre la stupeur et l'incompréhension. Est-ce qu'il essayait de s'en sortir par la flatterie ?! A moins que ce ne soit de la moquerie de sa part ?! Agacée, elle lui lança un regard froid et emplit de haine pour lui faire comprendre qu'elle n'avait clairement pas envie de jouer à ce genre de petits jeux.
« - Les écrits saints ont été incapable de dire ce que tu étais devenue. Tu as comme disparu, rappelée par les dieux. »
Comment pouvait-il connaitre de pareilles écritures ? D'autant plus qu'il n'avait jamais semblé de son vivant que qui que ce soit l'ait nommée dans les écrits saints. Avait-elle été encensé post mortem ? Le contraire aurait été surprenant, toutefois elle ne s'était pas attendue à ce genre de révélation. Elle qui avait toujours vécue pieusement, pour son peuple, était probablement devenue une figure d'exemplarité à suivre.
« - Pourquoi es-tu punie ? Questionna l'homme en s'agitant sur son crochet. Ton peuple te vénérait ! »
Bonne question. Adiris serra les poings, se retenant de répondre. Elle n'avait plus à se justifier auprès de qui que ce soit désormais. D'autant plus qu'elle n'avait pas la réponse à cette question. Pas totalement. Elle avait fait un pacte qu'elle devrait désormais payer de sa vie. C'était comme ça, pas autrement.
« - J'ai accepté de donner mon existence à mon dieu, lâcha-t-elle vaguement. En échange de la vie sauve de mon peuple. »
Et c'était vrai. Il n'y avait pas l'ombre d'une hésitation, ni même d'un regret dans la voix d'Adiris. Elle avait aimé les siens avec une dévotion que personne ne pourrait comprendre et, maintenant encore, après des siècles de servitude pour l'entité, elle les aimait encore. Ils avaient été sa seule famille, son refuge. Si elle avait tout sacrifié pour eux, elle était prête à le refaire, encore et encore, sans l'ombre d'une hésitation.
Vittorio la toisa, sans un mot. Visiblement il cherchait à la jauger d'une manière ou d'une autre. Heureusement, la brume se faisait de plus en plus dense autour d'eux, signe que bientôt, leur rencontre fortuite ne serait plus qu'un mauvais souvenir. Tant mieux.
« - L'entité approche, annonça-t-elle platement.
- Je vais leur dire, au campement. Je leur parlerai de toi.
- Ils ne t'écouteront jamais, ricana Adiris de façon acerbe. Mon rôle est de vous sacrifier. Pas de devenir le martyr de vos histoires au coin du feu.
- Avant que je ne parte, j'aimerais que tu passes un message pour moi, à Tarhos. Je sais qu'il est là, je sens sa présence. »
Tarhos. Ce devait être le nom du tueur, le fameux chevalier qu'elle avait aperçu au loin lorsqu'elle était encore chez Carmina. Elle hocha vaguement la tête. Pas sûre qu'elle aille lui transmettre le moindre message, mais elle pouvait au moins faire semblant, comme par égard pour l'homme.
« - Je me vengerai. »
Si elle ne dit rien, Adiris l'observa alors que l'entité s'emparait de lui. Il était rare qu'elle apperçoive tant de haine dans le regard d'un seul homme et instinctivement, ça ne lui disait rien qui vaille. Ce n'était pas la première fois qu'un survivant souhaitait se venger d'un tueur, toutefois c'était bien la première fois qu'elle avait l'impression que le traqué devenait un traqueur.
Elle resta là un mot, interdite, observant la potence désormais détruite sur laquelle elle avait suspendu l'homme. Ce n'est que le bruit léger d'un enfant trottinant dans l'herbe qui la ramena à la réalité. Victor se dirigeait vers elle au pas de course. Mais cela ne l'étonnait guère ils avaient tous dû voir l'Entité se manifester alors qu'aucun sacrifice n'avait été prévu.
« - Adiris ! Couina-t-il en sautant sur un muret à côté d'elle. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Pourquoi y-a-t-il autant de brume ? »
Charlotte arriva en courant, à la suite de son frère. Effectivement, il y avait encore énormément de brume. C'était là la preuve du mécontentement de l'Entité. Mais Adiris était confiante, elle avait effectué son travail, même en dehors des requêtes de sa divinité, elle n'avait donc absolument rien à se reprocher. En secouant la tête, elle décida de leur donner une réponse
« - Le nouveau survivant… Il a trouvé comment contourner les règles de l'Entité. »
